Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

vendredi 30 août 2019

Pylone / Silence


Le temps n’existe pas. C’est très exactement la première chose à laquelle j’ai pensé en découvrant Silence, le deuxième album des toulousains de PYLONE. Sur le moment j’ai tenté (non sans mal) de me rappeler de quand pouvait bien dater Things That Are Better Left Unspoken, le premier LP du groupe, parce que je n’y voyais que du feu : à l’écoute de Silence j’identifiais sans aucun problème et reconnaissais parfaitement toute la musique du groupe, sa couleur, son odeur, le travail des guitares, l’appui de la section rythmique, ce sens de la tension et de l’émotion, le chant très présent et l’importance des textes… comme si rien n’avait changé et que les deux disques étaient frères jumeaux.
Alors j’ai du vérifier un peu plus précisément la distance entre mes souvenirs personnels et ce retour de réalité. Things That Are Better Left Unspoken a été publié au début de l’été 2013. Et je me suis totalement retrouvé dans ce que j’avais écrit à son sujet à une époque pas si lointaine que cela – une autre vie, aussi semblable et pourtant aussi différente que possible de la vie actuelle. Cela aurait pu être une sorte de leçon vaguement existentielle pour moi : il y a des choses qui restent, qui semblent ne pas changer, que l’on retrouve avec le même bonheur. Mais je n’aime pas quand tout est aussi simple et je suis à peu près sûr que du côté de Pylone on pense à peu près la même chose. Cette introduction laborieuse n’a ainsi qu’un seul but : dire que finalement bonnes et mauvaises choses du passé font exactement le même boulot sur nous même si on privilégie les premières et que l’on occulte les secondes, comme si le temps n’existait pas, donc, et qu’on lui préférait la nostalgie. Pourtant Silence représente bien le présent de Pylone. Et de nostalgie je n’en sens absolument aucune dans ce disque.




La pertinence des propos du groupe est primordiale. Je veux ici parler des textes de Silence, souvent et même plus que précédemment en français, qui abordent des sujets aussi importants que le consumérisme absurde et destructeur ou l’exclusion sociale. La misère, le doute et la colère. La recherche de soi. Le questionnement, toujours. Dans Pylone presque tout le monde écrit : en premier lieu Julien, guitariste et chanteur principal du groupe mais également Matthieu (l’autre guitariste) et Nadège, bassiste, pour un Drop dont elle assure elle-même l’interprétation. Mais le groupe a également choisi de mettre en musique les textes d’auteurs tels que François Cavanna (le très puissant Masses), Charles Bukowski (l’impitoyable Trashcan) et John Fante (le très émouvant Lézarde). Et bien que Pylone joue une musique que j’apprécie tout particulièrement et pouvant être rattachée à toute la mouvance noise-rock mais également emocore – dans le sens fugazien du terme – je me sens bien obligé d’affirmer que Pylone est définitivement un groupe à textes et fier de l’être. Quelle idée alors d’intituler son disque Silence lorsqu’on a tellement de choses à dire et surtout lorsqu’on arrive à les dire aussi bien ? Pour s’excuser d’avoir attendu autant de temps entre la sortie des deux albums ? Je crois plutôt que ce « silence » est à prendre à contre-emploi et qu’il affirme plutôt : non, ne nous taisons pas ! 
Dans ces conditions la musique du groupe me semble elle aussi plus tendue que jamais. L’enregistrement, le mixage et le mastering ont été assurés par Benoit Courribet / Cylens (sic) et cela s’entend ; la basse est ultra massive sans tout écraser, les guitares peuvent indifféremment jouer la carte de la finesse et de la puissance, la batterie claque et le chant, proche du mode parlé, est mis en avant sans pour autant prendre toute la place, ce qui est on ne peut plus logique vu l’importance des textes. L’équilibre sonore sur Silence est souvent parfait et lorsque la musique de Pylone s’emballe (la dernière partie de Masses par exemple) c’est avec une justesse rarement égalée ailleurs, à mi chemin entre nécessité de l’efficacité et pertinence (rien n’est fait gratuitement). Silence donne ainsi à écouter une collection de dix chansons dont aucune ne démérite des autres. Chacune possède son identité propre – chez Pylone on sait composer et cela s’entend – tout en s’inscrivant dans un tout cohérent qui a permis au deuxième album du groupe de se hisser au rang des meilleures parutions de l’année dernière.

[Silence a été publié en novembre 2018 et en vinyle rouge par A Tant Rêver Du Roi, Bruisson, Gabu Asso, Kerviniou recordz et Rejuvenation records]  

mercredi 28 août 2019

Comme à la radio : Mésange






C’est tout à fait par hasard et suite à une belle rencontre que j’ai pour la première fois entendu parler de MÉSANGE. Pourtant le groupe fondé par Agathe Max et Luke Mawdsley ne date pas vraiment d’hier et a même déjà publié deux albums entre lesquels mon petit épiderme affectif n’arrive pas toujours à choisir. 





Heliotrope date de 2017 et me semble être l’album le plus classique et le plus balisé de Mésange. Mais il n’en est pas moins beau. Seulement les climats et atmosphères qu’il distille sont encore un peu trop colorés par le post rock romantique et brumeux hérité d’un Godspeed You! Black Emperor. Quelques rares percussions rappellent à l’occasion que Mésange pourrait être un groupe de rock instrumental et mélancolique… Mais pas que, comme le duo arrivera à le démontrer par la suite.






Gypsy Moth (2018) a beau être plus court que son prédécesseur, il est plus dense, plus palpitant et plus ambient. Notamment la guitare a tendance à s’y épaissir, les sonorités deviennent plus fantomatiques (le génial Stars est tout simplement une ode sucrée à l’étrangeté) et il devient de plus en plus difficile de ranger Mésange dans la catégorie fourre-tout des groupes de post-rock bien que sa musique ait en même temps fortement gagné en pouvoir cinématographique. Je sens même comme une certaine exubérance derrière toute cette lenteur en clair-obscur définitivement débarrassée de tout faux empèsement : le groupe crée son propre cérémonial, entre volutes magiques et étrangetés narratives. Parmi toutes les surprises que nous réserve Gypsy Moth il y a Foe sur lequel on peut entendre la voix d’Agathe Max. Quant aux emblématiques The Return et Smile, voilà deux compositions teintées de relents doom et sombres du meilleur effet.

Alors vivement un troisième album et, pourquoi pas, une série de concerts de ce côté ci de la planète (merci !).

[Heliotrope et Gypsy Moth sont publiés en vinyle par God Unknown records

lundi 26 août 2019

Thomas Le Corre / Finished






Il y a plusieurs façons de parler de la musique de THOMAS LE CORRE. J’ai donc choisi de commencer par la pire de toutes : Thomas joue exclusivement de la guitare acoustique. Ou plutôt des guitares acoustiques puisqu’il en joue de toutes les tailles et de toutes les tonalités : de la plus grande à la plus petite, de la plus grave à la plus aigue. J’ai longtemps pensé que les enfants traumatisés par des parents qui tenaient absolument à ce que leur progéniture fasse de la musique se divisaient en deux camps. D’un côté celles et ceux sous le joug du piano et de la méthode Hanon ; de l’autre celles et ceux qui s’arrachaient le bout des doigts sur les cordes d’une guitare sèche. Et je ne parle même pas de ceux qui comme moi avait un père guitariste de gauche et une mère fanatique de piano centriste – ce fut la double peine, jusqu’à l’adolescence rebelle.
Donc la guitare acoustique c’est chiant. Connoté. Pénible. Inutilement virtuose. Associé à des musiques dont je ne veux même pas entendre parler : flamenco et autres latineries ensoleillées ou chanson française engagée de babloches. Et puis avec le temps on découvre et on apprend qu’il y a des exceptions. Les compositions merveilleuses et pacifiques de Lou Harrisson par exemple. La musique de Thomas en est une autre.

Finished est le premier album solo de Thomas Le Corre. Des années qu’il doit le trainer derrière lui, à jouer et rejouer inlassablement ses propres compositions ainsi que celles des autres. Je me rappelle même qu’à défaut de sortir un enregistrement Thomas avait publié il y a quelques années une partition intitulée Guitar Trio N°1 avec cette indication : « le tout n’est pas toujours égal à la somme des parties ». Chaque partie de ce trio pouvait indifféremment être jouée seule, par deux ou par trois, ce qui était source de surprises et de trouvailles, d’accidents ou de merveilles… toute une poétique (si on entend par là que la poétique est la science finalement incontrôlable de la création en matière de poésie). Il a donc mis le temps Thomas avant de donner naissance à Finished, dont le titre résonne comme un accomplissement, certes non forcé, à la fois épidermique et pudique. Il faut dire qu’avec son groupe Møller-Plesset il nous a depuis longtemps habitués à la rareté. Pas grave : avec Thomas Le Corre beauté et poésie font oublier tout le reste. Y compris l’attente, cette composante harassante de l’existence.

La délicatesse est l’un des maîtres mots de Finished. Mais il s’agit d’une délicatesse tendue, exigeante et retentissant d’innombrables échos. Entre berceuses, balades et escapades aux sonorités baignées tour à tour par le soleil du matin, le vent du sud, les parfums d’Extrême-Orient, l’étendue de plaines vallonnées, une marche funèbre en référence à Eric Satie, la corde la plus grave qui vibre telle une respiration profonde, des arpèges qui montent en frêle cathédrale, des petits bruits de musique éparts mais unis comme les galets d’une plage venteuse. Des émois solitaires à partager.
Il est difficile de ne pas se laisser aller à la rêverie en écoutant Finished. Impossible même de refuser ces petits instantanés de bonheur fragiles – moi qui suis très souvent amateur de grosses guitares j’en ai vraiment pris pour une belle fraction d’éternité –, difficile de ne pas sentir la poussée des sentiments exprimés (le sublime Shot Twice). Ou alors c’est que l’on n’a pas de cœur. Ou que l’on n’a plus le cœur qu’il faut, celui qui continue de palpiter, même arraché de la poitrine et brandi en guise d’offrande par une main tendue.

Dernière petite surprise… avec le disque est joint un coupon de téléchargement qui permet de se procurer Finished au format wave auprès du label In My Bed : à la fin du fichier téléchargé se trouve une piste bonus supplémentaire, une reprise de Boys Don’t Cry des Cure. Les garçons ne pleurent pas… la preuve que si. Merci Thomas.

[Finished est publié en vinyle par In My Bed]

vendredi 23 août 2019

Comme à la radio : Tout Bleu






TOUT BLEU est au départ le projet solo de la multi-instrumentiste, compositrice et auteure Simone Aubert, ex J’m’en fous, guitariste de Massicot et chanteuse / batteuse dans Hyperculte. Je suis un peu passé à côté de son beau premier disque éponyme, un objet sonore intrigant publié au mois d’octobre 2018 par Bongo Joe records, tout comme j’avais fait l’impasse sur le concert lyonnais de Tout Bleu à Grrrnd Zero à peu près à la même époque. Cette chronique lapidaire est donc une séance de rattrapage.







Tout Bleu présente une sorte de dark wave expérimentale, hantée et incantatoire sur fond de nappes sonores, d’incursions de violon et de percussions discrètes. Mais le terme de « dark wave » me dérange toujours un peu parce qu’on ne retrouve rien ici de sombrement caricatural ni de volontairement théâtral. Le bon côté des années 80’s est malgré tout présent (je pense en particulier à Sorcière et à All The Matters) mais Tout Bleu lorgne bien plus vers la décennie précédente avec son côté chamanique et ensorcelant. Le chant peut parfois faire penser à celui d’une Brigitte Fontaine toujours pas redescendue d’un train omnibus transpyrénéen ou même à celui d’une Catherine Ribeiro éternellement dans les nuages.

Pour ce premier disque enregistré à partir de deux sessions live Simone Aubert a été épaulée par le producteur / arrangeur POL ainsi que par le violon d’Agathe Max (que l’on ne présente plus…) et les percussions de Nicholas Stücklin. Tout Bleu reste quoi qu’il arrive le projet de Simone mais c’est cette formule en trio que l’on peut retrouver en concert. Et comme le hasard fait bien les choses Tout Bleu effectuera une nouvelle date lyonnaise le 27 septembre au Périscope. Cela me fera une deuxième occasion de me rattraper.

[Tout Bleu est publié en vinyle bleu (évidemment) par Bongo Joe records]

mercredi 21 août 2019

Papivores / Death And Spring


J’ai pris de mauvaises habitudes avec le label Hands In The Dark. Sous prétexte que je ne trouve jamais rien de très cohérent ni de très intéressant à dire ou à écrire au sujet des parutions de ce label plus que recommandable. Pourtant non seulement Hands In The Dark publie énormément de disques – pour un petit label DIY spécialisé dans les musiques expérimentales – mais en plus ceux-ci me tapent régulièrement dans l’oreille (et au cœur). Alors à chaque fois je me contente de parler de ceux qui me plaisent le plus dans la rubrique « comme à la radio » de cette gazette internet : cela signifie que je balance deux ou trois phrases gnagnagna illustrées par un lecteur intégré diffusant les disques en question* – écoute donc par toi-même camarade et démerde-toi avec ça.
Sans doute m’est il plus facile de déblatérer au sujet d’un groupe qui joue toutes guitares dehors et se vautre compulsivement dans l’électricité ou de digresser à propos d’un groupe de free jazz en roue libre que d’arriver à exprimer facilement ou au moins à peu près clairement toutes les sensations (couleurs, formes, odeurs, mouvements, etc.) que provoquent souvent chez moi nombre de disques publiés par Hands in The Dark. Plus la beauté est saisissante et plus il est difficile de la saisir avec des mots. Mais je vais tenter de faire une exception avec le disque de Papivores.




PAPIVORES est un duo composé de la violoniste Agathe Max et de Tom Relleen. La première poursuit de plus belle sa riche histoire musicale que ce soit en solo, Rêves Perdus a récemment été évoqué ici, qu’au travers de nombreuses collaborations, je pense bien sûr à Kuro en compagnie de Gareth Turner mais Agathe Max a également monté Mésange aux côtés du guitariste Luke Mawdsley, un autre duo dont vous me direz des nouvelles (il s’agit tout simplement de l’un des plus beaux projets actuels de la musicienne). Le second joue de la basse et de la bidouille variée au sein de The Oscillation et, bien sûr, de Tomaga. Je dois dire que l’idée d’une association entre ces deux là est déjà très excitante sur le papier mais que dans les faits Death And Spring est un album aussi magique et onirique que ce que l’on pouvait espérer.
Death And Spring doit son titre au roman La mort I La Primavera de l’auteure catalane Mercè Rodoreda. Je ne vais pas prétendre connaitre celle-ci – ce serait mentir effrontément – mais ce que j’ai appris depuis au sujet de son livre est intrigant puisque la romancière y aurait consacré les vingt dernières années de sa vie et qu’il s’agit de son ultime écrit. Sans doute inachevé, La mort I La Primavera est une sorte de récit poétique et métaphorique… Évidemment je ne l’ai pas lu** mais je crois comprendre ce qui a poussé les deux Papivores à tirer leur inspiration d’un tel livre : la musique composée pour Death And Spring est chargée d’images et de sensations, les idées et les sonorités se croisant sans cesse dans un fourmillement collaboratif ouvrant sur de multiples univers parallèles, l’écoute du disque nous offrant de voyager dans un espace-temps non fini, aux multiples reflets et multiples circonvolutions. Par exemple Heard By Stones semble formé de gouttes de pluie dispersées par un gamelan de percussions boisées et de pizzicati au violon. Forest Wisps (les « feux follets de la forêt ») évoque la course-poursuite amoureuse de créatures minuscules sous un tapis de feuilles mortes, slalomant entre petits cailloux pointus et coques desséchées de fruits abandonnés. The Prisoner’s Dream ressemble aux bourdonnements et résonnances que feraient les mécanismes d’une vieille machine dont l’usage a été oublié de tous. Murmurations Temporelles est comme la bande son / réminiscence d’une fête terminée depuis longtemps alors qu’il reste encore quelques invités qui ne peuvent pas partir, prisonniers de leur désirs inassouvis.
Pourpre Reflets Glace reste le moment le plus énigmatique et le plus beau de Death And Spring. Véritable cœur battant du disque, cette longue pièce de près de quatorze minutes est tel un secret à l’intérieur d’un autre secret : on s’y retrouve plongé et rapidement enseveli dans un lent tourbillon à contresens et peuplé (encore une fois) de spectres et d’esprits aux caresses de velours et aux pensées insistantes. Papivores y montre une certaine douceur mais absolument aucune légèreté : dans le monde hanté de 
Pourpre Reflets Glace (et plus généralement dans tous ceux évoqués dans Death And Spring) les âmes errantes peuvent cohabiter sans problème, peut-être ont-elles tenté de faire la paix mais il leur reste toujours quelque chose à régler avec elles-mêmes, faute de silence et de repos véritable.

[Death And Spring est publié en vinyle par Hands In The Dark]

** mais désormais j’en ai très envie

lundi 19 août 2019

HorsT Du Noch + Isaac Rother & The Phantoms + Carriegoss @Bimbo [17/08/2019]






Je ne pensais pas refaire un concert de sitôt mais celui-ci est tombé à point nommé pour me sortir de ma torpeur estivale. En plein milieu d’un mois d’août lyonnais tristounet Stridulation organisait au Bimbo une affiche aussi éclectique que possible avec, par ordre d’apparition : HorsT Du Noch (reprises de chansons d’amour, des Beach Boys à Ride en passant par Depeche Mode, Hubert-Félix Thiéfaine, les Cramps et Elvis Presley), Isaac Rother & the Phantoms (rockn’n’roll sauvage et soulfull) et Carriegoss (pop electro-dance). Quel que soit le groupe ou musicien qui jouait tout le monde dans le public a dansé à un moment ou un autre, sans oublier les ballons gonflables qui volaient (presque) tout seuls dans la salle du Bimbo.

[plus de photos par ici]




















































vendredi 16 août 2019

[chronique express] Endless Floods / Circle The Gold




Ce troisième album d’Endless Floods est une réelle déception et ce pour deux raisons : la première c’est qu’ayant appris que le bassiste de Monarch (mais également désormais un membre de Year Of No Light) jouait dans ce groupe, je m’attendais à quelque chose d’un peu plus personnel or le doom mâtiné de passages atmosphériques voire post hardcore de Endless Floods enfile les poncifs et les clichés à la vitesse d’un sénateur ventripotent votant une énième réforme constitutionnelle – sans compter le chant faussement king-buzzien que je trouve très difficilement supportable ; la seconde c’est que ce disque m’a été offert par une personne proche et qui pensait me faire réellement plaisir, cette personne s’est donc trompée… moralité il ne faut jamais m’offrir de disque*.

* mais des livres, oui, bien sûr


mercredi 14 août 2019

Terminal Cheesecake / Le Sacre Du Lièvre


Le sujet Terminal Cheesecake me semble quasiment inépuisable. D’ailleurs je t’en ai parlé il n’y a pas si longtemps que cela au sujet de la contribution des anglais au troisième volume de la série In Search Of Highs qu’à partir d’un moment donné j’ai fini par écouter bien plus souvent que Le Sacre Du Lièvre, quelque chose comme le huitième album studio du groupe (et le deuxième depuis sa reformation en 2013 mais je crois que je t’ai déjà raconté cette histoire). Maintenant je me demande bien pourquoi. Ou plutôt j’ai ma petite idée : les deux titres proposé par Terminal Cheesecake sur In Search Of Highs sont d’apparence bien plus expérimentaux et tourneboulés que ceux figurant sur le dernier album.
J’ai toujours aimé le côté perché des anglais, lorsqu’ils ont changé de section rythmique et commencé à mettre des grosses doses de dub dans leur musique c’est-à-dire à partir du génial Angels in Pigtails (1990) et du plus exigeant Pearlesque Kings Of The Jewmost (1992). Mais depuis de nombreuses années c’est systématiquement King Of All Spaceheads (1994) que je réécoute inlassablement, cet ultime album de la première période du groupe combinant ce qu’à mes yeux et mes oreilles les Terminal Cheesecake ont su faire de mieux : de la musique de drogués, à la fois lourde et expérimentale, complètement barrée – petite remarque au passage : une belle réédition de ce chef-d’œuvre s’impose ! Et donc voilà… sans atteindre les sommets de King Of All Spaceheads la contribution de Terminal Cheesecake à In Search Of Highs en possède quelques petits relents et comme je suis un être de chair et de sang infiniment faible il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour que je me persuade trop facilement que ces deux titres étaient bien supérieurs à tous ceux du Sacre Du Lièvre. Une explication tellement simpliste et en même temps tellement alambiquée… qui fait de moi une personne tellement prévisible.





Il est vrai que les sept compositions figurant sur Le Sacre Du Lièvre sont globalement terriblement heavy. En récupérant son premier batteur historique (John Jabbagy, il joue sur les disques de la période Wiija records soit sur Johnny Town-Mouse en 1988 et sur V.C.L. en 1989) et surtout en récupérant Dave Cochrane au poste de bassiste TERMINAL CHEESECAKE s’est doté d’une section rythmique aussi massive qu’implacable et cela s’entend. Une section rythmique encore plus énorme que celle formée par G.C Green et Ted Parsons à l’époque où Godflesh voulait un peu s’essayer à autre chose. La basse a toujours été primordiale dans la musique de Terminal Cheesecake mais ne demandez pas à Dave Cochrane de jouer des lignes dubisantes, il ne saurait tout simplement pas le faire (à la différence de son prédécesseur Steve Fez), lui sont truc c’est le massif – ce qui ne l’empêche pas de distiller un groove certain, comme il a déjà pu le faire au sein de God et surtout de Ice.
Il en résulte que Le Sacre Du Lièvre est un album charpenté comme un golgoth en plutonium transgénique : Wipey’s Revenge et sa ligne de basse introductive annoncent clairement la couleur d’un disque placé sous le signe de la lourdeur déglinguée. Pourtant aux premières écoutes Le Sacre Du Lièvre a l’air de singulièrement manquer de cohésion. Les compositions se suivent et ne se ressemblent pas – ça c’est plutôt un bon point – mais disons que les enchainements entre chaque titre semblent souvent hasardeux et peut-être même douteux. Pris séparément, aucune plage de l’album ne démérite jamais (certaines sont juste meilleures que d’autres) mais prises dans leur ensemble, elles forment comme un gros sac de bordel sonore dégueulant de guitares vrillantes, de rythmiques bétonnées, de vocaux hallucinés – et parfois colériques – et d’expérimentations diverses.
Alors il faut plusieurs écoutes pour se rendre compte qu’un South Sea Wall (tendance reptile rampant) ou qu’un Bull Of The Woods (tendance gros boucan dans la canalisation d’un chiotte bouché) ne sont pas là pour faire du remplissage. Terminal Cheesecake est uniquement un groupe qui fourmille d’idées. Mais finalement il en a toujours été ainsi avec les anglais… je vais revenir une dernière fois sur King Of All Spaceheads : je me rappelle très bien de ma première écoute de ce disque et je n’y comprenais rien, il m’a fallu du temps avant de me rendre compte qu’il s’agissait de l’un des meilleurs albums du groupe. Aujourd’hui, en 2019, Le Sacre Du Lièvre est bien le successeur attendu d’une discographie exemplaire. Il s’agit juste d’un disque indomptable, imprévisible et sauvage qui demande quelques efforts supplémentaires. Et Le Sacre Du Lièvre est bien ce grand disque de Terminal Cheesecake que j’espérais encore, un disque entre furie, saturation, bidouilles insensées, éructations et explosions à tous les étages. Hop, encore un disque qui finira au top de cette année 2019.

[Le Sacre Du Lièvre est publié en vinyle violet transparent par Box records]

lundi 12 août 2019

Deliluh / Oath Of Intent


J’ai un peu la flemme en ce moment mais j’ai quand même souvent envie d’écrire quelque chose, écrire sur la musique. Alors j’ai cherché dans tout mon bordel à disques un 7’ qui pourrait faire l’affaire, c’est-à-dire un petit disque avec uniquement deux chansons (maximum trois) et dont je pourrais parler très rapidement, vite fait bien fait, avant de retourner sur une plage de cailloux et me baigner (l’eau est à 17° et tu ne peux pas savoir à quel point j’aime ça). Et puis je n’ai pas trouvé de 7’ ou de single qui aurait fait l’affaire. J’ai du me rabattre sur le disque le plus court – en durée – qui trainait sur mes étagères. Ce disque c’est Oath Of Intent de DELILUH et cela tombe bien parce que j’avais vaguement prévu d’en parler un jour : ce groupe originaire de Toronto/Canada m’avait proprement scotché en première partie d’un Housewives ce soir là particulièrement complaisant. Ce qui me pose une nouvel fois l’éternel problème – qui certes n’en est pas réellement un – entre le ressenti d’un concert et celui d’un disque, découvert et écouté après coup. 




N’y allons pas par quatre chemins : ce mini album – qui contrairement à ce que je pensais au départ ne s’intitule absolument pas Freeloader Feast – n’est pas tout à fait à la hauteur de mes souvenirs de ce 15 mai 2015 à Grrrnd Zero ; mais il n’empêche que Oath Of Intent reste un très bon disque, intrigant et personnel. La surprise est donc moindre mais cela reste une surprise : en concert Deliluh avait démontré qu’il est un groupe totalement inclassable et en fait Oath Of Intent opère exactement la même démonstration, plaçant les quatre de Toronto bien à part sur la carte des groupes à forte tendance noisy / post punk / whatever.
Il semble qu’au départ Deliluh était principalement la créature de Kyle Knapp. Il joue de la guitare, du saxophone et il chante, invitant moult musiciens à l’occasion. Ce n’est qu’à partir du premier album Day Catcher que le groupe s’est stabilisé autour d’une formation à quatre : deux guitares, une basse, une batterie et du chant (plus, donc, du saxophone, un peu de bidouille et quelques instruments additionnels). Day Catcher, réédité en 2018 par Hand Drawn Dracula, est influencé par la nonchalance très 90’s et parfois un brin mélancolique de groupes tels que Pavement / Silver Jews mais on y sent aussi la douceur piégée d’un Velvet Underground.
Oath Of Intent est différent puisque le groupe ne s’y cantonne pas à un ou deux seuls registres mais élargit sa palette de couleurs et de formes en se montrant plus insistant, empruntant quelques accents acides à la The Fall ou, bien au contraire, développant des climats atmosphériques où les notions de nappes sonores et d’expérimentations prennent le dessus. Mais quoi qu’il arrive Deliluh ne perd jamais de vue qu’il reste un groupe de « rock » et qu’il compose des chansons accrocheuses, avec un fort pouvoir mélodique doublé d’un sens certain de la tension électrique. Freeloader Feast sonne ainsi comme du kraut entre sonorités très 80’s (les lignes de basse) et une énergie beaucoup plus 90’s, ce qui donne un tube énergique et peut-être bien la meilleure composition du disque. Le chant y est en mode narratif et les paroles sont très touffues : Deliluh nous raconte une histoire.
Les histoires c’est ce qui semble principalement motiver le groupe, y compris sur l’instrumental Oath Of Intent gorgé de saxophone et qui ouvre la première face. Voilà le générique parfait d’un enregistrement en forme de cinématographie (même l’artwork du disque pourrait rappeler un bout de pellicule 35 mm) qui explore autant d’atmosphères qu’il comporte de compositions. Factory Line surgit d’un brouillard urbain et angoissé tandis que Rabbit possède cette lenteur déguisée et ce supplément d’acidité maussade et noisy. Quant à Salford, il s’agit d’une chanson qui au départ renoue avec la concision formelle et l’efficacité narrative de Freeloader Feast sauf qu’elle dure plus de huit minutes, se montre convaincante sur ses passages instrumentaux et ses montées de tension pour s’achever dans une sorte de tourbillon sonique peut-être un peu trop timide – plus je l’écoute et plus je me dis que, paradoxalement, Salford aurait mérité de durer encore plus longtemps, pour jouer avec l’épuisement de l’auditeur. Si Oath Of Intent est réellement ce qu’il annonce être (on pourrait traduire ce titre par « déclaration d’intention »…) cela ne laisse augurer que du meilleur pour Deliluh. Un groupe qu’il me tarde vraiment de revoir en concert comme il me tarde de découvrir la suite de ses enregistrements. A bientôt.

[Oath Of Intent est publié en Europe par le label britannique Tin Angel records]

jeudi 8 août 2019

Hippie Diktat / Gran Sasso


A nouveau je me dis que je devrais en finir une bonne fois pour toute avec mes obsessions habituelles. Et là en plus je me dis que je devrais vraiment envisager de partir en vacances pour un endroit où il fait un peu frais voire même carrément froid et puis aussi carrément choisir un endroit où il peut pleuvoir d’une minute à l’autre – en fait je ne vois que la Bretagne qui puisse actuellement correspondre à de tels critères, genre du côté du Finistère ou des Côtes d’Armor, enfin bref… Arrêter de penser toujours à la musique, de ne parler que de musique et de ne vivre qu’à travers elle. Sinon je vais finir par me transformer en étagère à disques d’un modèle suédois low cost fort courant mais assez peu solide (ou, dans le pire des cas, je me transformerais en fichier mp3, ce qui ne serait pas totalement incompatible avec cette maigre existence virtuelle que je distille petit à petit au travers de cette gazette internet qui souvent me prend beaucoup plus de temps que je ne le voudrais).
Seulement voilà, je suis un obsédé. Et je repense souvent à ce concert qu’Hippie Diktat a donné il y a un tout petit mois au Périscope et que je ne parviens pas à me sortir de la tête. Sur le coup j’ai quand même réussi à déclarer à qui voulait bien m’entendre (et me lire) que ce concert d’Hippie Diktat était d’ores et déjà assuré d’atterrir en bonne place sur le podium gagnant de mes meilleurs souvenirs de concerts de l’année 2019. Et je le pense toujours. Maintenant, il y a également ce disque, c’est le troisième du groupe, qu’Hippie Diktat a publié à la fin de l’hiver : il s’appelle Gran Sasso, Gran Sasso étant le nom d’un massif montagneux situé au centre de l’Italie. Ce qui éclaire davantage sur la signification de l’artwork du disque mais pas totalement non plus : les photos de montagnes et de blocs rocheux sur les recto et verso de la pochette ont en fait été prises en Chine et à Taiwan… Va comprendre…




… Il y a quelque chose d’inquiétant ou de menaçant dans ces illustrations. Quelque chose de noir et de rampant. Puis d’éclatant, dans le sens d’éclairé mais également d’explosif. Les contrastes entre noirs et blancs sont saisissants, quelques striures et cassures ont été rajoutées et derrière la désolation de ces paysages minéraux et accidentés on peut sans peine sentir toute la puissance chaotique d’une nature en plein mouvement. Une nature qui gronde, une nature qui se contorsionne doucement, dont le moindre tremblement engendre des accidents, des catastrophes, de nouvelles failles, des naissances. Une nature inflexible – il n’y a que l’être humain pour toujours penser qu’elle ne peut pas l’être –, une nature qui dicte ses lois, celles d’une réalité brutale et implacable, et une nature qui tire une grande partie de sa beauté de toute cette violence. Ce que je viens de décrire est ce que l’on appelle de la fascination, non ? En tous les cas j’éprouve de la fascination face à telles images. Et j’imagine que c’est exactement le même genre de fascination que l’on peut éprouver face à des eaux tumultueuses, des forêts millénaires balayées par la tempête d’un jour, des sommets montagneux (encore) qui se dressent jusqu’au ciel, des glaciers qui se fendent d’un coup en mille craquements réverbérés, un ciel d’étoiles inaccessibles qui dessinent des formes spectrales et des schémas mythologiques, les cris des animaux qui se mêlent aux crépitements de l’incendie qui les poursuit inlassablement, les fissures d’un lac de sel asséché par le soleil, le bruissement de la taïga au printemps.
Et telle est la musique d’HIPPIE DIKTAT sur Gran Sasso. Une musique qui s’apparente à des phénomènes naturels d’une brutalité et d’une beauté hypnotisantes. Jamais le groupe n’a sonné aussi grave – Antoine Viard joue du saxophone baryton tandis que le guitariste Richard Comte est accordé tellement bas qu’il déploie d’épaisses ondes que souvent on aurait du mal à qualifier de riffs – et va toujours plus loin dans les épanchements et les coulées de laves soniques. Lorsque en concert je regardais Julien Chamla jouer de la batterie, je me disais que ce garçon réussissait à lui tout seul quelque chose que presque personne n’ose réellement essayer ou même envisager : avec ses allures de métalleux ténébreux (mais barbare) il insuffle à Hippie Diktat toute la force motrice dont le groupe à besoin pour s’exprimer ; avec ses gestuelles de jazzman il lui apporte toutes les nuances et toutes les ouvertures dont le groupe a également besoin pour générer ces évènements et ces accidents sans lesquels la vie – ici la musique – ne serait pas ce qu’elle est. Sur Gran Sasso Hippie Diktat crée la confusion des genres entre free jazz, noise rock et doom, insistant parfois jusqu’à l’hypnose et un pointillisme respiratoire entre kraut sub-rythmique et musique minimale.
Mais ce qui me fascine toujours plus dans Gran Sasso ce sont toutes les aspérités qui prennent naissance le long de ses parois rocheuses. Ou les bulles sonores qui s’échappent de ses coulées de lave. Les tourbillons engendrés par différents courants contraires. Tout ce qui fait que derrière son côté monobloc et massif cette musique respire de mille et une façons. Cela me fascine – encore une fois – et cela m’émeut au plus au point parce que j’y sens toutes les palpitations d’une nature musicale et d’une vie indomptables mais tellement fortes et tellement belles. J’y sens comme un éveil, une envie, une volonté, un triomphe. Et une promesse. Une promesse qui nous délivre au lieu de nous enfermer.

[Gran Sasso est publié en CD et en vinyle par Carton records, le Collectif Coax, Nunc. et Poutrage records]