Le coup du petit
gars tout seul dans son coin qui fait un one man band à l’aide de tout un
dispositif bidouillé à partir de pédales d’effets, de samplers et d’autres
trucs encore dont je n’ai pas la moindre idée, on nous l’a déjà fait mille
fois. Tu sais bien : un batteur plus ou moins frappadingue (ou poète…) installé
derrière ses fûts avec un micro attaché (ou pas) devant la gueule par un
masque, un harnais ou un simple pied et qui en même temps balance des sons pour
donner corps à des compositions des fois bien troussées ou bordéliques et
hallucinées. Il y en a eu des tas et sûrement que ce n’est pas fini, on peut
citer l’ex-lyonnais et presque suédois Sheik Anorak dans un genre cette fois
plutôt pop mais aussi Black Pus c’est-à-dire Brian Chippendale de Lightning
Bolt tentant sans y arriver de récréer tout seul le chaos irisé de son groupe
d’origine. Il y a Octopoulpe également, qui lui complique le bousin en
rajoutant des vidéos qui se déclenchent simultanément à ses parties samplées.
La plupart du temps tous ces bande-tout-seul sont bien rigolos à voir en
concert – ça transpire et ça glaviotte comme au bon vieux temps – mais comme
toute performance qui se respecte et qui respecte son public il ne faut pas que
cela dure trop longtemps. Et surtout sur disque c’est souvent inintéressant
voir carrément chiatique. Mais on trouve quelques exceptions telles que le déjà
cité Sheik Anorak (c’est lui le poète du genre solitaire) et, complètement à
l’opposé, il y a le furieux REPTOID.
Reptoid
c’est donc un certain Jordan Sobolew et uniquement lui*. Il nous vient
d’Oakland en Californie et Worship False
Gods est son tout premier album. Il trimbale dans ses valises tout un arsenal
de pédales, de pads et de mixettes qu’il manie entre deux coups de caisse
claire et deux bombardements de kick. Une grosse installation
pour des concerts bien éruptifs.
Le premier truc que l’on remarque chez Reptoid c’est le côté très percussif et très tribal de sa
musique, aux frontières de l’industriel ou plutôt aux frontières d’un noise-rock
qui au lieu d’être basiquement axé sur des guitares qui dérapent et des basses
qui terrassent ferait appel à des polyrythmies en cascades enrobant une
multitude de sons complètement barrés – parfois on croit reconnaitre une
guitare samplée** mais rien n’est moins sûr –, de nappages bruitistes et
d’interventions éclair de crissements synthétiques et bruitistes. Ça fait un
sacré barouf mais un barouf toujours délimité par la batterie et les
percussions incessantes et omniprésentes et un barouf au dessus duquel surnage
le chant de Jordan Sobolew qui n’a pas besoin d’effets supplémentaires sur sa
voix et autres subterfuges pour nous faire peur avec. Non seulement ce petit
gars est un batteur infatigable et un lanceur de samples aguerri mais en plus
c’est un bon chanteur, avec une super voix.
Une voix qui
souvent me fait penser à Tod A et – logiquement – Reptoid rejoint le Cop Shoot Cop des débuts et même parfois
certains trucs à la Foetus / J.G. Thirlwell, ce genre de mélange d’éléments
industriels et d’éléments plus conventionnels. C’est dire si la musique de Reptoid
se tient et si Sobalew est un vrai compositeur et un véritable auteur*** (comme
on dit de par chez nous). Un orfèvre en matière d’arrachage et de foutraquage.
Sa musique dépasse largement le gimmick sensationnaliste du one man band
explosif qui fera écarquiller des yeux et des oreilles les puceaux et les
pucelles du bruit savant en recherche de sensations fortes. Avec Worship False Gods Reptoid nous présente un bourbier incandescent et furieux que l’on
est pas prêt d’oublier et Jordan Sobolew se révèle être déjà une sacrée
personnalité. Et en plus ce type développe une incroyable passion pour les pizzas.
J’en reprendrai bien une tranche et Worship False Gods est l'une meilleure découverte de l’année 2020, haut
la main.
[Worship False Gods est publié en
vinyle avec une pochette gatefold d’un goût délicieusement douteux et très
explicite**** par Learning Curve records]
* une seule
exception pour l’instrumental Cerebral
Wall, plus tribal que jamais avec sa doublette de batterie, la seconde
étant tenue par Max Senna du groupe Facet
** certains de ces
samples ont été fournis par des guitaristes invités pour les titres You Have Already Been Compromised et le
terrible I Drunk The Punch
*** un auteur qui n’a pas honte de ses textes, reproduits à l’intérieur de la
pochette et qui méritent d’être lus
**** toutes les
photos ont été réalisées par Christopher Sturm