La toute première fois que le nom de Coilguns est parvenu à mes oreilles c’était pour entendre
les mérites d’un groupe qui allait bientôt donner un concert pas très loin de
chez moi. L’organisateur du dit concert m’avait alors affirmé : cela pourrait te plaire et tu verras, c’est
encore une convergerie mais c’est plutôt bien et plutôt réussi dans le genre.
Une catégorisation et un descriptif (pas forcément très justes) qui pouvaient très
bien attirer les sportifs du hardcore en plastique comme faire fuir les
ronchons tourmentés et autres intellos à lunettes. Mais Commuters, le tout premier album de Coilguns, venait tout juste de paraitre et fort heureusement il
possédait suffisamment de personnalité et de caractère pour se passer de toute
comparaison limitée et pour convaincre positivement le plus retors des
ayatollahs du goût des autres. En 2013 Coilguns
n’était déjà pas un groupe très compatible avec la doxa hardcore et métallique.
Alors laissons tout de suite tomber les idées
préconçues à propos d’une formation plutôt étrange et atypique dont l’évolution
discographique démontre un tempérament autonome aussi inventif qu’inflexible ;
mettons de côté les clichés tels que : Coilguns est un groupe suisse (La
Chaux De Fonds) ; Coilguns évolue dans un style très en vogue de par là-bas,
entre hardcore, noise et metal ; Coilguns ne mange pas de viande mais sait
faire saigner les tympans ; Coilguns c’est la guerre et la douleur ; etc.
Je reconnais volontiers que cet environnement musical a très certainement joué un
rôle propice dans l’éclosion et le développement d’un groupe formé par d’anciens
membres de The Ocean, The Fawn, Kunz et j’en oublie mais cela ne suffit pas à
tout expliquer, loin de là.
En publiant Millennials en mars 2018, COILGUNS
a fait plus que continuer à s’affranchir de toute cette scène hardcore
machinchose et s’est placé très loin au dessus de tout ça. Ou plutôt le groupe
a définitivement plongé tête la première dans un étang dangereusement attirant et
à la profondeur insondable, laissant flotter à la surface les bons élèves et les
nageurs en gilets de sauvetage qui ont trop peur de prendre le risque de se
noyer. Il n’y a que deux façons de se jouer des codes et des habitudes :
soit les parodier et s’en moquer (le fameux second degré) ; soit se les
approprier au-delà de toute volonté de copiage et de reproduction. A condition
de savoir s’en donner les moyens, donc d’en avoir le talent. Coilguns fait clairement partie des
trop rares groupes qui osent s’ouvrir les veines et aller au bout de leurs
limites non pas pour faire apparaitre la vérité mais leur vérité à eux.
Enregistré dans une vieille maison
isolée au milieu de nulle part et par les propres soins du groupe – plus
exactement c’est le chanteur / guitariste Louis Jucker qui s’en est chargé – Millennials possède un son tout
bonnement incroyable et organique, bien loin de toutes les productions
actuelles toujours trop surgonflées et stéréotypées. La musique de Coilguns est ni lisse ni froide comme
le métal d’une sulfateuse en mode automatique et elle ne peut pas être comparé
à une arme de destruction massive ou à un banc de musculation abdominale. Dans
la forme comme dans le fond elle est bourrée de surprises et de
« faiblesses » : Millennials
est un disque hérissé et cabossé de toutes parts et il révèle surtout d’innombrables
failles dans lesquelles Coilguns
nous entraine corps et âme ; il n’y a aucun pseudo sadisme calculé et donc
aucune posture et aucune démonstration là dedans. Nous plongeons donc volontiers
en même temps que le groupe et pour rien au monde nous ne voudrions le lâcher et abandonner cette
longue étreinte envoutante et vénéneuse.
Chargé en saturation, dissonance, cassures mais aussi en malaise et en noirceur, Millennials est un disque perturbé et anxiogène mais ne saurait être simplement réduit à ça. Chacun des dix titres apporte son lot d’éléments imprévus et les compositions prennent souvent des tours inattendus. Une rythmique rapide, un riff tranchant ou une partie de chant hurlée cachent toujours autre chose. Écoutez bien l’enchainement Millennials / Spectrogram, on y trouve une incroyable succession d’éléments : un départ fulgurant comme une torpille vers l’inconnu ; un son de guitare déchirant et comparable à nul autre, aussi tranchant que chargé en résonnances sépulcrales ; puis surgit comme un glissement en arrière plan (il semblerait que le disque ait été enregistré sur bandes, ce qui permet certaines manipulations) ; arrivent alors des voix chuchotées et insaisissables comme des spectres et le retour de ce son de guitare toujours aussi stupéfiant, sur fond de roulements de batterie et de nappes de synthétiseur. Et les surprises de continuer sur Music Circus Clown Care puis Ménière’s, etc, etc. Avec cet album Coilguns ne laisse donc que peu de répit à l’auditeur mais sans l’étouffer dans un ennui mortifère. D’une densité aussi intense que rare, Millennials est un disque imposant – important – et surtout un disque bourré de talent, ce genre de talent qui consiste à ne pas se contenter ni jamais se satisfaire de ce que l’on a déjà fait tant de fois : Millennials est perpétuellement en mouvement et cela reste finalement la plus grande des qualités d’un album qui par ailleurs n’en manque absolument pas.
Chargé en saturation, dissonance, cassures mais aussi en malaise et en noirceur, Millennials est un disque perturbé et anxiogène mais ne saurait être simplement réduit à ça. Chacun des dix titres apporte son lot d’éléments imprévus et les compositions prennent souvent des tours inattendus. Une rythmique rapide, un riff tranchant ou une partie de chant hurlée cachent toujours autre chose. Écoutez bien l’enchainement Millennials / Spectrogram, on y trouve une incroyable succession d’éléments : un départ fulgurant comme une torpille vers l’inconnu ; un son de guitare déchirant et comparable à nul autre, aussi tranchant que chargé en résonnances sépulcrales ; puis surgit comme un glissement en arrière plan (il semblerait que le disque ait été enregistré sur bandes, ce qui permet certaines manipulations) ; arrivent alors des voix chuchotées et insaisissables comme des spectres et le retour de ce son de guitare toujours aussi stupéfiant, sur fond de roulements de batterie et de nappes de synthétiseur. Et les surprises de continuer sur Music Circus Clown Care puis Ménière’s, etc, etc. Avec cet album Coilguns ne laisse donc que peu de répit à l’auditeur mais sans l’étouffer dans un ennui mortifère. D’une densité aussi intense que rare, Millennials est un disque imposant – important – et surtout un disque bourré de talent, ce genre de talent qui consiste à ne pas se contenter ni jamais se satisfaire de ce que l’on a déjà fait tant de fois : Millennials est perpétuellement en mouvement et cela reste finalement la plus grande des qualités d’un album qui par ailleurs n’en manque absolument pas.
[Millennials
est publié en vinyle et CD par Hummus records,
le propre label de Coilguns – tous
les précédents enregistrements du groupe (EPs, splits et album) ont par
ailleurs été réédités avec grand soin pour l’occasion, alors profitez-en]