Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 31 décembre 2018

Comme à la radio: Commando Koko






Animateur privilégié de tes soirées lyonnaises les plus folles, auteur de mixtapes à réveiller les grabataires habituellement amateurs de guitares saignantes, de freeture de binious ou de grincements de tractopelles éventrées – oui là je parle de moi – COMMANDO KOKO sort un single pile-poil au bon moment pour combattre l’injonction traditionnelle des fêtes de fin d’année et relever le niveau général.




Landscape Of Love est un vrai tube sur lequel on remarquera la guitare très funky d’Anto (Fat32 / Chevignon) et surtout le featuring d’Eosine 1ere  dont le chant de velours noir se marrie parfaitement avec l’acidité des arrangements et le beat appuyé imaginés par Commando Koko. En face B Sans Cœur est un instrumental qui navigue une fois de plus entre déhanchements et ombres électroniques ; cette musique est bien plus trouble qu’elle ne le semble au départ, même si pour ma part je regrette un petit peu le côté plus low house de certaines autres compositions de Commando KokoLove Sensation par exemple.

Le magnifique artwork représentant l’artiste en personne est signé Der Kommissar c’est à dire le nom que prend Commando Koko dès qu’il peint et qu’il dessine, vérifiant le célèbre adage qui affirme que l’on est jamais aussi bien servi que par soi-même (surtout lorsque c’est fait avec autant d’humour). Et en publiant ce disque en collaboration avec Atomic Bongos, S.K. records* démontre une fois de plus son goût prononcé pour l’éclectisme et l’aventure**.

* Tristan aka Commando Koko aka Der Kommissar est aussi l’un des cofondateurs historiques de S.K. records et ancien bassiste des trublions de Ned
** en 2019 S.K. records fêtera officiellement son vingtième anniversaire avec plein de concerts, encore plus de disques et une avalanche de surprises – on en reparlera en temps voulu

vendredi 28 décembre 2018

Ty Segall / Fudge Sandwich





Amusons nous un peu en attendant la mort avec un petit quizz rigolo de fin d’année : quel est le point commun entre Télérama et les Inrockuptibles ? Les programmes TV bien sûr ! Deuxième question, un peu plus difficile : le rapport entre les deux journaux déjà cités et le Figaro ? L’âge de leurs lecteurs, évidemment ! Troisième et dernière question, encore plus compliquée : le lien entre Télérama, les Inrockuptibles, le Figaro, France Inter, Gonzaï, Arte et la gazette internet que tu es précisément en train de lire ? Ty Segall, à n’en point douter !
TY SEGALL ? Je suis d’avis que ce blondin a tendance à publier un peu trop de disques chaque année – que ce soit sous son nom ou avec l’un des nombreux groupes dans lesquels il joue ou avec lesquels il collabore – comme s’il faisait un concours de bite avec John Dwyer. Mais je suis également bien obligé d’admettre que ce garçon se plante assez rarement ; tout au plus inspire t-il cet inévitable sentiment de lassitude et de déjà entendu… En 2018 Ty Segall m’avait cependant déjà épaté avec le très réussi double album Freedom’s Goblin sur lequel il devenait presque méchant (arrrghh) et je m’étais alors surpris à espérer dautres nouvelles de sa part, toutes aussi bonnes et bientôt si possible. Ce « bientôt » est donc arrivé encore plus rapidement que je ne le pensais sous la forme d’un album intitulé Fudge Sandwich et publié par In The Red records au mois d’octobre dernier. 

Ce « sandwich au caramel » (ahem) appétissant – il manquerait peut-être une bonne dose de fluff pour couronner le tout – a d’abord attiré mon attention parce qu’il s’agit exclusivement d’un album de reprises. Impossible même de l’ignorer (gros plan marketing sur les internets) et si le cover album est le passage obligé de beaucoup de groupes en manque d’idées nouvelles ou pressurés par leurs maisons de disques trop gourmandes ce n’est pas le cas de Ty Segall et de son Fudge Sandwich : comme on l’a vu notre homme est hyper prolifique et souvent inspiré donc on peut en déduire que cet énième disque est effectivement un bel hommage et le catalogue non exhaustif de ses goûts musicaux. C’est déjà ça.
Il y a malgré tout un côté très appliqué et très scolaire dans la démarche de Ty Segall puisque au verso de la pochette du disque le groupe ou musicien ayant enregistré la version originale de chaque titre repris sur Fudge Sandwich est mentionné comme il se doit. Ainsi Funkadelic et le Spencer Davis Group côtoient Rudimentary Peni, les Sparks et Gong. La présence de certains noms n’est absolument pas étonnante (John Lennon et Neil Young), d’autres laissent davantage songeur (la liste est longue, en fait…) et la seule conclusion que l’on peut en tirer est que Ty Segall est un garçon aux goûts et aux influences absolument variés – pour en terminer avec l’énumération des artistes repris ici : War, The Dills, Amon Dull II et le Greatfull Dead. Dans strictement tous les cas, il ne fait aucun doute que Fudge Sandwich est un véritable album de Ty Segall puisqu’on y retrouve nombre des qualités des enregistrements originaux du musicien ; beaucoup de ces reprises (mais paradoxalement pas celle du Isolation de John Lennon) renvoient même directement à Twins (Drag City, 2012) qui est mon album préféré de Ty Segall et à mon sens s’il fallait n’en posséder qu’un de toute sa discographie pléthorique ce serait celui-ci.

Le principal reproche que l’on peut faire à Fudge Sandwich revient à reprendre l’argumentaire ci-dessus et l’inverser : certaines et certains trouveront que Ty Segall a trop bien repris les chansons de cette collection, qu’il se les est trop réappropriées et qu’ainsi il les a presque vidées de leur substance au risque de les dénaturer. On remarque que parfois il a tenté d’apporter un traitement à contre-courant des versions originales, accélérant les chansons lentes, ralentissant les chansons rapides, transformant les machins hippie en bourrades rock’n’roll, etc. L’art de la reprise est un art difficile et beaucoup s’y sont cassés les dents mais ce que l’on peut se demander avec Fudge Sandwich c’est : est ce que Ty Segall a choisi ces titres là précisément parce qu’il savait qu’il allait en faire qu’une seule bouchée (haha) ? Car trop souvent sur ce disque tout semble si facile, si évident, indiscutable…
S’approprier la composition d’un autre c’est aussi parfois souffrir et on sent ici aucune difficulté ni aucune résistance ; tout coule de source et, passé le plaisir de découvrir un tel album, on regrette que ces reprises paraissent autant phagocytées et, donc, ajustées, rentrant trop parfaitement dans le « cadre » Ty Segall. Pour ma part je suis autant conquis par le savoir-faire du musicien que je peux être exaspéré par son côté lisse et parfait…  donc Fudge Sandwich reste un bon disque mais n’en devient pas un indispensable pour autant. A titre de comparaison (et de conclusion) Kicking Against The Pricks, album de reprises publié par les Bad Seed en 1986, transpirait nettement plus le tiraillement et même le doute tout en affirmant sa beauté propre mais il est vrai également que Nick Cave était une âme autrement plus torturée que Ty Segall qui lui a tout de l’ange chérubin. Autre époque…

mardi 25 décembre 2018

Casual Nun / Psychometric Testing By...


Je profite du fait que presque tout le monde – du moins du côté occidental et chrétien de cette planète moribonde – est en train de tenter de récupérer d’un réveillon religieusement calorifique et copieusement arrosé avant de mieux pouvoir se vautrer dans un traditionnel repas de famille tout aussi significativement nourrissant et bestialement humain pour parler d’un disque paru en… mars 2017 (!) : Psychometric Testing By… Casual Nun.
A cela il y a au moins deux raisons : la première c’est ce
split publié en 2018 par Hominid Sounds et regroupant Bruxa Maria et Casual Nun qui m’a permis de découvrir ces derniers, certes avec énormément de retard. La deuxième c’est (quelque chose que j’ai appris en fouillant un peu) que dans Casual Nun il y a des anciens membres de Dethscalator… un groupe défunt et en son temps lui-même découvert à l’occasion d’un split avec Hey Colossus chez Black Labs / Riot Season (2009). Ça a l’air compliqué tout ça et un peu consanguin mais en fait pas plus qu’une réunion de famille de fin d’année autour d’un plateau de foie gras et d’une bonne dinde élevée avec tout le respect que l’on peut donner aux bestioles que l’on engraisse pour mieux les dévorer après. Bref… la bouillonnante scène anglaise de ces dernières années est des plus passionnantes et enrichissantes et il devenait impossible de ne pas évoquer le cas de CASUAL NUN. Ah… Et puis en fait il y a une troisième raison : dans Casual Nun il y a deux batteurs, plus précisément une batteuse (Julia Owen) et un batteur (Philip Kaponis). Comme dans les Butthole Surfers de la grande époque. 




Et pour en rajouter un peu plus dans la comparaison entre les anglais et les américains je pourrais également parler du chanteur Vasili Sakos (en fait il est grec mais on s’en fout) qui passe son temps à trafiquer sa voix à grands coups de reverb, de delay et je ne sais quoi encore, naviguant entre cris de volatiles intergalactiques éviscérés et complaintes de monstres aquatiques en eaux troubles – en concert il est planté derrière une petite table pleine de pédales qu’il passe son temps à tripatouiller. Casual Nun s’adonne donc à ce que l’on pourrait appeler le psychédélisme électrique, aussi perché que bruyant, sorte de noise rock sidéral pratiquant le mélange des genres et des substances.
Psychometric Testing By… est à la fois un disque simple et compliqué. Simple parce qu’il a visiblement été enregistré lors de sessions parfumées à la confiture de champignons avec Wayne Adams au studio Bear Bites Horse en 2015 (cette chronique vire décidément à l’exploration temporelle). D’ailleurs Wayne Adams en avait déjà retiré toute la matière du premier album de Casual Nun publié sur son propre label Hominid Sound (Super Fancy Skeleton en 2016). Compliqué si on aime les trucs carrés et cohérents, les enregistrements où le groupe décline par le menu et dans l’ordre une identité musicale bien circonscrite. Avec Casual Nun ce n’est pas vraiment ça puisque le groupe fait le grand écart entre skud noise (Tusk) et errements psycho-dark (Truth Machine) en passant par la lourdeur d’un doom seventies réactualisé (Everyman’s Folly avec son riff à la Black Sabbath tellement ralenti et alourdi qu’Electric Wizard a du en crever de jalousie). Et ça ce n’est que la première face de Psychometric Testing By… La seconde est tout aussi variée, entre le tourbillon sonique et orbital de Xiphoid Revolution (qui une fois de plus permet au guitariste Matt Ridout d’étaler toute sa science du solo incohérent) et les bombardements radioactifs de Stripes sur lequel la ligne de basse bulldozer d’Iraklis Theocharopoulos prend beaucoup de place tandis que le chant se voit trafiqué au vocoder/auto-tune/etc. (et c’est à mourir de rire).
Psychometric Testing By… n’est pas un très grand disque et il n’a sûrement pas cette prétention. Mais c’est un très bon disque, fondu et foutraqué bien comme il faut par Casual Nun qui, j’en suis sûr, est capable de complètement déraper en live. Comme une grosse bûche et une bonne collection de marrons mais toute l’année et en toutes circonstances.

[Psychometric Testing By… est toujours disponible via Box records, label sur lequel on retrouve également Terminal Cheesecake, Gnod, Blown Out, Pigs Pig Pig Pig Pig Pig Pig ou Big Lad – ah oui quand même]

dimanche 23 décembre 2018

Comme à la radio : Goyokin







GoyôkinL’Or du Shogun en français – est un film fabuleux réalisé par Hideo Gosha en 1969*.

GOYOKIN est également le nom du nouveau projet de Jean-Luc Navette** et dAnthony Mowat (tous deux anciens membres du Blues Butcher Club)





Ceci n’est qu’une première démo mais le mélange d’electo dark et rampant (Scorn n’est jamais très loin) et d’éléments tirés du jazz et surtout du blues distillé par Goyokin est déjà plein de promesses pour l’avenir. 
Le duo sait également s’entourer d’invités (guitare, anches et violoncelle) pour rehausser ses compositions et l’équilibre entre interventions extérieures et samples sur fond de motifs et de rythmiques électroniques est subtilement réussi… alors autant dire que j’attends la suite avec impatience […]

* à défaut de pouvoir le regarder dans le noir et sur le grand écran d’une salle de cinéma Goyôkin est édité en DVD par Wild Side
** lequel réalise évidemment les visuels du groupe

vendredi 21 décembre 2018

Dewaere / Slot Logic



DONC, sur la pochette, il y a écrit DEWAERE – oui comme l’acteur moustachu né à Saint-Brieuc en 1947 – et c’est le nom du groupe qui, on l’aura compris, est originaire de cette même ville de Bretagne. Un groupe comme surgi de nulle part et dont je ne sais rien, mis à part le batteur qui dans d’autres vies a joué avec The Flying Worker, 12XU, Neige Morte et chantait même dans Veuve SS mais il convient tout de suite d’oublier ça : Dewaere c’est tout autre chose.
En dehors de l’artwork* dont je n’arrive pas à savoir s’il représente un télétubbie ectoplasmique sous acide ou une glace à l’italienne parfum fraise avariée il y a quand même un détail qui me chiffonnerait presque. Enfin, façon de parler. Le garçon derrière le micro – il porte un nom délicieusement exotique et qu’il faut retenir : Maxwell James Farrington – chante beaucoup trop bien en ce sens que son accent est pas loin d’être impeccablement coulant-caramel pour mes petites oreilles de baptou frenchy. 
Ce chant et cette voix sont en effet les premières choses que l’on remarque à l’écoute de Slot Logic grâce à cette arrogance téméraire, ce coté sûr de soi, ce lyrisme de velours, ce timbre chaud et puissant, ce dandysme punk, cette façon de faire monter la pression et l’adrénaline en à peine le temps d’un couplet… Maxwell James Farrington, d’où qu’il vienne et quoi qu’il ait fait avant, est un sacré bon chanteur, comme on n’en entend que trop peu – les bons brailleurs il y en a plein de partout mais les types qui savent poser leur voix, chanter et gueuler en mettant en valeur les mélodies sans tomber dans les travers du lèche-micro et de l’emphase princière, cela ne court par les rues.
Pourtant un bon chanteur ne suffit pas à faire un bon groupe. Aux côtés de Maxwell James Farrington se trouvent donc Hugues Le Corre (batterie), Marc Aumont (basse) et Julien Henry (guitare). Je ne sais pas non plus (oui, en fait je sais rien) comment ces quatre là ont pu se rencontrer et se retrouver – OK : ils habitent dans un bled – mais Dewaere, malgré le jeune âge du groupe, explose tous les compteurs à frissons et à chair de poule avec Slot Logic




Imaginez un peu un groupe de rock pour de vrai, pas vraiment noise et pas vraiment punk mais les deux à la fois, un peu post-punk mais pas de trop, avec un petit côté australien, un sens affirmé du torride vicié et des compositions qui pulsent constamment – à l’exception de la déambulation noire et hantée d’October. Des compositions dont les maitres-mots sont : accroche imparable, fougue instantanée, déchainement, chavirement, combustion générale et jouissance abrupte. Dewaere possède même ce talent de savoir et pouvoir dépoussiérer un tube insupportable et symptomatique de la variété anglaise des 80’s, de se l’approprier jusqu’à l’os et de le faire sien en transformant sa guimauve pathétique en jet d’acide nitrique.
S’il fallait faire plaisir aux classificateurs / normalisateurs et trouver quelques comparaisons, Dewaere pourrait appartenir à la même famille qu'un Metz mais se situerait également quelque part entre les Eighties Matchbox B-Line Disaster et Wailin Storms, deux groupes qui eux aussi pratiquent (ou pratiquaient) ombrage enflammé et punk-noise de façon vitale et classieuse, avec ce je ne sais-quoi qui leur confère une aura de noblesse décadente et de fureur romantico-cynique. Tout comme ces deux groupes Dewaere sait maitriser son sujet en dominant les forces contradictoires du barouf pour donner un sens déviant aux mots racé et charnel. 
Sur les dix plages que compte Slot Logic j’ai néanmoins une toute petite tendance à préférer les quelques passages en mid-tempos qui laissent davantage de latitude au groupe pour bien se positionner entre pouvoir de séduction et décharges d’énergie, entre sex-appeal et rébellion mais Dewaere ne rigole pas non plus dès qu’il s’agit de balancer du rapide et du frénétique, ce qu’il réussit invariablement avec une distinction et une assurance certaines. Depuis quelques jours Slot Logic tourne logiquement (sic) et affectueusement en boucle sur la platine. Magnifique et éclatant. Manquerait plus que je tombe amoureux et que je me transforme en Tinky-Winky.  

[Slot Logic est publié en vinyle par Bigoût records et Phantom records ; maintenant il me tarde vraiment de découvrir Dewaere en concert]

* qu’importe, le principal est que cet artwork signé Bráulio Amado ne laisse pas indifférent et atteigne son but (tu vois)

mercredi 19 décembre 2018

Big'N / Knife Of Sin


L’année 2018 se termine bientôt et je m’apprête à chroniquer un tout nouvel enregistrement de BIG’N… ces derniers temps ma petite vie merdique est décidemment pleine d’imprévus et débordante de surprises. Un léger doute m’avait cependant effleuré au début de l’été lorsque le groupe américain et vétéran du noise-rock canal historique avait ouvert un nouveau compte sur un réseau social bien connu pour sa frivolité et ses vidéos de chats afin d’y poster quelques vieux souvenirs mais aussi des photos visiblement très récentes de répétitions et de sessions d’enregistrements… Big’N semblait vouloir remettre ça pour la deuxième fois de son existence chaotique.
Pour rappel la toute première c’était en 2011 lorsque feu le label Africantape avait publié Dying Breed, une compilation de singles et de raretés du groupe (séparé depuis 1997) mais également et surtout un nouvel enregistrement de Big’N sous la forme d’un 10’ de quatre titres : l’excellent Spare The Horses. Toujours sous l’impulsion d’Africantape Big’N avait alors traversé l’Atlantique – une grande première – pour donner trois concerts en France dont celui, complètement barge et encore dans beaucoup de mémoires, de l’Africantape Festival organisé à Lyon avec l’appui de Grrrnd Zero (et oui). Que de souvenirs.
Deux années plus tard Big’N était revenu tourner en Europe, cette fois-ci avec un nouveau bassiste, martyrisé comme il se doit. Le groupe était toujours aussi puissant, sombre et fou. Mais depuis plus aucune nouvelle et l’affaire semblait entendue que Big’N émargerait définitivement à la caisse de retraite. C’était finalement mal connaitre William Akins (chant), Todd Johnson* (guitare) et Brian Wnukowski (batterie) désormais accompagnés de Fred Popolo** (basse). Et Big’N de confirmer donc son éternel retour avec Knife Of Sin, un mini album de six titres qui vient de paraitre sur un tout nouveau label du nom de Computer Students



Dans un premier temps, il est impossible de ne pas écrire quelques mots au sujet de la présentation du disque et de son emballage dans une sur-pochette en plastique gris aluminium opaque comme si elle contenait une matière dangereuse/radioactive ou un instrument chirurgical stérilisé. Après avoir découpé le haut de ce suremballage on peut en extraire la véritable pochette de Knife Of Sin et découvrir son artwork annonciateur d’une inévitable boucherie. Vous me direz que tout ceci a l’air magnifiquement soigné et, effectivement, ça l’est… mais quand même c’est un peu le bordel pour réussir à caser correctement son exemplaire de Knife Of Sin sur une étagère à disques (haha). Et puis la musique reste malgré plus importante qu’un enrobage conceptuel, non ? 
Alors... Un homme obsédé est un homme possédé par le démon et en 2018 la musique de BIG’N est plus obsessionnelle et plus enragée que jamais avec cette façon d’appuyer là où cela fait très mal et d’aller toujours plus loin. On aurait tort de se fier trop facilement aux compositions du groupe, faussement simplistes et ne semblant reposer que sur une paire de riffs répétés avec un mélange de lourdeur frénétique et de froideur martelée – et toujours ce groove incroyable qui culmine en donnant à tous les non-danseurs de cette planète lenvie de se tordre le cou et de se casser le dos en deux, incitation à un headbanging sauvage sans hésitation ni retenue. Car malgré la noirceur tendue de Knife Of Sin il y a quelque chose de réjouissant à constater qu’avec ces six nouveaux titres Big’N en est toujours au même point, douloureux et inquiétant, d’un noise-rock psychopathe et à la limite de la démence.
Question défouloir bilieux tout est effectivement parfait, incluant nécessité absolue et motivation carnassière qui aujourd’hui encore constituent toujours la ressource principale des quatre américains adeptes d’un terrorisme de l’exutoire et d’un nihilisme dangereux mais nécessaire, périlleux mais vital, destructeur mais purificateur. Rien de tel pour se débarrasser de sa haine et de sa violence que de les exacerber en les exposant dans sa musique, d’en faire un sujet puis un objet et enfin un moyen de les supporter. C’est ce qui fait le lien entre Big’N et les Dazzling Killmen, le groupe météorite et tellement obsessionnel de Nick Sakes au début des années 90***. Mais dans Big’N on retrouve également le côté chirurgical d’un Shellac – Knife Of Sin a été enregistré au Electical Studio d’Albini dont on reconnait le rendu mat et sec de la prise de son – et la fougue d’un Jesus Lizard (Hog Hell) … pourtant ce qui séduit le plus ce sont les chansons Songs To End All Songs et surtout Sunk, moins frontales au départ et sur lesquelles Akins murmure quelques grincements écorchés avant de retrouver ses hurlements de bête féroce. L’effet n’en est que plus pétrifiant. Et Big’N envoie au diable tous les groupes qui tenteraient de jouer avec l’idée de rédemption ; trop souvent ils n’ont pas grand-chose à recracher, juste un peu de morve acide alors qu’avec Big’N les tripes à l’air et le sang sur les murs sont la seule façon d’exister.

[pour écouter Knife Of Sin il suffit de se rendre tout en bas de cette page]

* il en a peut-être marre qu’on le rappelle à chaque fois mais il est le frère de Al Johnson de Shorty/US  Maple
** lequel jouait en fait avec Wnukowski au sein de Haymarket Riot
*** juste pour le plaisir : réécouter Face Of Collapse

lundi 17 décembre 2018

Bruxa Maria - Casual Nun / split


[bon alors ce split commence déjà à dater un peu beaucoup (parution au printemps 2018) mais je ne peux pas m’empêcher d’en parler parce qu’il témoigne de toute la vigueur et de toute la richesse de la scène noise anglaise actuelle – ce qui n’est pas peu dire]






Procédons avec méthode et, comme pour démarrer une partie de scrabble,  suivons l’ordre alphabétique : BRUXA MARIA on les connait déjà grâce à l’album Human Condition qui en son temps (2016) avait marqué les esprits. Le trio londonien – formation encore une fois on ne peut plus classique : guitare + chant / basse / batterie – était donc très attendu… et il faudra cependant se contenter (pour l’instant) des trois compositions présentes sur ce split, trois compositions seulement mais de premier choix.
It’s All In The DNA est un court brûlot noise-punk joué dans l’urgence et ne faisant guère dans le détail et la fignolerie. Pas le temps de s’en remettre que débaroule Rise, c’est à dire la version lente et alourdi du titre précédent, version que finalement je préfère, ce doit être mon petit côté vicieux et malfaisant qui me fait dire cela. Et si tu en reveux du lourd et bien tu vas être servi avec le troisième et dernier titre People Die In Revolutions, soit plus de sept minutes reptiliennes, poisseuses et sifflantes. On sent bien que c’est dans ce registre là, celui de la cuisson lente mais à feu soutenu, que Bruxa Maria donne réellement le meilleur de lui-même. Le temps de s’extasier sur les lignes de basse, de ricaner comme une hyène grâce au chant sous hélium transgenré et de s’émerveiller de ce riff de guitare soigneusement charcuteur que c’est pourtant déjà terminé. Si ce disque n’était pas un split je me remettrais illico ces trois titres de Bruxa Maria dans le bide, là où ça fait mal…




… seulement voilà, il y a une deuxième face et celle-ci est occupée par un groupe du nom de CASUAL NUN. Encore des londoniens mais avec un peu plus de bagages parce que déjà auteurs de deux albums (mais on en reparlera peut-être bientôt). Pourtant je n’avais encore jamais entendu parler de ce groupe de barbares qui dès le rapidissime et psychotropique The Sweet Hereafter plonge l’auditeur dans un enfer de bruit et de fureur – mais quelle entrée en matière ! Easy Now, Cowboy enchaine et met en avant la basse tandis que le chant prêche du fond des abysses accompagné de guitares grimaçantes et macabres. Ce deuxième titre de Casual Nun  ne cesse de se densifier – sans que la ligne de basse ne bouge d’un iota – et je commence sérieusement à me demander pourquoi je ne découvre ce groupe que maintenant. Sherry Bell est une sorte d’interlude, avec un carillon fantomatique et des grincements de guitare et de basse, moment de flottement dans le bon sens du terme, après tout n’importe quel groupe intelligent sait qu’il doit diversifier son propos s’il veut vraiment surprendre et déranger le coup d’après. 
Et l’après en question prouve que de Casual Nun est effectivement un groupe intelligent. Crane In The Water est la composition la plus psyché des quatre, le chant y est torturé à l’envie par des effets tourbillonnants et il y a ce riff lancinant et répétitif de deux notes et demi aussi énervant qu’une bande velcro qui se collerait à l’intérieur de ton crâne fissuré. Puis le groupe change d’optique – la bouillie crânienne a fini par se répandre dans tout le reste du corps  – et nous fait le coup du trou d’air la tête en bas et de l’étalage de trip. Une fin qui là encore fait réclamer une suite, tout de suite et maintenant. Il ne reste alors qu’une solution : se jeter sur les autres enregistrements de Casual Nun.

[ce split on en peut plus recommandable pour ne pas dire presque essentiel est publié par Hominid Sounds, label sur lequel on retrouve également USA Nails, Sly And The Family Drone ou Death Pedals… que du beau monde]

vendredi 14 décembre 2018

Space Streakings / First Love 初恋


J’aurais beau vouloir raconter toutes les saloperies du monde sur Skingraft, affirmer que le label de Chicago n’est que l’ombre de lui-même depuis trop longtemps, qu’il publie désormais trop de disques dispensables – comme le split Xaddax / My Name Is Rar Rar – je suis également bien obligé d’admettre que Skingraft restera pour toujours dans mon petit cœur d’artichaut d’amoureux éconduit qui continue d’attendre malgré tout… Mais attendre quoi ? Des bonnes nouvelles qui n’arrivent pas ? Un retour de flamme ? Attendre que le label de Mark Fischer (et Rob Syers) sorte de sa léthargie ? Je dois admettre (oui, encore une fois) qu’après le gros passage à vide du milieu et de la fin des années 2000 Skingraft a sérieusement redressé la barre en publiant par exemple Technical Virginity de Satanized (2011), Trouble In Paradise de Child Abuse (2014), Diamond Teeth Clenched de Cellular Chaos (2016), Synchromysticism de Yowie (2017) et bien évidemment les albums de Doomsday Student… la liste s’allongeant de plus en plus on ne peut désormais plus parler de sursaut accidentel mais bien de résurrection.
Surtout que parfois Skingraft nous gratifie en plus de rééditions qui en valent vraiment la peine et là je pense tout particulièrement à la nouvelle version du Face Of Collapse – chef d’œuvre parmi les chefs d’œuvre de noise torturée – des Dazzling Killmen publié à la fin de l’année 2016. Moins important à mes yeux et surtout à mes oreilles Skingraft a cette année jeté son dévolu sur les Space Streakings. Une bonne idée malgré tout.




Avec une discographie lapidaire (deux albums et demi* plus une poignée de singles) et une durée de vie plutôt courte les japonais de SPACE STREAKINGS ont pourtant eu le temps de tout dézinguer, méprisant les codes musicaux alors en vigueur chez les apprentis noiseux rockers bruitistes et autres en faisant fi de toute forme de bon goût.
A l’aide de machines – batterie et percussions sont remplacées par une boite-à-rythmes hyperactive – mais avec des samples, des scratchs et des cuivres envahissant constamment l’espace pourtant déjà bien occupé par basse, guitare et chants multiples, les Space Streaking pouvaient tout avoir du groupe idéalement épuisant. Et surement qu’ils l’étaient mais l’inventivité foutraque permanente, les délires musicaux effarants et le côté extrêmement imaginatif (à la limite du visuel) de la musique du groupe leur ont également permis de s’élever bien au dessus du niveau du gadget anecdotique pour amateur de japaniaiseries expérimentales et de cyberpunk sous amphétamines. Avec des pseudonymes tout droits sortis de San Ku Kaï tels que Captain Insect, Kame Bazooka, Karate Condor et Screaming Stomach ce n’est pourtant pas si évident que cela au départ. 
Tout d’abord intitulé 初恋 et initialement publié en 1993 par Nux Organisation (le label de K.K. Null de Zeni Geva), First Love est le premier album des Space Streakings et à mon avis c’est le meilleur des deux – 7-Toku, paru l’année d’après directement chez Skingraft et (mal) enregistré par Steve Albini n’a malheureusement pas réussi à éviter l’effet de redite. La présente édition de First Love 初恋 propose l’album originel suivi de démos datant elles de 1990 et enregistrées alors que les Space Streakings n’étaient encore que trois. Le son de ces démos est nettement moins bon mais n’empêche pas de (re)découvrir un groupe déjà turbulent, excentrique et bien barré et surtout déjà complètement sûr de son fait et prêt à tout pour rivaliser dans le grand n’importe quoi. 
Le tout est réuni sur un CD (et oui…) à la présentation qui ne donne pas envie de fuir en courant (pochette cartonnée à deux battants et bourrée de photos et d’illustrations) et le plus beau, sachant que tout ceci comporte un total de vingt titres et culmine au delà d’une heure de musique c’est qu’aujourd’hui, en 2018, il est physiquement et humainement tout à fait possible de s’enfiler tout ça sans être gavé par toute cette profusion de boulettes génialement trépidantes ni avoir des renvois gastriques intempestifs. En fait, question dégueulis, ce sont les Space Streakings qui s’en chargent eux-mêmes, vomissant des myriades de non-sens fluorescents et d’accidents musicaux (ahem) sciemment provoqués pour une sorte de rainbow shower collectiviste. Je n’ai jamais été aussi content d’avoir mal au ventre et de ne pas avoir de bassine à portée de main.

* le « demi » c’est pour le groupe Shakuhachi Surprise et l’album Space Streakings Sighted Over Mount Shasta – comme son nom l’indique il s’agit d’un disque collaboratif entre les Space Streakings et Mount Shasta

mercredi 12 décembre 2018

Yoko Higashi & Michel Henritzi + Talweg + Mesa Of The Lost Women [08/12/2018]





La Grande Fête des ombres et du chaos : c’est malheureusement devant un public clairsemé que ce sont déroulés ces concerts du 8 décembre mais tant pis pour les absents et tant mieux pour celles et ceux qui ont bravé la pluie et le froid pour fuir l’hystérie festive du centre-ville lyonnais.

Avec par ordre d’apparition : la danseuse / performeuse Yoko Higashi accompagné du guitariste Michel Henritzi (Dust Breeders etc.), Talweg puis Mesa Of The Lost Women dans une configuration inédite puisqu’aux côtés de Yves Botz on a pu voir Florian Schall (Dead For A Minute, Meni Helkin, Loth, etc.) à la voix et Frédéric Juge (Satan) à la batterie. Pour finir Talweg et Mesa Of The Lost Women sont remontés ensemble sur scène pour pratiquer la convergence des luttes et nous offrir un grand moment de folie bruitiste. Merci.

[il y a beaucoup plus de photos de cette soirée par ici]