Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

dimanche 29 novembre 2020

Comme à la radio : Hecatombe / self titled

 


 

Il n’y a pas très longtemps un ami un peu poète sur les bords me disait qu’il ne connaissait rien de mieux pour bien démarrer son dimanche matin que d’écouter un peu de death metal. Et bien je suis totalement d’accord avec lui. Toutefois, si l’ami en question jette volontiers son dévolu sur des groupes ultratechniques et un poil progressifs qui ont souvent tendance à m’ennuyer profondément, je privilégie pour ma part ceux qui basent principalement leur musique sur des gros riffs bien gras et bien graves sur fond de rythmiques implacables. Old school…

… Alors, pour notre dernière séance de poésie dominicale du mois de novembre de cette belle année 2020 de merde voici donc le premier enregistrement d’HECATOMBE, un groupe dont le credo musical est le suivant : « life is too short to play doom ».

 

 

Bien qu'influencé par le coté suédois de la chose Hecatombe est un trio basé à Lyon et composé d’ex membres de Cult Of Occult (à la guitare) et de Carne (à la batterie) ou actuel Ta Gueule et Shitstorm (au chant, sauf qu’en fait il est batteur dans les deux groupes susnommés). Et inutile de faire de faux procès à ces trois garçons en affirmant que leur musique n’a strictement rien de fin : c’est très exactement le but recherché, Hecatombe pratiquant un death très rapide et finalement joué à la punk, tout en énergie. Certes il n’y a pas de basse dans le groupe ce qui au départ me gênait un petit peu mais le guitariste est accordé tellement bas que l’on finit rapidement par oublier ce genre de détail pour se concentrer sur l’étalage de riffs tranchants et aiguisés comme des lames de rasoir.
La batterie est bien mise en avant dans le mix à tel point que tu pourrais si tu le voulais t’amuser à compter le nombre de kicks à la minute effectués par le préposé au tannage de peaux mais je te souhaite quand même bien du courage, ce petit gars connait son affaire et son jeu est très volumineux et invasif, ne faiblissant jamais, y compris lorsque Hecatombe passe en mode blast beats, flirtant alors avec le grind le plus vicieux. Enfin on peut se demander si le chanteur n’est pas tout simplement schizophrène tellement il semble à l’aise aussi bien dans le registre des growls d’outre-tombe que des crissements grind – à titre de comparaison c’est un peu Seth Putnam* dégueulant au pays de la quenelle hurlante.


Et bon dimanche.

[cet enregistrement de sept titres est disponible en cassette via Breath Plastic Records, en CD via Hecatombe records et j’ai même cru comprendre qu’une version vinyle allait voir le jour, peut-être avant la fin du monde**]


* d’ailleurs tu ne trouves pas qu’il y aurait comme un petit air de famille ?
** non ? bon OK.

 

samedi 28 novembre 2020

[chronique express] Osees / Protean Threat



 

Je suis encore une fois déçu. John Dwyer a beau modifier le nom de son groupe quand ça lui chante – actuellement il convient de parler de OSEES – et d’en changer le line-up à volonté, il a beau varier les formats de ses enregistrement (Protean Threat est un simple LP) et de n’avoir de cesse d’explorer de « nouveaux » horizons musicaux pour les récurer jusqu’à épuisement des ressources, son dernier album en date est malgré un démarrage plutôt fulgurant un échec cuisant, générateur d’ennui et de lassitude qui fait plus que jamais regretter les temps pas si anciens que cela où Dwyer pouvait encore se fier à son instinct maléfique sans se vautrer dans la complaisance (complaisance qu’au mieux on fera rimer avec préciosité ridicule, à moins d’aimer le gloubiboulga progressif). A l’année prochaine John, pour le cinquante-quatrième album de Thee Oh Sees / The Oh Sees / Oh Sees / Osees / OCS, qu’importe finalement…

jeudi 26 novembre 2020

[livre] Patrick Foulhoux / Les Thugs - Radical History

 


 

Je me rappelle très bien de la première fois où j’ai entendu parler des THUGS. C’était à la télévision, ce qui aujourd’hui quand j’y repense me parait complètement invraisemblable mais à l’époque les seuls moyens de découvrir des nouvelles musiques étaient : 1 - les discussions entre potes dans la cour du lycée avec échanges de cassettes à la clef, 2 - les émissions de radio puisque la bande FM avait été « libérée » seulement quelques années auparavant, 3 - la consultation frénétique des bacs des disquaires si bien entendu on avait la chance d’en avoir un dans la ville où on habitait, 4 - la lecture de rares fanzines (merci Rock Hardi) ou de certains journaux et… 5 - la tv qui servait ainsi à quelque chose.
Je me rappelle donc très bien de ce jour, j’habitais encore chez mes parents et c’était surement un mercredi après-midi parce qu’ils n’étaient pas là, donc je pouvais me vautrer devant le petit écran et regarder les merdes qui y passaient en attendant l’heure de mon rendez-vous avec des potes pour aller fumer des joints dans le parc à côté. L’émission s’appelait Décibels, sur FR3. Je me rappelle du présentateur à la diction toujours un peu maladroite et pas très à l’aise devant la caméra mais que j’aimais bien (je ne me rappelle pas de son nom, désolé), il passait souvent des trucs que je ne connaissais pas et qui me donnaient envie d’en savoir plus. Je ne sais pas si c’est le même jour où il y a eu une séquence consacrée à Fixed Up, groupe originaire du Havre, mais peut-être bien que oui, parce que Décibels défendait des labels tels que Closer records.


On était en 1987. Je ne connaissais pas encore LES THUGS. Je n’avais pas encore écouté la compilation Les Héros Du Peuple Sont Immortels publiée un peu plus d’une année auparavant et je me souviens du petit commentaire en introduction (ou après ?) de cette séquence tv consacrée aux angevins, un truc du genre : « attention ça dépote ». Et là je découvre quatre types qui ne sourient pas, qui ne font pas de grimaces et qui ne se prennent pas pour des clowns ou des brasseurs de bière et qui envoient à fond les ballons une composition ultra-rapide, ultra-courte et ultra-dense. Pas vraiment punk, pas hardcore non plus et extrêmement mélodique malgré le mur du son généré. Le présentateur tv a montré la pochette du « nouveau » disque des Thugs à l’écran : il s’agissait d’Electric Troubles
J’ai gentiment économisé sur mon argent de poche (merci papa) pour
acheter Electric Troubles et je l’ai dévoré. Sept titres sur un 12’ tournant en 45 tours et strictement rien à jeter, sept titres furieux et inclassables mais qui me correspondaient parfaitement : mélodiques sans être mièvres, violents sans être haineux, bruyants sans être inaudibles. Et puis ces rythmiques ferroviaires, ces passages tumultueux d’où émergeaient malgré tout les lignes mélodiques, ce chant en anglais – très important pour moi – volontairement sous-mixé, ces solos de guitare basés sur trois au quatre notes seulement… J’ai passé tous les titres d’Electric Troubles un nombre incalculable de fois dans l’émission de radio que je venais de commencer d’animer, puis dans celle d’après, et encore dans celle d’après… et aujourd’hui je me retrouve à reparler de ce disque, de cette année 1987, la dernière chez mes parents.

Radical History
, le livre de Patrick Foulhoux consacré au Thugs n’est pas aussi sentimentaliste que tout ce que tu viens de lire. Mais j’aurais pu faire bien pire, j’aurais pu te parler de la première fois que j’ai vu Les Thugs en concert, un an après cette fameuse émission tv, j’aurais pu te parler de cette fois également, alors que le groupe tournait avec les anglais de Mega City 4, je pourrais égrener tant de souvenirs, y compris celui d’un concert dans une salle très grande – du moins à mon niveau – et au cours duquel les Deity Guns avaient joué pour la dernière fois… j’étais attristé de la disparition du groupe lyonnais alors je suis parti pendant le concert des Thugs qui pourtant avaient l’air d’être comme d’habitude, à fond, sans aucune hésitation, sans compromis. Mais je ne supportais pas les Papapapa joyeux du public, en écho à l’un des titres du dernier album d’alors et auquel je n’arrivais décidemment pas à accrocher totalement – oui : j’ai arrêté d’écouter les nouveaux disques des Thugs après cela mais par contre j’écoute encore régulièrement Electric Troubles, Dirty White Race et le magnifique Still Hungry / Still Angry. Je pourrais enfin parler du concert au Rail Théâtre lors de la tournée de « non-reformation » en 2008, j’y allais à reculons, mauvaise période de ma vie, et j’en suis ressorti avec le sourire aux lèvres.


Tout le monde a quelque chose à raconter sur Les Thugs. Des souvenirs souvent très forts mais pas vraiment d’anecdotes – et encore moins des anecdotes croustillantes, Les Thugs étaient plutôt du genre spartiates – et toujours le même constat sur la musique et l’éthique du groupe. Car l’histoire des Thugs est également celle de la professionnalisation du milieu indé et des paradoxes qui en ont découlé. Comment passer des concerts dans les bars, les lieux alternatifs et les squats aux concerts dans des vraies salles s’organisant de plus en plus en réseau institutionnalisé et subventionné (la Fedurok et tout ça, avant la naissance des Smac) ? Comment aller d’une maison de disques comme Gougnaf Mouvement à Labels (une sous-division de Virgin…) en passant par Closer, Vinyl Solution, Sub Pop, Alternative Tentacles et Roadrunner ? Comment ne pas perdre la foi et rester sincère ? Comment le faire sans la ramener non plus, simplement en étant ce que l’on a toujours été, sans se préoccuper d’exemplarité ni se présenter en donneur de leçon, parce que c’est dans sa nature, que cela correspond à une double éthique, à la fois musicale et idéologique ? C’était / c’est tout ça Les Thugs, et bien plus encore. Et parmi tous les nombreux témoignages et commentaires que l’on peut lire dans Radical History c’est à mon avis celui de Marsu (Bondage records, Crash Disques, etc.) qui résume le mieux le paradoxe et la réussite des Thugs : « D’un point de vue commercial, Les Thugs est un groupe mineur de la scène française ; d’un point de vue artistique et éthique, c’est un groupe majeur. Un authentique vrai groupe. C’est un souvenir à chérir ». Merci les gens.


[Radical History de Patrick Foulhoux est publié par Le Boulon avec en prime une chouette préface signée Virginie Despentes – tous les disques des Thugs sont toujours disponibles via Nineteen Something]

 

mardi 24 novembre 2020

Couch Slut / Take A Chance On Rock 'n' Roll




Auteurs de l’un des meilleurs disques des années 2010 en matière de gros noise-rock qui tâche profondément et qui fait très mal pendant très longtemps – l’incroyable Contempt, pour ne pas le nommer – les new-yorkais de COUCH SLUT sont enfin de retour avec Take A Chance On Rock’n’Roll. Je ne connais pas tous les tenants ni tous les aboutissants de la vie en interne du groupe mais ce troisième album marque également le retour de la guitariste – et éventuellement trompettiste – Amy Mills dans les rangs de Couch Slut. Elle ne jouait pas sur Contempt* qui se détachait du lot par une épaisseur et une densité peu communes de ses compositions, faisant naitre un malaise insidieux et dérangeant chez l’auditeur, d’autant plus que de son côté la chanteuse / hurleuse Megan Osztrosits vociférait comme jamais ses textes d’une violence et d’une crudité sans égales. Pour te donner une idée de l’ambiance générale tu peux également te reporter aux paroles des chansons, très importantes, tout comme aux illustrations des pochettes de disques de Couch Slut.
Arrive donc ce Take A Chance On Rock’n’Roll doté d’une iconographie bien plus neutre que d’habitude – quoi que « neutre » ne soit pas le terme le plus approprié, une violence même pas sous-jacente y est toujours présente mais cette fois-ci elle semble s’accompagner d’une pointe certaine d’humour – et d’un titre d’une fausse banalité qui ne trompera personne : il n’y a apparemment pas la moindre petite trace de rock’n’roll par ici, en tous les cas pas la moindre trace de cette musique patrimoniale de petits mecs blancs et devenue depuis trop longtemps ni dangereuse ni dérangeante. Paradoxalement et a contrario il nous faut
pourtant prendre ce troisième album au pied de la lettre, comme une véritable déclaration d’intention suivie des faits, donc comme un disque de pure énergie, un disque bruyant, sale et méchant, vicieux et intraitable – au moins musicalement parlant : Take A Chance On Rock’n’Roll est aussi vénéneux et redoutable que ce qu’il prétend ironiquement être.
Mais pas seulement. Avec à nouveau deux guitaristes en action ce troisième album de Couch Slut revient à plus de finesse (si je puis dire…) et renoue avec le côté un peu plus nuancé du premier My Life As A Woman. On reste en terrain connu mais les empilements à répétition de guitares sont moins étouffants et surtout moins métallisés, ils laissent parfois passer un peu de lumière blafarde et glauque, quelques traces d’atmosphères désolées et fracassées, ce qui in fine relève le côté malaisant de la musique de Couch Slut. C’est l’habituelle dialectique entre efficacité rageuse et ressenti rampant ou entre agression musicale pure et provocation intense des sens, mais le groupe plane largement au dessus de ce genre de débat / choix et ne s’embarrasse d’aucune hésitation : chaque titre ou presque démarre et se termine par un larsen qui vrille les tympans et nique les cerveaux. Passé ces avertissements sans frais Couch Slut peut se montrer aussi irrésistible et carnassier (le très noise-punk Carousel Of Progress, le fulgurant In A Pig’s Eye) qu’il peut se dévoiler étrange et inquiétant (le narratif et implacable Someplace Cheap, I’m 14 et sa trompette de la mort).

Si Contempt pouvait ressembler à un hurlement sans fin ou à une asphyxie inéluctable – on ne saurait vraiment choisir –, Take A Chance On Rock’n’Roll consacre définitivement le chaos menaçant de Couch Slut comme la manifestation ultime et redoutable d’une rage que rien ne semble pouvoir atténuer et d’une violence qu’il est malgré tout bon d’exprimer et de faire sortir, au risque sinon de se faire complètement bouffer par elle. Ben Greenberg** qui s’y connait en enregistrement et en production de disques sans concession a parfaitement fait son boulot en réussissant à conjuguer le côté oppressant et le côté violemment stratosphérique de la musique de Couch Slut et, cette fois encore, les textes d’une rare noirceur de Megan Osztrosits abordent les mêmes thèmes « habituels », entre traumatismes subis par les femmes, drogues, prostitution, violences conjugales et domestiques. On comprend alors encore mieux pourquoi Couch Slut ne devrait pas être uniquement considéré comme un simple groupe de noise-rock mais bien comme la manifestation d’une colère légitime et la volonté réelle de bousculer les esprits et les pensées. Take A Chance On Rock’n’Roll est donc bien cet album aussi urgent que profondément marquant et, par-dessus tout, lourdement chargé en significations.


[Take A Chance On Rock’n’Roll est publié en vinyle et en CD par Gilead Media]


* alors qu’elle apparait sur un split en compagnie de Microwaves publié par Sleeping Giant Glossolalia en 2017, soit exactement la même année que Contempt – va comprendre…
** d’ailleurs son collègue au sein de Uniform Michael Berdan est crédité au chant sur The Stupid Man mais il est complètement perdu dans le mix…

dimanche 22 novembre 2020

[chronique express] Metz / Atlas Vending

 


Injustement critiqué par une poignée de pisse-froids dès le premier album pour cause d’excès d’application et manque d’originalité notoire, acclamé par nombre de ces mêmes sectateurs lors du deuxième (et à ce jour meilleur) album pour paradoxalement se retrouver consacré comme gardien d’une certaine tradition, décevant parce qu’un peu ennuyeux pour le troisième Strange Peace – se faire enregistrer par Steve Albini n’est pas toujours une bonne idée – METZ est de retour avec un quatrième LP à nouveau à la hauteur de tout le talent du groupe : Atlas Vending est le disque le plus sombre, le plus furieux et le plus teigneux du trio canadien, en tous les cas c’est une belle leçon de noise-rock traditionaliste et accrocheur, très froid et taillé au scalpel, mais uniquement à l’usage des amateurs bon chic bon genre de fuzz et de reverb’… pour celles et ceux qui voudraient plus de crasse, de pourriture, de sang et de malaise il faudra toutefois aller voir ailleurs. 

 

vendredi 20 novembre 2020

Deity Guns / Proto Larsen

 



Tu penses bien que j’ai fait de sacrés bons en l’air lorsque j’ai appris la parution imminente de cet album : Proto Larsen regroupe les démos enregistrées par les DEITY GUNS en 1990 et documente ainsi les débuts d’un groupe parmi les plus importants de la scène noise / expémachintruc de l’époque. En ce moment on parle beaucoup – et à juste titre – des Thugs à l’occasion de la magnifique biographie Radical History écrite par Patrick Foulhoux* et si Les Thugs ont profondément marqué la fin des années 80 (et même après…), passant alors pour de purs extra-terrestres au milieu d’une vague alterno dans le meilleur des cas très rock’n’roll et au pire en pleine glissade franchouillarde, les Deity Guns ont eux marqué tout le début des années 90 et donné le coup d’envoi d’une déferlante noise-rock s’affranchissant de codes musicaux qui commençaient à sérieusement sentir le sapin.

Non pas qu’il n’y avait rien eu avant eux mais pour le moins on affirmera sans hésiter que les Deity Guns ont été parmi les premiers dans l’hexagone à montrer une telle volonté de sculpter l’électricité – l’un de leurs premiers disques officiels n’est-il pas un live enregistré début 1991 en Italie et intitulé… Electricity ? – et à y parvenir en utilisant leurs guitares comme d’incroyables générateurs de sons, naviguant entre distorsion accrue et dissonances extrêmes mais sans jamais oublier totalement leurs racines « rock » 
(des influences qui disparaitront presque complètement avec Trans Lines Appointment en 1993, le dernier disque paru du vivant des Deity Guns et produit par Lee Ranaldo de Sonic Youth). J’ai lu un jour, quelque part, qu'en fait le « Guns » de Deity Guns était au départ une référence à peine voilée au Gun Club de Jeffrey Lee Pierce. Je ne sais pas si c’est vrai ou pas mais ce dont je suis certain c’est que personne ne pourra enlever au groupe sa volonté d’avoir toujours voulu préserver le côté mélodique de sa musique, les quatre Deity Guns étaient alors bien conscients que pour donner encore plus d’impact à leur usine à bruit il fallait que celle-ci s’appuie sur de vraies chansons. 
Elles sont donc là les premières « chansons » enregistrées des Deity Guns, une suite de compositions dont nombre d’entre elles seront reprises par la suite sur le mini album Stroboscopy, publié lui en 1991 chez Black & Noir – un label d’Angers cofondé entre autres par Eric Sourice, guitariste / chanteur des… Thugs (qu’importe que le monde soit trop grand ou trop petit, il n’y a surtout pas de hasard). On connait donc déjà un peu les huit plages de Proto Larsen sans les connaitre vraiment. Bien sûr on retrouve quelques uns des tubes de la première période des Deity Guns (Circle, Kurious… Here Today**, évidemment) mais ce qui frappe – littéralement, c’est-à-dire de façon totalement frontale et choquante – pendant l’écoute du disque c’est l’envie et la vitalité, la rage et la détermination d'un groupe encore très jeuneLes guitares sont déjà en mode défouraillage tandis que la rythmique est implacable avec une basse aussi présente qu’imposante. Il n’y a que le (double) chant qui sonne aujourd’hui encore trop vert, juvénile. 
Mais qu’importe parce que le résultat est là, un constat également fait par Djan Mariat qui a enregistré ces bandes dans son premier studio avec des moyens limités (un quatre pistes, une poignée de micros) et les a remasterisées trente années plus tard. Dans le texte figurant au verso de la pochette du disque il avoue même que cette expérience a radicalement changé sa façon d’envisager la musique, ce en quoi il n’est pas le seul : les Deity Guns auront effectivement marqué les esprits et restent à ce jour un groupe incontournable et particulièrement important***. Avant la suite que l’on connait, puisque avant même la séparation du groupe une partie des membres des Deity Guns formeront Bästard puis, à partir de 2006, Zëro…  (mais ça tu le savais déjà).

[Proto Larsen est publié en vinyle par Larsen records****]

* mais cette gazette reviendra plus tard en détails sur le livre consacré aux Thugs

** « Kurious »… peut être bien une autre référence musicale, à The Fall cette fois
*** on peut écouter et réécouter les Deity Guns grâce au coffret A Recollection publié il y a quelques années par Ici d’Ailleurs, le label ayant également réédité en 2017 le magique Trans Lines Appointment en vinyle

**** Larsen était / est toujours à la fois un studio d’enregistrement, un label et un fanzine

 

mercredi 18 novembre 2020

[chronique express] Thurston Moore / By The Fire

 


J’ai tout d’abord eu l’intention d’écrire une très longue chronique du dernier double album de THURSTON MOORE mais à quoi bon puisque l’écoute de celui-ci est déjà suffisamment fastidieuse et interminable comme cela ?
Entre redites post Sonic Youth et similitudes avec le précédent album Rock’n’Roll Consciousness (Hashish), coquetteries 70’s de guitar-hero (Cantaloupe et son intro avec faux airs de Sugar Kane), quelques cavalcades au long court (Breath) ou dissonances plus accentuées (They Believe In Love) et autres compositions dont le côté expérimental ne sautera qu’aux oreilles des enfants sages (Locomotives et son solo dégoulinant, l’instrumental Venus), By The Fire n’est que trop rarement à la hauteur du passé musical, des ambitions esthétiques et des positions politiques et humanistes affichées par notre éternel adolescent préféré et enfant chéri de l’underground accompli.
Il ne suffit pas de s’armer des meilleures intentions du monde, d’écrire des paroles parfois engagées ni de faire imprimer « all are born free & equal in rights » au verso d’une pochette pour faire un grand disque, bien que rappeler ce genre de principes ne devrait pas faire de mal à tout le monde en cette période obscurantiste. Je cours écouter et réécouter The Best Day qui me semble être un disque beaucoup plus personnel – et poétique – du monsieur.

 

lundi 16 novembre 2020

Hey Colossus / Dances - Curses

 



La régularité n’est pas la moindre des qualités de HEY COLOSSUS : depuis leurs tout débuts les anglais auront publié quasiment un disque par an (des fois deux, dans le cas du brillant tandem In Black And Gold  / Radio Static High en 2015) et il ne se passe jamais très longtemps avant que le groupe n’annonce une nouvelle sortie. Faisant suite au très tubesque et escarpé – cela n’a rien d’incompatible – Four Bibles paru en mai 2019, le groupe est donc déjà de retour avec… un double album !
Dances - Curses* posait a priori au moins deux ou trois questions existentielles au pauvre fanatique transi de Hey Colossus que je suis : mais qu’est-ce que c’est que cette pochette ? Et surtout : le groupe allait-il avoir les épaules suffisamment larges et faire preuve de suffisamment d’inspiration pour assumer entièrement un disque durant près de 80 minutes ?
Pour la pochette, la réponse est très facile. Signée David Hand on y devine les plumes d’un volatile quelconque percuté par l’avant d’un train high-tech lancé à toute vitesse en pleine campagne. L’ensemble est très léché et en mode cartoon (une première pour Hey Colossus) mais possède un rendu presque glacé malgré les couleurs vives employées : globalement l’impression que l’on en retire est, elle, étrangement attirante (c'est l'effet mystère) et étonnamment lumineuse. 

Comme la musique contenue par ce Dances - Curses, double album d’une aisance, d’une élasticité, d’une clarté et d’une noblesse incroyables, le tout à un niveau encore jamais atteint jusqu’ici par Hey Colossus. La réponse à la deuxième question est ainsi toute trouvée : loin de montrer le moindre signe de faiblesse ou d’essoufflement, Dances - Curses constitue un enregistrement d’une rare rigueur et d’une constance, d’une dynamique, d’une assurance et d’une trempe peu communes. Y compris dans ses moments les plus improbables, comme sur ces compositions à revers ou à rebrousse-poils dont Hey Colossus parsème souvent ses disques (ici : le drôlement exotique Stylites In Reverse). Et surtout comme sur A Trembling Rose, longue composition dépassant le quart d’heure et jouant sur l’accumulation, la stratification et la répétition, certainement l’une des meilleures réinterprétations pysché-noise des idiomes kraut que j’ai pu écouter depuis longtemps. A Trembling Rose (il convient d’y ajouter cette « reprise » charbonnée qui fait beaucoup pour le côté magique de la chose) s’impose comme la pierre angulaire d’un disque très « pop » et mélodique par ailleurs.

Parce que Dances - Curses est également un album lourdement chargé en hits et autres futurs classiques. A commencer par le très profond The Mirror bénéficiant de l’appui au chant d’un Marc Lanegan toujours aussi égal à lui-même, prince incontournable des voix enfumées et embourbonnées et dont la participation provoque un effet secondaire plutôt inattendu et palpable sur l’ensemble du disque en mettant en valeur le chant de Paul Sykes, le chanteur habituel du groupe, toujours plus aérien et en constante progression ces dernières années…
Mais au rang des tubes de l’album on citera également : The Eyeball Dance, Donkey Jaw, Medal et Dreamer Is Lying In State qui illuminent toute la première face** de Dances - Curses, de loin la plus carrée et la plus accrocheuse du disque, comme si Hey Colossus faisait se croiser le fer entre desert rock rigoriste mais (extrêmement) mélodique et cold wave / new wave aux accents fédérateurs subtilement retenus – imagine un peu Josh Homme et Ian McCulloch montant un projet ensemble sans s’engueuler une seule fois. Après avoir fait la démonstration de tant de force et de magnificence (je rajoute Revelation Day à la longue liste de tubes contenus dans cet album) puis de tout son pouvoir d’expérimentation assurée, le groupe se montre expert dans l’art de trousser chansons de garçons gothiques et balades noisy (
U Cowboy et Blood Red Madrigal) et Dances - Curses glisse alors peu à peu sur sa deuxième partie – il m’arrive souvent de n’écouter que la quatrième face du disque – dans une sorte de mélancolie souriante et lumineuse, s’approchant au plus près d’une certaine forme de calme rayonnant et de sagesse inévitablement poétique, l’électricité comme épais manteau contre la froidure et la douleur. 

Il faut savoir faire confiance à ceux que l’on aime

[Dances - Curses est publié sous la forme d’un double vinyle transparent ou orange avec pochette gatefold comprenant les paroles à l’intérieur et en double CD (sans les paroles et couleur CD, évidemment) par Wrong Speed records de ce côté-ci de l’Atlantique et Learning Curve records***, de l’autre côté]


* « danses / malédictions » pour les non-anglophones… en fait je voulais surtout en profiter pour adresser un message personnel à Joe Thompson, bassiste de Hey Colossus : Joe je sais que l’année dernière tu as publié un livre intitulé Sleevenotes, pour l’instant non traduit mais dont plusieurs personnes bien informées et de bon goût m’ont dit le plus grand bien… n’envisagerais-tu pas une traduction et une édition française de Sleevenotes pour que celles et ceux qui comme moi parlent et lisent très mal l’anglais puissent enfin le lire confortablement ? Merci, bisous.

** quatre titres au top sur une face qui en compte cinq : qui dit mieux ????

*** mauvaises nouvelles… Rainer, le boss de Learning Curve doit actuellement faire face à de gros problèmes de santé et, sans réelle couverture sociale ni assurance maladie, il a lancé une cagnotte pour financer son opération

 

 

vendredi 13 novembre 2020

Fange / Poigne

 



Donc... pas trop le temps de dire ouf après un Pudeur plutôt réussi et explorant de nouveaux horizons industriels que FANGE revient déjà avec un mini-album intitulé Poigne, un disque estampillé, c’est écrit en très gros tout en haut de la pochette, « Bretagne Industrielle » (et c’est une constante chez le groupe de donner à tous ses enregistrements des titres commençant uniquement par un P, un peu comme Foetus ou Jesus Lizard donnaient aux leurs des four letter words). Toutes les informations techniques et artistiques figurent d’ailleurs en bonne place au recto, à commencer par le line-up du groupe : on apprend ainsi qu’au trio déjà présent sur Pudeur et toujours composé d’Antoine Moreau, Mathias Jungbluth et Antoine Perron se rajoute un certain Jean Baptiste Lévêque. Celui-ci avait déjà joué au sein de Fange, c’était aux débuts du groupe et on peut l’entendre sur Poisse (2014) ainsi que sur Purge (2016)…
… Ce « nouveau » renfort n’a rien de si étonnant : ayant également été le tout premier chanteur / hurleur de Fange  – avant que Matthias Jungbluth n’occupe le poste avec le brio que l’on sait – Jean Baptiste Lévêque est un habitué des machines et un bidouilleur de sons et sa présence donne le La à un septième enregistrement encore plus marqué que son prédécesseur par la musique industrielle et la froideur mécaniquex. De son côté Antoine Moreau est toujours crédité à la guitare mais il s’est également concentré sur les machines et la programmation des rythmes tandis qu’Antoine Perron a complètement délaissé sa basse pour lui aussi se mettre à la bidouille synthétique.
Avec Poigne, le groupe, toujours aussi prolifique, continue sa mue, son évolution, son exploration des ténèbres et s’auto-qualifie désormais d’ « industrial death » et de « harsh sludge ». Il est vrai que Les Jours Azurs ne laisse guère de place au doute avec un démarrage à vif et concassé de bruits divers et (a)variés pouvant vaguement rappeler l’intro mythique de l’album Haus der Lüge de Neubauten. Un titre qui reste mon préféré de Poigne car le rythme y est lent et l’ambiance vraiment malsaine, parce qu’on y entend encore un peu de guitare (notamment à partir de l’ultime reprise, à 2’40) et que l’aspect machines / synthèse bruitiste n’a pas totalement pris le dessus sur tout le reste. Les trois autres compositions du disque n’ont pourtant rien de déshonorant, bien au contraire. En utilisant des sons de nature plus identifiable (i.e. synthétique) Flamme Mourante est un peu plus conventionnel, à la croisée d’une EBM rampante et perverse. Ce que ne démentent pas D’un Désarroi L’autre (mâtiné d’un peu de Nine Inch Nails primitif) ni le final Géhenne, sombre reptation un rien grandiloquente au pays de la douleur et des doutes. 
Reste – encore une fois – à évoquer le chant de Mathias Jungbluth qui est le seul participant au disque à ne pas avoir trop bouleversé ses façons de faire. Et évoquer ses paroles que l’on peut découvrir sur la totalité du verso de la pochette**, c’est dire si elles sont importantes. A chacune et à chacun de tirer un sens qui lui appartienne de textes sombrement poétiques et décidemment tourmentés mais chargés d’un pessimisme qui pourtant ne me semble jamais totalement défaitiste – et je citerai à nouveau Les Jours Azurs dont les paroles sont pour moi les plus achevées du disque.

 

[Poigne est gravé sur un vinyle 12’ monoface de couleur marbrée rouge et noir (le regarder à la lumière est un délice qui fait froid dans le dos : on dirait l’intérieur d’une membrane), tourne en 33 tours, dure 15 minutes et a été publié par Throatruiner records]

 

* il est également l’auteur de l’illustration très réussie de Poigne
** paroles également accessibles sur le b*ndc*mp de Fange

mardi 10 novembre 2020

Neige Morte / IIII

 

Quand j’y repense une année complète se sera bientôt écoulée depuis la dernière fois que j’ai vu Neige Morte en concert. Et quel concert ! Sans aucun doute le meilleur du groupe auquel j’ai jamais assisté – non, là je t’arrête tout de suite : ce n’est absolument pas le manque de musique en conditions live, au milieu de plein de personnes qui se transpirent et se postillonnent les unes sur les autres, qui me fait penser et dire cela. Un concert pendant lequel NEIGE MORTE a bien sûr égrené quelques titres monstrueux de Trinnnt, son troisième et génial album, et a également dévoilé quelques nouvelles compositions, non moins monstrueuses, bientôt enregistrées et destinées à figurer sur le quatrième album du trio.
Et il est là ce quatrième disque… en fait il est arrivé au Printemps 2020, digne successeur d’un Trinnnt dont on pouvait raisonnablement penser qu’il serait la bande-son parfaite et idéale d’un film catastrophe racontant l’anéantissement de l’espèce humaine et la destruction de la planète Terre (Niquez Bien Toutes Vos Mères). Le genre de fable apocalyptique en forme d’aboutissement terminal et de soulagement généralisé, le mal vaincu par le mal, la douleur vaincue par la douleur, le désert mouvant de l’insondable et des ténèbres comme unique horizon et puis après, après plus rien. On sait pourtant ce qui finira par arriver, on sait très bien que l’apocalypse ne ressemblera pas à un effondrement soudain et brutal mais à une longue descente aux enfers que nous pouvons contempler, nous gargarisant parfois du spectacle tant qu’il en est encore temps et tant que nous n’en sommes pas encore tout à fait les victimes principales. L’apocalypse est une mort lente et nous le savons pertinemment, non nous ne pouvons pas nier que nous sommes l’apocalypse.





Et dorénavant nous saurons également que Trinnnt, tout aussi ravageur et dérangeant qu’il peut être, ne sera que le fond sonore sale, bruyant et terrifiant des prémices de ce qui nous attend déjà. Parce que IIII dont je ne veux pas écrire qu’il lui est supérieur, est pourtant un disque encore plus dévastateur sur lequel Neige Morte se montre encore plus lourd, plus compact, plus sombre et plus inquiétant que jamais. En grand pessimiste devant l’éternel je ne peux que saluer un tel enregistrement qui une fois encore permet à Neige Morte de repousser ses propres limites bien au delà de l’inimaginable mais sans risquer de perdre son auditoire en cours de route. 
L’incarnation actuelle du groupe – guitare et chant, basse et batterie – semble au meilleur de sa forme, plus soudée que jamais, ce qui permet aux circonvolutions de sa musique de se glisser en nous avec une facilité déconcertante. Oui, il y a bien ici quelque chose qui a avoir avec le phénomène de toxicité et de possession et on ne parlera même plus de « musique viscérale » tout comme on cessera d’employer toute autre forme superlative pour désigner une image sonore du chaos aussi parfaitement réussie et aussi aliénante. Comme débarrassé des contraintes liées à l’appartenance à de genres musicaux aux définitions trop restrictives – en vrac : black metal vs death metal vs expé vs prog – Neige Morte fonce tout droit et sans peur aucune dans les ténèbres, en arrache toute la splendeur dégoûtante pour nous l’offrir sur un grand plateau de noirceur incommensurable. D’une rare violence, malsains, inattendus ou étouffants, les principaux éléments de la musique du trio – riffs bestiaux, tordus ou dissonants, parties de batterie complètement bluffantes, lignes de basse herculéennes, voix sauvages et manipulations sonores judicieusement déstabilisantes – forment la plus effroyable des entropies, dynamique de mort d’un système où le désordre et l’ordre se confondent, comme une seule entité, une vision multiple et néanmoins achevée. Grandiose. 


[IIII tourne en 45 tours, dure 28 minutes et est publié en vinyle uniquement par Division records]

 

 

dimanche 8 novembre 2020

Comme à la radio : Annihilus / Ghanima

 


 

Ce n’est pas tous les jours que l’on me contacte pour me demander d’écrire quelque chose, quelque chose comme une chronique de disque (au passage je tiens à préciser que ce n’est pas la peine de me proposer en même temps des exemplaires promotionnels et autres pots-de-vin, cette gazette n’existant que pour et par elle-même et de façon totalement désintéressée). Bref, ce n’est pas tous les jours que je reçois le message d’un groupe ou d’un musicien désireux de me vanter les mérites de son dernier disque et pourtant je laisse trop souvent trainer ce genre d’informations, je regarde ailleurs et j’écoute autre chose. C’est comme ça.

Il en a été tout autrement dans le cas d’ANNIHILUS, side project et one man band de Luca Cimarusti. Ce nom ne te dira peut-être rien mais Luca est le batteur de Luggage, l’un de mes groupes US actuels préférés et il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour écouter attentivement Ghanima, premier album d’Annihilus après une poignée de démos et de cassettes que je te laisserai découvrir tout seul en parcourant la page b*ndc*mp du groupe. Petite précision d’importance : Luca présente Annihilus comme un projet black metal et indique que le nom Ghanima est inspiré des écrits de Frank Herbert (largement connu pour être l’auteur de Dune)

 

 

Du black metal Annihilus et Ghanima empruntent effectivement beaucoup d’éléments extérieurs. Déjà rien que le nom du groupe, à consonance latine : même si on est incapable de lire Virgile et Tite-Live dans le texte on ne peut que savoir que « nihil » signifie rien ou même néant en latin. La pochette également, une photo en gros plan d’une vieille statue total goth attaquée par le lichen. Et puis le maquillage dont s’affuble Luca Cimarusti (visible sur la pochette de sa toute première démo).

Mais tout ceci n’est que du folklore. La musique d’Annihilus est très loin de toutes les resucées du genre pas plus qu’elle ne sert de prétexte à des déluges misanthropes appelant de leurs vœux à une fin de monde imminente – pas besoin, de toute façon cela ne saurait trop tarder non plus. Non, dès Epilogue – en ouverture de Ghanima, j’adore ce genre de paradoxe –  Annihilus choisit de placer sa musique dans le camp des mid-tempos rampants, de la mélancolie et d’une poésie obscure et non pas dans celui de la véhémence et de l’agression pure. Les guitares agissent plus en terme de nappes sonores parfois dissonantes que de gros riffs et la batterie ne tente pas d’imiter la déferlante assassine d’une mitrailleuse de guerre. Ce qui n’empêche pas l’irruption de quelques cavalcades énervées (Matthew, W.T.W.B.) qui elles lorgnent davantage du côté crust et punk que du côté caricaturalement métallique d’un genre trop souvent prévisible.
Aussi curieux que cela puisse paraître, Ghanima est un disque presque contemplatif et songeur, dans le sens narratif du terme. D’ailleurs on peut lire ça et là que les textes d’Annihilus font beaucoup
référence aux écrits du déjà mentionné Frank Herbert ou à ceux de Nail Gaiman. Ce qui intéresse donc Luca Cimarusti se sont les ambiances, les atmosphères claires-obscures, les paysages brumeux, les strates étouffantes, la beauté de l’ombre et Annihilus rejoint ainsi nombre de préoccupations musicales et esthétiques de feu (?) The Austrasian Goat.

Comme pour affirmer un peu plus fort qu’Annihilus ne s’adresse pas vraiment aux fanatiques bas du front de black metal, Ghanima est parsemé d’éléments dont l’étrangeté renforce le côté unique et à part du projet. Quasi instrumental et synthétique, Doctor Of Beasts peut rappeler certaines bandes originales de John Carpenter mais me fait surtout penser à la musique que Coil avait composée pour le film Hellraiser de Clive Barker (une B.O. rejetée malheureusement rejetée par les producteurs du film mais immédiatement publiée par le groupe en 1987 avant d’être incluse dans la compilation Unnantural History II en 1995). Quant à Anarchy In The U.K., on ne saura pas s’il s’agit d’une reprise des Sex Pistols – mais j’aime penser que s’en est une – tant cette dernière plage et conclusion de Ghanima brouille les pistes tout comme elle brouille les sons, ici on est à mi-chemin entre le harsch, le power electronics puis enfin le noise, avec toujours ces mêmes coulures étrangement mélancoliques qui recouvrent tout…


… et puis je ne sais pas si tu l’avais remarqué mais cette photo sur la pochette de Ghanima : on dirait bien qu’en fait les mains de la statue forment un cœur, non ?

 

[Ghanima est publié en vinyle et en CD par American Decline records]

 

 

vendredi 6 novembre 2020

Reciprocate / Yeah Well

 


 

Ce n’est pas sans surprise que RECIPROCATE a un beau jour débarqué dans ma petite vie. Je m'explique... voici un trio basé à Londres et composé du chanteur / guitariste Stef Ketteringham, du batteur Henri Grimes et de la bassiste Marion Andrau. Entre 2008 et 2014 les deux premiers ont publié sous le nom de Shield Your Eyes pas moins de six albums studio, ont parcouru l’Europe dans tous les sens un nombre incalculable de fois, inlassablement. Seule constante, ou presque : je n’ai jamais vu Shield Your Eyes jouer plus de deux fois de suite avec le même / la même bassiste. Cela était même devenu, bien malgré eux, la marque de fabrique des deux musiciens qu’une solide amitié et une parfaite entente musicale ont toujours semblé unir. Jusqu’à la séparation de leur groupe et un ultime album intitulé… Reciprocate.
En 2018 et après une poignée d’enregistrement en solo* Stef Ketteringham qui désormais se fait appeler Stef Kett a donc remonté un nouveau projet avec Henri Grimes (qui lui a entretemps formé le duo electro-trigonométrique Big Lad en compagnie de Wayne Adams de Death Pedals) et une nouvelle bassiste (également membre de Melting Hand). Les trois musiciens auraient décidé de reprendre le nom de Shield Your Eyes que tout le monde n’y aurait vu que du feu : Reciprocate a rapidement publié une première démo en cassette qui laissait largement entrevoir nombre de correspondances et de points communs entre ce qu’était devenu la musique de Shield Your Eyes à la fin de l’existence du groupe et les aspirations du nouveau trio. Une impression largement corroborée lors d’une première tournée hors Angleterre en février 2019 et une date au Grrrnd Zero à Lyon**. Mais qu’importe, la musique de Shield Your Eyes a longtemps été très importante pour moi pourtant je peux parfaitement comprendre qu’en choisissant un nouveau nom Reciprocate ait voulu signifier un nouveau départ, une nouvelle vie. Cela fait partie des choses qui ne se discutent pas.
Lorsqu’on écoute Yeah Well – un titre on ne peut plus positif voire optimiste – on ne peut qu’être touché par l’humanité d’une musique toute en générosité et en souplesse. Pas de démonstration de force ni d’étalage technique (les trois musiciens privilégient largement la notion de feeling à celle de technicité) mais une façon unique de tout offrir sans jamais donner le sentiment d’en faire des tonnes, d’en faire de trop. Il y a parfois beaucoup de notes mais chacune d’entre elles a sa place et on a le sentiment que, s’il en manquait une, l’équilibre ténu de l’ensemble s’en trouverait changé. La musique de Reciprocate est chargée d’une âme aussi lourde que légère et démontre autant de volonté que de sensibilité. Une sensibilité qui prend toute son ampleur sur le merveilleux et presque pop – admirez un peu ce chant et ces belles harmonies – Marble Arch en fin de face A et le non moins magnifique Hold qui clôture la face B. Sur Yeah Well l’électricité n’est vraiment pas un vain mot, je veux dire : Reciprocate est un véritable groupe de rock, mais il s’agit d’une électricité qui réchauffe nos cœurs de bœuf et ne brûle pas, une électricité qui relie les personnes entre elles, une électricité qui parle d’elle-même et qui emploie un langage compréhensible de toutes et de tous.
Seule ombre au tableau, Yeah Well est beaucoup trop court. Le disque ne comporte que sept titres dont un interlude et un instrumental traficoté et il tourne en 45 tours, résultat il dure à peine plus de vingt minutes… Il s’agit donc d’un mini album mais il me comble tellement que je ne ferai pas la fine bouche pour autant. Et puis le groupe aurait repris les répétitions pour composer son deuxième long format. Tout va bien.

[Yeah Well est publié en vinyle uniquement par Gringo records]

* le tout nouvel album solo de Stef Kett s’intitule Cry And Sing, il vient tout juste de paraitre et on en reparlera un de ces jours
** le groupe aurait du revenir jouer à Lyon en avril 2020, cette fois au Périscope mais malheureusement tout a été annulé à cause de cette saloperie de virus pandémique

 

 

mercredi 4 novembre 2020

VA / What Is This That Stands Before Me ?

 

Et bien… comment le dire ? Je suis un imbécile. Un imbécile qui dès qu’il aperçoit dans les parages un disque compilant des reprises d’un groupe qu’il aime plutôt bien par quelques autres groupes que parfois il aime beaucoup se dit que le disque en question est peut-être bien fait pour lui. Il y a quelques semaines j’ai parlé de Really Bad Music For Really Bad People, une compilation mi-figue mi-raisin consacrée aux Cramps... Et voilà que débarque What Is This That Stands Before Me ?, un double vinyle publié chez les new-yorkais de Sacred Bones records, consacré à BLACK SABBATH et comprenant des reprises par des groupes issus du label. Il faut dire aussi que l’occasion était trop belle : les deux premiers albums de la bande à Ozzy Osbourne et Tommy Iommi ont été publiés en 1970, respectivement le 13 février pour le premier éponyme et le 22 septembre pour le second, le génial et l’insurpassable Paranoid (huit titres, six tubes). Ces deux disques ont donc fêté leurs cinquante printemps cette année et comme notre époque est très friande d’hommages nostalgiques et autres commémorations passéistes – c’est sûrement la fin du monde humain approchant à grands pas qui fait ça – il semblait logique qu’un label aussi arty que Sacred Bones en fasse quelque chose.
Tout d’abord il convient de préciser que What Is This That Stands Before Me ? n’est pas un double album mais un double 12’ c’est-à-dire que les deux galettes tournent en 45 tours et que la durée totale de cette compilation est de 50 minutes. Les neuf titres qui la composent auraient bien pu tenir sur un simple LP mais il est vrai qu’un double vinyle ça fait beaucoup plus classe et que surtout cela se vend beaucoup plus cher. Surtout que quelques unes des reprises proposées ici sont des plus dispensables… comme on va le voir What Is This That Stands Before Me ? aurait largement pu prendre la forme d’un unique 12’ avec seulement trois ou quatre titres. C’est dire si cette compilation est un énième trompe-l’œil à l’usage des crédules et des naïfs. 

 


 

What Is This That Stands Before Me ? démarre pourtant très bien avec The Soft Moon et une version bien darkos post punk de Black Sabbath, le célébrissime titre d’ouverture du premier album des Sab Four. Tout y est, depuis la cloche qui résonne lugubrement au début jusqu’à l’ambiance indus frigidaire bien martelée. Je ne suis pas du tout fan du groupe de Luis Vasquez mais je dois avouer que sur ce coup là The Soft Moon n’est pas loin de casser la baraque. Молчат Дома / Molchat Doma est un groupe biélorusse apparemment tout récemment signé par Sacred Bones, un groupe que l’on pourrait qualifier de synth-pop ultra kitsch et sur lequel il n’y a pas trop lieu de s’étendre : il reprend Heaven And Hell, soit un titre de la période Ronnie James Dio de Black Sabbath et cela ne me fait ni chaud ni froid. Par contre et comme on pouvait s’y attendre Thou – grand groupe devant l’éternel – déchire tout avec une superbe version de Supernaut agrémentée d’un passage bossa-nova apocalyptique. Difficile alors pour Marissa Nadler de passer après. Sa reprise de Solitude (de l’album Master Of Reality en 1971) semblait pourtant bien pouvoir lui convenir mais je m’ennuie un peu… Tout comme avec N.I.B. repris par Hilary Woods, encore plus éthéré et moins inspiré. OK : je n’ai pas de cœur. Et c’est déjà la fin du premier disque.
Le massacre continue avec Zola Jesus qui a jeté son dévolu sur Changes, le slow ultra niais qui orne de paillettes dorées le Vol. 4 de Black Sabbath (1972). Je comprends alors un peu trop tard que
What Is This That Stands Before Me ? préfère se cantonner majoritairement dans les compositions les plus molles du groupe anglais. Et ça continue avec l’ « incontournable » Planet Caravan par Moon Duo. L’original ne durait que quatre minutes, le groupe de Sanae Yamada et Ripley Johnson l’étire au delà de neuf et c’est neuf minutes de trop, bourrées de bablocheries psychédéliques qui feraient presque regretter Marissa Nadler, Hilary Woods et Zola Jesus réunies. Quant à Dean Hurley, il s’agit d’un musicien / producteur et collaborateur régulier de David Lynch. On peut se demander ce que vient faire ici sa version « Bar Band » de Warning qui en fait n’est pas une composition de Black Sabbath mais une reprise d’un titre de The Aynsley Dunbar Retaliation qu’Ozzy and C° avaient placé à la fin de leur premier album (il y a donc une erreur dans les crédits de la compil). Et inutile de dire que l’on frise le ridicule, ce Warning n’ayant strictement aucun intérêt.
Pour finir Uniform a la lourde tâche de remonter le niveau avec Symptom Of The Universe, titre-phare de l’album Sabotage (1975). Problème : cette reprise de Symptom Of The Universe n’est absolument pas inédite, figurant déjà en face B du maxi Ghosthouse, premier disque que Uniform a jamais publié chez Sacred Bones en 2016, avant même l’album Wake In Fright. La version 2020 ne me semble pas différer de celle de 2016 et ce n’est pas le mastering signé James Plotkin qui ajoutera un quelconque intérêt à quelque chose que l’on connaissait – et appréciait – déjà. Conclusion : passe ton chemin et je ne peux que t’adresser toutes mes félicitations si jamais tu viens de perdre ton temps précieux à lire cette chronique de plus de 900 mots et se terminant sur ce terrible constat d’échec. 

 

[What Is This That Stands Before Me ? est publié en double vinyle noir, vert ou violet par Sacred Bones]

lundi 2 novembre 2020

Bummer / Thanks For Nothing

  


 

Avec le souci constant qui caractérise si bien la volonté indéfectible de cette gazette internet de coller au plus près à l’actualité musicale (mouhaha), parlons aujourd’hui de BUMMER. Un trio guitare + chant / basse / batterie originaire de Kansas City dans le Missouri et vraiment pas très fin. Mais c’est aussi pour cela que l’on aime ces trois petits gars, pour cette abnégation inébranlable à pratiquer un noise-rock ultra réactionnaire et conservateur au top, avec les grands anciens de Cherubs et d’Unsane en ligne de mire. Tu vois le genre ? Gros riffs dégueulasses et rythmique mega lourde en guise d’écrin de boue à un chant de vociférateur porcin ? Donc tu as tout juste.
Faisant suite à un Holy Terror aussi classique que jouissif, Thanks For Nothing est en fait un EP de quatre titres publié il y a tout juste un an, le 1er novembre 2019. Un disque qui reprend à peu près les mêmes ingrédients que les autres enregistrements de Bummer. La face A est occupée par deux compositions inédites, apparemment enregistrées au cours de cette même année 2019 et qui tendent à simplifier toujours plus la formule éculée de la musique du groupe. Avec son riff principal basé sur deux notes et demie et son break à peine plus élaboré Second Chimes (Terrence Howard War Machine) frise le basiquement rétrograde mais demeure diablement redoutable. A peine trois minutes de ce bon vieux noise-rock de pépères éternellement énervés face à la dureté d’une existence en sursis. Encore plus court Grim Sleeper est pourtant plus lent et comporte davantage d’idées que Second Chimes. Ah et puis cette accélération finale qui vient souligner vigoureusement tout le côté visqueux et poisseux de la musique de Bummer me file à chaque fois des frissons dans le dos. Et comme je suis plutôt du genre chatouilleux...

La Face B de Thanks For Nothing propose deux titres plus anciens du trio et qui jusqu’ici étaient restés cantonnés à une diffusion virtuelle sur les internets, sans aucune publication sur support physique. Enregistré en 2016 Beautiful People est une reprise de… Marylin Manson. Je ne connais absolument rien à la discographie de ce cher Brian Warner mais lorsque j’écoute ce titre plus qu’honorable je m’imagine Pord faisant une reprise d’Indochine ou Dead Arms reprenant Kim Wilde et cela me fait doucement rigoler. Blague à part ce Beautiful People est plutôt pas mal, en tous les cas il colle bien aux exigences stylistiques resserrées de Bummer mais on lui préfèrera définitivement King Shit et sa véhémence punk noise qui dévaste tout sur son passage. La fureur et la vitesse en plus du gras et du lourd, King Shit est certainement le meilleur titre de ce 7’ avec Grim Sleeper.

Chère lectrice / cher lecteur, à l’heure à laquelle tu liras ces quelques lignes Bummer aura publié un nouveau 7’, cette fois-ci sous la forme d’un split en (mauvaise) compagnie de The Body. Un disque édité par le célèbre label chicagoan Thrill Jockey – c’est celui de The Body – et difficilement trouvable du côté de la vieille Europe, sauf à des prix tellement prohibitifs que je ne peux que t’inciter à t’abstenir de te le procurer. Il n’empêche que cette dernière parution me fait me demander si Bummer ne serait pas l’une des prochaines signatures noise as fuck de Thrill Jockey, aux côtés des tout aussi bourrins Eye Flys. Pour en revenir aux disques made in USA, leurs prix sont devenus complètement déments depuis que les groupes ne tournent plus suite à la crise sanitaire et sont ainsi privés d’une éventuelle source de revenus – d’autant plus qu’il convient de rajouter des frais de port frisant l’escroquerie… Vive la musique !

 

[Thanks For Nothing est publié en vinyle bleu-vert-difficile-à-dire transparent et à 300 exemplaires par Learning Curve records]