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jeudi 11 avril 2019

Post Now : Round One – Chicago vs New York


Bon alors, comment ça va chez Skin Graft depuis la dernière fois ? Plutôt bien finalement, et malgré tout le mal que je trouve encore à dire au sujet du label de Chicago je dois bien avouer que son actualité est particulièrement remplie en ce printemps 2019 avec la parution du premier album de Skryptor, celui de Psychic Graveyard (prévu pour le mois de mai) et cette compilation intitulée Post Now : Round One – Chicago vs New York. Un titre qui laisse présager qu’il devrait y avoir une suite un jour ou l’autre. Pour l’heure l’objet de ce disque est on ne peut plus simple avec un tracklisting qui alterne un groupe de Chicago avec un groupe de New York : il n’y a aucune unité stylistique, le choix des groupes semble uniquement suivre les aléas des goûts musicaux très diversifiés de Mark Fischer et de Rob Syers, les deux patrons du label – ce qui a toujours été le cas avec Skin Graft. Autant dire qu’il y a de tout sur cette compilation bourrée jusqu’à la gueule (70 minutes) et que tout n’est pas forcément inoubliable. Mais là aussi cela dépend des goûts de chacun et pour y voir (entendre) plus clair autant se lancer dans un inventaire certes un peu fastidieux mais nécessaire du contenu de Post Now : Round One – Chicago vs New York.

Chaque groupe propose deux compositions et c’est CHEER ACCIDENT et donc Chicago qui débaroule en premier. Le groupe de Thymme Jones a un très long historique derrière lui et une discographie pléthorique et étonnante d’une vingtaine d’albums avec une influence rock in opposition option Robert Wyatt qui domine largement sa musique depuis de nombreuses années. On retrouve sur War Is A Warrior et Site (Tod Rittmann, ex US Maple et Dead Rider, est à la guitare et au chant) ces fameux accents poétiques parfois très pop et zébrés d’incartades expérimentales et même kraut. Un bon début pour cette compilation bien que personnellement je préfèrerais toujours les vieux enregistrements de Cheer Accident, ceux avec Dylan Posa à la guitare.
Suit le premier gros morceau du disque avec le grand retour des
FLYING LUTTENBACHERS. A la séparation du groupe en 2007 Weasel Walter avait dit plus jamais mais fort heureusement pour nous il a une nouvelle fois changé d’avis. Désormais basés à New York (après Oakland mais surtout… Chicago) les Flying Luttenbachers version 2019 incluent le guitariste Brandon Seabrook (des géniaux Naftule’s Dream mais aussi Jessica Lurie Ensemble, Paul Brody’s Sadawa…), le bassiste Tim Dahl (Child Abuse et Ava Mendoza’s Unnatural Ways) ainsi que le saxophoniste Matt Nelson. Une formation qui rappelle celle baignée de freeture des années 1994/1995, lorsque Ken Vandermark et Jeb Bishop faisaient partie d’un groupe qui a quand même connu quatorze line-ups différents depuis ses débuts. Créature de Weasel Walter les Flying Luttenbachers jouent une musique toujours aussi partagée entre free, prog et noise et Demonic Velocities comme Prelude To Mutation donnent envie de se ruer sur Shattered Dimensions, le tout nouvel album du groupe dont on reparlera bientôt (du moins je l’espère) dans cette gazette. 





La suite de Post Now : Round One – Chicago vs New York est un peu plus compliquée. LOVELY LITTLE GIRLS (quatre albums dont deux chez Skin Graft) et son côté cabaret punk ne sont guère convaincants. En tous les cas ils me donnent envie de bailler. SKRYPTOR constitue – pour l’instant – une curiosité de taille puisqu’il s’agit d’un nouveau groupe composé d’illustres vétérans avec Tim Garrigan (des légendaires Dazzling Killmen) à la guitare et David McClelland (des tout aussi légendaires Craw) à la basse ; ils sont rejoints par le batteur Hank Shteamer. Clown Pony est un enregistrement en concert, le son est faiblard mais l’énergie est bien là, évitant à Skryptor de s’égarer dans les couloirs d’une métallurgie trop progressive… Par contre Red Mountain est un enregistrement studio qui se révèle parfois trop ampoulée, le son de la guitare est partagé entre déchirures noise et (trop de) bavures prog et autres figures imposées 70’s (à partir de 3’03 par exemple) qui me donnent envie de couper quelques doigts à Tim Garrigan et de lui confisquer en même temps certaines de ses pédales d’effets. Red Mountain ne restera pas un titre inédit puisqu’il sera inclus sur Luminous Volume, le premier album de Skryptor à paraitre chez Skin Graft et Sleeping Giant Glossolalia. 

Avec Man Crush et surtout le tubesque Sticky Nougat BOBBY CONN démontre qu’il est toujours le maître incontesté d’une pop dévoyée, loufoque et expérimentale. Ce type est un génie mais apparemment il s’en tape, ou alors il préfère continuer à faire de la musique – toujours accompagné de Monica Boubou – plutôt que de faire carrière dans un casino de Las Vegas. Il est difficile de ne pas se dandiner et de ne pas rire au son de ses ritournelles acides et lofi servies par un sens de la composition débordant de second degré et de strass mais conservant toute leur évidence. Je t’aime Bobby Conn. Elle aussi je l’aime et elle c’est Admiral Grey c’est-à-dire la chanteuse/vocaliste de CELLULAR CHAOS, diva de l’impur d’un groupe ravivant la fureur no-wave new-yorkaise. La guitare est hallucinante de rage et cisaille à tout-va, normal puisqu’elle est tenue par Weasel Walter qui fait donc une deuxième apparition très remarquée sur Post Now : Round One – Chicago vs New York. Et maintenant que Cellular Chaos a trouvé une nouvelle batteuse en la personne de Katelyn Farstad (aka Itch Princess) j’espère que le groupe va rapidement donner de ses nouvelles – et pourquoi pas un troisième album, hein ? A noter que Gaslight et Dirty Girl ont à l’origine été publiés pour récolter des fonds au profit de Tim Smith, guitariste des Cardiacs tombé gravement malade et ne pouvant faire face à ses dépenses de santé. 

Je devrais être sévère avec TIJUANA HERCULES mais je n’y arrive pas. Et pas seulement parce que le chanteur du groupe s’appelle John Forbes, ex chanteur de Mount Shasta. En fait le boogie-blues-rock teinté de psychédélisme de Tijuana Hercules est convaincant. Je n’écouterais pas ça tous les jours – restons sérieux ! – mais il se dégage de Revisited comme de I Stand Condemned un esprit positif et old-timer fort agréable, juste le temps de se reposer un peu avant le dernier groupe figurant au programme… CHILD ABUSE est l’un des trucs les plus monstrueux et difficiles engendré du côté de New York ces dernières années et le groupe de Tim Dahl (encore lui) ne faillit pas avec Dare To Live/Staying Strong et Grow A Pair/It’s My Time/Finally Free, deux pistes (mais cinq titres !) alliant synthétiseurs démembrés, lignes de basse algorithmiques, batterie déstructurée, voix trafiquées… Child Abuse détruit tout ce qu’il touche et les appellations de musique industrielle, de metal expérimental et de free music perdent ici de leur sens tant le groupe transcende allégrement les genres et enfante d’un monstre finalement indescriptible et innommable. Tu te rappelles de la créature dans Possession, le film d’Andrej Zulawski ? Et bien c’est exactement ce à quoi la musique de Child Abuse me fait toujours penser.