Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

samedi 30 janvier 2021

[chronique express] Full Blast / Farewell Tonic






Publié au milieu de l’été 2020 par Trost records, Farewell Tonic est un énième enregistrement live de FULL BLAST, super-groupe de free-jazz électrique composé on le sait de Peter Brötzmann, Marino Pliakas et Michael Wermüller. Ce concert, capté en 2007 c’est-à-dire à une époque où Brötzmann ne se plaignait pas encore trop de l’état de ses poumons (il fêtera ses 80 ans le 6 mars prochain), présente un free jazz incandescent avec tout ce qu’il peut avoir de pulsatif et de virevoltant mais aussi de poétique et d’émouvant. Les interventions solo de Brötzmann y sont plus poignantes que jamais et écouter Farewell Tonic, malgré un titre d’album un peu déprimant (il s’agit du dernier concert ayant jamais eu lieu dans cette salle ô combien mythique de New-York) et malgré un découpage de pistes un peu surprenant, est un grand moment de bonheur, nous rappelant s’il en était encore besoin que contrairement aux hommes la musique, elle, reste éternelle.

jeudi 28 janvier 2021

Foxeagle / Waves On Water

 


 

FOXEAGLE c’est le groupe d’Emilie Célarier. Ou plutôt son projet solo, à elle et rien qu’à elle. Elle y chante (magnifiquement), y joue de la guitare, assure toute l’instrumentation et compose des chansons sombres et profondes, terriblement remuantes, définitivement abyssales et en même temps ondulantes et fascinantes, un peu comme les vagues noires de l’artwork et le titre de son disque, Waves On Water. Peut être bien que cette eau est dangereusement trouble et nous dissimule à peine des gouffres un peu effrayants mais ces gouffres là – donc – se révèlent en définitive terriblement attirants, comme pris dans la lumière et la réverbération d’un soleil de plomb.
Qu’il y ait du romantisme et de la mélancolie dans la musique de Foxeagle n’étonnera ainsi personne. On note la référence à Stendhal via le court extrait d’un récit de voyage plus ou moins romancé de l’auteur intitulé Rome, Naples et Florence et imprimé à l’intérieur du digipak… La deuxième composition de Waves On Water s’intitule elle Stendhal (Syndrom) et Emilie ne saurait être plus claire dans l’affirmation qu’au delà des ombres et des ondulations d’une eau mystérieuse et intimidante le plus important reste la fascination, le saisissement, la beauté. Et toutes les émotions que l’on éprouve face à une beauté aussi inconditionnelle. Un absolu difficile à définir et à expliquer clairement.
La musique de Foxeagle ne s’embarrasse pas de chichis inutiles. Ce n’est donc pas la peine de faire référence ici à des postures pseudo-musicales qui théâtralisent création et expression et diffusent du dark uniquement par principe ou, pire encore, par jeu. Pas de relents gothoïdes acnéiques. Pas de gémissements auto-apitoyés. Pas de dramaturgie évidemment lacrymale. Pas de volonté de représentation ni de liturgie mais une réelle sincérité, entière, farouche, brute (brutale, même, parfois) qui confine aussi à la délicatesse, la pudeur, la retenue avec les choses importantes à exprimer et donc à la pureté – Suits, seul titre de Waves On Water où Emilie est accompagnée d’un autre musicien, Geoffroy Pacot, par ailleurs bassiste du groupe Don Aman. La pureté de la musique de Foxeagle n’a pourtant pas grand-chose avec à voir avec l’innocence, la facilité et la banalité. Sa nature profonde dévoile les contradictions de l’âme et résonne avant tout comme un bel aveu d’authenticité. Et de lumière.
On peut rapprocher la musique de Foxeagle de celle d’une Chelsea Wofle mais pas de n’importe laquelle, principalement celle de l’album Apokalypsis, c’est-à-dire avant que l’américaine ne se prenne pour une diva goth et cloutée. On peut également déceler un soupçon de Slint, un peu de Angels Of Light et un peu de Swans – lorsqu’ils ne dorment que d’un œil  – dans les moments les plus pudiques mais poignants du disque. On retrouve la même simplicité dénudée, presque masquée par des guitares imparablement noisy et des rythmiques oppressantes (How Long). Mais arrêtons là avec les comparaisons. Sûrement que toutes ces références musicales parlent énormément à Emilie. Mais ce ne sont pas elles qui font que la musique de Foxeagle nous parle à nous. Rien ne peut remplacer l’irréalité magnétique d’une poésie aussi intense et aussi subjuguante. Rien ne peut remplacer la musique lorsqu’elle est aussi belle et aussi forte.



[Waves On Water est publié en CD uniquement – mais il s’agit d’un beau CD, dans un cartonnage sobre et élégant, pas dans une boite en plastique non recyclable – par le label Last Disorder, au départ une association organisant des concerts sur Dijon] 

 

 

lundi 25 janvier 2021

The Eurosuite / Hot Off Depress

 

THE EUROSUITE : encore un super-groupe réunissant une poignée de musiciens activistes et suremployés de la foisonnante scène anglaise affiliée noise et autres… Alors allons-y gaiement pour le name dropping avec, dans le désordre, Mike Neaves (ex Nitkowski, actuel Plurals) aux synthétiseurs et également préposé à l’enregistrement, Dan Holloway au chant (plus connu pour être le bassiste de USA Nails ou de Dead Arms mais aussi graphiste et illustrateur – c’est lui qui a fait la pochette de Hot Off Depress), Gareth Thomas à la batterie (habituellement guitariste de USA Nails et également membre de Cower) et pour finir Mike Carey à la guitare (il joue sinon dans Screen Wives, groupe que jusqu’ici je ne connaissais pas mais qui me fait terriblement envie). Soyons prudent : l’exemple récent de Cower et de l’album Boys est là  pour nous rappeler si nécessaire qu’il ne faut jamais se fier aux apparences, que l’on n’est jamais à l’abri d’une surprise et en résumé il serait hasardeux voire péremptoire en considérant tout ce menu gratin de faire le moindre pronostic quant à la musique jouée par The Eurosuite.

 


 


Autant dire tout de suite que nous allons être copieusement servis même si Hot Off Depress est un album très court – à peine vingt-cinq minutes. Mais Hot Off Depress est surtout bourré de déflagrations épileptiques et de décharges électriques urticantes : The Eurosuite fait souvent penser à Doomsday Students et surtout à Psychic Graveyard dans cette façon impitoyable qu’a le groupe de taquiner nos nerfs jusqu’à l’irritation suprême. Mais on y pense aussi à cause du chant souvent très Eric-Paulien de Dan Holloway, piètre vocaliste s’il en est mais là n’est vraiment pas la question parce qu’il a l’air de s’en moquer complètement. Sa voix aigue et bouffée d’effets métalliques sert constamment d’aiguillon, surtout elle dégage une impression de frustration et on sent parfaitement que c’est exactement là où le chanteur voulait en venir, entre invectives robotiques et atonalité revendiquée : gueuler sa race, tout simplement.

Derrière les trois autres musiciens tirent à vue et catapultent des boules puantes aux effets dévastateurs. Une guitare chromée et lapidaire bouillonne constamment tandis que le synthétiseur se cale en mode essorage de particules. Les sonorités des deux instruments des fois se mélangent et se confondent, rajoutant un peu plus à la confusion jubilatoire et à la volonté de défoulement d’un enregistrement volontairement bruyant et éjaculatoire – exception faite, à la toute fin du disque, de Line / Void, de son piano fantôme et de son chant perdu dans sa propre solitude. En gros Hot Off Depress est très punk dans l’esprit mais n’a absolument rien de grossièrement rock’n’roll avec au contraire une touche arty irremplaçable et irrévérencieuse, totalement hors décorum.

Et puis il y a des moments vraiment étonnants comme ce Stimulate, une composition aussi synthétique que cabossée et qui dégage dans un premier temps une certaine retenue, presque de la mélancolie, avant de monter dans les tours, allongeant les distances, lorgnant du côté des autoroutes à choucroute tandis que le chant – toujours aussi difficilement appréhendable – prend des allures de complainte lugubre. Plus que jamais Hot Off Depress sent le refus du refoulement et l’affirmation d’un état d’esprit mi-assombri mi-irrité qui doit s’exprimer d’une façon ou d’une autre (et c’est surement ça que je préfère dans ce disque si intentionnellement difforme et agité).

 

[Hot Off Depress est publié en vinyle blanc par A Tant Rêver Du Roi

 

 

dimanche 24 janvier 2021

Comme à la radio : Razen / Robot Brujo (et aussi les dix ans du label Hands In The Dark)


On va le faire avec un peu de retard – on n’est vraiment plus à ça près depuis que la vie décidé de nous faire des blagues en nous permettant de regarder droit dans les yeux ce monde qui s’effrite doucement mais sûrement – mais il est grand temps de fêter comme il se doit le 10ème anniversaire de Hands In The Dark. Le label est basé entre Londres et la Franche-Comté (du coté d’Ornans il me semble, si tu ne connais pas va y faire un tour dès que tu le pourras, c’est un chouette endroit) et c’est le 7 décembre dernier que cette belle maison dédiée aux musiques expérimentales au sens large a célébré sa première décennie d’intense activité.

 


 

Dernier disque publié par Hands In The Dark en 2020, Parallel Voices de Brian Case portait la référence HTD54 et même les nuls en arithmétique auront calculé que la label aura édité pas moins de cinq enregistrements par an depuis 2010. Admiration. Pourtant aujourd’hui je ne vais pas te parler de l’album de Brian Case – néanmoins chaudement recommandé – mais plutôt d’un disque sorti en mars de l’année dernière et l’une des plus belles parutions estampillées Hands In The Dark : Robot Brujo de groupe RAZEN.

 

 

En fait de groupe je devrais plutôt parler de collectif. Basé à Bruxelles et à géométrie variable, Razen est une association hétéroclite de musiciens pour une instrumentation très diverse. La musique du groupe, très improvisée, est ainsi faite de synthèse analogique, de guitare, d’instruments à vent, de contrebasse, de vieille à roue, de saranji, de percussions, d’ondes Martenot, etc…  

Robot Brujo, dixième enregistrement de Razen depuis 2010 (!) mais le tout premier sur Hands In The Dark après plusieurs collaboration avec le label (K-RAA-K)³, est un double album partagé entre musique répétitive, drone, musique industrielle ambient, jazz stratosphérique et… et je ne sais pas vraiment quoi : écouter Robot Brujo revient à se plonger dans une musique d’apparence minimale mais en fait très élaborée et dont la sophistication discrète souligne une immense part de magie. Bien malin qui pourra affirmer avec exactitude la provenance des textures, des notes et des sons entendus ici.

Au-delà des instruments et des techniques employées on retiendra donc un incroyable équilibre atemporel entre mécanique et sorcellerie (robot / brujo, qui signifie « sorcier » en espagnol). Et cette faculté à rendre la notion de durée notre durée complètement obsolète, comme dans un mantra. En cela la musique de Razen possède un profond caractère spirituel et même mystique.


Joyeux anniversaire.



ps : la prochaine parution d’Hands In The Dark sera rien de moins que l’album Intimate Immensity de Tomaga, le dernier enregistré par le duo avant la disparition du très regretté Tom Relleen

 

 

 

vendredi 22 janvier 2021

[chronique express] Unspkble / Friction



 

On m’avait gentiment prévenu : « si tu aimes Killing Joke tu aimeras UNSPKBLE ». Tout d’abord je n’aime pas vraiment Killing Joke dont j’ai toujours trouvé la musique emprunte d’une certaine trivialité. C’est tout juste si j’arrive à apprécier les débuts du groupe anglais, disons jusqu’à l’album Fire Dances inclus. Mon petit préféré, façon de parler, reste What’s THIS For…!, un disque souvent moins cité par les exégètes parce que coincé entre les deux chef d’œuvres prétendument incontournables du groupe de Jaz Coleman et Geordie Walker (Killing Joke en 1980 et Revelations en 1982). On s’en fout mais ça tombe bien : le nom d’Unspkble est semble t-il tiré d’une chanson de What’s THIS For…!
Lorsque j’écoute Friction – un album enregistré en 2019 / 2020 par un groupe de Montpellier et non pas au début des années 80 par un groupe londonien – j’entends un disque de post punk dynamique et flamboyant, gothoïd et dansable, épais et mélodique,
très bien foutu et sans accroc. C’est sans doute ce qui me gêne, ce côté bien moulé à la louche. Et Unspkble me fait le même effet qu’un Frustration, celui d’un monde rendu meilleur par la nostalgie et le dévouement. Friction passe malgré tout la rampe, mis à part peut être le chant, des fois trop coincé dans son rôle (et avec quelques intonations à la Peter Murphy de Bauhaus, non ?). Dommage qu’Unspkble ne s’affole pas un peu plus souvent, comme sur Where All Hope Dies et surtout Mesmerized, largement au dessus du lot et laissant espérer une suite beaucoup plus originale et passionnante.

 

mercredi 20 janvier 2021

Cower / Boys


Tu dois commencer à bien me connaitre maintenant : dès que j’entends le mot « goth » je sors ma lotion anti-acnéique pour la peau. Parce que rien que ce simple mot me renvoie à ma lointaine adolescence, me donne vraiment envie de m’habiller en noir, de passer mon temps à regarder par terre lorsque je marche dans la rue et de répondre par d’infâmes borborygmes inintelligibles dès qu’un être humain plus ou moins adulte ose m’adresser la parole. Tu me diras, il n’y a pas grand-chose de changé dans mon attitude actuelle. Sauf qu’officiellement je ne suis plus un adolescent depuis longtemps et que mes propres filles qui elles ont l’âge de s’habiller en noir, de grommeler en solitaire dans leur chambre, de raser les murs et de se désespérer du temps qui passe n’en font absolument rien mais par contre me prennent sincèrement pour un sociopathe gentiment inadapté et cyclothymique. « Goth » c’est donc le premier mot que j’ai entendu et lu à propos de la musique de COWER et de Boys, premier album de ce groupe britannique très intrigant. Tout ça avant même d’en avoir entendu la moindre note.
Le bouche à oreille fonctionnant à plein, surtout en ce moment, nul ne pouvait ignorer que Cower est l’association d’une poignée de musiciens déjà fort occupés par ailleurs. A ma gauche : Gareth Thomas, auparavant dans Mayors Of Miyazaki, ex-batteur de Silent Front, membre de USA Nails et désormais dans The Eurosuite*. A ma droite : Wayne Adams, bassiste de Death Pedals et également membre de ShitWife / Big Lad, Petbrick, Deafbrick, etc… et surtout grand wizzard du son avec son studio Bear Bites Horse et œuvrant au passage pour le label Hominid Sounds. Au centre : Thomas Lacey, chanteur et guitariste des excellents Yards. Que de noms prestigieux, n’est-ce pas ? Et beaucoup de formations très appréciées par ici. 

 



Les trois Cower se qualifient eux-mêmes de groupe de Gothic Noise. Une étiquette comme une autre mais qui a le double avantage de me plaire énormément, pour les raisons adolescentes largement évoquées ci-dessus et aussi pour celles, peut-être plus profondes et encore plus irraisonnées, qui me lient à ce foutu noise-rock et dont Instant Bullshit n’est jamais que l’écho complètement subjectif et très répétitif. Cependant, je t’arrête tout de suite, en fait Cower n’est ni vraiment goth et pas vraiment noise. Du gothique et des musiques sépulcrales ancrées dans le début des années 80, le trio a gardé cette propension à torcher et manipuler des atmosphères sombres et glacées. Du noise le groupe possède cette faculté énergétique à envoyer la sauce à tout faire péter quand ça lui prend. Mais il y a de la marge et entre les deux il faut bien dire que la musique de Cower propose un large éventail qui ressemble plutôt à un fourre-tout ne répondant qu’à une seule règle, celle des envies de trois musiciens aguerris.
Boys peut être des plus déconcertants, passant du coq à l’âne avec le très classieux (mais énervé) Enough puis le très romantico-dark Saxophones By The Water, avant d’enchainer avec un Midnight Sauce aux relents post-industriels ou un Fog Walker electro-rock plutôt arty. Mais même tous ces qualificatifs ne me conviennent guère. Toutes les compositions de Boys diffèrent et chacune ne se contente pas non plus d’aborder une seule direction musicale. Si donc on s’attendait avec Cower à un groupe magnifiant uniquement tension et noirceur on ne pourra être que déçu. Mais si on espérait quelque chose de plus contrasté, du plus intimiste (For The Boys) au plus virulent (Proto-Lion Tamer) ce premier album est un met pour les fins gourmets et une pièce de choix pour les esthètes. N’ayez pas peur de vous laisser surprendre ni de vous laisser faire : la surprise n’en sera que meilleure.

Pour finir, et comme pour faire écho au caractère pluridimensionnel de la musique de Cower, Boys existe en plein de versions différentes avec tout un éventail de couleurs (photo et nuancier non contractuels : moi j’ai opté pour une version en noir, évidemment, mais que l'on ne voit pas ici). L’objet est à la fois très beau et très simple, emballé dans une pochette transparente qui laisse apparaitre un vinyle marbré noir et doré. Publié par le label Human Worth, une partie des bénéfices de Boys ont été reversés à une organisation caritative gérant une banque alimentaire pour les plus démunis. 

* groupe dont cette gazette reparlera à l’occasion

 

lundi 18 janvier 2021

Magik Markers / 2020


Il fut un temps où les Magik Markers publiaient des enregistrements comme d’autres respirent, c’est-à-dire pratiquement tout le temps. Tout particulièrement pendant la première décennie de ce millénaire maudit, le trio composé de l’imprévisible Elisa Ambrogio (chant et guitare), John Shaw (basse)* et Pete Nolan (batterie) nous pondait sans cesse CDr ou cassettes sur des labels tous plus obscurs les uns que les autres, des enregistrements le plus souvent effectués dans des conditions aléatoires, en live, dans le local de répétitions ou dans la cuisine, avec la plupart du temps une qualité sonore limitée et irritante, ce qui bien sûr faisait aussi beaucoup pour le charme de la musique du trio.
Une avalanche de parutions où tout n’était pas forcément bon à prendre, y compris lorsque le groupe se fendait d’un « véritable » album publié par un label un peu plus établi que la moyenne – dans la liste : Ecstatic Peace !, Textile records ou, depuis 2009, le très reconnu Drag City. Pendant longtemps il a fallu beaucoup trier dans les publications de cette bande d’énergumènes aussi difficiles à cerner que leurs concerts pouvaient être chaotiques. Sur support comme en live c’était un peu la loterie et la seule fois où j’ai eu la chance  de voir les Magik Markers en concert je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu déçu, partagé entre le plaisir de voir enfin le groupe en action et le sentiment qu’il manquait quelque chose pour que la sauce prenne pour de bon, pour que la magie (sic) fonctionne.




Mais revenons-en à l’époque actuelle. C’est donc chez la vénérable maison de disques Drag City que les Magik Markers ont publié leurs trois derniers albums studio dont ce 2020, après sept longues années de silence. 2020 révèle un double miracle : celui de marquer le grand retour d’un groupe que l’on pouvait penser complètement perdu dans les limbes et celui d’un album dans lequel, pour la toute première fois, il n’y a rien à retrancher, pas de reproche à faire quant à l’homogénéité de l’enregistrement, aucune composition ne servant de bouche-trou au sein d’un album qui en plus dévoile mille et une qualités. C’est dire si le contraste est saisissant entre le Magik Markers d’avant, un groupe bouillonnant, imprévisible, bruyant et arty, et celui de maintenant, plus posé et plus soucieux de ses compositions.
Peut-être certaines et certains reprocheront au trio d’être beaucoup moins taré / barré / bruyant / dérangeant qu’auparavant mais je ne ferai pas partie de ces critiques là, louant au contraire l’étrangeté pop d’un Surf’s Up particulièrement alangui, les courants d’air tournoyants d’un Find You Ride, la carrure bien proportionnée d’un That Dream (Shitty Beach), la voute céleste d’un Born Dead, l’évaporescence d’un Hymn For 2020 ou le cristal songeur et apaisant d’un Quarry (If You Dive).
2020 est un grand disque. Il est le plus accessible de toute la discographie de Magik Markers mais il est aussi le plus beau, alliant subtilement poésie, expérimentation doucement persistante et électricité colorée (CDROM, la composition du disque la plus proche de ce à quoi le groupe nous avait habitués depuis de nombreuses années mais passée au tamis de ses aspirations et préoccupations actuelles). Un album lorgnant aussi bien du côté du Velvet Underground que de la power-pop ensoleillée et acide (You Can Find Me), sans oublier quelques tentations plus épaisses et biscornues mais toujours bien dosées. Les Magik Markers n’ont finalement jamais rien fait comme tout le monde mais avec 2020 ils démontrent qu’en matière d’imagination tortillée et de créativité ils ne doivent toujours rien à personne.

* au départ c’est Leah Quimby qui occupait ce poste


vendredi 15 janvier 2021

New Primals / Horse Girl Energy


 


Avec ma manie de laisser trainer les choses – c’est ça d’avoir comme loisir favori de rester le nez en l’air en écoutant de la musique – je me rends compte qu’il y a énormément de disques qui m’ont marqué en 2020 et au sujet desquels je n’ai pas encore écrit le moindre mot. Et sûrement que pour la plupart d’entre eux je n’en ferai rien. Le confinement, le couvre-feu, les restrictions des libertés et l’interdiction des concerts... toutes ces choses ont radicalement changé la donne au cours de l’année écoulée : plus on a du temps devant soi, même imposé, et plus on en prend. Moins on a de vie sociale en vrai et de trucs à gérer et plus on procrastine. C’est facile de se laisser aller. Bizarrement cette vie au ralenti n’est pas une vie qui s’écoule plus lentement mais une vie que l’on regarde s’écouler sans s’en rendre vraiment compte. Il vient peut-être de là ce sentiment de vide.
Tout ça je le crains n’est pas non plus très intéressant à lire. Mais la conséquence en est qu’il y a (minimum) une demi-brouette de disques divers dont j’aurais bien voulu parler ici et que le premier album de NEW PRIMALS arrive dans le peloton de tête. New Primals est un trio – ou un quartet, je ne sais pas – qui nous vient d’Atlanta. Ils sont trois sur la photo imprimée sur l’insert du disque. Et juste en dessous on peut lire quatre noms, donc je ne vais pas trop chercher à comprendre… Sans oublier les quelques musiciens invités, principalement aux synthétiseurs et parmi lesquels on compte un certain Todd Rittmann – U.S. Maple, Cheer Accident, Dead Rider et j’en passe – qui par ailleurs a mixé et masterisé l’album.  Mais globalement sur Horse Girl Energy on entend principalement une guitare tarabiscotée, une grosse basse soufflante, une batterie nerveuse et débordante et du chant curieusement outré. Tout le reste n’est qu’accessoire et le cœur de la musique de New Primals est donc constitué de cette éternelle association de base à partir de laquelle tout semble encore possible, y compris de nos jours 
(il y a parfois des handclaps, de la guitare acoustique, du Korg et des chœurs divers et variés)
Et on serait bien en peine de définir clairement l’alchimie mi baroque-pailletée mi noise-théâtralisée qui préside à la musique de New Primals. Mais cela ne m’étonne pas du tout que Todd Rittmann ait voulu mettre son nez là dedans : avec son nom de boisson gazeuse acidulée et opiacée Horse Girl Energy est un disque assez déconcertant, punk dans l’énergie, parfois noise dans la forme et indubitablement doté d’un gros nez rouge écrasé comme une vieille patate toute germée. Ou plutôt avec des grosses coulées de khôl sur les joues. L’exubérance est partout et serait vraiment trop envahissante si New Primals n’avait pas aussi la présence d’esprit de se limiter à des formats courts, la plupart des compositions tournant autour de deux à trois minutes. D’une certaine façon le groupe aime jouer avec nos nerfs, se montre volontiers provocateur, souvent arty-fondu et révèle un côté glam (glam = compositions surlignées au eye-liner, donc) volontiers décadent et donc terriblement attractif et séduisant. Tu vois c’est un peu comme l’illustration de la pochette : on peut la trouver très laide – d’ailleurs moi je la trouve très laide – mais il est difficile de l’oublier et de ne pas se sentir attiré par elle. Des fois avec Horse Girl Energy j’ai l’impression d’entendre le vieux Child Bite – celui d’avant le virage testostéroné au metal – qui aurait glissé du côté strass d’un noise-rock artistique, comme une vieille décapotable avec intérieur queer qui en aurait sacrément dans le moteur mais aurait eu l’intelligence de mettre ses huit cylindres au service de l’étrangeté électrique et non pas uniquement au service du rentre-dedans et du bourre-pif hardcore. La classe, quoi.

[
Horse Girl Energy est publié en vinyle transparent et rouge, en vinyle irisé jaune et rouge ou en vinyle noir par…  Learning Curve records : et oui j’ai à nouveau chroniqué un disque de ce cher label de Minneapolis dans lequel je n’ai pourtant aucun intérêt financier ou autre mais c’est juste, encore une fois, que Learning Curve est un label incontournable en provenance des US et ce depuis de très nombreuses années maintenant] 




mercredi 13 janvier 2021

Live Skull / Dangerous Visions

 

Je n’avais pas été très tendre avec Saturday Night Massacre, premier album publié par Live Skull depuis sa reformation en 2016 avec le seul Mark C. aux commandes. Mais ma déception était à la hauteur de toute l’estime et de toute l’affection que j’ai pour ce groupe. Et elle l’est encore : le miracle n’a pas eu lieu en réécoutant Saturday Night Massacre quelques mois plus tard, un album qui aujourd’hui me semble toujours aussi indigne de ce qu’a été Live Skull et de ce qu’est encore son héritage musical. Un disque que je préfère oublier.
Et voilà que débaroule déjà un nouvel enregistrement du groupe de Mark C. Il faut battre le fer tant qu’il est encore chaud comme dirait l’autre mais dans le cas de Live Skull on devrait plutôt parler de vieux machin rouillé. Je sais, tout ceci n’est pas très gentil ni très charitable pour Mark C. et ses petits camarades actuels. Dangerous Visions a lui aussi été publié par Bronson recordings et est doté d’une pochette au style très similaire. Logiquement je n’attendais pas grand-chose d’un disque pour lequel j’ai du me motiver pour oser et surtout réussir à l’écouter… Dangerous Visions est en fait un album en deux parties : la première consiste en des enregistrements récents de Live Skull et la seconde regroupe des vieilles bandes de l’époque Thalia Zedek. Première surprise. 




Bien que démarrant avec le tiédasse In A Perfect World la première partie du disque n’est pas sans intérêt. On retrouve un peu de ces synthétiseurs lénifiants sur ce premier titre, ceux-là même qui avaient mis à mal Saturday Night Massacre en le pourrissant de l’intérieur. Le chant semi-précieux de Mark C. est toujours aussi faiblard. Et pourtant… et pourtant il se passe malgré tout quelque chose sur In A Perfect World qui dégage une sorte de mélancolie amère (le genre de truc qui à moi me parle toujours un peu). Arrive alors l’excellent Debbie’s Headache avec son riff tournoyant, un titre enregistré pour la première fois par Live Skull en 1987 et pour l’album Dusted. On est alors bien obligé d’admettre que le Live Skull de 2020 sera bien meilleur que ce que l’on pensait, même si présentement il triche un peu en allant fouiller dans son lointain et glorieux passé.
En regardant le line-up du groupe on s’aperçoit de la présence d’un second guitariste du nom de Dave Hollinghurst et effectivement les guitares semblent reprendre un peu de la place qui avait toujours été la leur dans la musique du groupe. Du coup on pardonnera la mollesse dubisante de Day One Of The Experiment et le rhume caribéen de Dispatches. Et on se balancera doucement au son de Twin Towers dont les atmosphères sombres donnent définitivement une tonalité poignante et mélancolique à la première moitié de Dangerous Visions. Je suis prêt à m’excuser tout de suite auprès de Mark C. qui semble enfin avoir retrouvé un peu de ses marques.

On retourne le disque pour découvrir cette fois des enregistrements de 1987 et de 1989. Ce qui signifie donc que l’immense Thalia Zedek est au chant. Je ne devrais pas avoir à en rajouter si ce n’est que Safe From Me, Someone Else’s Sweat, Adema et Amputease ont été mis en boite pour John Peel et la BBC / Radio 1 le 14 mars 1989 et que c’est un pur bonheur. Comme d’habitude il suffit que Zedek pointe le bout de son nez quelque part sur un disque pour que la lumière jaillisse – c’était déjà le cas pour Saturday Night Massacre sur lequel elle faisait une ou deux apparitions remarquées – mais il y a autre chose et cette autre chose c’est tout simplement Live Skull, un groupe avec des guitares alors inventives et des compositions qui se tenaient comme il faut.
La deuxième face de Dangerous Visions se termine avec Tri-Power, un presque inédit studio de 1989 et de bonne facture avec Mark C. au chant, un titre initialement publié sur une compilation comprenant également Debbie Harry, New Order ou Rollins Band. Puis c’est au tour de Live Again qui à l’origine figurait en supplément sur l’édition CD de l’album Dusted et malheureusement on comprend pourquoi ce titre avait en 1987 été relégué au rang de bonus track. Ce qui n’empêche par Dangerous Visions d’être un disque plus que recommandable, bien qu’il s’agisse en grande majorité d’un disque de recyclage. Sans rancune, Mark…


lundi 11 janvier 2021

Hoaries / Rocker Shocker




 

Et voilà, cette nouvelle année commence exactement comme celle d’avant s’était achevée : dans un gros bain de merde moussante et bien collante et avec une déferlante de stupidité congénitale et assumée, le tout aggloméré par une crise sanitaire mondialisée (est-ce que ce sera mieux que de disparaitre suite à la chute d’une météorite géante à la surface de la planète ? honnêtement je ne suis sûr de rien). En résumé je ne sais pas ce que je préfère entre l’arrogance mortifère des vieilles démocraties occidentales complètement essoufflées et dépassées et les régimes autoritaires qui ricanent dans leur coin en attendant de moins en moins patiemment que leur tour arrive. Beauté de l’avenir.
L’année 2020 s’est également terminée avec un bilan musical de grande qualité – oui je sais, je change de sujet. Rarement j’aurai vu une telle profusion de bons disques, l’émergence de tant de bons groupes, la confirmation de tant de talents. Tu sais ce que l’on dit : lorsque tout va mal ou presque la création artistique s’envole toujours plus haut, galvanisée par la chute inéluctable de tout ce qui l’entoure. Et l’underground est comme toujours à la pointe. A croire que c’est en se sentant plus que jamais acculé que l’on arrive à libérer de soi toutes ces choses qui exacerbent l’inventivité pour mieux adoucir l’horreur du quotidien et la crasse de l’existence (et finalement… c’est comme si on restait dans le même sujet, non ?).

Publié un peu trop tard pour figurer dans tous les tops musicaux des noiseux de la Terre entière Rocker Shocker est le premier album des Texans d’HOARIES. On avait pu découvrir le groupe via une triplette de 45 tours ascensionnels – comprendre : de plus en plus réussis – et, au printemps dernier, grâce à un excellent 10’ partagé avec les très velus Beige Eagle Boys, un disque publié par le non moins excellent label Reptilian records. Mais sinon on ne sait pas grand-chose d’Hoaries mis à part que le guitariste Jeff Helland officiait il y a quelques années dans White Drugs qui avait publié un album très recommandable chez Amphetamine Reptile records. C’est déjà pas mal comme indice mais ce ne sera pas suffisant.
Parce que je n’aurai pas peur d’affirmer que s’il ne fallait citer qu’un seul enregistrement de noise-rock sorti en 2020, je choisirais Rocker Shocker sans aucune hésitation. Egalement publié par Reptilian records, ce premier album a vraiment tout pour lui : emmené par la locomotive furibarde et implacablement groovy I’ve Got A Room At The Plazza, Rocker Shocker est un concentré bouillonnant d’énergie, de vindicte, de mordant, d’acidité électrique et d’humour féroce. Un disque aux compositions des plus variées, allant d’un noise punk échevelé et nerveux (Permanent Meltdown) à des étalages plus psychotiques de guitares dissonantes (Data Stitches) et lorgnant même parfois vers le mélodramatique (Pearls). Hoaries est autant à l’aise lorsque il joue avec l’urgence vitriolée d’un punk sous speed que lorsque il privilégie la transgression et la déviance arty. Et surtout le groupe évite soigneusement tout déploiement ostentatoire de gras et de lourd, ici tout est taillé au cordeau, sec et vif, mais sans aucune rigidité (We’re Doing This, sorte de rouleau-compresseur à l’élégance aussi folle que braillarde).

Il y a finalement un côté assez cérébral et des fois presque glacé dans la musique d’Hoaries mais celui-ci est régulièrement contrebalancé par la vivacité bouillonnante d’une interprétation aussi virevoltante que sauvage mais qui ne néglige jamais non plus une certaine profondeur et une certaine subtilité. Chaque titre de Rocker Shocker apporte quelque chose d’autre et de nouveau par rapport au précédent et Hoaries ne nous ménagera absolument aucune surprise tout au long des vingt cinq minutes que dure l’album, en profitant même pour démontrer une nouvelle fois son expertise et sa finesse de jugement en matière de reprise. Après celle de Cabaret Voltaire sur le 10’ avec Beige Eagle Boys c’est au tour du très sirupeux Soldiers Of Love de Sade – et si… – de faire les frais d’une transformation / rénovation de fond en comble. Hoaries sait parfaitement s’approprier la musique des autres pour la faire sienne et si le groupe y arrive aussi bien c’est sans doute parce que sa propre musique possède déjà en elle-même quelque chose d’inimitable et de personnel, juste ce qu’il faut et au bon moment.

 

ps : Rocker Shocker tourne en 45 tours, sa pochette est gatefold, j’adore son artwork et le vinyle est transparent avec un magnifique « effet fumée »

 

 

vendredi 8 janvier 2021

[chronique express] Oxes / The Fourth Wall



 

En vérité et en toute honnêteté j’adore le premier album sans titre dOXES. Souvent imité, jamais égalé. Et sa réédition par le label Computer Students sous le titre de The Fourth Wall et sous la forme d’un double LP est des plus bienvenues en plus d’être irréprochablement efficace : un premier vinyle comporte l’album en version remasterisée, un second propose des Peel Sessions en public vraiment géniales et avec quelques titres un peu rares, le livret est copieusement élaboré à base de photos d’époque (2000 - 2001), de souvenirs divers et de textes (dont celui du boss de Monitor records qui avait initialement publié ce disque), sans oublier l’artwork originel réinterprété pour l’occasion et l’emballage extérieur sous pochette métallisée et qu’il faut découper soi-même. Tout cela est parfait. Je ne peux qu’inciter les jeunes générations à se jeter sur ce disque pour découvrir l’un des fleurons du noise-rock instrumental et trigonométrique d’il y a vingt ans.
Mais comme je ne suis qu’un vieux con – encore plus vieux et encore plus con que ce que tu imagines – The Fourth Wall me laisse également une drôle d’impression, celle d’un bel objet de collection et d’une muséification de la musique d’Oxes. J’écoute ce disque que je connais déjà par cœur, je regarde cette pochette et cet emballage très conceptuel et alors je me dis que mon amour de la musique a besoin d’autre chose qu’un artefact vitrifié, aussi réussi soit-il. 

 

mercredi 6 janvier 2021

Reptoid / Worship False Gods


Le coup du petit gars tout seul dans son coin qui fait un one man band à l’aide de tout un dispositif bidouillé à partir de pédales d’effets, de samplers et d’autres trucs encore dont je n’ai pas la moindre idée, on nous l’a déjà fait mille fois. Tu sais bien : un batteur plus ou moins frappadingue (ou poète…) installé derrière ses fûts avec un micro attaché (ou pas) devant la gueule par un masque, un harnais ou un simple pied et qui en même temps balance des sons pour donner corps à des compositions des fois bien troussées ou bordéliques et hallucinées. Il y en a eu des tas et sûrement que ce n’est pas fini, on peut citer l’ex-lyonnais et presque suédois Sheik Anorak dans un genre cette fois plutôt pop mais aussi Black Pus c’est-à-dire Brian Chippendale de Lightning Bolt tentant sans y arriver de récréer tout seul le chaos irisé de son groupe d’origine. Il y a Octopoulpe également, qui lui complique le bousin en rajoutant des vidéos qui se déclenchent simultanément à ses parties samplées.
La plupart du temps tous ces bande-tout-seul sont bien rigolos à voir en concert – ça transpire et ça glaviotte comme au bon vieux temps – mais comme toute performance qui se respecte et qui respecte son public il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Et surtout sur disque c’est souvent inintéressant voir carrément chiatique. Mais on trouve quelques exceptions telles que le déjà cité Sheik Anorak (c’est lui le poète du genre solitaire) et, complètement à l’opposé, il y a le furieux REPTOID. 

 


 

Reptoid c’est donc un certain Jordan Sobolew et uniquement lui*. Il nous vient d’Oakland en Californie et Worship False Gods est son tout premier album. Il trimbale dans ses valises tout un arsenal de pédales, de pads et de mixettes qu’il manie entre deux coups de caisse claire et deux bombardements de kick. Une grosse installation pour des concerts bien éruptifs.
Le premier truc que l’on remarque chez Reptoid c’est le côté très percussif et très tribal de sa musique, aux frontières de l’industriel ou plutôt aux frontières d’un noise-rock qui au lieu d’être basiquement axé sur des guitares qui dérapent et des basses qui terrassent ferait appel à des polyrythmies en cascades enrobant une multitude de sons complètement barrés – parfois on croit reconnaitre une guitare samplée** mais rien n’est moins sûr –, de nappages bruitistes et d’interventions éclair de crissements synthétiques et bruitistes. Ça fait un sacré barouf mais un barouf toujours délimité par la batterie et les percussions incessantes et omniprésentes et un barouf au dessus duquel surnage le chant de Jordan Sobolew qui n’a pas besoin d’effets supplémentaires sur sa voix et autres subterfuges pour nous faire peur avec. Non seulement ce petit gars est un batteur infatigable et un lanceur de samples aguerri mais en plus c’est un bon chanteur, avec une super voix.

Une voix qui souvent me fait penser à Tod A et – logiquement – Reptoid rejoint le Cop Shoot Cop des débuts et même parfois certains trucs à la Foetus / J.G. Thirlwell, ce genre de mélange d’éléments industriels et d’éléments plus conventionnels.
C’est dire si la musique de Reptoid se tient et si Sobalew est un vrai compositeur et un véritable auteur*** (comme on dit de par chez nous). Un orfèvre en matière d’arrachage et de foutraquage. Sa musique dépasse largement le gimmick sensationnaliste du one man band explosif qui fera écarquiller des yeux et des oreilles les puceaux et les pucelles du bruit savant en recherche de sensations fortes. Avec Worship False Gods Reptoid nous présente un bourbier incandescent et furieux que l’on est pas prêt d’oublier et Jordan Sobolew se révèle être déjà une sacrée personnalité. Et en plus ce type développe une incroyable passion pour les pizzas. J’en reprendrai bien une tranche et Worship False Gods est l'une meilleure découverte de l’année 2020, haut la main.

[Worship False Gods est publié en vinyle avec une pochette gatefold d’un goût délicieusement douteux et très explicite**** par Learning Curve records]

* une seule exception pour l’instrumental Cerebral Wall, plus tribal que jamais avec sa doublette de batterie, la seconde étant tenue par Max Senna du groupe Facet
** certains de ces samples ont été fournis par des guitaristes invités pour les titres You Have Already Been Compromised et le terrible I Drunk The Punch
*** un auteur qui n’a pas honte de ses textes, reproduits à l’intérieur de la pochette et qui méritent d’être lus

**** toutes les photos ont été réalisées par Christopher Sturm

 

lundi 4 janvier 2021

Rid Of Me / Summer





« Heavy melody noise punk from Philadelphia. Members of… who cares ? ». C’est ainsi que se présente RID OF ME. A priori je ne devrais rien avoir à ajouter à tout ça mais quand même : Rid Of Me est le nouveau groupe d’Itarya Rosenberg dont on a déjà un peu causé ici au sujet de Low Dose et de son premier album sans titre. Dans Low Dose on retrouvait également un certain Mike McGinnis qui auparavant jouait dans les fabuleux Fight Amp et qui désormais officie avec les excellents Plaque Marks* mais également dans… Rid Of Me. Et enfin, complétons
provisoirement le tableau avec le batteur Mike Howard qui fut un temps a lui aussi joué dans Fight Amp, comme le monde est petit hein, je crois quon peut l’entendre sur l’album Manners And Praise. Bien que les trois Rid Of Me semblent s’en foutre cela nous fait quand même un joli ramassis de musicien.ne.s chevronné.e.s et on ne pourra pas dire que l’on n’aura pas été prévenus… car avec un tel line-up on sait déjà que l’on ne va pas avoir affaire à un groupe tout propre et tout gentillet.
Il serait pourtant réducteur de trop comparer Rid Of Me avec Low Dose. OK les deux formations ont la même chanteuse et dans les deux cas c’est elle qui mène principalement les débats mais Rid Of Me sonne bien plus vicelard à mes oreilles. Toujours avec le même souci mélodique mais en plus tordu, en plus écharpé et en plus épais. En plus punk et en moins « pop » (je mets des gros guillemets, parce que des fois il faut aussi savoir lire entre les lignes). Chez Rid Of Me les mélodies toujours accrocheuses sont volontairement plus anguleuses et plus saignantes, ça finit toujours par faire plus ou moins mal et on aime ça – tiens, exactement le même effet que pouvait parfois me faire Fight Amp dans ses moments les plus accessibles.
Enregistrés en février 2020 les quatre titres de Summer ont tout d’abord fait l’objet d’une cassette, rapidement épuisée. Puis est venue l’idée – brillante – de ressortir ces quatre brûlots sous la forme d’un 12’ tout simple. Autant te dire que c’est ce qui m’a finalement décidé à m’intéresser d’un peu plus près à cet enregistrement et en l’écoutant j’ai compris pourquoi il avait finalement fait l’objet d’une publication vinyle : il sonne terriblement bien. Méchant et sale mais avec toutes les subtilités carnassières que l’on serait en droit d’attendre d’un groupe de noise / hardcore et qui font toute la différence. Summer dégage une énergie folle dont le chant mi-passionné mi-hurlé d’Itarya Rosenberg n’est pas le seul atout. Là on a vraiment l’impression d’une masse compacte et d’une musique en constante ébullition qui ne se refusera aucun coup de dents ni aucun coup de griffes, avec la farouche certitude de faire mouche, réglant tout éventuel problème d’hésitation. Rid Of Me va droit au but mais avec le souci parfait de bien marquer les esprits.

Depuis Summer Rid Of Me a enregistré une seconde cassette intitulée Broke Shit Demos avec une jam et deux nouvelles compositions qui devraient se retrouver sur le premier album que le groupe est en train de finaliser actuellement. Détail important : Rid Of Me joue désormais à quatre avec l’adjonction d’un second guitariste, Ruben Polo, encore un type avec un CV de malade mais je n’en dirai pas plus… who cares ?

[Summer est publié sous la forme d’un 12’ qui tourne en 45 tours et limité à 150 exemplaires numérotés par Knife Hits records et The Ghost Is Clear records]   

 

* et d’ailleurs les gars, il me semble qu’au début de l’été 2018 Plaque Marks avait commencé à mettre en boite quelques pistes pour un futur premier album… et depuis plus rien (?)



samedi 2 janvier 2021

Comme à la radio : Flennen n° 10


 


 

Je n’avais vraiment jamais entendu parler de Flennen tout comme je n’avais jamais entendu parler de tous les groupes figurant sur la cassette-compilation que le label de Berlin vient tout juste de publier. A une exception près : on trouve sur ce dixième volume un nouveau titre d’un groupe passionnant et tout aussi berlinois du nom de Pigeon, quatre jeunes gens dont les enregistrements sont toujours très prisés par ici. Je vais même affirmer que ce Mute d’à peine deux minutes et demi est sans doute ce que Pigeon a enregistré de plus nerveux et de plus fracassant. Un titre de post punk abrasif qui ridiculisera tous les petits minets retro-nostalgiques qui pensent avoir inventé la machine à remonter le temps.

 

 

Mais comme on peut le voir et l’écouter ci-dessus, Pigeon est accompagné d’une pléthore d’autres formations œuvrant essentiellement dans des musiques sombres et/ou tendues, largement inspirées par le côté obscur des années 80. Il y a vraiment de quoi faire avec trente groupes au total – quand même – dont beaucoup chantent en allemand, ce qui est toujours un plus non négligeable dès qu’il s’agit d’avoir peur et d’avoir froid.

Je reconnais que tout est très loin d’être inoubliable mais il est quand même difficile de ne pas trouver son compte au milieu de tout ce foisonnement bordélique de punk, post punk, new wave et même synth wave, sans oublier quelques trucs complètement indéfinissables (comme du rap expé et de la funk dadaïste, ahem)... Enfin, et ce n’est pas l’information la moins importante au sujet de Flennen n° 10, cette compilation est vendue en soutien aux victimes de violences policières à caractère raciste en Allemagne. Là-bas comme ici il y a vraiment de quoi faire.

 

vendredi 1 janvier 2021

[chronique express] Barren Womb / Lizard Lounge



 

Je vais mal commencer cette année et j’en suis le premier désolé. Mais cela fait quelques mois maintenant que je m’échine à trouver quelques mots gentils et aimables à écrire à propos de Lizard Lounge, le quatrième album publié par les Norvégiens de Barren Womb en mai 2020. Mais je n’y arrive pas. J’ai beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, j’ai beau à chaque fois me sentir plein d’exaltation à l’écoute des deux ou trois premiers titres de cet album, invariablement le soufflet retombe, l’ennui débarque rapidement et – encore pire – l’agacement et un certain rejet (oui…) lui font place.
Il y a quelque chose qui ne fonctionne vraiment pas avec ce disque, peut-être la volonté de trop bien faire et de trop ripoliner la musique du groupe, lui faisant perdre beaucoup de sa sauvagerie comme de sa singularité. Lizard Lounge n’est pas un mauvais disque et Barren Womb n’est pas un mauvais groupe mais je suis bien obligé d’admettre que pour cette fois ni l’un ni l’autre ne me parlent ni ne me séduisent sans que j’arrive de mon côté à comprendre et à réellement expliquer pourquoi. Une vraie gueule de bois sans avoir picolé.