Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

mercredi 30 décembre 2020

Modern Technology / Service Provider





Même accablé par la stupidité consumériste et l’hypocrisie religieuse des fêtes de fin d’année le comité rédactionnel au grand complet de cette feuille de choux numérique à l’avenir incertain est resté à la recherche du grand frisson en matière de noise-rock (et cette phrase ne veut rien dire). Et une fois de plus l’étincelle salvatrice est apparue du côté du Royaume-Uni pré-Brexit, véritable Eldorado en la matière.
Repérés il y a quelques mois maintenant par les radars* d’Instant Bullshit, les anglais de MODERN TECHNOLOGY ont publié leur premier album Service Provider au mois de septembre 2020 sur leur propre label Human Worth. Et c’est une vraie bombe. Toutefois le duo se distingue de la plupart de ses pairs par une conscience sociale et politique affirmée ainsi que par un activisme militant. Si la musique de Chris Clark (basse et chant) et Owen Gildersleeve (batterie) est si sombre et si dure c’est parce qu’elle décrit un monde profondément inégalitaire, injuste et à la dérive, elle nous parle d’une société ultra-libérale où crise économique et crise sociale se conjuguent malheureusement avec naufrage écologique et désastre environnemental. Une situation qui génère un sentiment d’anxiété croissant contre lequel une prise en main devient plus que jamais nécessaire et vitale : il faut donc agir.
On pourrait sans doute envisager Service Provider uniquement d’un point de vue strictement musical mais connaitre les tenants et les aboutissants de la démarche de Modern Technology donne à mon sens encore plus de portée à la musique du groupe**. Car il y a des cas où vouloir absolument rester aveugle revient aussi à devenir sourd. A toutes celles et tous ceux qui pensent donc qu’écouter un disque colérique ou tapageur pour évacuer toute sa frustration et ses angoisses face au monde actuel serait suffisant, les anglais répondent du tac au tac avec un enregistrement d’une rare noirceur et d’une âpreté dérangeante mais chargé en questionnements et de significations. Qu’on se le dise : il n’y a absolument aucune place pour le cynisme sur Service Provider, aucune place pour un positionnement nombriliste de repli-sur-soi, à la « après moi le déluge ».
Le tableau brossé par Modern Technology est plus que sinistre, il pourrait même être parfaitement déprimant mais c’est bien tout le contraire : la musique du duo est en lutte et, confrontée à la nécessité et fidèle à l’injonction de ne pas se laisser faire, elle utilise les mêmes armes qu’en face. A l’oppression et les difficultés du monde le groupe oppose donc une musique très lourde, très dense et souvent très lente, mélangeant à parts égales le côté viscéralement bruyant d’un noise-rock rebelle avec celui d’un metal post industriel sans complaisance. Service Provider est un disque volontaire qui grésille, qui étreint, qui nous violente même parfois mais qui le fait sans doute pour nous faire réagir. Encore une fois on peut choisir de prendre cette musique simplement au premier degré – un peu comme celle d’un groupe de gore-grind caricatural parlant d’automutilation ou celle d’un groupe de death metal sans cervelle évoquant des scènes de guerre – mais ce serait complètement passer à côté de son essence même, cette volonté acharnée, concernée et engagée qui lui donne tout son caractère et cette saveur peut-être extrêmement grave mais nécessaire, parce qu’il y a encore des choses à faire et des idées qu’il faut défendre.


[Service Provider est publié en vinyle noir et blanc par Human Worth – le groupe et le label s’engagent à reverser une partie des bénéfices tirés des ventes du disque à des organisations dont les causes leur semblent justes et donc à soutenir]


* le premier mini album de Modern Technology a rapidement été chroniqué ici

** on peut se reporter aux paroles de Service Provider, imprimées sur la pochette intérieure du disque et également disponibles sur le b*ndc*mp du groupe

lundi 28 décembre 2020

[chronique express] Chokebore / A Taste For Bitters

 



Parmi toutes les rééditions qui n’arrêtent pas de pleuvoir sur nos têtes et d’assécher nos porte-monnaie (du moins ce qu’il en reste, par les temps qui courent…) celle d’A Taste For Bitters de CHOKEBORE chez Vicious Circle restera l’une des plus essentielles de l’année 2020. Le troisième LP des hawaïens alors relocalisés à Los Angeles est l’un des meilleurs albums du milieu des années 90 et le sommet discographique du groupe de Troy Von Balthazar, définitivement à contrecourant des formations à grosses guitares de l’époque – aussi bien grunge que noise – et complètement à part au milieu du catalogue de son label d’origine, le très bruyant et très poilu Amphetamine Reptile Records. Avec la force intranquille de leurs lignes de chants chevrotantes, leurs guitares sèchement aigrelettes et autres rythmiques faussement apathiques, les quatre Chokebore étaient alors les maitres incontestables d’un rock noisy, contemplatif, blafard et cafardeux, mélange détonnant d’acrimonie plaintive et de mélancolie rêche sur fond de mélodies neurasthéniques et de compositions au souffle court. Un chef d’œuvre, tout simplement.

vendredi 25 décembre 2020

Pyjamarama / Simple Living

 

C’est en me rendant à un concert de La Pince (RIP ?) que j’ai pour la première fois entendu parler de PYJAMARAMA. Autant te dire que le choc a été plutôt rude : je pensais assister à une soirée placée sous le signe maléfique d’un noise-rock crade, bruyant, débile et salace et je me retrouvais brutalement propulsé face à un groupe de… pop. Mais c’est aussi de ma faute, je n’avais qu’à mieux regarder l’affiche du jour.
Avec son nom peut-être bien tiré d’un single millésimé 1974 de Roxy Music* – dinosaures du glam avec lesquels Pyjamarama partage un goût certain pour les enluminures et un sens assuré du baroque et des paillettes – le groupe m’avait tout d’abord interloqué avant de me séduire totalement. Il faut dire aussi que j’étais en très bonne compagnie avec un batteur jouant auparavant dans Alaska Pipeline, Seal Of Quality et Room 204 (en tant que second guitariste), un guitariste échappé de Papaye et une claviériste venue de Boy & The Echo Choir et Vagina Town. Formation à laquelle se rajoutait un bassiste qui, je l’apprendrai un peu plus tard, jouait auparavant dans un groupe de surf instrumental du nom d’Agamemnonz… Très loin de ma zone de confort habituelle ce concert de Pyjamarama réveillait en moi le fan de pop chiadée et colorée que j’ai toujours été bien que j’ai très souvent fait tous les efforts du monde pour cacher cet aspect méconnu de ma sombre et intolérante personnalité de noiseux. 

 





Le premier album sans titre publié par le groupe en 2016 m’a pourtant déçu. Je ne reconnaissais pas dans la musique enregistrée par Pyjamarama ce qui m’avait plu en concert. Tout à coup je la trouvais beaucoup trop compliquée et beaucoup trop savante, presque glacée et sans cette volonté d’incarnation qui m’avait tellement séduit. Oui il existe plein de musiques et de groupes qui fonctionnent en live et pas du tout en concert (ou inversement) et c’est ainsi depuis fort longtemps, bien sûr je n’apprendrai rien à personne là-dessus.
Lorsque Pyjamarama a publié son deuxième album en février 2020 j’ai un peu attendu avant de me laisser faire. La principale différence avec le premier est que Simple Living a été enregistré en trio : Franck, le guitariste, a entretemps quitté le groupe. Il y a donc un peu moins de parties de guitare sur Simple Living, lorsqu’il y en a elles sont mixées légèrement en retrait et elles sont assurées par Lucas, le bassiste, qui n’en fait jamais de trop, évitant de jouer l’envahissement de notes et sachant rester accessible lors de ses solos (Yacht Game, simple et élégant ou Smart Lads Committee, plus enlevé, plus rock mais tout aussi classieux). Ce qui laisse énormément de place aux claviers de Rachel qui elle en met littéralement de partout. Ah oui je sens bien que maintenant tu ricanes encore plus fort que tout à l’heure mais – deuxième révélation de cette chronique fleurie et en forme de coming-out – oui, moi le gros fanatique de guitares qui font mal et de saxophones qui biniouttent à la diable, il m’arrive également d’apprécier ces bons vieux synthés.
Et ceux que l’on peut entendre dans
Pyjamarama sont merveilleux, magnifiques constructions au service de compositions jamais trop alambiquées bien que parfois complexes, entre pâtes de fruits mathématiques, sucrées et énergétiques, ritournelles aristocratiques ou poétiques, mélodies soyeuses et inchiffonables, délicatesse, raffinement, subtilité, sensibilité… n’en jetez plus ! Ah mais si : la joie lumineuse et ludique qui émane la plupart du temps de Simple Living est d’autant plus communicative que jamais elle ne feint la démonstration et l’apprêtement. Et puis encore : chez Pyjamarama tout le monde chante, bien que Rachel et Nicolas (le batteur, sacrée performance au passage) se taillent la part du lion. Le chant est l’un des principaux atouts d’un groupe qu’alors on pourra définitivement qualifier de pop, un chant dont le lyrisme enjoué juste ce qu’il faut laisse à la générosité, à la bienveillance et à l’humanité de la musique du groupe toute la place nécessaire pour s’exprimer. Est-ce que tu le vois maintenant mon grand sourire ?

 

[Simple Living est publié en vinyle bleu turquoise électrifié par A Tant Rêver Du Roi]

 


* et bien en fait non : Pyjamarama est le nom d’un jeu d’ordinateur datant de la préhistoire pixélisée

 

 

mardi 22 décembre 2020

Sumac / May You Be Held

 


 

La détermination et la ténacité de SUMAC sont telles que j’ai toujours du mal à m’en remettre. Déjà, le trio composé d’Aaron Turner (guitare et voix), Brian Cook (basse) et Nick Yacyshyn (batterie) est incroyablement prolifique : cinq albums depuis 2014 dont quatre doubles LP, des disques auxquels il convient de rajouter deux autres doubles vinyles enregistrés en collaboration avec le maitre japonais Keiji Haino. Et puis le niveau de la musique de Sumac est invariablement stupéfiant… Sortir autant de disques sans jamais se montrer décevant, avoir toujours quelque chose à exprimer, savoir creuser et creuser encore et toujours… OUI pour moi il est indéniable que Sumac est l’une des meilleures formations actuelles du metal moderne.
Mais attends un peu un instant… J’ai bien écrit « metal » ? Oui et je le regrette déjà. Je ne peux pas nier que les trois musiciens font plus ou moins partie de toute cette scène là – au sens large, c’est-à-dire en incluant toutes ses hybridations et toutes ses dérivations hardcore moderne et / ou éventuellement noise – ne serait-ce qu’avec tous les groupes dans lesquels ces trois là jouent ou ont joué auparavant. Mais c’est bien l’unique argument que l’on pourra avancer en faveur de cette théorie trop simplificatrice : par exemple il n’y a finalement que fort peu de liens évidents et de passerelles entre Sumac et Isis, le projet le plus connu d’Aaron Turner et que j’avais fini par détester plus que tout ou presque, jusqu’à sa séparation en 2010. 

Dix années plus tard Turner est donc à la tête de l’un de ses plus impressionnants projets, une hydre musicale qui croise et entremêle accents métallurgiques et expérimentations bruitistes ou ambient, faisant une relecture de ce bon vieux blues ancestral et satanique, aussi déviant que fondateur, en le bardant d’électricité foisonnante et en lui faisant emprunter des chemins et des détours dont les circonvolutions multiples semblent infinies. Des labyrinthes mouvants de méandres qui à chaque fois changent de sens, d’inclinaison, d’orientation, de direction : lorsqu’on (ré)écoute un disque de Sumac – et plus particulièrement le fantastique May You Be Held – on découvre systématiquement un autre disque. Il y a toujours quelque chose de nouveau, une sensation, qui apparait et c’est pour cette raison que l’écoute de la musique du trio reste une expérience hors du commun mais une expérience épuisante et éprouvante. Car au-delà de son pouvoir de fascination il s’agit d’une musique à la fois carnée et cannibale, tout le vertige de la chair et du sang.

En si peu d’années mais tellement d’enregistrements Sumac a déjà construit une œuvre à part entière. Il y a toute une logique derrière, dont on ne sait si elle est préméditée ou non, un lien très fort qui relie tous les albums du trio, et finalement une réalité qui se dévoile. Une logique derrière laquelle la présence de Keiji Haino tient une place importante. Bien qu’il n’apparaisse nullement sur May You Be Held, le japonais y est bel et bien présent, dans la façon étourdissante qu’à Sumac de déverser ses torrents soniques comme autant de coulées de lave volcanique. Comme dans celle d’installer des climats moins bruyants mais tout aussi chargés en tension. Pourtant on ne saurait se résoudre à limiter la musique du trio aux prétendues leçons apprises du sensei Haino.
Il y a bien un lien mais c’est celui, consanguin, de la fraternité musicale et artistique, le musicien japonais ayant trouvé dans Sumac son reflet déformé jusqu’à la sublimation et le groupe ouvrant de nouvelles voies – notamment celle de la lourdeur et des rythmiques implacables propres au metal / hardcore – auxquelles Keiji Haino n’aurait sans doute jamais pensé autrement (et sans doute avait-il besoin de musiciens de la trempe des trois Sumac pour avoir une telle optique et, surtout, envisager de pouvoir y parvenir). Il s’agit, si on veut, d’une sorte de symbiose dont May You Be Held est la représentation à trois, et peut-être bien la meilleure de toutes. Et en parlant de sublimation : Sumac réussit sur son dernier album à transformer les corps solides en nuées gazeuses et derrière la masse et la force exprimée quelque chose de toujours plus ténébreux se fait jour, quelque chose qui nous enveloppe et nous transforme à notre tour, impalpables et immatérielles statues de pierre évaporée.

 
[May You Be Held est publié en double vinyle et en CD par Thrill Jockey et même en cassette par Sige records, le propre label d’Aaron Turner]

 

dimanche 20 décembre 2020

Gaytheist - Intercourse / split

 

Parlons encore une fois, et ce ne sera peut-être pas la dernière, du label de Minneapolis Learning Curve records avec un split 7’ regroupant Gaytheist d’un côté et Intercourse de l’autre. Il fut un temps – disons à la fin du siècle dernier et au tout début de celui-ci – où les splits étaient un excellent moyen de découvrir des nouveaux groupes et de la nouvelle musique, non ? Mais ça c’était avant les internets et l’air conditionné digital pouvant alimenter le moindre recoin de la planète connectée en musique encodée, prête à l’emploi c’est-à-dire prête à être éventuellement jetée à la poubelle sitôt écoutée car hâtivement jugée impropre à la consommation. D’où la fameuse phrase que de nos jours plus personne ne prononce parce qu’elle décrit un automatisme comportemental complètement passé dans les mœurs de tout un chacun : « ouais j’ai écouté un peu juste pour me faire une idée du truc puis je suis passé à autre chose ».
On ne répétera pourtant jamais assez que la musique c’est aussi et surtout une question de temps : celui de l’écouter, de la réécouter, de l’aimer (ou pas) et d’y revenir peut-être, un jour. L’avantage suprême du format physique et donc de l’objet-disque n’est pas le fétichisme ni le matérialisme mais bien celui de poser une vraie balise temporelle. Ceci fonctionne également avec les livres. Bon, et puis il y a une autre raison qui font que les splits 7’ sont désormais plus rares, malgré le léger rebond idéologique et consumériste de ces dernières années autour du format vinyle : un 7’ / 45 tours coûte extrêmement cher à fabriquer et donc son prix à la revente l’est tout autant alors que c’est un format qui ne comporte que peu de titres. Conclusion : les splits 7’ ne courent plus vraiment les rues.

 


J’aurais bien voulu que la musique de GAYTHEIST soit aussi drôle que le nom du groupe mais je trouve ces trois petits gars de Portland / Oregon un tout petit peu patauds et convenus, pas seulement à cause d’un manque d’originalité notoire mais disons que j’ai le sentiment qu'il manque ce petit quelque chose qui fait toute la différence et génère un surplus d’excitation par rapport aux autres groupes du cru. La musique du trio tire plus vers le punk que vers le noise-rock et c’est sûrement ce qui me perturbe : j’aurais voulu plus de grésillements, de la saleté, du sang et du stupre. Cela ne signifie pas que Cracks et Summon Me soient de mauvaises compositions, non pas du tout du tout, mais je m’attendais à un peu mieux, bien que certains éléments fassent carrément le boulot – j’adore les lignes de basse, par exemple (ce n’est pas un secret que j’ai toujours été très client des grosses lignes de basse). Par contre Gaytheist a déjà une solide discographie derrière lui, donc je n’ai plus qu’à me plonger dedans, peut-être pour y trouver quelque enregistrement qui me comblera davantage.
C’est une toute autre histoire avec INTERCOURSE qui se révèle bien plus méchant et beaucoup plus teigneux. Hardcore. Et c’est ce qui me plait vraiment chez ce groupe de New Haven / Connecticut qui cite aussi bien les Cows que Deadguy parmi toutes ses influences. Tu vois le genre ? Du foutraque et du violent en même temps. De la rage vicieusement canalisée comme il faut mais pas de trop non plus. Last Cigarette Wrong End ne dure peut-être qu’une minute mais il s’agit d’une minute de pure colère teigneuse, les guitares ont un côté perturbateur qui me ravit tandis que le chanteur me postillonne à la gueule toutes les insultes covidées du monde. Puis arrive une reprise de… Black Flag. Un groupe tellement copié et repris qu’en général on finit par ne plus y faire trop attention sauf que la version que torche Intercourse de My War – grand classique s’il en est – me donne à chaque fois la chair de poule, utilisant les mêmes arguments que ceux de Last Cigarette Wrong End : chant de boucher en manque, guitares de malades, rythmique terrassière. Aussi malsain qu’entrainant et une belle réussite. 


[ce split est publié en vinyle noir (200 exemplaires) ou en vinyle rouge et vert (100 exemplaires) par Learning Curve records]

 

 

vendredi 18 décembre 2020

Convulsif / Extinct

 

L’absence de toute trace de guitare n’est pas lélément le moins remarquable de la musique de CONVULSIF. Du moins pour un groupe qui fait autant de bruit, dégage autant d’énergie, peut se montrer aussi furieux et massif, provoque autant de secousses telluriques tout comme il est capable d’instiller des climats chargés en tension claire-obscure. Bien qu’il serait très facile de l’affirmer ainsi, Convulsif n’est pas un groupe de la scène metal / hardcore : il peut certes y être rattaché mais il se démarque déjà avec un étonnant line-up : Christian Müller à la clarinette et à l’électronique, Jamasp Jhabvala au violon et à l’électronique, Loïc Grobéty à la basse électrique et Maxime Hänsenberger à la batterie (ces deux derniers représentant incontestablement le coté metal de Convulsif alors que les deux premiers sont principalement responsables du côté bruitiste et expé de la musique du groupe).
Il y a une certaine « tradition » – je n’aime pas ce mot mais tant pis – du côté de la Suisse avec des groupes dont les profils sont atypiques et qui jouent une musique qui l’est tout autant bien qu’elle puise son inspiration dans quelques figures idiomatiques connues et reconnues. Alboth! bien sûr, au tournant et sur une grosse première moitié des années 90 mais aussi Monno dans les années 2000. Chez les premiers comme chez les seconds il n’y a pas de guitariste mais un recours accru et bruitiste à l’électronique (notamment chez Monno via l’utilisation d’un laptop et les basses fréquences générées par le saxophone d’Antoine Chessex branché sur des amplis guitare). Convulsif est de cette famille là, celle où la voix quand il y en a est onomatopéique (Alboth !) et où surtout les trames sonores et les motifs musicaux proviennent d’instruments détournés et déformés qui en temps normal ne sont pas destinés à un tel usage. On pourrait aussi un peu comparer Convulsif à 16/17 pour l’utilisation commune d’instrument à anches – ici la clarinette basse – et un sens peu commun de la détermination.



Ce qui rapproche (et à juste titre) Convulsif des musiques metal et hardcore c’est donc la lisibilité permanente de son imposante section rythmique. Une basse massive et bien puissante et qui ne bave pas, en doublette avec une batterie spectaculaire et à l’omniprésente technicité. Une assise formidable et incroyablement efficace dont rêveraient nombre de groupes beaucoup plus classiques dans leur forme. La conséquence de tout ça c’est que non seulement Convulsif est capable en concert de rivaliser avec n’importe quel groupe de fous-furieux amateurs de blast beats et de martèlements en continu mais que surtout les quatre suisses laissent bien souvent tout le monde loin derrière eux question fureur et à-propos, y compris lorsqu’ils sont confrontés à une horde de hongrois qui ont vraiment peur de rien.
Mais c’est ce qui m’a toujours un peu manqué en écoutant les enregistrements studio de Convulsif, y compris le deuxième album mystérieusement intitulé IV et publié en 2016 : la présence organique et émotionnelle d’une formation se servant d’éléments aussi différents que significatifs pour faire oublier toute intention trop flagrante. Autrement dit, autant Convulsif peut se montrer acharné et commotionnant en concert autant je trouvais le groupe un peu trop froid et rigide sur disque. Un défaut cette fois largement corrigé avec Extinct, un disque sur lequel on retrouve toutes les façons de faire des Suisses mais mises différemment en perspective, les quatre musiciens choisissant de faire durer davantage leur compositions avec Five Days Of Open Bones sur la face A et surtout The Axe Will Break sur la seconde (plus de 12 minutes à chaque fois). C’est lorsque Convulsif prend ainsi le temps de la développer que je trouve sa musique plus aventureuse, plus pertinente, plus intéressante, plus forte et plus belle, tout simplement.
Les titres très courts – Surround The Arms Of Revolution, Feed My Spirit Side By Side et Torn From The Stone (ce dernier figurant uniquement sur le 7’ joint avec l’édition vinyle limitée de l’album) – sont très convaincants mais me séduisent nettement moins, bien qu’ils ne soient en aucune façon sans intérêt. Buried Between One n’est pas un entre deux : chargée d’ouvrir le disque avec son incroyable montée en puissance, cette composition possède l’intensité des plus virulents assauts de Convulsif mais étalée sur près de sept minutes éprouvantes de fascination, grâce à un sens implacable de la dramaturgie. C’est dans ces moments là que je me dis que le groupe est peut-être unique dans cette façon qu’il a d’assembler petit à petit les éléments de sa musique pour ensuite les densifier et atteindre une certaine vision paroxystique (ce qui est également le cas de Five Days Of Open Bones, une aventure à lui tout seul). Extinct est bien l’album que j’attendais de la part de Convulsif.

[Extinct est publié en vinyle avec plein de variantes de couleurs et en CD par Hummus records]

mercredi 16 décembre 2020

[chronique express] Thou & Emma Ruth Rundle / May Our Chambers Be Full

 



Histoires d’a priori et de préjugés d’un vieux ronchon à lunettes, épisode 524 : je n’avais pas du tout envie d’écouter ce disque, je m’en méfiais comme de la peste bubonique et des dérives sécuritaires de nos vieilles démocraties à bout de souffle. J’avais en fait beaucoup trop peur qu’il ne soit qu’un projet de circonstance savamment orchestré par une maison de disques un peu trop envahissante mais c’était bien mal connaitre et sous-estimer le meilleur groupe de metal du monde.
Réunissant donc Emma Ruth Rundle et THOU May Our Chambers Be Full est une très belle réussite avec ses huit compositions où chacune des deux parties sert l’autre le mieux possible, c’est-à-dire admirablement. Tout simplement un chef d’œuvre de doom sludge spectral et brumeux. Ce disque est déjà épuisé, c’est dire si son succès est mérité, mais il sera réédité par le label qui entretemps a annoncé la suite des aventures de nos tourtereaux de l’extrême avec la parution d’un EP quatre titres intitulé The Helm of Sorrow, pour mars 2021, c’est-à-dire pile-poil après la fin du troisième confinement. Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule.

 

 

lundi 14 décembre 2020

Bushpilot / 23

 

A peine le temps de digérer à peu près correctement Already ! – j’ai bien inspecté ce qu’il y avait dans ma pelote de régurgitation de vieux hiboux-râleur : il ne restait vraiment plus rien de comestible – et d’en assimiler toutes les nombreuses richesses que BUSHPILOT est déjà de retour avec un deuxième album, intitulé 23.  Tout comme Already ! ce « nouvel » album est en fait constitué de vieilles bandes, enregistrées entre les années 1994 et 1995. Cette fois le line-up du groupe intègre définitivement Richard Formby au poste de bassiste et de producteur, lequel s’est également occupé de toute la partie post-production / dépoussiérage / remise à niveau des bandes initiales aux côtés de Ross Holloway (chant) et de Adrian Gans (guitare).
Je dois dire que je trouve tout ceci fort intrigant. Crashé en plein vol Bushpilot s’est officiellement reformé* – du moins si j’en crois les informations très parcellaires qui arrivent jusqu’à nous – et plus que jamais la musique du groupe donne ce sentiment d’avoir été enregistrée seulement hier, qu’il ne s’est pas écoulé vingt-trois années entre la fin de l’enregistrement de 23 en 1985 et l’exhumation quasi miraculeuse de celui-ci en 2018… autrement dit tout semble couler de source, naturellement, avec une pure logique dont seuls les musiciens impliqués dans Bushpilot doivent posséder tous les tenants et tous les aboutissants. Il y a quelque chose de fondamentalement magique dans toute cette histoire et cette magie est lumineuse, elle nous éclaire de son pouvoir et de sa connaissance. C’est de la musique.




Stylistiquement parlant 23 est beaucoup plus ramassé et moins étendu que Already ! Le côté post-punk asséché de Bushpilot y est beaucoup moins mis en avant voire devient quasiment inexistant, y compris sur les titres les plus courts de l’album, comme ce I Have The Egg qui démarre l’album et se retrouve brutalement coupé au bout de 2’33. Le temps malgré tout d’écouter Ross Holloway répéter nerveusement quelques paroles sibyllines, le temps pour le groupe de largement évoquer Can, plus présent que jamais dans la musique de Bushpilot et dont l’ombre tutélaire va planer sur quasiment tout l’album.
23 est donc encore plus expérimental, on croirait volontiers qu’il est le fruit de longues séances d’improvisation – on imagine cinq musiciens enfermés dans une même pièce et la bande qui n’arrête pas de tourner tant qu’ils ont encore quelque chose à jouer, des idées à développer – mais rien n’est moins sûr et en fait je n’en parierais rien. La délicatesse et la finesse des parties de guitare sur Andy Warhol’s Dream est là pour en témoigner et Bushpilot possède ce talent vraiment trop rare dans le domaine des musiques dites exigeantes et expé de savoir en à peine quelques secondes poser une atmosphère, définir une couleur, dégager une chaleur colorée et de pouvoir s’y tenir et de les déployer, de les magnifier sans se regarder jouer ni perdre en route quoi que ce soit de sa magie (oui, je parle toujours de cette magie là, celle qui fait une si belle lumière). La face B du disque est elle occupée par une plage unique, une longue composition de plus de 19 minutes qui a donné son nom à l’album. Bushpilot s’y montre encore plus aventureux, se lançant à corps perdu dans les eaux miroitantes d’un kraut rock plus atmosphérique que jamais, finement cadencé, parfois évaporescent, au groove apaisant mais décidé, provoquant l’élévation, s’imposant par la force d’une beauté musicale peu commune, les répétitions de motifs engendrant d’autres motifs, tel un jeu d’échos à la surface d’un lac de montagnes millénaire.
Je ne comprendrai jamais pourquoi ce groupe n’a jamais pu publier ses enregistrements à l’époque où ils ont été enregistrés et je ne comprendrai jamais pourquoi Bushpilot s’est séparé aussi tôt. Peut-être que les cinq musiciens jouaient une musique beaucoup trop atemporelle et mystique pour le milieu des années 90, profondément ancrées dans toute autre chose. Mais désormais 23 est là, autour de nous et en nous. Maintenant tout le monde peut savoir.



[23 est publié uniquement en vinyle bleu transparent – et il est très beau – par God Unknown records ; la pochette est agrémentée d’un obi et complétée par un épais livret, faisant de 23 l’un des objets les plus élaborés et les plus raffinés de cette année 2020 complètement barbare]

 

* je serais vraiment curieux de voir le groupe en concert, si jamais un jour le monde arrive à sortir indemne de la crise sanitaire, économique et sociale actuelle

 

 

samedi 12 décembre 2020

Comme à la radio : The Caterwaul Society - Songs For Rainer Fronz


The Caterwaul Society tire son nom du festival de musique du même nom – malheureusement annulé en 2020 pour les raisons sanitaires que l’on sait mais reprogrammé pour 2021, on croise les doigts pour eux – et rassemble une pelletée de groupes, musiciennes, musiciens et ami.e.s de tout bord souhaitant apporter leur soutien à Rainer Fronz et à son label Learning Curve records, une petite mais prestigieuse maison de disques basée à Minneapolis et dont cette gazette est particulièrement fan, comme tu le sais sûrement. 




Les graves problèmes de santé actuels de Rainer Fronz ont déjà été rapidement évoqués à la fin de la chronique de l’album Dances / Curses de Hey Colossus – le label publie aux Etats Unis ce disque incontournable de l’année 2020 – mais la situation sociale et économique est tellement merdique dans son beau pays (soins médicaux très chers et pas d’assurance maladie pour tous) que trop souvent il n’y a pas d’autre moyen que celui de faire appel à la solidarité et à la charité pour faire face à la maladie et à ses conséquences financières.
Songs For Rainer Fronz est donc ce que les américains appellent un benefit record, un disque destiné à récolter des fonds : on peut se le procurer en CD*, au format digital et même acheter le beau t-shirt qui va avec (les visuels sont rien de moins que l’œuvre du géant de la noise Tom Hazelmyer, le fondateur d’AmRep).

 

 

Même si on est un gros connard égoïste incapable de la moins empathie pour son prochain (amen) et même si on peut trouver la moitié des titres proposés sur Songs For Rainer Fronz sans grand intérêt on ne pourra que saluer une telle initiative. Pas moins de vingt et un groupes ont été réunis et nombre d’entre eux se sont fendus d’un inédit mis en boite pour l’occasion ou d’un enregistrement en concert.

Signalons donc The Grasshopper Lies Heavy reprenant Sepultura – ça c’est pour la blague –, une nouveauté très intéressante de la part de Super Thief, un superbe inédit des très persévérants Multicult, un live de Dead, un remix de mes top chouchous Hoaries et des contributions des excellents Vincas, Chief Tail, New Primals et de tant d’autres, à découvrir (en particulier Moon Pussy, Bbigpigg et Asbestos Worker Accountability). En résumé : Songs For Rainer Fronz présente un bon tour d’horizon de la scène rock poilu, punk, grunge, noise-rock, noise punk, etc. qui sévit actuellement aux Etats Unis. Il y a forcément à boire et à manger mais indubitablement le niveau général est au dessus de la moyenne et de toute façon, rappelons-le une dernier fois, il s’agit d’une bonne action

* j’ai testé pour vous : à destination de la France la version CD de
Songs For Rainer Fronz coûte un peu moins de 14 €uros, port compris


vendredi 11 décembre 2020

[chronique express] Livids / Spoof Attacks (Singles And Other Stains 2011 - 2013)

 


Je n’ai pas grand-chose de bien nouveau à dire au sujet de ce disque formidable qui regroupe les rares enregistrements de LIVIDS, groupe cofondé au début des années 2010 par Eric Davidson après l’aventure New Bombs Turks et désormais installé à Brooklyn. Il y est rejoint par un membre de Radio 4 derrière la batterie et une poignée de mercenaires inconnu.e.s de mes services de renseignement, largement déficients sur ce coup là. Spoof Attacks propose tous les singles et EP du groupe, quelques inédits studio et une volée de captations live. Le tout a été masterisé tout bien comme il faut, la présentation est très classe et agrémentée de moult photos – il y en a même une glissée à l’intérieur de la pochette, en guise de goodie superdeluxe* – mais ce que l’on retiendra avant tout c’est la qualité du punk speedé, acharné et sexy en diable de Livids, mené à un rythme d’enfer, servi par des compositions aussi nerveuses qu’accrocheuses, émaillé de quelques reprises de bon goût (Iggy Pop, New York Dolls) et formidablement boosté par Mister Davidson, l’un des meilleurs chanteurs / performers punks que cette Terre ait jamais connu. Remercions donc le label Dangerhouse Skylab pour cette parution aussi pertinente qu’essentielle.

* pour les collectionneurs : plus exactement il y a trois modèles différents, tous avec un artwork signé Mort Todd au verso

mercredi 9 décembre 2020

Lamps / People With Faces

 

Cela faisait un moment que l’on n’avait pas trop eu de nouvelles de LAMPS*, en fait depuis l’année 2012 et le troisième album Under The Water Under The Ground, formidable déflagration garage en forme de mur du son primal et tribal, guitare gorgée de fuzz et de feedback, batterie aussi binaire que possible et chant de zombie sous amphétamines à la clef. Un grand disque du genre et jusqu’ici le meilleur album de Lamps, taillé dans la lave en fusion par l’alors hyperactif Chris Woodhouse (oui, l’homme responsable des meilleurs enregistrements de Thee Oh Sees, bien avant la déconfiture post prog) dans le rôle de l’ingénieur du son de tous les dangers.
Huit années plus tard le trio californien toujours emmené par le guitariste / chanteur Monty Buckles et le batteur (et cinéaste et vidéaste) Josh Erkman sort de sa torpeur et est enfin de retour avec son quatrième album People With Faces et avec une nouvelle bassiste : Denée Segall est je crois la troisième à occuper ce poste depuis les débuts de Lamps et si son patronyme ne t’est pas si inconnu que cela c’est parce que Ty Segall – encore un hyperactif californien** – a un beau jour eu la bonne idée de l’épouser. Au passage c’est ce même héro blondinet qui a procédé à l’enregistrement et au mixage de People With Faces pour un résultat assez bluffant, disons-le.

 



L’aspect mur du son transgressif avec empilades de guitares qui semblent tronçonner des plaques de vieux métal rouillé sur fond de rythmiques monomaniaques est toujours bien présent mais dorénavant Lamps a ajouté d’autres cordes à son arc avec l’alternance des chants (Denée Segall est également préposée au micro et c’est même elle qui lance les hostilités sur un Confirmed Frenchman *** délicieusement pervers), une place plus importante laissée aux synthétiseurs (c’est Monty Buckles qui s’en occupe) et des compositions, disons, plus pop. Pop ? Arf… en fait Lamps manie le rock’n’roll arty-chaud comme si Jesus And Mary Chain faisait des reprises des Ramones sous l’égide des Cramps – le désopilent God Gave Me This Haircut, le davantage réfrigéré Monster Magazine – et arrive à donner des saveurs synthétiques extrêmement goûteuses à sa musique, soit comme simple surlignage (Chest, Dr Magic ou I Need A Freak) soit en flirtant entre bontempi maléfique et tempête magnétique (Comedian).
Lorsque Lamps se montre plus classiquement conforme à l’image musicale que le trio nous avait toujours renvoyé jusqu’ici (GNATS ou I Owe It To All The Girls, une reprise de Eddy And The Frat Girls rageusement chantée par Denée) on est bien forcé là encore d’applaudir des deux mains de se rouler par terre sans modération tant le trio arrive à réveiller cette saine et libératrice ferveur élégamment animale qui manque à tellement de groupes de « garage » punk. Bien que différent, le quatrième album de Lamps peut ainsi égaler Under The Water Under The Ground dans mon petit cœur électrique et sensible. PS : moi aussi j’aime beaucoup les chiens.

[People With Faces est publié en vinyle noir ou fuchsia par In The Red records]

 

* apparemment le site du groupe n’a pas été mis à jour depuis un petit paquet de temps… merci les réseaux sociaux
** c’est quand même marrant que Lamps qui un groupe tellement velléitaire s’entoure à chaque fois de personnes qui sont elles tout le contraire 
*** dont je n’arrive pas à savoir si les paroles ne seraient pas partiellement écrites en français…


lundi 7 décembre 2020

Mr Bungle / The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo

 

C’est déjà hier. Jamais je n’écoute les disques de Mr BUNGLE, même si un exemplaire CD de Disco Volante et peut-être même du premier album sans titre de cette bande de zozos californiens trainent quelque part chez moi en attendant d’être revendus sur un site spécialisé à l’intention des acharnés de musique sur support physique obsolète. Dans mon petit panthéon personnel des groupes détestés Mr Bungle occupe cependant une place à part : il s’agit du projet de Mike Patton que j’exècre le moins. Voilà, ça c’est dit. Mais reprenons depuis le début, ou presque, avec les vraies démos de monsieur Bousille, j’en ai compté quatre, enregistrées entre 1986 et 1989, publiées sous la forme de cassettes aujourd’hui revendues à prix d’or sur le site mentionné plus haut par des types qui s’y connaissent sacrément en business. Tu penses bien que j’en ai jamais eu rien à foutre de ces démos que par ailleurs on trouve très facilement dans les abimes des internets, en P2P.
Pourtant si j’avais eu la curiosité d’écouter la première version de The Raging Wrath Of The Easter Bunny, celle de 1986, j’aurais découvert que Mr Bungle était à l’origine un groupe de thrash… de thrash déjà un peu déviant – il y a quelque touches fantaisistes comme du kazoo, de la trompette, etc. – mais de thrash quand même. Il faut dire aussi que c’était l’époque qui voulait ça : Metallica n’était pas encore une sombre merde orchestrée par un groupe de névrosés toxicos, Nuclear Assault tenait le haut du pavé avec son formidable premier album (Game Over) aux côtés d’Exodus et du génial Bounded By Blood et Slayer publiait avec Reign In Blood l’album de metal le plus brutal de tous les temps, du moins à ce moment là… Bref on est en 1986, je suis en classe de première, j’ai de l’acné mais pas trop, j’hésite encore entre une carrière de metalhead laborieux et un avenir radieux de punk bourgeois, je me branle souvent dans mon lit parce que la meuf avec laquelle je sors ne veut pas coucher avec moi – rétrospectivement je ne peux que lui donner raison – et Mike Patton (chant), Trey Spruance (guitare) et Trevor Dunn (basse) à l’époque accompagnés de Jed Watts (batterie) jouent la musique du moment : du thrash metal.

Le son de cette première cassette est vraiment tout pourri mais n’empêche pas de déceler quelques plans absurdes et décalés qui feront quelques années plus tard la renommée de Mr Bungle, comme le final d’Hypocrites reprenant Peter Gunn. Et tous ces (très) jeunes musiciens possédaient un sacré niveau, je pense notamment à Trey Spruance déjà très à l’aise avec tous ses doigts. Mais il est intéressant de mettre The Raging Wrath Of The Easter Bunny en parallèle avec Goddammit I Love America ! publié en 1988 : ce n’est déjà plus le même groupe et le thrash fantasy a cédé la place à une sorte de fusion funky vaguement métallisée totalement indigeste. Beurk.

 


 

Avançons maintenant de quelques années et passons au troisième millénaire. Nous sommes en juin 2020 et Mr Bungle balance sur b*ndc*mp un nouveau titre, une reprise de USA d’Exploited. Il n’en fallait pas plus pour affoler les foules. Mais le plus étonnant est le line-up qui a enregistré ce titre : Scott Ian (Anthrax, S.O.D.) et Dave Lombardo (Slayer) ont rejoint le groupe, respectivement à la guitare rythmique et à la batterie. Des vieux briscards du thrash des 80’s. J’aime tellement la version originale de ce morceau – j’aime tout l’album Troops Of Tomorrow d’Exploited – que je ne ferai aucun commentaire désobligeant sur l’interprétation qu’en donne Mr Bungle. L’important était de bien prendre note que le groupe s’était reformé et qu’un album allait suivre.
Cet album a été publié fin octobre 2020 et il s’intitule The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo. Il consiste en un réenregistrement de la première démo de Mr Bungle à laquelle ont été rajoutés une poignée de titres supplémentaires dont une reprise de Corrosion Of Conformity (Loss For Words, le titre d’ouverture de Animosity) et une autre de S.O.D. (Speak English Or Die, ici remodelé en Habla Español O Muere). Le son de l’enregistrement est monstrueux, le groupe est aux taquets et surtout The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est beaucoup plus thrash que sa version initiale, flirtant constamment avec le crossover d’un… S.O.D. Difficile souvent de ne pas penser aux Stormtroopers Of Death en écoutant un disque qui résume l’un des plus fabuleux paradoxes de notre époque : celui de faire du faux neuf avec du vrai vieux.
On retrouve quelques manières typiques de Mr Bungle
(les coups de sifflet sur Bungle Grind, la reprise de La Cucaracha) et tout le disque, malgré le gros son au scalpel des guitares (Scott Ian est l’un des meilleurs guitaristes rythmiques du genre), malgré la rapidité d’exécution et les solos de guitare complètement hallucinants de Trey Spruance, dégage un côté cartoon propre aux simagrées habituelles des groupes de monsieur Patton qui ici se montre pourtant relativement sobre. Allons-y même carrément : The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est aussi sexy qu’une partouze de zombies proctologues et aussi festif qu’un yorkshire enfermé dans un four à micro-ondes réglé sur sa puissance maximum et explosant en de jolis geysers de chairs sanguinolentes. Cela me dépasse quand même un peu, cette vision du thrash en mode joyeux et purement divertissant. Mais c’est un fait : The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo c’est de la musique de vieux jouée par des vieux et pour des vieux, tout le monde attendant avec sourire et légèreté une mort certaine. Masturbation.

 

[The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est publié en double vinyle, en CD, en cassette, le tout avec tellement de variantes que cela me donne mal à la tête, par  Ipecac recordings]  

 

dimanche 6 décembre 2020

[chronique express] Vincas / Phantasma

 


Sur le papier les américains de VINCAS ont vraiment tout pour me plaire avec leur mélange de swamp rock et de noise rock parcimonieusement saupoudré de relents goths. Et effectivement Phantasma (le troisième album du groupe) est une belle réussite en la matière avec ses dix compositions toujours plus tendues et plus sombres, lorgnant du côté d’un post punk très énervé pouvant rappeler un Joy Division pas bégueule forniquant avec un Gun Club terriblement mal luné. Sur certains titres l’allure est un petit peu trop robotique à mon goût (la batterie est doublée par des machines) et ce sont donc les compositions les plus lentes et crépusculaires que je préfère – les splendides Lead Men et The Shadow Hand – mais Phantasma reste un album prenant et parfois envoutant qui ravira sans difficultés tous les corbeaux et toutes les corneilles de mauvais augure à l’ouest du Mississipi.

 

vendredi 4 décembre 2020

Klämp / Hate You


 

KLÄMP TE HAIT. Au moins les choses sont claires dès le départ. Et elles le sont encore plus dès les premières secondes de Hate You, court instrumental inaugural sur lequel le trio est rejoint par Wayne Adams à la bidouille électronique (lequel a également procédé à l’enregistrement de l’album au Bear Bites Horse studio, évidemment). Un vrai gros barrouf mi-théâtralisé mi-industriel qui fait place nette et donne la bave aux lèvres : au bout d’à peine deux minutes on attend déjà la suite avec impatience… et la suite va être encore meilleure avec le phénoménal Arise enchainé directement et qui ressemble à un gros monstre écumant d’acide et dégoulinant de saturation avec en prime l’apparition de Colin Webster* et de son saxophone en mode freeture de l’extrême. Un mur du son infranchissable risquant à tout moment la cacophonie mais réussissant à faire naitre une incroyablement sensation d’envoutement. Ou comment rendre le bruit hypnotique. Là tout de suite, j’aurais bien envie de ranger Klämp dans ma boite à groupes de noise-rock seulement voilà, la bête est particulièrement teigneuse et je sens bien qu’elle ne se laissera pas faire aussi facilement. Donc, non. Et tant mieux, tu me diras.

 


Mais reprenons. Klämp est composé de Greg Wynne à la guitare et au chant (Manatees), de Jason Stöll* à la basse (il joue ou a joué dans Sex Swing, dans Twin Sister en compagnie des deux Dead Neanderthals et dans Mugstar et c’est le boss de God Unknown records) ainsi que de Lee Vincent à la batterie. Une triplette de musiciens qui en ont vu beaucoup d’autres et qui n’ont pas pour habitude de se laisser enfermer. Les deux seules constantes véritables de Hate You sont un chant particulièrement vindicatif et abrasif – et blindé d’effets – et, donc, une tension incroyablement accrue et palpable à tous les niveaux – dans le rouge les niveaux, cela va s’en dire – avec comme corollaire une rage grondante et grandissante qui fédère beaucoup de choses. Mais que des choses dont cette gazette internet est particulièrement friande : noise, psyché, post punk machin, metal (si si… écoute un peu le final grassement électrique de An Orb) et que sais-je encore. Je veux bien admettre que j’ai déjà utilisé cet argument multi-style dans le passé, que je l’utilise même assez souvent ces derniers temps mais je n’y peux rien : sans doute y a-t-il dans l’air pollué un poison violent qui pousse tous les groupes intransigeants du moment à aller encore plus loin, bien au delà des références musicales et des influences, pour donner à chaque fois quelque chose d’aussi passionnant que de pertinent, quelque chose d’unique et de rafraichissant. « Rafraichissant » ? Non rien à voir avec une bonne bière mais disons qu’écouter un groupe tel que Klämp fait réellement du bien.

Et fort logiquement je ne sais rien du tout de ce qui m’attend alors que je retourne le disque pour en écouter la deuxième face. Je tombe nez à nez avec un Big Bad Heart robotique, déglingué et chargé de sonorités électroniques – sûrement encore un coup de Wayne Adams, vraiment en forme sur ce coup là – tandis qu’une voix trafiquée répète toujours le même truc, inlassablement. Même si on ne comprend que confusément ces quelques mots on se les prend directement dans la tête, comme un bon vieux crachat de bile corrosive. Puis débaroule TJ, une composition lente, épaisse, malsaine et très répétitive qui tutoie les maitres du genre, quelque part entre Drunks With Guns et Brainbombs, avec toujours cette voix qui racle dans les tréfonds. La tension et la rage montent encore d’un cran. Mais elles n’iront pas plus loin. Dernière plage du disque No Nerves est de loin la composition la plus humainement acceptable de Hate You, avec son refrain parsemé de lala lala pour chanter en chœur avec quelques compagnons d’infortune. Et puis il y a ce développement à tendance progressive, au bout d’un moment. Oui j’ai écrit « à tendance » parce que ce n’est pas très franc non plus, rien de démonstratif ni de péniblement chiant là dedans… et puis tu dois commencer à me connaitre maintenant : dès que j’entends le mot prog je sors mon hachoir à viande électrique. Alors forcément.
Au final Hate You ne dure que vingt huit minutes mais c’est largement suffisant tant l’auditeur en prend pour son grade. Voilà bien un disque qui n’usurpe pas son nom, tout simplement parce qu’il s’en donne les moyens. Et une fois de plus je suis proprement estomaqué par la vitalité et la diversité de la scène musicale expérimentale et DIY / indé qui sévit depuis quelques années maintenant autour de maisons de disques telles que Riot Season, God Unknown records, Box records, Hominid Sounds ou Rocket recordings (que des labels britanniques, tu l’auras bien remarqué)…

[Hate You est publié en vinyle par God Unknown records]


* dois-je vraiment rappeler que Colin Webster et Jason Stöll jouent ensemble au sein des magiques Sex Swing ?


mardi 1 décembre 2020

USA Nails / Character Stop


  


 

Si on récapitule toute leur discographie, les anglais de USA Nails en sont déjà à leur cinquième album en sept années (c’est le deuxième avec le batteur Tom Brewins, transfuge de Death Pedals) et moi j’en suis toujours à m’émerveiller de la musique du groupe. Ces quatre types là jouent bien plus que du simple punk noise / noise rock / post punk / et plus si affinités, ils jouent du USA Nails et uniquement ça. Avec sa pochette toute bariolée et très réussie Character Stop me semble même être l’album le plus personnel et le plus impliqué du groupe, le disque sur lequel il affirme avec le plus de conviction et de force son identité propre. C’est aussi un enregistrement sur lequel les quatre musiciens ralentissent toujours plus la cadence – ce qui ne les empêche pas de nous gratifier malgré tout de quelques ruades punk bien épicées et frénétiques – et se concentrent toujours plus sur leur son, notamment celui des guitares, reconnaissable entre mille, et l’intelligence acétique de leurs compositions. On se sent comme naviguant au cœur d’un générateur d’énergie renouvelable mais sans se coltiner les déchets dont on ne sait jamais quoi faire.
Revolution Worker et son mid tempo touffu donne ainsi la tonalité principale d’un album placé sous le signe d’une colère sourde et qui n’explose qu’à bon escient, froidement mais avec un maximum de résultat – les paroles ne laissent elles guère de doutes sur ce que veut exprimer le groupe. Un palier supplémentaire est franchi avec le morceau-titre qui déborde de guitares dissonantes tandis que la rythmique fait place nette : la basse est encore plus énorme que d’habitude, sèche et tendue, elle claque aux côtés d’une batterie très volumineuse. On a alors vraiment le sentiment que USA Nails n’a vraiment plus besoin de se précipiter et de jouer contre la montre pour partager avec nous l’urgence impérieuse de sa musique. Et finalement Character Stop est bien un album plutôt lent, ou disons plutôt un album axé majoritairement sur des mid-tempos ravageurs – citons également
How Was Your Week-end ? et sa partie de batterie étourdissante – et lorsque le groupe accélère le rythme on assiste plus à un incroyablement étoffement de sa musique qu’à un passage en force et en cinquième vitesse (See Yourself, I don’t Own Anything). Une bonne dose de précision rigoureuse doublée d’une bonne dose d’acuité.

Et puis il y a le chant, toujours très caractéristique chez USA Nails, en mode parlé mais pas vraiment non plus, presque robotique, entre égrenages acides proches de la récitation et cris rageux mais toujours avec cette froideur apparente qui caractérise si bien le groupe et sa musique. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a aucune trace de vie là dedans, bien au contraire. Les deux voix sont très complémentaires et l’association des deux fonctionne mieux que jamais – soit en alternance, soit à l’unisson – et c’est l’un des autres points fort de USA Nails, cette capacité à faire passer autant de choses sans faire le mariole ni son intéressant.
La fin du disque est occupée par deux compositions un peu à part. J’ai beaucoup ri la première fois que j’ai entendu Temporary Home, titre le plus groovy, le plus dansant et à la limite de l’injonction à remuer son popotin comme un débile jamais composé par USA Nails et certainement aussi le titre du groupe le plus influencé par les années 80. N’oublions pas qu’en 2017 USA Nails s’était attaqué à la reprise du Eisbear de Grauzone ni que sur l’un de leurs t-shirts les anglais ont joyeusement détourné le logo de Devo. Bien que fonctionnant différemment des autres compositions de l’album, Temporary Home est une chanson qui développe beaucoup plus d’idées et de profondeur musicale qu’elle ne semble le faire au départ et pour moi elle constitue l’une des grandes réussites de l’album*. Quant à Wallington qui clôt magnifiquement Character Stop nous avons là le titre le plus ralenti et le plus sombre de l’album, presque mélancolique. Une lente et longue – pour USA Nails s’entend, c’est-à-dire au delà des quatre minutes – descente en forme de chemin subtilement escarpé, une voix quasi murmurée accompagnée d’une guitare crissant dans la nuit, une atmosphère proche du basculement avant la disparition. La preuve que USA Nails sait également s’y prendre pour nous émouvoir.


[Character Stop est publié en vinyle noir par Bigoût records pour l’Europe – le noir ça fait des pressages de bonne qualité avec lesquels on a rarement de mauvaises surprises – et par Hex records pour l’Amérique du Nord et qui lui a préféré multiplier les versions en couleurs]


* et ainsi j’espère deux choses : la première c’est qu’USA Nails comme tous les autres groupes que j’aime et que j’écoute puisse à nouveau refaire des concerts ; la deuxième c’est qu’USA Nails joue Temporary Home en live, pour que je puisse secouer mes vieux os comme un éternel gamin