Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

jeudi 27 février 2020

V/A The Fall - A French Tribute


L’acte de naissance de Teenage Hate records remonte au 2 janvier 2014, date à laquelle le label basé entre Lyon et Vienne a officiellement publié sa toute première référence : un album tribute à Jay Reatard – le nom du label est d’ailleurs tiré de l’album Teenage Hate des Reatards. Autant dire que ce premier disque ne m’avait fait ni chaud ni froid, n’étant pas un inconditionnel de feu Jimmy Lee Lindsay Jr. ni de sa musique, que ce soit en groupe ou en solo (alors que dans cette grande ville magnifique et pétulante où j’habite beaucoup lui vouent un véritable culte). Je concède que certains titres de Jay Reatard ne me déplaisent absolument pas mais – encore cette vieille histoire de goûts et de couleurs – ce n’est tout simplement pas mon truc, un truc que cette fameuse compilation n’avait pas réussi à enjoliver.
Quelques années et quelques références consacrées à des groupes locaux* plus tard Teenage Hate records remet ça avec un autre tribute, cette fois-ci tournant autour de THE FALL. Et là ce n’est plus du tout la même histoire : dans mon cœur Mark E. Smith représente tout autre chose qu’un Jay Reatard et j’étais assez curieux de découvrir toutes ces nouvelles versions de chansons que j’adore. Malgré quelques détails qui choqueront toujours mon petit côté libertaire en carton-pâte (pourquoi cette appellation « a french tribute » ? qu’est ce que l’on en a à foutre qu’un groupe soit originaire de Saint-Brieuc ou de Brooklyn ?) The Fall - A French Tribute se révèlerait presque à la hauteur de l’enjeu. 

Mais passons... Comme pour l’hommage à Jay Reatard la pochette de ce nouveau disque est agrémentée d’une photo de Mark E. Smith (encore jeune, fort heureusement) signée R. Bellia. L’insert est doté d’un texte bien foutu et à certains moments plutôt hilarant, les notes du disque précisent de quels enregistrements de The Fall sont extraits les reprises proposées ici et l’objet a de l’allure.





Énumération. Il y a d’abord les groupes participants que je n’aime pas et dont les reprises ne me font aucun effet mais qui ne me défrisent pas non plus outre mesure : les MNNQNS sont aussi transparents que d’habitude, Cannibale est complètement insipide (alors que le groupe a pioché dans l’album Dragnet !), The Scaners épaulés par Xanthos Papanikolaou de Bazooka s’en sortent très moyennement sur Sparta FC (évidemment !) et Spitzer enfile les clichés sur L.A. de l’incontournable This Nation’s Saving Grace (1985)… – là on frise tout de même le gâchis. Ensuite viennent les groupes que je n’aime pas particulièrement mais qui pour une fois m’épatent un peu plus que d’ordinaire. Que dire de Frustration et de son post punk ultra gominé qui fait des merveilles sur Oh ! Brother, un titre moins connu puisque sorti en single par The Fall en 1984** ? Le Villejuif Underground crée également la surprise avec No Xmas For John Quays (de Live At The Witch Trial, le premier album jamais publié par The Fall en 1979) mais – car, oui, il est temps pour moi de mettre quelques « mais » dans cette chronique et de faire preuve d’un peu plus de mauvaise foi – ceci est sans doute du au fait que d’habitude Le Villejuif Underground devient insupportable à mes oreilles au-delà des quatre minutes (je n’ai jamais pu m’enfiler une face entière de ce groupe). 
De son côté Michel Cloup Duo casse la baraque et propose la meilleure contribution à cette compilation grâce à une adaptation – avec paroles en french, s’il vous plait – de Classical issu du génial album Hex Enduction Hour (1982) et explicitement rebaptisé Variations Autour d’un Classique : inventivité, rage, mauvais esprit absurde, cynisme et drôlerie… donc tout ce qui a pu faire le génie de The Fall, ou presque, et que le duo a parfaitement su se réapproprier. Je ne connaissais pas du tout We Hate You Please Die mais sur ce coup là le nom de ce groupe me semble particulièrement adapté pour une reprise de The Fall, en l’occurrence un Assume sec, teigneux mais accrocheur et du meilleur effet. Idem pour Vox Low et sa version de Big New Prinz, un single de 1988, certes moins fulgurante que la contribution de We Hate You Please Die. Ce pourrait être une petite déception mais j’ai décidé de pardonner à Dewaere*** dont la reprise du single Hit The North (1987) n’était peut-être pas le choix le plus judicieux – ou alors reprendre The Fall ne colle tout simplement pas avec la tonalité habituelle de Dewaere. Le groupe s’en sort malgré tout avec les honneurs et le résultat se tient, disons simplement qu’il peut beaucoup mieux faire. Enfin et comme d’habitude les deux Delacave*** frisent l’excellence en s’attaquant à Before The Moon Falls (sur Dragnet, en 1979), un titre qui par contre leur va comme un gant et qu’ils réussissent eux à honorer tout en lui offrant une saveur toute personnelle.

Fin de l’énumération. On aura compris que The Fall - A French Tribute est comme 99.9% des compilations et des tributes : une fausse bonne idée parce qu’un disque complètement inégal doté de quelques bonnes surprises et que l’on réécoutera uniquement par hasard, un jour ou l’autre, peut-être ou peut-être pas, en espérant être à nouveau surpris.

[The Fall - A French Tribute est publié en vinyle uniquement]

* citons The Hi-Lites ou Off Models, déjà chroniqués quelque part dans les pages de cette gazette
** à l’époque de l’album The Wonderful And Frightening World Of…, pour situer un peu mieux
*** Delacave comme Dewaere sont également chroniqués par ici

lundi 24 février 2020

Drive With A Dead Girl / Scorpion


J’ai lu quelque part – en fait tout le monde a déjà repris cette information – que Drive With A Dead Girl existe maintenant depuis douze ans et que Scorpion est le dixième album du groupe, un truc dans le genre… Mais je n’ai pas voulu vérifier. L’une des rares choses dont je sois par contre absolument certain c’est que Scorpion est le sixième album du groupe qu’il m’a été donné d’écouter, ce que j’ai entièrement et scrupuleusement fait. Et j’ai encore un truc à peu près objectif et totalement inintéressant à raconter : lorsque il y a quelques semaines je suis allé faire un tour chez l’un de mes disquaires lyonnais préférés j’ai eu la surprise de trouver ce disque de Drive With A Dead Girl en bonne position dans le bac des nouveautés et je l’ai aussitôt acheté. Sans trop réfléchir.
Voilà, maintenant cette chronique en a terminé avec le factuel. Même si j’ai envie de re-raconter cette vieille histoire, celle de ma « rencontre » avec la musique du groupe, comment celui-ci m’avait contacté il y a longtemps, comment il avait insisté pour que je me penche un peu sur son cas – comme si mon avis et mon ressenti avaient une quelconque valeur, hein – et comment j’avais fini par céder parce que je sentais bien que derrière ce nom un peu trop goth de Drive With A Dead Girl, derrière cette musique coincée entre une cold wave neurasthénique et un Sonic Youth tout juste pubère et encore maladroit, derrière ce chant dans une langue étrange, derrière le résultat indéniablement bancal il y avait quelque chose de… quelque chose de vraiment spécial et de singulier.
Quelque chose ? Beaucoup de choses, en fait. A commencer par ce sentiment d’inconfort et qui pourtant ne nous pousse pas à rejeter Drive With A Dead Girl. Difficile de dire mieux. A moins de parler d’inachevé comme seul critère d’achèvement, paradoxalement. Parce que je ne connais pas beaucoup de musiques douées pour relever autant de contradictions et même temps leur donner la cohérence de l’intime. Sais-tu ce qu’en anatomie on appelle un écorché ? Cette représentation du corps humain sans la peau mais qui en donne une idée précise ? Voilà. 




Si Drive With A Dead Girl veut faire du bruit il le fait, mais comme personne. Si le groupe préfère s’évanouir dans les brumes d’une mélancolie ouatée il le fait également comme personne. En fait Drive With A Dead Girl peut autant fasciner que désarçonner, ne cherche pas à plaire et à séduire à n’importe quel prix mais captive voire subjugue, malgré tout et contre tous, s’il le faut. La musique du groupe me fait penser à ces personnes que l’on ne peut pas s’empêcher de regarder parce qu’il y a quelque chose en elles qui nous troublent profondément et alors qu’elles semblent prêtes à tout pour au contraire ne pas se faire remarquer. Comme une beauté mystérieuse (mais pas fatale : la fatalité c’est beaucoup trop concret et beaucoup trop frontal comme expérience de vie) et insaisissable, comme un instant dont on se souviendra pour le restant de nos jours parce qu’il correspond à quelque chose d’unique et qu’il est synonyme de fulgurance comme de durabilité. Ce n’est pas la moindre des contradictions – encore – d’une musique et d’un groupe qui passe son temps à fuir et à s’affirmer en même temps. Appelons ça de l’infinitude, un espace/temps où rien ne s’achève puisque tout recommence. 
Scorpion dont on nous précise que l’on peut en écouter les deux faces dans l’ordre que l’on veut va encore plus loin dans ce sens. Celui de l’effacement et de l’affirmation. Les titres Scorpion et All Alone sont même à la limite de l’audible à force de passages répétés de la bande enregistrée* et se transforment en trip-hop fantasmagorique et noisy d’où émergent quelques éclats grésillants et brulants. Piquant ce scorpion-là ne l’est pas tant que cela, il semble plutôt désabusé et recroquevillé sur lui-même, sans constat d’échec ni amertume, uniquement avec la volonté et la force d’un univers bien à lui.
Ce qui constitue une dernière (?) contradiction. Passés les méandres et les brumes parfois apaisées de All Along, du presque surnaturel Dream On Doryphore, du délicatement fantomatique Totally Dry ou de Postcards apparait la lumière de Pick Up The Sun. Une ultime composition dont on pourrait croire qu’elle apporte un semblant de réponse, ou au moins un moment de répit. Mais je n’en suis pas certain non plus. Le soleil réchauffe et éclaire mais finit pas tout brûler, non ? C’est bien ce qui nous arrive à tous alors que nous nous y refusons encore et toujours. Mais alors… Qu’est ce que c’est ?

[Scorpion est publié en vinyle par Jarane qui est un label basé à Saint Etienne – ce qui explique pourquoi j’ai pu en trouver une copie aussi facilement dans la grande ville des lumières, du côté de la rue des Capucins – et en cassette par Bruit Blanc]

* si tu connais I’m Sitting In A Room d’Alvin Lucier tu peux mieux comprendre le principe de cette post production si particulière.


vendredi 21 février 2020

[chronique express] Thurston Moore / Spirit Counsel





Création conceptuelle. Bien loin des résidus post Sonic Youth de The Best Day et de Rock’n’Roll Conciousness Thurston Moore a publié en septembre 2019 un coffret de trois CDs intitulé Spirit Counsel. Composé uniquement de trois pièces s’étalant de 30 à 60 minutes – Alice Moki Jayne, 8 Spring Street et Galaxies – l’objet est très ambitieux, s’affirme en moult hommages (Alice Coltrane, Glenn Branca et autres mentors / sources d’inspiration) et présente une musique strictement instrumentale essentiellement jouée à la guitare douze cordes, que ce soit en solo ou en formation élargie avec basse, batterie et bidouilles électroniques. En opposition ouverte au brouhaha médiatique, aux paroles faciles et à la démagogie contemporaine, Spirit Counsel se veut être une œuvre d’ordre spirituel et méditatif ou en tous les cas incitant à la méditation et zigzague entre moments (très) calmes et (trop) ennuyeux et quelques (rares) passages où l’auditeur a enfin le sentiment qu’il se passe quelque chose. Mais personnellement je préfèrerai toujours Thurston Moore en éternel adolescent méticuleusement bordélique et records geek qu’en penseur moderne et théoricien de la morale.

mercredi 19 février 2020

Meier - Hanes - Amberg Trio + CHROMB ! @Périscope [13/02/2020]





Le jeudi 13 février les petits Chromb ! investissaient le Périscope afin de fêter la parution de leur quatrième album*. Un concert affichant complet, à nouveau haut en couleurs et finement exalté bien que Le Livre Des Merveilles s’annonce beaucoup moins orienté fête du slip et poilades à dada que ses prédécesseurs.

En première partie le trio Meier / Amberg / Hanes a fait preuve d’une vivifiante sauvagerie, en particulier l'américain Simon Hanes (ici à la basse et objets divers) qui s’est taillé la part du lion grâce une prestation follement décomplexée. Amateur de free jazz et d’improvisation libre type AMM et Spontaneous Music Ensemble ce trio est fait pour toi **.




























































* toutefois Le Livre Des Merveilles paraitra officiellement le 27 mars chez Dur Et Doux
** la quasi intégralité des photos prises lors de ce concert sont visibles par ici – sans oublier de mentionner que l’affiche est signée Brulex


lundi 17 février 2020

Welldone Dumboyz / Tombé Dans L'Escalier





Pourquoi crois-tu que de ma vie entière je n’ai jamais habité plus haut que le premier étage ? Et pourquoi crois-tu que depuis quelques années maintenant je me terre carrément au rez-de-chaussée d’un immeuble tellement laid – date de construction : juin 2000 –  qu’il ne me donne même pas envie d’en sortir ? Parce que j’ai peur. Et pas seulement peur de tomber, dans l’escalier ou ailleurs. La peur et la laideur sont précisément le fond de commerce des WELLDONE DUMBOYZ : c’est ce contre quoi ils luttent sans cesse, je suis sûr sans même s’en rendre compte, le plus naturellement (je veux plutôt dire « par nature » parce qu’à mon avis ceux là sont au contraire de sacrés bosseurs / monomaniaques mais de ça non plus ils ne se rendent pas compte, éventuellement parce qu’en fait ils s’en foutent complètement, c’est dire).
Trois types, donc, qui ne doutent de rien alors qu’ils n’arrêtent pas de se poser des questions. Comme de vrais amis, depuis tout ce temps. Ce qui fait d’eux le groupe le moins lâche et le plus libre que je connaisse. Peut-être qu’eux aussi ils ne sortent pas aussi souvent que cela de chez eux* mais c’est tout autre chose que d’habiter au rez-de-chaussée d’un immeuble sans vie. Il suffit d’écouter la musique du groupe, en fait. Ecouter tous les albums, les cassettes, CDr et j’en passe pour s’en persuader : les Welldone Dumboyz pourraient se contenter d’être un sacré bon groupe parmi tant d’autres – et plus ça va plus j’en connais des groupes tous plus meilleurs les uns que les autres – mais cela ne semble même pas les concerner. Encore un truc dont ils se moquent, j’imagine…
Tout comme ils doivent se moquer des inévitables comparaisons avec les Melvins qui auraient perdu leur trousse à pédicure et leur fer à friser sur une aire d’autoroute entre le HellFest et le Roadburn (ou inversement, moi je préfère me perdre un peu dans les dates et les lieux). Avec un sens de la densité peu commun répondant à cette équation délibérément bancale et vraiment simpliste mais je ne saurais en trouver de meilleure : riffage de malade + lignes de basse azimutées + batterie stalinienne = masse volumique mille fois supérieure à la pression artérielle d’un fan de Meat Loaf et de Divine (volume et paillettes). Y compris lorsque les Welldone Dumboyz se payent le luxe d’une introduction limite acoustique sur le morceau-titre, là juste au début de la seconde face du disque. Démarche sans vergogne que l’on retrouve tout à la fin, sur l’hilarant Bald Story, mais cette fois-ci poussée jusqu’au bout – toi aussi t’en voudrais de l’électrique ? et bien dis-toi qu’il existe bien des façons de passer à la chaise et d’en tomber lourdement (là aussi).
Plus j’écoute Tombé Dans L’Escalier et plus je reste estomaqué par la faculté du groupe à envoyer une musique aussi écrasante, aussi dense, faramineuse de détails, dégueulant de microsismologies appliquées, blindée de chant – trois voix sinon rien – et en même temps d’une vivacité, d’une lisibilité et d’une digestibilité à toute épreuve. Du bon gras, sain et nutritif, pétillant, pétulant, pétomane. De la surchauffe en veux-tu en voilà mais pas de surenchère, parce que la liberté ça n’a pas de prix, la bonne musique non plus d’ailleurs, sauf le prix d’un disque, éventuellement. Alors je veux bien parler de miracle. Oui il est miraculeux qu’autant de gras ne me boursoufle pas les transaminases, ne me déclenche pas d’épanchements bilieux et ne me déclenche pas une crise de foie non plus (en résumé). Avec Tombé Dans L’Escalier les Welldone Dumboyz me donnent en fait plutôt envie de roucouler jusqu’au bout de la nuit dans un four à gaz – cuisinière traditionnelle, cela va de soi – et de rôtir / caraméliser sur tous les côtés ce qu’il me reste de points de vie. Pour l’instant je me contente de transpirer comme une viande blanche et de me planquer sous le vieil escalier qui conduit à la cave. Je n’irai pas plus bas. Mais eux je suis certain qu’ils iront encore plus loin.

[Tombé Dans L'Escalier est publié en vinyle par 939K15, No Way Asso et Repulsive medias ; les superbes dessins recto et verso de la pochette de même que l’insert et les ronds centraux du disque sont l’œuvre du formidable Bertoyas – par contre mec, aussi formidable** que tu sois, tu devrais quand même mettre ton site à jour, hein]  

* et puisque j’en parle : les Welldone Dumboyz donnent parfois quelques concerts en extérieur, par exemple ils joueront à Lyon le samedi 7 mars à Grrrnd Zero en compagnie de Pauwels, de Mental Hygiene Terrorism Orchestra et de Hørdür, un plateau de choix généreusement mis à notre disposition par les gamins de Dirty Seven Conspiracy – inutile de te dire que j’ai été particulièrement ému à l’annonce de cette date et qu’évidemment j’y serai, peur ou pas peur 



** et en ce moment Bertoyas expose à la libraire Le Bal Des Ardents, Lyon 2ème

vendredi 14 février 2020

Sheik Anorak / CBG2


Moins c’est plus. C’est en tous les cas ce que semble penser SHEIK ANORAK qui un an après GBG1, un premier 12’ monoface de quatre titres fort réussi et très remarqué, a donné une suite logique à celui-ci avec un deuxième disque de même format, cette fois-ci intitulé GBG2. Dire que ces deux EPs complémentaires forment un tout cohérent et auraient pu être regroupés sur un seul et même album longue durée n’a rien d’une simple vue de l’esprit : même titre ou presque, même souci esthétique avec même type d’artwork minimaliste et même cohérence des couleurs, même beauté austère, même pochette plastifiée laissant apparaitre un beau vinyle transparent*… et puis aussi… même musique ? Oui et non.
Tout d’abord et au risque de me répéter on peut toujours et sans aucune difficulté reconnaitre la musique de Sheik Anorak, que celle-ci emprunte des accents très pop ou qu’elle flirte plus brutalement avec l’expérimental (je pense particulièrement au plutôt ardu Or, encore un disque monoface – tiens tiens – publié il y a presque cinq ans par Poutrage records). Le concert de Sheik Anorak auquel j’ai pu assister il y a quelques semaines allait d’ailleurs dans le même sens et m’a précisément plu pour cette raison là : très varié musicalement il possédait malgré tout un fil rouge, la musique gardant toujours ce caractère d’exigence et d’accessibilité et, surtout, laissant invariablement apparaitre le même sourire heureux sur le visage d’un musicien dont on pouvait sentir qu’il prenait un égal plaisir à explorer toutes les facettes possibles d’un projet toujours plus personnel. 






Avec GBG2 Sheik Anorak aborde le côté le plus électronique de sa musique. Je me rappelle qu’à une époque il s’était lancé dans un side-project purement electro du nom de Bless / Curse (projet semble t-il abandonné depuis) et que depuis cette expérience le musicien n’a cessé de construire des ponts entre son côté pop ou noisy et son côté digital – au même moment il avait également partiellement laissé tomber sa guitare, ses pédales d’effets et autres loopers au profit d’un chaos pad et d’un laptop. Incontestablement des titres tels que le très technoïde GBG et le lancinant Let Go sont issus d’une telle démarche. Sheik Anorak y explore une techno minimale mais toujours narrative : sur GBG un gimmick délicatement fleurissant couplé aux cliquetis de la pédale charley nous rappelle que rien ne devrait être impossible dès qu’il s’agit de donner intelligemment envie de bouger ; Let Go pousse cette logique encore plus loin et je trouve cette seconde composition instrumentale tellement réussie que souvent je me demande ce qu’elle donnerait entre les mains et les oreilles d’un DJ désireux de la remixer en version longue.
Mais il ne faudrait pas oublier non plus que Sheik Anorak est un chanteur et que chanter fait désormais partie intégrante de son mode de création et d’expression (alors que les tout débuts du projet étaient purement instrumentaux). Tout comme We Should Be All Feminists faisait figure de profession de foi sur GBG1, (Hetero)sexual Misconceptions éclaire GBG2 d’une lumière et d’une intensité similaires et nécessairement militantes. Plus loin Rhodium reprend pleinement à son compte l’efficacité mélodique et l’efficacité rythmique de la musique Sheik Anorak pour aboutir à ce qui me semble bien être l’une de ses meilleures compositions à ce jour – avec rythmes martelés, textures sombres, chant volontaire mais pourtant jamais envahissant, presque glacé, simplicité mélodique et trouvailles sonores en guise d’accroche-cœurs électrificateurs. Assurément un vrai tube pour amateurs de danse électrostatique sur permafrost. Je ne sais pas si le prochain disque de Sheik Anorak s’intitulera GBG3 ou autrement mais je l’attends dores et déjà avec beaucoup d’impatience.

[GBG2 est publié en vinyle par Araki records et Gaffer records]

* à ce sujet le label russe Noisy Forecast a édité une cassette regroupant CBG1 et CBG2 – l’écoute en continue de celle-ci est particulièrement bluffante  

mercredi 12 février 2020

Drose / Boy Man Machine +





Bon alors… Qu’est ce que j’ai bien pu foutre le samedi 23 novembre 2019 au lieu de courir à Grrrnd Zero pour assister à la date lyonnaise de Drose ? Il est vrai que j’avais une très bonne excuse et que je ne regrette absolument pas mon choix mais… mais je continue de me demander comment ce groupe tellement mystérieux peut être en concert. DROSE est le projet de Dustin Rose et c’est sûrement lui le chef et le principal malade à l’origine de tout ce raffut puisqu’il lui a tout simplement donné son nom. Le petit Dustin joue de la guitare, chante, compose de la musique et bosse également comme ingénieur à l’université de Colombus / Ohio, plus précisément au Center For Automotive Research où pendant ses pauses café il joue de la musique et enregistre – c’est lui qui fait l’ingénieur du son et il est très doué – avec deux autres petits camarades : le guitariste Gregory Packet et le batteur John Mengerink. Il est même précisé que Boy Man Machine +, à ce jour le seul et unique album de Drose, a été pensé et enregistré pendant la conception d’une voiture de course et il semblerait que l’album incorpore des sons d’origine mécanique et autres décorations industrielles.
Ma détestation profonde pour les voitures, la vitesse, les machines et les projets musicaux trop conceptuels a vite été balayée par l’écoute de Boy Man Machine +. Je ne veux pas affirmer que cette musique est entièrement nouvelle, terrifiquement – oui c’est un anglicisme – originale et qu’elle a aucun équivalent ailleurs, que ce soit dans le monde organique des morts-vivants ou dans le monde mécanique des cyber-tronches. Mais elle me fascine par cette faculté à présenter un agrégat qui lui sonne comme neuf à mes oreilles, bien que combinant nombre d’éléments déjà entendus parce que déjà utilisés par ailleurs (noise, no-wave, indus, etc). Ce qui me semble réellement nouveau ou plutôt inédit, ce sont plus exactement les obsessions et les névroses de Dustin Rose qui possède le génie ou le courage – mais peut-être n’a-t-il pas d’autre choix et qu’une telle démarche rélève avant tout pour lui de la nécessité – d’avoir su les transcrire en musique et ensuite d’enregistrer cette musique là.
L’originalité du propos ne fait donc aucun doute et de la tourmente de Boy Man Machine + s’échappent quelques moments de pur chaos émotionnel tels que A Loss, Mechanical Is Lord, A Clay Mind et A Change qui forment une tétralogie presque parfaite. Personnellement je me fous quand même un peu (complètement) des obsessions de ce cher Justin et de Drose, je me fous carrément des explications techniques relatives aux conditions d’enregistrement fournies dans le gros livret de douze pages qui accompagne le disque et je préfère me focaliser sur ces grincements froids, ces chuintements articulaires, ces riffs répétés inlassablement, ces ryhtmes fracassés, ce chant improbable dont la seule chose que j’arrive à en dire c’est qu’il ne conviendrait certainement pas à tout autre forme de musique tant il pourrait s’avérer exaspérant. Et il l’est. Souvent. Tout comme parfois le disque se perd un peu trop dans son désir d’expérimentation à tout prix, sa claustrophobie maniaque et son enfermement de principe, devenant trop flou et informe à force de volontarisme artistique.
Enfin, Boy Man Machine + est un double LP et surtout il s’agit d’une réédition. Le premier disque reprend l’intégralité de l’album originel avec un nouveau mastering signé Carl Saff. Le deuxième présente trois inédits enregistrés à la maison par Dustin Rose : les conditions sont différentes et la musique logiquement sonne différemment, plus accessible ou en tous les cas plus équilibrée (dans le sens de moins tordue) mais, en contrepartie, plus maniérée / arty que jamais. Enfin viennent quatre titres tirés d’un premier EP de 2012 et également remasterisés par Saff. Le tout donne un très bel objet mais je n’en écoute que la première moitié c’est-à-dire l’album d’origine proprement dit : soixante-dix minutes au total pour une musique certes passionnante mais aussi intentionnelle c’est beaucoup trop alors je coupe la poire en deux siphonne le réservoir à moitié.

[Boy Man Machine + est publié en double vinyle emballé sous pochette stérilisée / antiradiations ou en CD avec boitier (presque entièrement) transparent par Computer Students, entre technologistes et rats de laboratoire on est fait pour bien s’entendre]

lundi 10 février 2020

Berceau Des Volontés Sauvages + Goat @Grrrnd Zero [04/02/2020]






Retour des japonais de Goat après un premier passage très remarqué à Grrrnd Zero il y a un peu plus d’un an et demi. L’absence d’effet de surprise et une formation plus resserrée* – pas de joueurs de marimbas ni de saxophone cette fois ci – n’ont pas empêché le groupe de développer sa musique très percussive, répétitive, ascensionnelle, faite de polyrythmie et de micro décalages, à mi-chemin entre les obsessions d’un Steve Reich (on peut en effet beaucoup penser à certains passages de Drumming), kraut tribal et explosions noise. Un concert d’une rare intensité qui se suffisait à lui-même : Goat n’a pas joué très longtemps (d’ailleurs comment le batteur principal aurait-il pu davantage tenir physiquement ?) et a eu la très bonne idée de ne pas donner de rappel, préférant privilégier la qualité de l’interprétation à l’étalage démonstratif. 

Les locaux de Berceau Des Volontés Sauvages ont eux assuré la première partie des japonais avec une musique méditative, souvent synthétique, un pied dans la choucroute et un autre dans le bourdon. Des ingrédients auxquels il convient d’ajouter une pointe d’étrangeté cinématographique ainsi que quelques percussions. Cela fait quelques semaines déjà que j’écoute Seuil, le premier album du duo, et peut-être bien que je finirai par chroniquer celui-ci dans cette gazette internet, sait-on jamais**.




















































* quelques photos de ce désormais fameux concert partagé avec France en juin 2018
** la quasi totalité des photos prises lors de cette soirée sont consultables par ici, en meilleure qualité, en diaporama, comme d’habitude, etc