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lundi 22 avril 2019

Orchestra Of Constant Distress / Cognitive Dissonance


Au tout début j’avais prévu que cette chronique débute ainsi : « Quel monde impitoyable. Une cathédrale séculaire se met à cramer toute seule, sans l’aide d’aucun norvégien illuminé et sataniste et je devrais pleurer à genoux devant dieu. Attention, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit : bien sûr que je suis un peu triste, j’aime les vieilles pierres et des vieilles pierres qui disparaissent aussi brutalement et aussi violemment ça me rend mélancolique, me renvoyant au côté éphémère de ma propre existence d’insignifiant cloporte qui va crever comme tout le monde. Mais je ne suis pas plus triste que si la Grande Mosquée al-Masjid al-Ḥarâm était partie en fumée ou que si le Mur des Lamentations s’était effondré. Pourtant l’heure est donc à la détresse nationale. Mais ça ne marche pas. Ou plutôt je ne marche pas. Je laisse aux milliardaires, aux financiers et aux marchands du Temple le soin de pleurer à ma place et de faire des donations permettant la future reconstruction du cœur de leur religion patrimoniale. Et je laisse à celles et ceux pour qui croire et prier est important un bout de trottoir pour mendier la miséricorde divine. Je trouve assez fascinant tout ce monde qui s’enferme toujours plus dans ses certitudes à l’aide de symboles qu’il pense comprendre et contrôler alors que tout lui échappe ; d’accord je ne vaux pas mieux moi qui m’enferme dans un autre monde qui n’existe pas »… Aucun rapport avec la musique, non ? Mais il fallait que cela sorte.





Je vais donc me contenter d’être factuel et de parler simplement d’ORCHESTRA OF CONSTANT DISTRESS, groupe suédois composé de Joachim Nordwall et de Henrik Rylander, deux anciens Skull Defekts (le premier a également joué dans Kid Commando et le second a débuté comme batteur d’Union Carbide Productions, rien que ça) ainsi que de Anders Bryngelsson (Brainbombs et No Balls) et de Henrik Andersson. Du beau monde quoi et surtout un ramassis de psychopathes de la musique qui dès le premier album d’Orchestra Of Constant Distress avaient tout mis en œuvre pour décourager les plus téméraires d’entre nous, celles et ceux qui ont peur de rien, chantent du Sister Idione ou du Whitehouse sous la douche, font des mash ups pour s’amuser en combinant le premier album de The Hospitals et Kollaps d’Einsturzende Neubauten et passent l’aspirateur en écoutant du Merzbow remixé par Zbignew Karkowski. Tu vois le genre ? Non ? Bon, pour la faire courte : une « composition » d’Orchestra Of Constant Distress égale un riff dissonant répété à l’envie sur fond de bruitages parasitaires, ce qui donne un album en cinq parties toutes plus ou moins identiques, instrumentales, épuisantes et dotées de titres commençant tous par le mot Fear – mon préféré étant Fear Will Act On Unwanted Impulses (e g To Stab Friend). Un an plus tard nos quatre gugusses ont remis ça avec un deuxième album intitulé Distress Test et publié par Riot Season, le label anglais prêt à tout. Ce disque a beau bénéficier d’une qualité sonore largement supérieure à celle de son prédécesseur, il n’y aura aucun suspense : une « composition » égale un riff dissonant répété à l’envie sur fond de bruitages parasitaires, etc, etc.  Sauf que là il y a six compositions et les plus masochistes qui ont réussi à dégoter la version limitée avec cassette bonus ont en même temps récolté six titres supplémentaires qui suivent strictement le même processus répétitif de destruction et d’anéantissement.

Nous voici donc en 2019. Il fait beau, l’hiver n’a pas eu lieu, le printemps à un gout de chips au vinaigre trempées dans de l’eau bénite et Orchestra Of Constant Distress, décidemment très prolifique, récidive à nouveau avec Cognitive Dissonance, encore et toujours chez Riot Season. Cette fois le son est carrément énorme. Mais quelque chose a également bougé dans les fondations profondes de la cathédrale suédoise. Comme une ouverture, toute petite il est vrai, une ouverture évidemment en forme de meurtrière et palpable dès Discomfort avec cette guitare qui jouerait presque les amuse-gueules, une guitare dont le son et les motifs ne sont pas sans rappeler certaines fulgurances des Skull Defekts. Du coup le côté répétitif, s’il est encore bel et bien là, devient nettement plus supportable et l’auditeur (moi) est moins violement pris de cette irrépressible envie misanthropique de destruction totale et définitive de la civilisation humaine. Il faut attendre les douze fatidiques minutes de Pride pour retrouver la douleur familière de la fraiseuse électrique attaquant de l’intérieur les boites crâniennes et cette impression d’être confronté à ce qui musicalement se rapprocherait le plus d’une céphalée écrasante et brûlante comme un brasier apocalyptique. Ces types sont des génies du mal. Ou pas loin.
La deuxième face de Cognitive Dissonance confirme malgré tout qu’Orchestra Of Constant Distress a définitivement affiné son propos. Hope serait presque groovy (au moins pour les gens qui ne savent pas danser ou alors uniquement après avoir pris de la drogue), Guilt Hopelessness donne envie d’entendre un peu de chant merdique (genre des mots dégueulasses hurlés sur un mode détaché) et Guilt qui arrive en clôture du disque possède tout du hit single pour un disque qui ressemble malgré tout à un champ de ruines. Le pire étant que les zigouigouis bruitistes font plus mal que jamais tout en devenant indispensables – l’addiction au désespoir ? Voilà. Je n’ai rien de plus à dire sur Cognitive Dissonance si ce n’est que son titre prête à sourire – « Dissonance cognitive »… non mais franchement… – mais venant d’un groupe dont le nom ressemble plus à celui d’une formation de post rock romantico-théâtral option mèche dans les cheveux qu’à celui d’une bande de terroristes adeptes du (saint) supplice par le feu, je ne m’étonnerai de rien. Et je me réjouis de la capacité d’Orchestra Of Constant Distress à élargir son propos sans renoncer à quoi que ce soit de sa perversité. Peut-être devrais-je parler de distillation et de filtrage car avec ce groupe chaque détail compte, du moindre roulement de tom à chaque grésillement électronique en passant par les grincements de guitare et la mise en place est d’autant plus bluffante qu’elle est transparente – on ne la détecte pas. Une musique aussi cérébrale et aussi jusqu’au-boutiste que celle-ci est une véritable rareté. Et un vrai plaisir. Primal et ensorcelant.