Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

vendredi 28 août 2020

Taulard / Dans La Plaine


Je me suis fais (gentiment) engueulé parce qu’il n’y a pas très longtemps de cela j’ai osé mettre sur un même plan Les Négresses Vertes et Pottery, soit un groupe de chanson franchouillarde post alterno du siècle dernier pour vieux punks-babloches en manque de soleil et de Mojitos et un jeune groupe typique d’un supposé présent électrique et fougueux, trop péteux pour être impétueux, se contentant de citer ses sources et de les mélanger dans un shaker à bonne humeur en pensant que cela suffit pour faire de la musique intéressante. Comme tout le monde – exception faite des disciples de Faith No More and C° – ils finiront par comprendre que les mélanges peuvent devenir fâcheusement écœurant, dégouter comme un steak tartare et rendre malade comme un chien. On trouve toujours beaucoup trop de matière avariée et prête à consommer dans les drive-in des internets…




La musique de TAULARD, quartet peu conventionnel originaire de Grenoble, est tout le contraire d’une mixture indigeste gorgée d’émulsifiants et blindée aux excipients pour faire glisser le tout avec facilité – « peu conventionnel » signifie que le line-up du groupe est composé d’un bassiste, d’un batteur, d’un claviériste et d’un chanteur. Comme j’ai décidé de ne pas faire preuve de beaucoup d’imagination, je vais dire la même chose que tout le monde : Taulard est un groupe de synth-punk, en voilà une formule sans efforts. C’est vrai qu’il y a du punk et du synthétiseur là dedans, et pas une once de soupçon de guitare. Sans oublier une voix claire – rarement teintée d’effets – qui s’en fout d’être juste et des mélodies de chant qui dérapent presque constamment, souvent en fin de phrase, avec une note qui se trouve là alors qu’on s’attendait à en entendre une autre. Les rimes et le nombre de pieds ne sont pas non plus ce qui préoccupe le plus Josselin (le chanteur), pour lui l’important ce sont les mots qu’il a écrits, les paroles et les histoires qu’il veut mettre avec la musique de Taulard : ce n’est pas à la musique de dicter la place des mots et Josselin peut chanter en déviant comme on fait une balade en vélo en prenant son temps et qu’au bout d’un moment on s’aperçoit que l’on roule en zigzaguant au milieu de la route. Ou il peut chanter en laissant trainer sa voix n’importe où mais il peut aussi chanter tout droit et d’une voix énervée, comme sur le très punk (précisément) Baragouiner : il n’y a pas de règles.
Juste à côté Nico s’occupe des synthétiseurs (un Moog et un Yamaha, d’après ce que j’ai vu sur des photos en concert plus récentes que celles que j’ai prises il y a trop longtemps), accompagne parfois le chant en le doublant plus ou moins. Mais ça c’est quand il ne joue pas au premier plan des ritournelles qui creusent profondément des sillons dans la tête avec une fausse naïveté mélodique et quand il ne nappe pas la musique de Taulard d’une bonne couche d’acidité mélodique qui finit elle aussi par glisser en plaçant des notes qui surprennent et provoquent l’écart. Ce qui est frappant c’est la schizophrénie du chant comme du synthétiseur, entre mélodie et dérapage mais aussi entre punk et… et en fait je ne sais pas trop ; à chaque fois que surgissent ces phrases mélodiques qui dévient, ces notes auxquelles on ne s’attend pas, cette logorrhée, ces flots de mots qui ne s’arrêtent pas et qui deviennent musique je ne peux pas m’empêcher de penser que Taulard est un groupe vraiment à part. Mais j’entends bien également que Taulard est un groupe de punk. De post punk te dirait le spécialiste voulant pointer du doigt la froideur énergétique de cette musique : la rythmique basse/batterie (respectivement Jérôme et Nico) joue beaucoup l’urgence, malgré quelques coquetteries (le rythme chaloupé de Fixation, le dub réverbéré de Mon Embarras). Mais là encore il n’y a toujours pas de règles et le groupe n’est jamais aussi bon que lorsqu’il mélange un peu de tout et que l’on ne peut alors que s’attendre à l’inattendu (Disquette).

Je n’ai parlé que de musique, pour l’instant. Chez Taulard les textes sont en français et le groupe fait partie de ceux qui ont réussi à me rabibocher avec ma langue maternelle, en lui donnant une forme chantée qui correspond à l’énergie électrique de leur musique avec des paroles qui ne sont ni une succession de jeux de mots plus ou moins foireux, ni une suite de mots balancés parce qu’ils seraient choquants – d’ailleurs, qu’est ce que cela signifie ? – et encore moins la traduction d’une ambition de poète maudit tendance romantisme mortifère. Josselin n’hésite pas à répéter inlassablement J’Trouve Pas Mes Mots… et pourtant. Ses textes sont simples et directs, descriptifs (behaviouristes, peut-être ?) et ils racontent des petites histoires, des trucs plus ou moins intimes, en développant un sens de la poésie du quotidien chargée en petites choses importantes, une poésie que je ne retrouve que très rarement ailleurs. Pas de loufoquerie, pas d’effets de style outrancier mais de l’intime sans impudeur, de la vie en tranches plus ou moins épaisses et des rêveries solitaires à partager (Sur Les Hauts Plateaux). 
 
[Dans La Plaine est publié en vinyle par Broderie records qui est le propre label des gens de Taulard et dont c’est la toute première sortie ; il est précisé que « broderie » est en fait un terme musical désignant une « note dissonante ou inattendue » (tiens tiens) mais personnellement j’aime bien l’idée de pouvoir y mettre des sens différents comme celui de raconter des histoires et on peut se procurer Dans La Plaine pour 8 €uros seulement (plus le port) ainsi que les précédents enregistrements de Taulard en écrivant au groupe à villeportuairearobasegmailpointcom]

 

mercredi 26 août 2020

[chronique express] Orchestra Of Constant Distress / Live At Roadburn 2019





Un enregistrement en concert d’Orchestra Of Constant Distress ? Bon… pourquoi pas. Mis en boite lors de l’édition 2019 du Roadburn (le festival préféré des métalleux cérébraux) ce live / carte postale me laisse parfois perplexe : d’un côté il confirme qu’en concert d’Orchestra Of Constant Distress doit être une expérience intéressante – volume sonore, excitation du moment, alcool et prise de prods aidant… d’un autre ce LP rabote une partie de la noirceur et de l’obsession expérimentales des enregistrements studio du groupe, ramenant celui-ci dans des sphères toujours aussi répétitives mais moins dérangeantes et le replaçant au niveau d’une simple formation électrique usant d’une guitare, d’une basse, d’une batterie et de bidouille additionnelle pour un résultat peu malsain et malheureusement moins sadique, presque basiquement noise et uniquement à l’usage des amateurs de riffs charcutiers et de headbanging collectif (ce que l’on appelle un concert, donc…). Allez plutôt réécouter l’excellent Cognitive Dissonance

lundi 24 août 2020

The Stooges / Live At Goose Lake - August 8th, 1970 (avec beaucoup de Fun House à l'intérieur)


Vous n’avez jamais eu l’impression de vous faire avoir ? Non, pas toujours. 

Fun House des STOOGES est mon disque préféré de tous les temps. Je l’ai écouté des centaines (milliers ?) de fois de façon obsessionnelle et tous les ans je fais également mon petit pèlerinage personnel et intérieur en réécoutant l’intégralité des sessions d’enregistrement de Fun House grâce à un gros pavé de sept CD  édité par Rhino en 2000. Quand j’étais gamin je m’étais également mis à écouter toutes les reprises que je pouvais trouver des Stooges, principalement des reprises de titres des deux premiers albums – parce qu’après c’était devenu « Iggy And The Stooges » et que ce n’était plus tout à fait pareil. C’est de cette façon que j’ai découvert tant de groupes qui aujourd’hui sont toujours aussi importants pour moi – The Birthday Party qui reprenait Loose ou les Sonic Youth et leur version de I Wanna Be Your Dog – et d’autres difficilement écoutables une fois passés les errements gothico-romantiques de l’adolescence (les Sisters Of Mercy reprenant 1969). Mais ce qui me semble toujours aussi primordial avec Fun House c’est le nombre de musiques auxquelles je me suis finalement intéressé après : le punk donc, mais aussi la musique psychédélique, le noise rock évidemment et jusqu’au free jazz. Il y a toujours cette question complètement débile que l’on pose régulièrement aux fans de musique : quels disques à emporter sur une île déserte ? Il me serait impossible de n’en choisir que dix ou même cent – car, après tout, pourquoi celui-ci plutôt que celui là ?… je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. Par contre je sais que si je ne devais emporter qu’une seule musique avec moi ce serait celle contenue dans Fun House.





Fun House a pour la première fois été publié le 4 aout 1970. Je l’ai découvert en 1984 via un article dans Enfer Magazine* et via une édition vinyle au rabais, une énième version avec pochette tronquée et qualité de pressage a minima. Je possède toujours ce LP acheté lorsque je n’avais même pas quinze ans et d’autant plus inécoutable aujourd’hui que je l’ai usé jusqu’à l’os. Puis j’ai acheté une autre réédition cette fois-ci faisant honneur à la musique de Fun House et reprenant la pochette gatefold originelle donc comprenant cette photo des Stooges complètement incroyable, avec les quatre allongés sur un tapis d’un studio d’enregistrement – Ron Asheton et sa Croix de Fer autour du coup, Iggy en mode sexuel et vaguement débraguetté, Dave Alexander toujours aussi discret et amorphe (i.e. défoncé) et Scott Asheton façon belles épaules et étoile tatouée. Des types assurément dangereux. Et un disque insurpassable.
Pour établir un mausolée à la gloire de Fun House Rhino avait donc édité à la fin du millénaire dernier le coffret CD mentionné plus haut avec toutes les sessions studios de l’album, des petits bout de plastique regorgeant de prises différentes des sept compositions de l’album, plusieurs fois de suite. Un truc épuisant, comme le fut parait-il l’enregistrement qui a mis à mal les quatre Stooges enfermés dans un studio de Los Angeles (pas trop loin de leur maison de disques Elektra mais bien loin d’Ann Arbor et de leur Michigan natal). Logiquement – façon de parler – Rhino a sorti cette année un coffret pour les cinquante ans de Fun House mais en vinyle cette fois ci. Un « objet » strictement édité à 1970 exemplaires numérotés et vendu au départ pour la très coquette somme de $ 399.98 – soit 380 €uros environ – mais cette édition étant bien évidemment épuisée, je n’ose imaginer les prix à la revente sur les sites spécialisés pour collectionneurs. Nous ne sommes plus ici dans le domaine de la musique mais dans celui de l’artefact et de l’argent, un côté obscur du business musical et qui me dégoute particulièrement. Le coffret vinyle comprend l’album reparti sur deux 12’ tournant en 45 tours (mais pour quoi faire ?), toutes les sessions studio, deux singles, un live, un livre et deux ou trois gadgets. Quelque chose à l’intention des gens riches et des fous**. 





Parallèlement Third Man records a mis en place une exposition autour de Fun House et a édité un enregistrement en concert intitulé Live At Goose Lake – August 8th, 1970. Il s’agit de la dernière apparition des Stooges avec le line-up originel, dans le cadre d’un gros festival aux côtés de quelques pointures de l’époque (Joe Cocker, Jethro Tull, Bob Seger, 10 Years After, Alice Cooper), aucune ne pouvant égaler la sauvagerie des Stooges jouant sur une scène rotative devant près de 200 000 personnes dont beaucoup chargées à l’acide, au PCP, à la kétamine et à la rabla. Un copieux livret de quatre pages nous apprend quelques anecdotes croustillantes ou sordides et accompagne un enregistrement de qualité un peu plus que passable – disons du niveau d’un bon bootleg. La basse de Dave Alexander est quasiment inaudible mais c’est normal car il était alors tellement défoncé qu’il n’arrivait pas jouer et a été viré du groupe par un Iggy très en colère juste après le concert. La prestation du groupe a l’air malgré tout incroyable mais il est difficile de se rendre exactement compte de quoi que ce soit avec une restitution sonore malgré tout aléatoire. A titre de comparaison, Have Some Fun – Live at Ungano’s 1970, le live inclus dans le fameux coffret vinyle des cinquante ans***, propose une prestation encore plus survoltée et tendue mais avec une qualité sonore cette fois ci vraiment médiocre.
Sans doute que Live At Goose Lake – August 8th, 1970 sert à pas grand-chose mais.... Mais je l’ai écouté, réécouté. J’ai lu et traduit comme j’ai pu les notes de l’insert. J’ai scruté la pochette, me désolant de cette photo prise de tellement loin qu’elle est complètement floue****, version stylisée et presque immatérielle d’un groupe et d’un concert ressurgis cinquante plus tard. Aucune place pour la nostalgie. Juste un objet de plus, cette fois-ci trouvable pour une vingtaine de brousoufs et qui ne me fera dire qu’une seule chose : écoutez plutôt et réécoutez encore Fun House, mon disque préféré de tous les temps, enregistré il y a cinquante ans par les Stooges. Le meilleur disque du monde, en vérité.

* cette anecdote adolescente est totalement authentique
** dans un autre genre on peut citer le récent coffret édité par Drag City et consacré à No Trend… la muséification d’une musique qui va complètement à l’opposé de ce que cherchait à faire le groupe
*** Have Some Fun – Live at Ungano’s 1970 se trouve très facilement sur les internets en téléchargement P2P, bande de voleurs
**** une photo semble t-il tirée du filmage de ce concert et dont on peut aisément retrouver quelques extraits ici ou là

vendredi 21 août 2020

Shit And Shine / Goat Yelling Like A Man

 

Je vais finir par croire que Craig Clouse a vraiment le feu au cul. Parce que depuis le formidable, génial et indispensable – je pèse mes mots  Doing Drugs, Selling Drugs publié le 22 novembre 2019, SHIT AND SHINE aura balancé pas moins de quatre albums supplémentaires, dont un double LP*. Et je n’ai même pas eu le temps de parler ici du terrible Scenic Farm chez Rock Is Hell (le double album, c’est lui) que débarque ce Goat Yelling Like A Man. Encore un disque improbable via Riot Season et qui vérifie ma grande théorie devant l’éternel et le maudit : un enregistrement de Shit And Shine publié par Riot Season ne peut pas être un mauvais enregistrement.

 

 

« Une chèvre qui hurle comme un homme ». Curieuse mais judicieuse inversion des clichés autour de la possession démoniaque : ce n’est plus la bête qui habite l’homme mais bien l’homme qui habite à bête. Et Craig Clouse lui de nous hurler son amour immodéré pour les musiques lentes et lourdes en les pervertissant de l’intérieur. Car c’est bien  de cela dont il s’agit avec Goat Yelling Like A Man, disque de collages/démontages et de pipo-bimbo autour du doom. Y compris le doom canal historique puisque les ronds centraux du vinyle reprennent des photos de… Black Sabbath. Mais le Black Sabbath période Ronnie James Dio, ce qui constitue une provocation avérée de plus à l’intention des puristes et des sectaires d’Ozzy Osbourne. Pour le reste, l’imagination suffira, complètement galvanisée et électrisée par un disque qui évidemment n’a rien de métallique et n’a rien de doom mais qui une fois de plus sème le bordel et la déraison (le terrifiant Welcome qui en quelque sorte donne le ton de tout l’album, immédiatement suivi du morceau titre et de ses cris de chèvre se confondant avec des hurlements humains ainsi que l’éprouvant Light Blue Envelope qui sonne somme du rock indus sous acide).
Les recettes sont ici très simples et d’apparence assez peu variées mais attention : cela ne signifie pas que les cinq compositions de Goat Yelling Like A Man se ressemblent toutes, non pas vraiment. En (très) gros il s’agit d’empilements de guitares bien lourdingues, très graves et dégueulant du riff terroriste sur fond de rythmiques tout aussi lourdes, le tout ponctué d’effets sonores, de manipulations de bandes**, de samples plus ou moins décalés et même de voix trafiquées. Et en fait tout sur Goat Yelling Like A Man est trafiqué mais – et c’est là que réside le génie de Craig Clouse et de Shit And Shine – cela s’entend sans s’entendre. Ou, pour le dire autrement, les sons et les idées assemblées par le groupe forment un tout cohérent et évident, volontairement irritant, parfois violent, souvent répétitif, hypnotique et captivant voire psychotrope, décidemment artificiel et construit mais pour un résultat qui sonne toujours juste. La bidouille presque parfaite, pour ainsi dire, comme sur la composition finale Thank Goddness qui allie manipulations et instruments réels – un tube lent, lourd et poisseux, sorte de régurgitation électronique et mix métallisé/EBM de Corrupted, cradingue et accompagné de vociférations nocturnes. Plus j’écoute ce titre et plus je le trouve… beau.


[Goat Yelling Like A Man est publié en vinyle blanc par Riot Season]

 

* le dernier de la liste vient d’être annoncé par Rocket recording, il s’intitule Malibu Liquor Store et il paraitra le 9 octobre prochain
** j’écris manipulation de bandes parce que c’est de mon âge, en réalité je sais pertinemment que toutes ces manipulations sonores ont été perpétrées au laptop

 

mercredi 19 août 2020

Panico Panico / Depression Quest

  

 

« Panico Panico est un club de musiciens anonymes formé en 2016 à la suite de multiples échecs sociaux, économiques et professionnels. Visant clairement un but lucratif, les quatre membres formant ce collectif cherchent à révolutionner le monde grâce à leur musique et se lancent à corps perdus dans la création d’une onde bipolaire, psychotique et alarmiste ». Moi quand je lis des trucs comme ça j’hésite entre la fuite (la lâcheté est l’un de mes plus graves défauts) et le rire (l’ironie malveillante en est un autre). Mais il faut savoir lire entre les lignes et dès lors il est facile de comprendre que PANICO PANICO (dont on excusera tout de suite ce nom tiré d’une chanson démagogique de Peter Kernel) essaye de se la jouer finaude tout en se donnant des airs de ne pas trop y toucher. Et cela va plutôt bien à ces quatre jeunes parisiens qui avec Depression Quest présentent un premier album de très bonne tenue, entre indie rock à tiroirs et noisy pop une chouille progressive.
Bon, OK, le terme de « prog » n’est peut-être pas le plus approprié mais je n’en ai pas trouvé d’autres qui puisse réellement décrire le côté alambiqué, torsadé, enluminuré et en escaliers des compositions parfois très longues d’un groupe qui aime les positions difficiles, les chemins tortueux et les pièces montées. Je n’aurai finalement que quelques réticences à exprimer au sujet de la toute dernière d’entre elles, le morceau-titre qui s’étale sur presque huit minutes et quarante deux secondes – à peu près, hein, je n’ai pas chronométré mais c’est grosso-modo le temps qu’en général je mets avant de commencer à avoir sérieusement envie de bailler – et avec lequelle Panico Panico prend le plus de risque, quitte à se prendre en même temps les pieds dans le tapis, ce qui finalement n’arrivera pas. Du coup je mets quand même Depression Quest * dans le même sac que les cinq autres compositions du disque, mais c’est un sac un peu spécial, croisement d’un sac d’aspirateur avec un sac à malice.

Je ne veux pas être trop réducteur non plus. Les musiciens de Panico Panico aiment se compliquer la tâche en enfilant beaucoup de notes parfois dans le sens contraire des aiguilles du vent mais ils s’en sortent toujours très bien et ce parce qu’en même temps leur musique possède un côté effectivement dépressif. On pourrait parler d’un mélange entre 31 Knots et Slint ou entre June Of 44 et le Battles des premiers EPs, bref un mélange plutôt improbable mais très parlant – à la différence de beaucoup de leurs contemporains tricoteurs de maille, démonstrateurs en constructions meringuées et embobineurs de fils électriques les Panico Panico ont de la personnalité et ont trouvé deux ou trois moyens de nous le faire comprendre. C’est quand même plutôt rare à notre époque où la volonté de référentiel écrase tout sur son passage quand ce n’est pas carrément l’opportunisme et la démagogie qui servent de carburant à des musiques sans âme ni perspectives.
Depression Quest est donc faussement ironique, un peu comme les craquements de vinyle qui débutent Primitive vs Positive – ben oui tu es bien en train d’écouter un disque** mais non tu ne t’es pas fait rouler sur la qualité du pressage. Panico Panico semble aimer jouer la carte du second degré mais c’est pour mieux montrer tout ce qu’il veut cacher (oui, j’ai vraiment osé écrire ça). Quant au chant, il est multiple mais plutôt homogène. Mes petites oreilles ont compté deux voix principales plus apparemment une troisième sporadiquement en appui. Les lignes de chant présentent certaines ambitions, peuvent changer de registre soudainement, du parlé au cri en passant par quelque chose de plus mélodique voire de sucré (les chœurs de Madtrap) et suivent des trajectoires pas toujours très rectilignes.
Il parait que les dépressifs sont capables de monter tout un argumentaire très élaboré afin de pouvoir prouver aux autres qu’au contraire ils vont très bien... les deux grandes qualités que l’on retiendra de Depression Quest sont, malgré énormément de complexité, une grande cohérence mi autarcique mi ouverte ainsi qu’une identité clairement et finement affirmée. Enfin un groupe de (faux) intellos qui ne fait pas chier son monde pour de vrai.

 

[Depression Quest est publié en vinyle par Jarane, décidément un très chouette label]

  

* c’est rigolo parce que cette sixième composition du disque n’a pas été mise en ligne sur b*ndc*mp – je me demande bien pourquoi
** et pour ne vraiment pas en douter on se tape en plus un locked groove hystérico-débile à la fin de la première face

 

lundi 17 août 2020

Doomsisters / Combattre Leur Idée De L'Ordre

 


I’ll be your sister. Je ne sais pas pourquoi cette référence particulièrement éculée et totalement hors de propos en provenance directe d’un vieux moustachu à rouflaquettes trépassé et archétypal d’un rock’n’roll joué les couilles à l’air m’est spontanément venue. Un truc que j’écoutais quand j’étais tout gamin et que les rebelles sous speed ne rêvant que de gloire, de fric à profusion, de plans cul comme autant de privilèges normalisés, de défonce sans conséquences trop fâcheuses et d’une vie facile sans lendemain aux frais de maisons de disques n’en ayant en vérité strictement rien à faire de leur musique ne pouvaient que m’impressionner. Moi aussi je voulais mon pantalon moule-burnes, ma petite meuf, ma saturday drug fever et ma réputation de gentil connard et de pseudo révolté. Fort heureusement aujourd’hui je peux dire que j’ai tout foiré, sauf pour la paire de moustaches et les rouflaquettes (mais c’est purement esthétique de ma part).
DOOMSISTERS est à l’exact opposé de tout ça. Il y a même une chanson de Combattre Leur Idée De L’Ordre et intitulée Trace De Droite qui évoque un peu le sujet, la disparition de tout engagement politique radical dans les milieux musicaux – et ici, plus particulièrement, les milieux indés – au profit de l’entertainment du cri dans le vide, la révolte facile comme business, l’apparence et le discours et puis derrière : plus rien. Il n’y a pas de mystère Doomsisters est un groupe engagé et ne nous laisse guère le choix, avec toutefois cette nuance qui me semble importante : les textes sont accompagnés de commentaires explicatifs qui sont (je l’imagine) le fait du chanteur et celui-ci emploie systématiquement la première personne du singulier parce qu’évidemment c’est son point de vue qu’il défend, mais pas avec une posture pseudo-moralisatrice – il y a une énorme différence entre « donner des leçons » et ouvrir sa gueule en grand pour brailler ce que personne n’entend plus vraiment. Toutes les paroles (en français) de ce deuxième album sont donc dûment explicitées (en anglais) dans l’insert joint au disque et on ne peut que saluer tout le soin porté à la chose. Déjà parce que le dit insert tout comme la pochette du disque sont très réussis et très beaux – et le résultat du travail de madame Flo Impure – mais aussi parce qu’on y trouve énormément de renseignements sur ce disque, sur le groupe évidemment et sur tous les labels impliqués dans cette parution.
Leurs points de vue – anticapitalisme, antifascisme, antisexisme, antiracisme, antihomophobie, veganisme, etc, gnagnagna – les trois Doomsisters les expriment avec une véhémence musicale très réjouissante. Outre Mounet au chant, le line-up est composé de Mitch à la guitare et de Dav à la batterie. Ces trois là jouent un hardcore très rapide bien crusty/d-beat et surtout particulièrement épais, avec du gros riffage de machine-outil propulsée à la colère et de la rythmique pachydermique à toutes les sauces : la musique du groupe est généreusement rapide et énervée mais beaucoup (une grosse majorité) de compositions sont parsemées de passages lents et lourds, gras et suintants à souhait et à s’en déboiter les cervicales – comme celui qui fait littéralement exploser Verre Brisé (mais c’est loin d’être le seul, donc). Le trio a beau se qualifier lui-même de groupe de grind-sludge, c’est-à-dire quelque chose qui tiendrait du mariage de la carpe et du lapin ou de la gauche unie, tout s’enchaine avec une aisance stupéfiante et sans effet de superposition artificielle grâce à une excellente maitrise de la composition. On n’est par conséquent pas surpris outre mesure lorsque vers la fin du disque surgit You Tear Me Up, oui une reprise des Buzzcocks… les Doomsisters ne s’y sont pas trompés en choisissant une composition géniale dotée d’un riff tournoyant mais mélodique totalement hallucinant. Et au passage ils en profitent pour réaffirmer haut et fort qu’ils ne sont finalement qu’une bande de sales punks : rependre le groupe de Pete Shelley est beaucoup plus significatif qu’une reprise de Motörhead, non ?

 

[Combattre Leur Idée De L’Ordre est publié en vinyle par Crustatombe, Deviance records, I Feel Good records, Lixiviat records, No Way Asso et Stradoom

 

 

vendredi 14 août 2020

Mod Vigil / Automatic Remorse

 

Comme j’ai absolument peur de rien je vais chroniquer un disque publié en mars 2019. Oui. Avec un peu de chance le vinyle sera épuisé depuis longtemps et il ne restera à celles et ceux qui voudront bien malgré tout jeter une oreille sur Automatic Remorse que la solution de passer par les voies magiques des internets. D’ailleurs j’avais déjà fait le coup avec le premier album sans titre de Mod Vigil, également chroniqué plus d’une année après sa parution. A croire que j’en voudrais presque à ce trio australien mais en fait non, pas du tout du tout, c’est même totalement le contraire. J’aime particulièrement ce groupe et sa musique. Le truc – puisque évidemment il y a un truc, c’est mon côté magicien raté – c’est que MOD VIGIL fait partie des meubles, si je puis m’exprimer ainsi. Ou plutôt sa musique fait partie de mon environnement et de mes meubles, au même titre que mon salon et mon vieux canapé deux places sur lequel j’aime tellement me vautrer pour écouter de la musique en regardant mon plafond et les moustiques se faire attraper dans les toiles d’araignées. Et présentement écouter Automatic Remorse revient, sans mauvais jeu de mots, à se retrouver automatiquement happé par le post punk sec et nerveux de Mod Vigil. Les effets sont immédiats et durables mais ils sont connus : c’est peut-être pour cette (mauvaise) raison que j’ai trainé à écrire au sujet de ce disque, trop rassuré par mes certitudes.



Les certitudes trop bien ancrées c’est de la merde, je devrais pourtant le savoir, depuis le temps. C’est comme quand tu reçois un message d’une personne dont tu n’as pas eu de nouvelles depuis longtemps et dont tu sais que tu ne devrais pas lui répondre. Bref, ces derniers jours il a fait beaucoup trop chaud, j’ai beaucoup réécouté Automatic Remorse et à chaque fois je me suis dit : « ah mais quel bon disque ! ». Là je pourrais presque faire un copier/coller tel quel de la chronique à retardement du premier album mais je vais quand même en rajouter un peu.
Déjà quel titre génial, non ? Le « remord automatique » ! Mais ce n’est pas tout, puisque presque tous les noms des compositions du disque sont à peu près du même acabit, je cite en vrac : Morbid Bug, Blow Fly, Pink Freud ou Wiper Fluid, etc (je t’épargne les traductions). Je regrette qu’il n’y ait pas d’insert avec les paroles des chansons parce que je me demande si en la matière Mod Vigil ne pratiquerait pas le même genre de politique dada/absurdo que Lithics. Et puis regarde moi cette photo de pochette chargée à la junk food – j’imagine que c’est la bassiste Isabele Wallace que l’on voit, tandis que le batteur Andre Fazio apparait dans le fond avec une sorte de lego géant sur la tête et alors que du guitariste/chanteur Tim Wold on ne verra qu’un bout de bras et un bout d’épaule, et encore, uniquement sur le verso de la pochette. Les trois Mod Vigil aiment s’amuser et ne se prennent pas au sérieux outre mesure, ce qui s’entend parfaitement dans leur musique : Automatic Remorse est un concentré de post punk envoyé vite et fort mais c’est surtout un disque d’une grande fraîcheur et d’une immédiateté réconfortante, sans prise de tête ni posture. Et comme son prédécesseur il ne comporte qu’une volée de tubes trépidants et addictifs.

Automatic Remorse
aurait pu être publié il y a trente ans ou il y a deux jours, je ne ferais pas de différence. Cet album est un classique instantané et Mod Vigil, malgré toute sa discrétion, malgré le peu d’écho qu’il a suscité, est un groupe à suivre, bien au dessus du lot, loin devant tout le monde. En 2022 je ne manquerai pas de reparler de mon salon, de mon canapé, des moustiques et des araignées et de parler du troisième album que Mod Vigil va sortir en 2021. Promis.

[Automatic Remorse tourne en 45 tours, dure 28 minutes et 28 secondes, est publié en vinyle sur Fazmo records, label dont c’est la toute première référence et au sujet duquel je n’ai trouvé aucun renseignement – ne parlerait-on pas en fait d’autoproduction ? – et apparemment il reste des copies de ce disque, même ici quelque part dans l’hémisphère nord, preuve qu’il n’est jamais trop tard, donc]

 

mardi 11 août 2020

Ganser / Just Look At That Sky



Je n’y croyais pas du tout à cet album… ou disons plutôt que les précédents enregistrements de GANSER ne m’avaient pas tourneboulé plus que ça. Un joli et gentil petit groupe en provenance de Chicago, pourtant l’un des points chauds du noise-rock US. Et voilà donc que débaroule Just Look At That sky à grand renfort de moyens de communication sur les internets, de murmures positifs dans les milieux autorisés et de louanges auto-réalisatrices. Tout ce qu’il faut pour me donner envie de me méfier, me dégouter par avance et me donner l’occasion de me complaire une fois de plus dans mon petit péché mignon : la détestation quoi qu’il arrive.
Et bien non. Contre toute attente et malgré toutes ses autorisations préalables Just Look At That sky n’a rien de fondamentalement désagréable. Il faut juste passer outre les quelques moments de facilité qui parsèment l’album, plus exactement ces moments qui envahissent une bonne partie de la seconde face du disque – avec en première ligne I Told You So et Shadowcasting dont les relents new-wave me ramènent directement à mes années de collège et de lycée et mes voyages linguistiques en Angleterre. Tout un apprentissage. C’est lorsque Ganser joue ainsi ouvertement la carte de la séduction arrangeante et l’élégance mi-arty mi-pailletée que j’ai envie de fuir en courant, à toutes jambes. Mais il y a toujours dans la  musique de ce groupe quelque chose qui m’accroche malgré tout et qui m’empêche de m’échapper du côté obscur des années 80. Ce quelque chose c’est la guitare de Charlie Lansdman. Non seulement j’aime énormément comment elle sonne, dispensant des petites notes acides et arides avant – cela arrive quelquefois, comme sur Lucky – d’exploser littéralement. Mais en plus j’adore les idées de Charlie, même lorsqu’il met la pédale douce en version picorette sur l’instrumental et très lounge [No Yes]. Et lorsque les cuivres s’invitent sur Bags For Life je n’entends malgré tout que lui et sa guitare presque maladroite au milieu de toute cette débauche de musicalité et de sensualité un peu kitsch. L’âme de Ganser c’est lui.

Une âme beaucoup plus à son aise sur la première face du disque, dotée de compositions plus brutes, plus noisy et moins arrangées dans les grandes largeurs. C’est ce côté-là de Ganser que je préfère parce que non seulement il permet de se délecter de la guitare de Charlie Landsman mais aussi de sa confrontation avec Nadia Garofalo qui possède une sacrée voix et une sacrée personnalité de chanteuse (elle joue également du synthétiseur). Le côté darko-lyrique et post-punk/new-wave, elle y est pour beaucoup mais c’est un côté que je trouve bien plus réussi lorsque Ganser ne s’encombre pas trop de décorum – en gros Nadia je suis en train de te dire que tu n’as pas besoin de rajouter des trucs qui brillent de trop pour bien chanter et me faire frissonner. Enfin signalons la bassiste Alicia Gaines dont le jeu tout en souplesse (et aux doigts, sans médiator) combiné à la batterie de Brian Cundiff insuffle une souplesse assez incroyable à l’ensemble, parfois jusqu’à la virevolte.

Ganser
affirme avoir beaucoup travaillé sur Just Look At That sky, une année complète de composition, de répétitions, de questionnements et d’enregistrement et honnêtement cela s’entend : je ne doute pas une seule seconde que le groupe ait atteint son but et je ne chercherai pas à critiquer cela, au moins personne ne pourra enlever à ces quatre jeunes gens qu’ils savent ce qu’ils veulent. Et moi je sais ce que j’aime. Des compositions telles que Bad Form ou Self Service, par exemple. Et je sais aussi que j’adorerais voir Ganser en concert. Non, en fait j’en suis certain.

[Just Look At That Sky est publié en vinyle – d’une couleur indéfinissable – et en CD par Felte records]

dimanche 9 août 2020

Comme à la radio : With Love, Jelodanti

 

Cette gazette a déjà évoqué le label Jelodanti, notamment à l’occasion de la superbe compilation consacrée à Goz Of Kermer. Mais le catalogue du label comporte nombre de références tout aussi passionnantes ou – pour le moins – suscitant énormément de curiosité. Il faut dire que malgré un éclectisme assumé (forcené ?) Jelodanti fait extrêmement preuve de bon goût et surtout sait donner envie. Il semblait finalement assez logique que le label en vienne un jour à publier une compilation consacrée à toutes les musiques, aussi différentes soient-elles, qu’il défend maintenant depuis 2015.

 



Intitulé With Love, Jelodanti ce double vinyle est d’abord un véritable régal pour les yeux. La pochette est sérigraphiée (comme presque toujours avec Jelodanti), chaque exemplaire est numéroté à la main et on compte pas moins de cinq inserts avec toutes les explications possibles et imaginables au sujet des groupes et musicien.ne.s qui ont contribué à ce double album ainsi que de nombreuses autres illustrations – une feuille A4 a d’ailleurs été ajoutée avec tous les crédits des artistes concerné.e.s. Autant dire que With Love, Jelodanti est un magnifique objet que le label a tenu à vendre à prix réduit, chose importante à signaler. 

 

Et coté musique, le résultat est tout aussi impressionnant : 

 


De Goz Of Kermer il en est à nouveau question ici avec La Limace et Musique Insupportable, deux titres de leur défunt guitariste Yves Charmillot retrouvés par hasard sur un vieux DAT. Puis un peu plus loin avec le Perfection de Darling, groupe monté par le bassiste / chanteur Adrien Kessler après l’aventure Goz Of Kermer. Le ton est donné pourtant il y a tellement de choses différentes, de groupes et de styles musicaux abordés qu’il est impossible de résumer With Love, Jelodanti à une poignée de noms que je n’ai pourtant pas cité au hasard.

Aux côtés de ceux que je connaissais déjà (A Shape*, Besoin Dead, The Work, Philippe Petit & Black Sifichi, Kill The Thrill, David Fenech, Jean-Louis Costes, Casio Judiciaire, Palo Alto, etc.) il y a toutes celles et tous ceux dont jusqu’ici je n’avais encore jamais entendu parler et qui ont parfois réveillé le vieux blasé et ronchon qui sommeille (à peine) en moi. Je citerai donc Rose Mercie, Gängsgtäng ou Sergent Buck mais il y en a beaucoup d’autres, With Love, Jelodanti se révélant être une vraie mine d’or et surtout réussissant son pari de nous faire partager, quoi qu’il arrive et quels que soient nos goûts personnels en matière de musiques, toutes sortes d’incongruités et de bizarreries. On passe donc du post punk à la chanson, du hip-hop electro au pipo-pimbo, du collage sonore à la musique improvisée, de l’ambient à la noise – une véritable exploration qui j’en suis sûr en appellera d’autres...

 

*A Shape est un groupe dont la chanteuse n’est autre que Sasha Andrès d’Heliogabale et (surtout) dont le deuxième album Iron Pourpre paraitra au mois de septembre, toujours chez Jelodanti, en collaboration avec quelques autres labels – on en reparlera à coup sûr

vendredi 7 août 2020

Club Sieste / self titled


S’appeler CLUB SIESTE est la toute première bonne idée – et aussi l’une des meilleures – d’un groupe qui va pourtant rapidement démontrer que les bonnes idées, ce n’est pas ce qui lui manque. Non mais imagine un peu, juste comme ça, au hasard : Club Sieste se serait appelé Painkiller, Last Exit, Mental Hygiene Terrorism Orchestra ou même Miss High Heel tu aurais tout de suite su à quoi t’attendre, non ? Quel ennui, hein ? Tous ces groupes dont les choix de nom ne sont que les révélateurs invariablement codifiés d’une musique trop prévisible… Bon OK, une fois de plus je me suis laissé emporter par mon enthousiasme de frustré, j’ai un peu trop exagéré et, après tout, je suis bien forcé d’admettre que j'ai du mal à imaginer que Regurgitate, Whitehouse, Sixun ou Michel Sardou puissent s’appeler autrement. Ce que je voulais dire en fait c’est plutôt : NON MAIS QUELLE IDÉE GÉNIALE D’APPELER CLUB SIESTE UN GROUPE QUI FOUT AUTANT LE BORDEL ET QUI SURTOUT EN FOUT DE PARTOUT. Parce qu’avec un nom pareil la surprise est absolument TOTALE.





Oui je crie. Et je crie pour plusieurs raisons. La première (et la principale) c’est que j’adore ça. La deuxième c’est que crier comme un trépané de la dernière chance est la seule solution que j’ai trouvé pour arrêter de rire aux éclats, ne serait-ce qu’une poignée de secondes, lorsque j’écoute ce truc sans appellation d’origine contrôlée et magnifiquement délirant. La troisième c’est que ce disque sans nom particulier – par contre les six compositions ont elles des titres incroyablement débiles – me fait énormément rire, donc. La quatrième est un peu le mélange des trois premières, dans des proportions plus ou moins variables selon la durée et l’intensité de l’exposition. Mais en gros c’est ça. Et je me demande pourquoi je n’en ai pas parlé plus tôt dans cette gazette pourtant si friande de sensations fortes, pourquoi dès sa parution je n’ai pas rédigé (érigé) une chronique monolithique, comme un monument de vénération, quelque chose de pétaradant à la gloire éternelle d’un enregistrement qui se moque tellement haut et fort des conventions semblant régir les musiques dites expérimentales, bruyantes et plus ou moins improvisées.
Club Sieste
est la réunion de Simon Henocq à la guitare et à la bidouille, Maxime Petit (file under : Louis Minus XVI) à la basse électrique, Basile Naudet au saxophone, Lucas Ventimiglia au vibraphone et à la bidouille et enfin Augustin Bette à la batterie. On connaissait déjà un peu les deux premiers de la liste, quant aux trois autres ils officient (officiaient ?) également au sein de Where is Mr. R ?!, trio foutraque qui jusqu’ici avait échappé aux contrôles radar et qui si j’en crois ce que j’ai pu écouter de lui depuis peu vaut carrément que l’on s’y intéresse. Je ne vais pas affirmer trop abruptement que Club Sieste est l’extension noise de Where is Mr. R ?! mais lorsqu’on écoute ceux-ci (les Where is Mr. R ?!) on est plutôt fortement tenté de suspecter un semblant de début de commencement de logique établissant un lien pouvant exister entre les deux formations.
Mais Club Sieste dépasse largement la ligne d'horizon et le cadre d’une refonte très électrique de la Sainte Freeture, aussi barrée soit-elle. Club Sieste est un groupe explosivement bruitiste qui a également compris que les manipulations sonores, les bidouilles harsh et associées et autres tentations de ferraillage ne seraient rien sans cette volonté du tout gratuit dans la gueule – je ne parle pas de pugilat ni de bastonnade mais de ce plaisir partagé et commun, un gros mélange de salive infectée lors d’un roulage de pelle en bonne et due forme (et plus si affinité) s’achevant sur une énième explosion d’hilarité désordonnée et libératrice. Peut-être que j’extrapole, peut-être qu’une fois de plus je prends mes petits désirs pour la réalité mais lorsque j’écoute ce disque j’imagine très distinctement les cinq musiciens le sourire aux lèvres et peut-être même complètement en phase jubilatoire parce que ne pouvant pas résister davantage à l’énormité cacophonique et à l’onanisme collectiviste de leur musique. Maintenant tu sais pourquoi j’ai toujours envie de CRIER LORSQUE J’ÉCOUTE CE DISQUE libertaire et détendu, bordélique et accueillant, complètement fou et rafraichissant comme une décoction de psilos bien frappée.

[le premier album sans titre de Club Sieste est publié en vinyle par 2035 records, le Collectif Coax et Gaffer records]


mercredi 5 août 2020

Cuir / Single Demo




Sortir les stéréotypes des placards et du musée du cynisme et de l’indécence, les étaler au grand jour et sans aucune modération, s’en faire une crème beauté fraicheur ou s’en servir comme d’un soin exfoliant et s’en foutre de partout reste le meilleur moyen de se moquer de tout. Et de se moquer de soi-même, ce qui ne gâche rien et restera toujours la seule chose à faire. Avec ses textes crus et violents dignes d’un éternel adolescent complètement attardé mais qui s’en fout totalement – après tout le « retard » n’est que dans le regard des autres et dans ce que tu leur as juste permis de voir – CUIR est le truc à la fois le plus véridique et le plus désillusionné qu’il nous ait été donné d’écouter ces derniers mois. Ne rien avoir à dire à part des histoires de nombril et de défonce mais le dire quand même : si cela te fait chier c’est ton problème et uniquement le tien.
Cuir est un one man band monté par Doug, chanteur de Coupe Gorge et de Sordid Ship. Mais là il est donc tout seul avec sa belle voix de braillard punk, sa guitare, sa boite-à-rythmes…  et son vieux synthétiseur au kitch volontairement envahissant. Single Demo est la version augmentée d’un inédit et en vinyle de deux cassettes de Cuir publiées courant 2019 par Offside Tapes : Single Single et Demo Demo Demo. C’est d’apparence complètement rudimentaire mais en fait incroyablement bien troussé, suffisamment simple pour être efficace et jouissif, complètement signifiant significatif  malgré ou plutôt grâce aux thèmes abordés dans les paroles. Pas besoin de tendre l’oreille ni de perdre son temps à les lire sur la pochette intérieure pour comprendre que ça parle d’ennui, d’envie de tout foutre en l’air, d’éclater les têtes de connards et de connasses que l’on croise tous les jours au coin de la rue, que ça parle d’une vie de merde, de haine de soi lorsqu’on a la tête éparpillée en mille morceaux le lendemain mais que ça ne parle pas vraiment de sexe stéréotypé, normalisé et consommable (le véritable ennui).
Du sexe il y en a éventuellement, mais en fait pour de faux, dans la présentation et tout le soin apporté au disque avec ce vinyle rose ou le masque en latex également rose porté par Doug sur la photo aux couleurs saturées – si ton rêve était de te faire offrir une paire de menottes moumoutées léopard pour ton noël pseudo s/m avec ta meuf ou ton mec du moment c’est raté. Au passage on remarque la présence ostentatoire d’un bédo bien troussé et d’une cannette de 8.6 mais tout ça, encore une fois, ce n’est que du visuel, pour alimenter la grosse blague que serait Cuir (as-tu quand même noté ce badge de Veuve SS ? dans le genre groupe pour lequel l’image et les visuels étaient très importants parce qu’en apparente contradiction avec la violence des textes et de la musique on a guère fait beaucoup mieux ces dernières années).
Reste que malgré toute son ironie et son jeu de cache-cache misère autour de la complaisance Demo Single fonctionne à plein régime. Les compositions sont très courtes, lapidaires presque, bien mémorisables grâce à une guitare qui aligne du riff de punk au kilomètre et qui surligne parfois (Tension Nerveuse) et surtout grâce à ce synthétiseur qui fait au moins la moitié du boulot et est quasiment omniprésent – ce qui permettra aux nécromanciens des temps futurs de classer Cuir dans la case synthpunk sans trop se tromper. Il y a beaucoup d’idées et plein de ressources là dedans, tout ce qu’il faut pour s’intéresser à ces histoires de gerbe, de défonce et de lendemains qui se ressemblent trop, tout ce qu’il faut pour s’agiter en même temps, brailler, se défouler. Et la blague, supposée comme telle mais ça aussi c’est ton problème, aura en fait une suite, parce qu’elle le vaut bien : Doug / Cuir est en train de mettre la dernière main à un nouvel enregistrement que l’on espère tout aussi faussement débile mais encore une fois complètement nihiliste.

[Single Demo tourne en 45 tours et a été pressé en vinyle rose par Offside records]

lundi 3 août 2020

[chronique express] Protomartyr / Ultimate Success Today



Ultimate Success Today était l’un des disques les plus attendus de l’année 2020 et il n’y aura aucun suspens, Protomartyr remplit parfaitement le cahier des charges avec ce cinquième album regorgeant de moments très forts, de moments très beaux et de textes sombrement poétiques ou violemment amers, le tout avec cette immense classe, cette générosité désinvolte et cette intelligence engagée qui jusqu’ici ont fait toute la réussite du groupe de Joe Casey et de Greg Ahee. Seulement il n’y a rien de réellement nouveau et malgré leurs qualités indéniables les compositions de Ultimate Success Today possèdent presque toutes un air de déjà entendu, comme si Protomartyr au sommet de son art depuis l’album et chef d’œuvre Relatives In Descent était désormais incapable d’aller encore plus loin et incapable de surprendre davantage. Mon problème est que je ne veux pas choisir entre le bonheur incroyablement intense d’avoir retrouvé ce groupe que j’aime particulièrement et la déception de me sentir condamné à l’aimer encore, pour exactement les mêmes raisons qu’avant… à moins que comme le chante Joe Casey (sur le poignant Worm in Heaven) Ultimate Success Today ne soit le dernier disque de Protomartyr, au titre plus que prémonitoire : « So it’s time to say goodbye. I was never keen on last words ».