Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 30 juillet 2018

Boucan + Blacklisters @Farmer [27/07/2018]





Pour cause de déménagement Les Briques Du Néant ont cessé leur activité d’organisation de concerts sur Lyon… mais avant il fallait bien marquer le coup avec pas moins de trois concerts consécutifs au Farmer les 25, 26 et 27 juillet derniers.

Voici une sélection de photos du dernier soir avec les excellents BOUCAN et surtout les anglais déchainés de BLACKLISTERS que j’ai enfin pu voir en concert, il était temps.

(l’intégralité des photos de cette soirée est visible par ici

















































jeudi 26 juillet 2018

Portal / Ion








Cela pourrait être sans fin. Une peine éternelle et sans apaisement. Ion est le dernier album en date de PORTAL (mars 2018) et le plus facilement lisible du groupe en ce sens qu’il permet d’extraire certaines choses du corps principal, de les déchiffrer et de les en détacher avant qu’elles ne recollent à l’ensemble. Publié en 2007, Outre est lui considéré, et à juste titre me semble t-il, comme l’album chef d’œuvre de Portal tant il est lent, lourd, poisseux, magmatique, définitif et – en opposition à Ion – totalement illisible parce qu’il ne laisse entrevoir absolument aucune solution. Alors que de Vexovoid (avant dernier album, en 2012) en offrait lui beaucoup trop et fut une demi-déception. 
Cependant il est raisonnable de considérer que Ion est dans la lignée de Vexovoid, mais à une différence près et elle est d’importance : sur ce dernier album Portal n’a pas oublié d’être complètement malade et aliéné (et non pas simplement valétudinaire comme sur le précédent). Et ici le côté plus – presque ? – lisible prend tout son intérêt, surtout lorsque le gluant et le poisseux deviennent quasiment palpable, mais que l’on ne peut pas appréhender et vraiment comprendre tout ce qui se passe, lorsque la monstrueuse vérité nous nargue, comme sur le final de Phreqs où les guitares dérapent dans l’horreur tout en restant irrésistibles, sirènes du désastre et de l’agonie. Qu’est ce qu’il peut y avoir de plus effroyable que d’assister à quelque chose de terrifiant et de ne rien pouvoir faire contre ? L’irrémédiable.

Je comprends donc parfaitement toute la fascination qu’un groupe comme Portal peut exercer, aussi bien sur les metalleux que sur les non-metalleux. Tout comme je comprends le rejet que le groupe peut également susciter. La seule certitude c’est qu’entre les deux il n’y a rien ou pas grand chose, mise à part de l’incompréhension, c’est-à-dire, finalement, une autre forme de rejet, mais en plus simple et en moins risqué à exprimer. Or Portal vomit les tièdes et n’a jamais fait dans la demi-mesure. On imagine mal ces australiens – ils sont de Brisbane – remballer leur quincaillerie, leurs déguisements, leurs pseudonymes, leurs multiples références à Howard Philipps Lovecraft et leur death metal que je n’oserais même pas qualifier d’extrême tant il fait plus que repousser les limites du genre, le groupe fait comme si il n’y avait pas de limites, ou plutôt la limite c’est lui et personne d’autre. Ce qui fait dire à beaucoup que Portal joue du metal expérimental.

Expérimental c’est quand même un peu chiant comme qualificatif. Un qualificatif qui manque d’envergure parce que basiquement il signifie que les musiciens de Portal jouent comme des dieux essayant de se faire passer pour des brutes épaisses. C’est assurément vrai et facilement vérifiable sur Ion mais ce n’est absolument pas le plus important dans la musique du groupe. Sinon la musique de Portal ne pourrait pas autant s’apparenter à un cauchemar tentaculaire. Des trucs complètement fous en matière de (death) metal on en croiserait presque à tous les coins de rue depuis quelques années, je ne parle pas de ces abrutis en shorts à fleurs qui shredent et qui font du tapping dans la position du crabe orgueilleux mais de groupes comme Neige Morte, par exemple. Si Portal a quelque chose en commun avec ces derniers, c’est l’excellence dans l’art de la description d’une apocalypse (et il y a autant d’apocalypses que d’êtres vivants). Mais Neige Morte possède malgré tout quelque chose d’humain, y compris dans le chaos, en confrontant vie et mort, destruction des âmes et résurrection fantomatique. Alors que chez Portal il y a rien de tout ça : Portal est – au moins dans sa catégorie – le groupe le plus nihiliste que je connaisse actuellement, interdisant toute échappatoire, dégueulant son death metal comme un acte destructeur et gratuit, allant plus loin que la description et tentant de s’imposer dans la personnification, la conscience dans le mal.

[Ion est publié en CD et en vinyle – dans plein de versions différentes – par Profound lore]

mardi 24 juillet 2018

The Eye Of Time [23/07/2018]






Avant de crever définitivement de chaud au beau milieu d’une ville terrassée par la canicule, un concert à la cool et en extérieur avec THE EYE OF TIME c’est-à-dire le projet solo d’un ancien membre d’Aussitôt Mort.

Attendre que le soleil se couche et illumine une dernière fois les façades des immeubles et les arbres de la place Raspail dans le 7ème arrondissement de Lyon, s’installer dans l’herbe pour écouter cette belle musique, fermer les yeux et gouter aussi aux mélanges impromptus entre les notes de piano, les cris des enfants jouant dans le parc et la circulation de plus en plus vacillante des voitures sur les quais du Rhône à proximité. La nuit qui tombe.





























vendredi 20 juillet 2018

Comme à la radio : Oxbow & Peter Brötzmann






Comme à la radio ou plutôt comme à la tv avec la captation via la chaine de télévision Arte d’un concert donné par OXBOW et PETER BRÖTZMANN lors de l’édition 2018 du Moers Festival, soit la réunion improbable d’un groupe important des années 90 / début des années 2000 et d’un monstre sacré du free jazz européen canal historique :







Je dois avouer que le résultat est pas si mal malgré le côté propret de la chose – le public de jazzeux assis qui applaudissent mollement mais on n’est pas obligé de rester coller devant un écran pour regarder la vidéo et on peut juste se contenter de bien écouter la musique – et alors que j’avais vraiment quelques appréhensions, en particulier au sujet d’Oxbow qui n’est vraiment plus le groupe qu’il a été et dont l’album The Thin Black Duke publié en 2017 peut au mieux être considéré comme une vaine supercherie. Le passé reste le passé.


mercredi 18 juillet 2018

J.C. Satàn / Centaur Desire








Par pur acquis de conscience – parce que oui, je fais partie de cette sale race qui est celle des puristes et en plus je suis suffisamment imbu de moi-même pour prétendre avoir une conscience et la placer du bon côté – j’ai fouiné une nouvelle fois dans mes archives. Et au cours de cette petite séance de spéléologie domestique j’ai exhumé les traces fossilisées de pas moins de trois albums et de deux 7’ de J.C. Satàn… Autant dire que les bras m’en sont tombés, comme on dit familièrement… Trois albums !  Deux singles ! Pour un groupe que j’ai longtemps prétendu ne pas vraiment apprécier voire même détester parfois, ça fait quand même beaucoup. À croire qu’en fait je suis plutôt un amateur contrarié de J.C. Satàn et que mes deux meilleures amies la misanthropie (ma mère me disait tout le temps que ça fait partie de mon charme) et la mauvaise foi m’ont fait penser des horreurs au sujet d’un groupe qui n’en méritait peut-être pas tant que ça. Peut-être ? 
Oui : J.C. Satàn a beau être un groupe originaire de Bordeaux (mais pas que), ce qui entre nous n’est pas pire que d’être montpelliérain ou lyonnais, il mérite malgré tout une demi-seconde d’honnêteté. Et une chronique. Les temps changent et les modes aussi alors ne parlons même pas des gens. Par exemple jamais je n’aurais cru possible qu’en 2018 Asia Argento deviendrait fanatique – et chanteuse guest – d’Indochine ni que mon pote le crust à patchs irait boire des bières dans un bar du centre-ville sous prétexte de regarder la finale de la coupe du monde de foot sur un écran plat et qu’il finirait tout nu sur les tables avec un drapeau tricolore sur ses fesses tatouées – OK, je viens de changer de sujet… Et pendant ce temps là J.C. SATÀN a quand même publié son cinquième album.

Centaur Desire est un album plus produit que les précédents ; le son y est moins sale, plus lisible, plus carré sur les bords et plus rond dans les angles et le groupe a gagné en onctuosité ce qu’il a apparemment perdu en rudesse. Toutes proportions gardées, bien sûr : J.C. Satàn n’est pas devenu un arpenteur multivitaminé sport et jus de fruits de la bande FM – oui, ceci est bien une référence à la technologie florissante des années 80 – et derrière le glacis un peu plus lubrifié et goût vanille de ce Centaur Desire rien ne semble au fond avoir réellement changé (mis à part le départ de la bassiste et la batterie qui dorénavant est jouée pour de vrai, sans avoir recours à des machines, ce qui apporte un vrai plus au son général du groupe).
Disons que le côté abrupt de la musique de J.C. Satàn cède avantageusement la place à un surplus d’efficacité. Ce qui n’est absolument pas un gros mot lorsqu’on écoute des titres tels que I Won’t Come Back et Centaur Desire qui ouvrent la première face du disque – et quelle belle entrée en matière ! Une efficacité d’autant plus renversante au fur et à mesure de l’écoute l’album, lorsqu’on s’aperçoit qu’elle n’affecte pas et renforce plutôt le côté tordu, noir et même vitriolé mais aussi le côté pysché-banana de J.C. Satàn : la guitare crache autant sa fuzz dégueulasse sur fond de riffs accrocheurs ou de solos tourneboulés et le chant – masculin mais surtout féminin – distille son poison vénéneux et charmeur avec toute le panache nécessaire.
On entend désormais ce à quoi on avait jusqu’ici jamais réellement porté attention dans la musique de J.C. Satàn, du moins pas à ce point là. Une sensualité pas loin d’être exquise si elle ne portait pas aussi toute cette gravité et un petit supplément de groove entrainant qui supplante la nonchalance et la légèreté d’avant. Oui, bon, OK, je l’admets, J.C. Satàn n’a jamais vraiment été un groupe léger non plus mais plutôt un groupe d’apparence insouciante – tout comme le comique dépressif préfère faire rire les autres aux éclats plutôt que de s’avouer vaincu par ses propres démons. Regardez bien la bouille hilare du centaure qui orne la pochette de l’album (on dirait une sculpture, non ?) : on ne sait pas si notre ami à quatre pattes est définitivement complètement défoncé à la fuzz psychédélique ou s’il ricane parce qu’il nous a pris dans ses filets et qu’il va nous dévorer tout crus tout nus dans pas longtemps. Sûrement un peu des deux.

[Centaur Desire est publié en vinyle et CD par Born Bad records]

lundi 16 juillet 2018

The Thing / Again






Un album de THE THING est toujours un évènement dans le petit monde du jazz. Depuis bientôt presque deux décennies, le trio emmené par le saxophoniste Mats Gustafsson et la section rythmique composée du bassiste Ingebrigt Håker Flaten et du batteur Paal Nilsen-Love dépoussière allègrement le free, celui hérité d’Ornette Coleman, de Don Cherry mais surtout d’Albert Ayler (via Peter Brötzmann), le tout avec un brio incendiaire qui place The Thing largement au dessus de la mêlée. On peut préférer les aventures plus contrastées de Fire ! (autre projet de Gustafsson qui pourtant n’en manque vraiment pas), ce qui n’est pas mon cas : je suis du type conservateur obtus, traditionnaliste intransigeant voire réactionnaire intolérant et la puissance de feu (sic) qui semble radicalement animer la musique de The Thing arrive toujours à me réchauffer d’une incomparable façon.
Again est un énième album du trio – j’ai vraiment trop la flemme de compter mais on approche à peu près de la vingtaine – de prime abord plus « classique » que la plupart des autres enregistrements de The Thing avec ses trois compositions seulement et, formellement, il semble le plus proche du free jazz iconoclaste des années 60. Le trio aime faire régulièrement des reprises de garage 60’s (sa version de The Witch des Sonics est un délice) et s’accoquiner avec des musiciens très différents (de Otomo Yoshihide à Neneh Cherry en passant par Thurston Moore et James Blood Ulmer) mais avec ce nouvel album il recentre son propos sans rien perdre de son incandescence. Pas trop de coquetterie, donc.

Sur Face est une longue suite de près de vingt minutes composée par Gustafsson et pendant laquelle The Thing passe par tous les états possibles, déployant inlassablement la carte de ses différents savoir-faires et de ses humeurs sans pour autant faire étalage d’outrecuidance. Plus qu’un hommage bien senti au jazz libéré et libertaire, Sur Face est un étonnant voyage dans ce que j’interprète comme le jardin (pas si) secret du saxophoniste, son credo musical, sa raison de vivre peut-être, au moins à titre symbolique. A plus de cinquante ans – il est né en 1964 – Mats Gustafsson n’aura jamais été aussi brillant, aussi fougueux mais également aussi nuancé et aussi délicatement émouvant. La partie finale de Sur Face est un moment de grâce nous incitant, littéralement donc, à gratter au delà des apparences et des choses, un moment privilégié, une sorte de bulle en état de suspension…
… Alors il est d’autant moins étonnant que la composition suivante du disque soit une reprise de Frank Lowe : Decision In Paradise s’enchaine parfaitement après les dernières notes de Sur Face. The Thing avait déjà dans le passé rendu hommage à ce grand mais trop méconnu saxophoniste admirateur de John Coltrane et qui au sein des musiciens de la seconde vague free jazz avait su se démarquer complètement de son incontournable et illustre ainé (dont il a tardivement mais magnifiquement repris Impressions, sur son album Bodies And Soul en 1995). Lorsque pour l’album She Knows… (l’un des tout meilleurs de The Thing) Gustafsson et ses camarades avaient enregistré For Real de ce même Frank Lowe, le trio était accompagné du géant Joe McPhee. Lequel est à nouveau présent avec sa trompette de poche et ses cris de harpie sur ce Decision In Paradise. Qui d’autre que l’ami et acolyte de Lowe pour donner encore plus de relief à cette très belle version du porte-étendard de ce que beaucoup considèrent comme de l’un des meilleurs albums du saxophoniste disparu* ? Les notes du livret accompagnant Again font directement allusion à ce dernier, pygmalion de modestie, alors il y a peu de chances pour que tout ceci fasse gagner un peu plus de reconnaissance à Frank Lowe.

Troisième et dernier titre de Again, Vicky Di est une composition de Ingebrigt Håker Flaten pour laquelle le bassiste a troqué sa contrebasse contre une basse électrique et se fend d’un solo poliment bruitiste et chargé d’effets bordés mais qui a le bon goût de ne pas trop s’éterniser. De son côté Gustafsson abandonne le saxophone ténor et opte élégamment pour le saxophone soprano. Avec Vicky Di on se frotte au côté le plus consensuellement moderniste – tendance free jazz électrique de salon chéri-chéri – de The Thing, mais aussi le moins fantaisiste, le moins drôle et le plus cérébral, celui que j’aime le moins.
On peut ainsi considérer Again comme un triptyque dont Decision In Paradise serait le pivot central et profondément affectif** encadré par un Sur Face représentant les fondations du trio tandis que Vicky Di défendrait les évolutions électriques de sa musique. Un triptyque faisant de Again un album-somme (malgré son titre un peu paresseux) et qui surtout fait penser à un album testamentaire – car en y regardant bien voilà un résumé quasi exhaustif des aspirations jazz de The Thing. En tous les cas il s’agit d’un enregistrement dans la très bonne moyenne du trio même si pour découvrir The Thing on préférera forcément l’écoute du premier album sans titre (2001), de Garage (2004) ou de Bag It ! (2009).

[Again est publié en CD et vinyle par The Thing records en association avec Trost records, label dont la catalogue de nouveautés, de rééditions et d’éditions exclusives en vinyle (via sa division Cien Fuegos) ne cesse de me mettre la bave aux lèvres]

* l’album Decision In Paradise a été édité en 1985 par Soul Note et une réédition en bonne et due forme serait plus que bienvenue
** surtout avec un titre pareil…

vendredi 13 juillet 2018

Comme à la radio : Cyril Meysson et Rodolphe Loubatière


[il semblerait qu’il ne faille jamais commencer une chronique de disque en employant le mot je, cet ignoble témoignage d’un égocentrisme forcené et donc aveugle, parce que sinon la dite chronique risquerait de trop ressembler à la rédaction d’un élève de CM1, une lettre adressée au courrier des lecteur de OK Podium ou un article lu dans n’importe quel blog musical et branchouillard – mais cela tombe plutôt bien parce que ceci n’est absolument pas une chronique de disque]






J’ai donc fini par me dire qu’il était temps pour cette gazette de commencer à parler de musiques peut-être un peu plus cérébrales et savantes, parler de musique improvisée par exemple. Mais oui.

Pour se faire j’avais envisagé de chroniquer Sédition, premier album d’un duo formé en 2015 par Cyril Meysson à la guitare et Rodolphe Loubatière à la batterie.  Et puis j’ai renoncé. D’abord parce que ce disque a été enregistré il y a deux ans et qu’il a été publié le 11 juin 2017 par Degelite : j’ai beau vouloir ne pas coller absolument à l’actualité, il y a des limites que le décence temporelle m’interdit de franchir ; ensuite, c’est désormais l’été et mon enthousiasme de chroniqueur risque de se retrouver quelque peu émoussé face aux assauts accablants d’une nouvelle canicule gériatrique ; enfin, et c’est le plus important, Sédition est à l’opposé de ce à quoi je m’attendais. Et à quoi m’attendais-je ? Et bien… Sédition n’est absolument pas un disque fait pour s’astiquer voluptueusement le cortex spongiforme avec d’un côté un tintinnabuleur de cordes de guitare et de l’autre un gratouilleur de caisse claire.  Sédition est tout autre chose.

Mais écoutez plutôt :






Ceci est donc un disque de musique improvisée et surtout un disque de musique palpitante, pour ne pas dire vivante. Alors, oui, écoutez comme Cyril Meysson et Rodolphe Loubatière se parlent, communiquent, se répondent, échangent et surtout s’amusent. Écoutez comme Sédition peut aussi bien avoir la légèreté d’un rêve ou d’une déambulation sonore que la brutalité électrique digne d’un noise rock catapulté par l’esprit libertaire du free. Écoutez comme il est encore possible – et il en sera toujours ainsi – de faire de la liberté en musique(s) un moyen aussi bien qu’une fin.

Surtout, écoutez comme j’ai eu tort : la musique que le duo a enregistrée pour Sédition n’a strictement rien de savant ni de cérébral ; par contre elle est en recherche constante d’elle-même, elle se trouve, et se retrouve encore, différemment, loin des amphigouris, en constante progression et en constante évolution, belle et brute, entière. Écoutez.

jeudi 12 juillet 2018

Keiji Haino + Sumac / American Dollar Bill - Keep Facing Sideways, You're Too Hideous To Look At Face On


Je n’ai jamais beaucoup cru en Sumac, ce « supergroupe » formé d’Aaron Turner (Isis, Old Man Gloom*, boss de Hydra Head), Brian Cook** (Botch, These Arms Are Snakes, Russian Circles) et Nick Yacyshyn (Baptists***). Je n’y ai d’autant jamais beaucoup cru qu’il aura fallu attendre What One Becomes, soit le troisième album du groupe, pour avoir enfin quelque chose d’un peu passionnant à se mettre entre les deux oreilles.
Certes il y a du gratiné de qualité supérieure dans Sumac mais c’est peut-être aussi le problème du trio : Aaron Turner en particulier fait partie de ces musiciens qui ont élevé la gonflitude et le boursouflage au rang de chef d’œuvre du mauvais goût – je veux bien sûr parler d’Isis qui a lentement mais sûrement dégringolé tout au long des années 2000, convertissant religieusement les hardcoreux fort justement lassés par le screamo pleurnichard en babloches barbus et végétariens. Le post hardcore était né, vive l’avortement. Mais fort heureusement Sumac n’est pas Isis et Turner n’est finalement pas du genre à se reposer sur ses lauriers ni à capitaliser pour son épargne-retraite. Particulièrement bien entouré par Cook à la basse et Yacyshyn à la batterie, le guitariste/chanteur a réussi à remonter dans l’estime des plus récalcitrants membres de la Stasi MuzikShaft grace à ce projet renouant enfin avec lourdeur et noirceur.
What One Becomes date déjà de deux années et Sumac annonce la parution de son quatrième album pour le 21 septembre**** mais entre les deux SUMAC aura publié American Dollar Bill – Keep Facing Sideways, You’re Too Hideous To Look At Face On en association avec KEIJI HAINO… Pourquoi pas ? Ce dernier a déjà enregistré tellement de disques et joué avec tellement de musiciens différents – de Peter Brötzmann à Boris en passant par Kan Mikami ou Pan Sonic – que si demain on annonçait une nouvelle collaboration avec Jamie Stewart (Xiu Xiu), Cyril Meysson ou Gnod je n’en serais guère étonné. 







Mais voilà donc que Aaron Turner, Brian Cook et Nick Yacyshyn ont accepté de faire le backing band pour Keiji Haino : il suffit d’écouter n’importe quelle face de American Dollar Bill***** pour se rendre compte qu’il ne s’agit absolument pas d’un album réellement collaboratif mais bien d’un disque « avec » et que c’est le japonais qui mène les débats. Il n’y a que lui qui chante (on n’entend pas une seule fois la voix d’Aaron Turner) tandis que, côté guitare et même si la première face entièrement occupée par le morceau-titre donne largement le change, le jeu de Turner sert la plupart du temps d’enluminure et de faire-valoir, ou suit de façon très mimétique les errances de celui du japonais au point de se confondre avec lui. Ce n’est donc pas pour rien si la pochette de American Dollar Bill indique KEIJI HAINO + SUMAC : à tout seigneur tout honneur. Sans compter que Haino est (logiquement) crédité pour tous les textes. Et même si cet album a été enregistré en prises directes (les fins abruptes de morceaux coupés façon montage archaïque de bandes sont là pour nous le rappeler mais c’était plutôt inutile) et est le fruit d’improvisations, cela ne change pas grand chose à l’affaire.
Déjà cité un peu plus haut, l’association entre Keijo Haino et Boris (Black : Implication Flooding – 1998, Inoxia records) demeure le seul élément stylistiquement comparable que l’on puisse trouver dans toute la discographie du musicien-performer japonais. Bien que plus équilibré et enregistré dans les chiottes Black : Implication Flooding indiquait déjà que Keiji Haino n’était qu’un vampire désintéressé et fantasque suçant le sang de ceux qu’il aime non pas pour atteindre l’éternité et le nirvanoise mais uniquement par plaisir. Rien n’a donc réellement changé entre 1998 et 2018, sauf bien sûr les groupes accompagnateurs.
Le problème de ce disque estampillé Keiji Haino + Sumac n’est donc pas qu’il soit largement sous domination japonaise mais qu’il soit improvisé. La plupart du temps on s’amuse plutôt bien à l’écoute de American Dollar Bill mais on s’y ennuie aussi fortement presque à chaque fois que le groupe fait retomber la tension, baisse la garde et tente quelque chose de plus atmosphérique voire de plus intimiste (si si). C’est toute la différence entre des improvisations totales menées par des musiciens dont c’est la vocation première et des improvisations menées par des novices (ou presque) venus d’horizons différents de l’improvisation libre et surtout répondant à des codes et des principes plus strictes et plus définis – ici le post hardcore-noise-je-ne-sais-quoi donc, plus génériquement, le « rock » – les premiers se contentent de jouer, les seconds ne savent pas (s’) oublier.
Il n’en demeure pas moins que American Dollar Bill reste un bon disque avec de vrais gros moments forts qui concentrent abimes de tumulte et tornades de vociférations, un disque intéressant dans cette énième tentative de sculpter l’électricité pour en faire un monument à l’entière gloire du bruit et de la fin du monde réel. Amie lectrice/ami lecteur, si en dépit de tout L.A. Blues des Stooges reste ton morceau préféré de tous les temps alors il y a de fortes chances pour que les passages les plus fulgurants de ce double album te conviennent. Pour le reste, je crois que seul.e.s les inconditionel.le.s de Keiji Haino y trouveront totalement leur compte. Comme d’habitude.


* parmi tant d’autres... on peut également citer Mamiffer, Lotus Eater, Twilight, Greymachine, etc
** là il y a débat : Sumac est souvent présenté comme un duo avec deux membres permanents plus un bassiste en renfort – la plupart du temps il s’agit donc de Brian Cook mais Joe Preston a également occupé ce poste dans le passé
*** le nouvel album de Baptists c’est pour bientôt et on en reparlera
**** il s’appelle Love In Shadow et sortira chez Thrill Jockey (évidemment)
***** oui, j’abrège le titre du disque exprès, parce que je suis un gros fainéant

mardi 10 juillet 2018

Gay Witch Abortion - The Grasshopper Lies Heavy / split


Basé à Minneapolis et existant depuis 2000, Learning Curve records est un label formidable qui a sorti une grosse soixantaine de références parmi lesquelles on croise grands et petits noms de la noise et/ou du punk cradingue made in U.S. (Sicbay, Vaz, The Blind Shake, Disasteratti, Hawks, Hammerhead, Animal Lover) mais également quelques formations anglaises (Henry Blacker, Blacklisters, Hands Up Who Want To Die). Les dernières parutions du label portent les noms de Plaque Marks (avec des bouts de Fight Amp dedans !) et, plus récemment encore, de Tongue Party ou Bummer.
Peut-être arriverai-je à parler correctement de tout ça un jour... en tous les cas voilà une énumération impressionnante qui donne à comprendre que Learning Curve montre une prédisposition certaine pour le lourd et le gras : ce n’est donc pas ce split album partagé par Gay Witch Abortion et The Grasshopper Lies Heavy qui me contredira. Amateur de finesse tu peux tout de suite arrêter ta lecture tant qu’il en est encore temps et t’occuper autrement en passant l’aspirateur dans ta chambre (par exemple).






GAY WITCH ABORTION est un duo guitare et voix / batterie qui aime foutre le bordel mais dont les disques ont souvent tendance à s’essouffler  rapidement. Je suis cependant à peu près certain qu’un concert de ces deux gugusses doit valoir son pesant de houblon transpiré et de crétinerie assumée, la musique de Gay Witch Abortion s’y prêtant tout à fait. Mais à écouter à la maison ce n’est pas tout à fait la même chose. Le principal fait d’armes du groupe n’est pas à chercher du côté des albums Maverick et Opportunistic Smokescreen Behavior mais d’un 10’ sorti en 2014 et enregistré à trois : comme son nom l’indique The Halo Of Flies Sessions a en effet bénéficié de la collaboration de ce vieux cochon carnivore et misogyne de Tom Hazelmyer qui s’y connait pour remonter le niveau à grand coup de basse bien épaisse et bien mastoc.
Une basse c’est logiquement ce qui manque toujours et encore sur les cinq nouveaux titres de ce split proposés par Gay Witch Abortion bien que le format relativement court d’une face de 12’ convienne largement mieux au duo. Le presque meilleur (le fébrile Wagon Train, les très courts Summon The Creeps et Bullies) côtoie le plus ennuyeux (le trop disparate Thagomizer et le prévisible Organ Pillage). Ce n’est pas encore inoubliable et indispensable mais je dois avouer qu’il y a quand même une amélioration : après tout trois titres acceptables sur cinq c’est déjà plus que la moyenne. 




Je ne connaissais pas du tout THE GRASSHOPPER LIES HEAVY, groupe texan qui revendique déjà un nombre conséquent de réalisations depuis sa création il y a sept ans. Qu’importe. Avec ce nom tiré d’un célèbre roman de Philip K. Dick – dans Le Maitre Du Haut Château (1962) il est question d’un livre dans le livre, Le Poids De La Sauterelle, servant de fondement/pivot à l’uchronie imaginée par Dick – je ne m’attendais à rien en particulier de la part de The Grasshopper Lies Heavy et j’avais plutôt raison : je n’en ai été que plus agréablement surpris.
Crocodile Tears est un instrumental chargé en noise rock alourdi par une basse imposante (ha !) tandis que Hide Your Keys est du meilleur effet en lorgnant du côté d’un Unsane crépitant ; Teeth reste dans la même veine, juste en un peu moins percutant mais en plus vicieux ; Five est un deuxième instrumental et malgré son intro ultra oppressante The Grasshopper Lies Heavy s’y montre finalement plus mélodique derrière sa démonstration de hardcore noise couillu et puissant (et toujours cette grosse basse !). Tout ceci me donne invariablement l’envie d’écouter tous les autres disques du groupe et plus vite que ça. Le ménage et l’aspirateur peuvent bien attendre.

samedi 7 juillet 2018

Théorème + François Virot Band @Bal des Fringants [05/07/2018]






Fermeture annoncée du Bal des Fringants, chouette lieu planté au beau milieu des pentes de la Croix Rousse à Lyon...

... et des photos du premier jour (seulement) de ce dernier bal : Théorème puis François Virot Band pour un excellent concert aussi pop qu’électrique.