Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

vendredi 30 juillet 2021

[chronique express] Pigeon : Deny All Knowledge Of Complicity



 

Le nouvel album de PIGEON s’intitule Deny All Knowledge Of Complicity et il est d’une efficacité redoutable : le trio Berlinois y enchaine les titres sans faiblir et multiplie les réussites, ne laissant rien trainer derrière lui et ne se laissant distraire par aucune tentation plus expérimentale ou, simplement, par davantage d’introspection. Bug, le précédent 12’ sorti chez This Charming Man, me semblait d’humeur plus sombre et plus tordue alors qu’avec Deny All Knowledge Of Complicity le ton est très vif et affirmatif, à l’image du chant scandé et assuré par l’infatigable batteur du groupe. Le livret très DIY avec photos cradossées à la photocopieuse et rassemblant les textes lapidaires des dix chansons confirme la dimension sociétale et politique d’un disque énervé et inscrit plus que jamais Pigeon comme l’un des meilleurs représentants européens actuels d’un post-punk compact et glacé, énergique et entrainant, incisif et tranchant, sans racolage ni démagogie. Un gros pavé bien brûlant dans la mare.



mercredi 28 juillet 2021

[chronique express] Big Brave : Vital




 

Désormais soudé autour de Robbin Wattie (guitare et chant), Mathieu Bernard Ball (guitare) et Tasy Hudson (batterie), BIG BRAVE défie et affronte le monde sinistre qui l’entoure. A sa sortie en 2019, A Gaze Among Them avait été propulsé au rang de chef d’œuvre alors que dire de Vital, si ce n’est que le cinquième album du trio est encore plus beau, encore plus fort, encore plus émouvant, remuant et troublant ? Et, si la perfection musicale n’était pas aussi une question de temps et d’espace, je serais bien tenté de rajouter encore plus parfait. Dès Abating the Incarnation of Matterles et ses incroyables fulgurances en passant par les déchirements de Half Breed, les incantations de Wited. Still and All, la tension, l’intensité incendiaire – quelles dissonances ! – puis l’apaisement du triptyque Of This Ilk et jusqu’à la conclusion quasi mystique du morceau-titre, Vital télescope les genres et repousse les antagonismes pour former une force ascensionnelle qui balaie tout sur son passage. Finalement je crois que Big Brave maitrise parfaitement l’universalité et le souffle de l’espace-temps.


lundi 26 juillet 2021

DUG : 35:35


Peut-être fais-tu comme moi partie des petits cœurs sensibles et des âmes à fleur de peau qui ont pleuré toutes les larmes de leurs corps à l’annonce de la séparation de Buildings. Un vrai drame mais un drame prévisible si on se donne la peine de réécouter Negative Sound, ultime album publié par le trio de Minneapolis en 2019, mais aussi et surtout son meilleur : comment survivre à un enregistrement d’une telle noirceur ? comment ne pas y voir l’affirmation d’un profond malaise, impossible à surmonter ? comment aller encore plus loin sans risquer de se perdre ? Je ne connais pas les motifs exacts du split de Buildings mais d’une certaine façon je trouve celui-ci totalement logique.
Tout ça nous amène à Travis Kuhlman, génial batteur à lunettes et pivot central de feu Buildings, parait-il grand pourfendeur de 6-packs devant l’éternel et personnage doté d’un humour grinçant parfaitement inégalable. DUG est son nouveau groupe et c’est un duo. Outre le petit Travis logiquement crédité à la batterie, aux percussions mais aussi à la voix, le groupe est composé de Mike Baillie qui lui joue de la guitare, balance des samples et chante. Mais autant prévenir tout de suite que les amatrices et amateurs de noise-rock trépidant seront déçus·es en découvrant 35:35. Car le résultat est… très surprenant. En général je n’aime pas trop énumérer des noms d’autres groupes pour tenter de cerner un disque. En tous les cas je n’aime pas avoir recours uniquement à ce procédé là, celui des comparaisons faciles et des filiations logiques, sans trouver quelques à-côtés tirés par les cheveux et qui n’ont rien vraiment à voir avec la musique (mon grand plaisir). Mais dans le cas de DUG il sera difficile de faire autrement : 35:35 est le descendant direct des Melvins période Bullhead / Lysol ou du Boris des débuts, celui de l’album Absolutego (ce qui revient à peu près à la même chose, il faut bien l’avouer).





 

Sans mauvais jeu de mots voilà deux références de poids et l’écoute intégrale et en continu de 35:35 ne fera que confirmer le déterminisme écrasant ici à l’œuvre. On pourra détailler toutes les tournures de style et autres tics musicaux qui envahissent l’album : des intros longuettes avec des frappes de batterie solitaires et sèches comme des coups de trique, la guitare qui s’épaissit par paliers successifs, des bourdonnements de fréquences allant du grave au très grave ou des larsens impossibles, le chant beuglé avec soin mais plutôt rare, etc… On en est alors réduit à subir toute cette masse compacte et asphyxiante, assez impuissant face à un disque qui semble ne rien lâcher question inconfort et malaise. Mais on peut aussi trouver que le son de guitare aride de Mike Baillie comporte quelques petites touches d’originalité – sans jamais trop s’éloigner des poncifs du gras-doom – pour se rapprocher du barrissement bruitiste. Et on doit attendre la fin du disque et Loss pour découvrir une voix bloquée en mode narratif et aux intonations complètement glaçantes. Presque une épiphanie.
Sans grande surprise 35:35 finit donc par s’imposer, principalement à l’usure. On ne peut que l’écouter très fort, ce qui a l’avantage non négligeable de nous permettre de nous en prendre plein la gueule – toujours cette délicieuse souffrance – mais surtout de découvrir de nouveaux détails qui sauvent la mise au duo, tels que ces murmures inquiétants (samplés ?) qui apparaissent subrepticement sur The Crying Men. Ou de mieux comprendre la science de l’empilement ultra répétitif et de la montée en puissance dans la musique de DUG (le machiavélique Elevator Into The Ground) ou comment le groupe arrive à dérailler tout en restant au ralenti (Strapped To The Hood Of A Car). On n’oublie jamais complètement les figures tutélaires citées plus haut mais on finit par oublier la déception ressentie aux toutes premières écoutes de 35:35. Bien que l’on aurait préféré un disque plus personnel et plus impertinent. On espère que DUG fera beaucoup mieux à l’avenir, en prenant plus de risques et en s’amusant davantage avec certains codes musicaux au lieu de trop les respecter.

[35:35 dure trente-cinq minutes et trente-cinq secondes, est publié en vinyle rouge uniquement par The Ghost Is Clear et son artwork absolument splendide en vrai est signé Louis-Alexandre Beauregard, également connu pour avoir été le premier batteur de Big Brave] 

 

vendredi 23 juillet 2021

Snapped Ankles / Forest Of Your Problems







Je ferme très fort mes petits yeux pour être sûr de ne rien voir, je serre très fort mes petits poings même si ça me fait franchement mal aux jointures des doigts, je sors la bétonnière du garage et je coule une grosse dalle bien compacte sur tous mes aprioris de vieux schnarkbull et de ronchon olympique. SNAPPED ANKLES représente tout ce que je n’aime pas en matière de m’as-tu-vu. Rien que les costumes de scène dont s’affublent les quatre membres du groupe me font hésiter entre rire évacuateur – senteur eau de Javel – et haut-le-cœur contaminant. Je vais étaler mes références de vieux : lorsque Johnny Ramone imposait à sa tribu de porter des t-shirts rayés, des jeans troués, des baskets élimées et des perfectos en peau d’animal mort je trouvais ça presque touchant de naïveté ; lorsque chez Devo on s’affublait de couvre-chefs pyramidaux et que l’on s’habillait de salopettes jaunes cela me faisait rire ; lorsque Nocturno Culto et Fenriz faisaient des concours de maquillage je me disais que les forêts norvégiennes étaient un endroit délicieusement dangereux pour la santé mentale ; lorsque les Bad Seeds de la grande époque débarquaient sur scène au grand complet (sic) habillés de costards-cravates je trouvais que cela avait vraiment beaucoup de classe.
Si tout n’était que question de look, d’apparence et de marketing différentiel jamais je n’aurais vraiment écouté Forest Of Your Problems et Snapped Ankles serait retourné directement dans la grotte humide et luxuriante qui lui sert de tannière. Je n’aime pas trop les shamans druidiques échappés de la forêt de Brocéliande. Même sous acide. Mais il me parait évident qu’un tel enrobage vestimentaire pour le moins envahissant (sans parler de tout le reste) est fait pour attirer l’attention… je préférerais pourtant toujours un vieux crust qui pue la bière tiède, le mauvais shit et le chien mouillé à un néo-hippie-hipster. Pour son troisième album (?) le groupe a toutefois fait évoluer son image et ses visuels vers quelque chose d’encore plus conceptuel, avec tenues de baroudeurs sportifs, vêtements du dimanche, accessoires électroniques, beaucoup de bleu électrique, de la coolitude décomplexée, sans oublier l’éternelle petite touche shamanique (perruques ectoplasmiques et masques en écorce d’arbre peinte). Honnêtement, autant de mauvais goût me fascine.
Ce qui n’empêche pas Forest Of Your Problems d’être un disque passionnant. Je vais donc une nouvelle fois trahir mes idéaux de base et la ligne du Parti pour faire l’apologie (ou presque) d’un disque très dans l’air du temps : je n’hésiterai pas non plus une seule seconde à rapprocher la musique de Snapped Ankles de certains travaux de Crack Cloud, mais en beaucoup plus électronique, avec cette manie identique d’en mettre de partout et même d’en rajouter systématiquement une couche parce qu’il n’y en a jamais assez. On trouve également un petit côté Gum Takes Tooth mais la sauce à base de champignons hallucinogènes d’origine amazonienne en moins. Et puis des fois Forest Of Your Problems me ferait presque fantasmer sur un Coil éternellement bloqué en mode Love Secret Domain et copulant sauvagement avec les Talking Heads, comme si John Balance n’avait pas sombré dans un alcoolisme profond et la dépression pour se lancer en compagnie de David Byrne dans la confection de pièces montées exotiques à base de chamallows fourrés aux Xtas et au speed.
Bien chargé en sonorités synthétiques et électroniques – il y a très (très) peu de guitare – et charpenté de rythmes incessants et entrainants, Forest Of Your Problems se situe à la croisée de l’eclectro zouk, du kraut rock écolo, de la batucada spatialisée, de l’exotisme circassien, de la robotechnique appliquée et de la new-wave incantatoire gavée au fréon. Il ne faut pas avoir peur du kitsch, de la verroterie, des moulures ni des poignées de porte (de la perception) en plastique imitation doré. Il faut juste y aller franchement, péter un bon coup dans l’eau du bain et se laisser faire : malgré tous les remous occasionnés par cette musique moléculairement agitée et malgré les deux locked grooves qui clôturent chaque face du disque on ne risque pas de s’y noyer. Il y a même quelques moments qui subliment tout, comme ce Xylophobia saturé de choucroute 70’s, entre mécanismes répétitifs et formules chimiques éclatées. Est-ce que tu m’imagines, là, en train de danser au milieu de mon petit salon-moquette ?

[Forest Of Your Problems est publié en vinyle, CD, etc. par The Leaf Label]



mercredi 21 juillet 2021

[chronique express] Exek : Good Thing They Ripped Up The Carpet




Good Thing They Ripped Up The Carpet est un album d’EXEK fait de bric et de broc et mélangeant nouveautés (face A) et titres déjà parus (face B). The Theme From Judge Judy figurait sur un split de 2015 avec Spray Paint, on trouve Lottery Of Inheritence sur un autre split 7’ de 2020, Too Steep A Hill To Climb était inclus sur la compilation des 20 ans de Born Bad records et Four Stomachs vient de paraitre sur celle du label SDZ… Mais n’en voulons pas trop à la tête pensante Albert Wolski, principal compositeur, producteur, chanteur et guitariste du groupe : paradoxalement la musique d’Exek conserve ici une étonnante homogénéité tandis que la production multiplie les effets fantomatiques d’effacement et de réapparition. Ça c’est pour la forme. Sur le fond les compositions de ce quatrième LP – et en particulier les inédits de la première face – se montrent moins mordantes et moins menaçantes, quitte des fois à ronronner doucement. Good Thing They Ripped Up The Carpet n’est pas le meilleur disque d’Exek mais il est tout aussi déroutant et captivant que les autres.


lundi 19 juillet 2021

Unsane : Improvised Munitions & Demo

 

Je ne vais pas regretter UNSANE, officiellement et cette fois-ci (semble-t-il) définitivement séparé depuis 2019. Il s’agit surtout du groupe américain que j’ai vu le plus de fois en concert, sur pas moins de trois décennies différentes, et également de l’une des quatre ou cinq formations US qui ont forgé mon amour pour les guitares qui font mal et / ou qui font peur (à l’autre bout du prisme se trouvent Sonic Youth et les Swans des années 80, Dazzling Killmen et Arab On Radar). Alors autant dire que la bande à Chris Spencer a été tellement importante et a tellement fait pour moi – sans le savoir, bien sûr – qu’aujourd’hui Unsane c’est avant toute chose une avalanche de souvenirs : la découverte du premier album sans titre (1991) et de Total Destruction (1993), la première fois que j’ai vu le groupe dans une salle minuscule des pentes de la Croix Rousse à Lyon, la tournée avec Grotus, celle avec Neurosis, etc… jusqu’aux concerts de reformation des années 2010 où Unsane n’avait pas forcément toujours de nouvel album à défendre mais se faisait un malin plaisir de revisiter son répertoire et d’interpréter quelques uns de ses vieux titres – j’allais écrire « succès » mais je ne voudrais pas trop abuser – pour ses fans. Que c’est bon d’être vieux, dans ces cas là. Et c’est sans regret, donc.
Mais il y a une histoire que je ne connaissais pas, une histoire datant d’avant le premier album et tournant autour de sept titres enregistrés en 1989 et que tout le monde croyait perdus pour toujours. A cette époque Unsane c’était Chris Spencer (guitare et voix), Pete Shore (basse) et Charlie Ondras (batterie). Et Improvised Munitions aurait du être leur premier 12’, publié sur un label du nom de Short Circuit et à l’existence très éphémère, le temps de produire une poignée de vinyles dont le Consumer Revolt de Cop Shoot Cop. Le boss de Short Circuit a disparu du jour au lendemain après avoir refilé un test pressing d’Improvised Munitions à Spencer. Le type était un tox et n’a jamais réapparu : on suppose qu’il est mort d’une overdose sous un pont d’autoroute ou qu’il a été liquidé par un dealer rancunier à qui il devait de l’argent. Comble de malchance, les collocs d’alors de Spencer avaient le même problème de drogue et lui ont volé le seul exemplaire test d’Improvised Munitions encore en circulation pour financer leur dose du jour… L’histoire aurait pu s’arrêter là si une autre copie du disque n’avait miraculeusement et récemment refait surface, rachetée il y a des années dans un magasin de disques d’occasion par un type très soigneux et amateur de musique : un vinyle en parfait état et qui a servi de base pour la première véritable édition d’Improvised Munitions.







Les sept titres du disque sont tous connus, ils figureront plus tard sur le premier album d’Unsane, certains 7’ ou sur la compilation Singles 89-92 mais les versions sont toutes différentes et… carrément plus sauvages et plus visqueuses. Peut-être est-ce aussi du à la qualité du son, retravaillé d’après un vinyle mais la nature roots de chez roots du rendu confère au disque un charme vénéneux et un attrait difficilement égalable. Là encore, je ne voudrais pas avoir l’air d’exagérer mais découvrir Improvised Munitions m’a fait un peu le même effet que l’écoute du premier album du groupe en 1991 : Unsane sera toujours Unsane et merci à Wharton Tiers, l’homme qui a enregistré ces deux disques. Je n’en dirais pas autant de la démo de 1988 et de ses quatre titres complètement inédits qui ont été rajoutés juste après sur le disque. Le groupe, déjà bien en place, n’a toutefois pas encore totalement trouvé sa voie : dans l’absolu ces quatre titres sont très bons mais pour du Unsane disons que cela semble encore un peu faiblard… le trio n’était alors qu’un groupe très prometteur.
La suite tout le monde la connait : Charlie Ondras meurt tragiquement d’une overdose en 1992 (décidemment…), il sera remplacé par Vinnie Signorelli tandis que Pete Shore disparaitra complètement de la circulation pour laisser la place à Dave Curran en 1994. Pour en revenir à notre sujet, la pochette d’Improvised Munitions & Demo est simple, banale et même décevante. Pas ou peu d’informations. Pas d’insert avec le vinyle et pas de photos, sauf pour la version CD du disque qui reprend celle déjà utilisée pour le premier album. Mais on s’en contentera. Et on attend la suite : Lamb Unlimited est un label créé par Spencer pour documenter et faire perdurer la musique d’Unsane. Outre Improvised Munitions & Demo, le premier album et la compilation Singles 89-92 initialement publiés par Matador records (aux U.S.) et City Slang (en Europe) mais aussi la plupart des enregistrements du groupe – quid de Total Destruction ? – sont à nouveau disponibles, au moins en version numérique et c’est déjà ça. Mais une véritable réédition en vinyle serait tellement la bienvenue.

 

samedi 17 juillet 2021

Comme à la radio : (The) Drunk Meat


 


 

 

J’aime beaucoup l’histoire de ce disque. DRUNK MEAT est un duo de Bordeaux et alentours composé de Céline et Romain. A eux deux ils jouent de la guitare, de la basse, du synthé et ils chantent – surtout le garçon. Initialement publié en CDr à la fin de l’année 2019 (et toujours disponible sous cette forme pour les amoureux des technologies archaïques d’un passé révolu) Plus Ça Va Moins Ça Va a finalement bénéficié au printemps 2021 d’une parution en vinyle grâce à POUet ! Schallplatten, un label d’Orléans très résistant et qui depuis 2009 a sorti une grosse vingtaine de références parmi lesquelles on compte des disques très écoutés par ici : La Race, Plastobeton, Le Chomage, Colombey, Delacave, Ventre De Biche, Télédétente 666, Besoin Dead, Zad Kokar… tu vois le genre ? Un genre que j’aime bien.

C’est parce qu’au départ ils n’arrivaient pas à trouver de labels intéressés pour publier Plus Ça Va Moins Ça Va et donc un peu par dépit que les deux Drunk Meat s’étaient finalement lancés dans l’autoproduction... Évidemment personne de normalement constitué et de raisonnable n’aurait parié un kopek sur un groupe plutôt inconnu. Et il faut une bonne dose d’inconscience et d’abnégation pour (s’) investir dans la publication d’un enregistrement qui combine aussi justement acidité mordante et langueur brulante. On peut dire merci à Wilfried et à POUet! Schallplatten.






En dehors du fait que j’ai toujours envie d’écrire un « The » devant son nom, Drunk Meat est un vrai paradoxe à lui tout seul, entre no-wave lancinante et garage opiacé, le tout assaisonné de lignes de synthétiseur en forme de pierres tombales. Ça crisse, ça grince, ça racle et ça perturbe. C’est d’une noirceur souvent dérangeante et d’une froideur inquiétante, dans la droite lignée de certains groupes de La Grande Triple Alliance Internationale de l’Est (dont Drunk Meat ne fait pas partie). Une certaine façon de retenir le mordant de la guitare pour la rendre encore plus dangereuse. Un chant apparemment détaché mais corrosif et des paroles directes – en français – qui suintent le malaise, l’absurde et même la colère. Et puis c’est dingue comme la figure du patron arrive à concentrer toujours autant de dégoût et de rejet…

Plus d’une année sépare la version CDr de Plus Ça Va Moins Ça Va de son édition en vinyle. Une grosse année de rien, je ne te l’apprendrai pas. Ce qui n’est pas très grave : entretemps la pochette a été repensée par
Zad Kokar, le master vinyle a été assuré par Seb Normal et aujourd’hui, paradoxalement et ironiquement, Plus Ça Va Moins Ça Va s’offre une deuxième vie bien méritée. J’aurais pu terminer cette fausse chronique sur un « retenez bien ce nom » démagogique et décalé, un peu comme un tyran de l’internet prescripteur – mon fantasme absolu de mec frustré, tu penses bien – mais Drunk Meat vaut largement plus que ça, bien plus qu’un bon point numérique au milieu des courants et des reflux d’informations oubliées dès le lendemain. Tout le monde a besoin d’air et de temps.  

 

 

jeudi 15 juillet 2021

Moor Mother : Circuit City

 

Un nouvel album de MOOR MOTHER ? Non, pas tout à fait. Déjà ce Circuit City a officiellement été publié en septembre 2020 (dans sa version dématérialisée) et surtout il s’agit de la « bande-son » d’un spectacle / performance associant théâtre, poésie, musique et multimédia. Un disque un peu à part, donc, mais s’intégrant parfaitement dans la démarche unique, expérimentale et militante d’une musicienne, créatrice et artiste hors du commun. Et dont on parle de plus en plus : désormais le travail de Moor Mother parcourt le monde et ses performances ou interventions prennent place dans des festivals spécialisés dans le multimédia mais aussi dans des fondations, galeries ou même musées d’Art Contemporain. J’ai alors toujours ce mouvement instinctif de recul face à la réalisation d’idées, pensées et concepts qui me convaincraient autrement et davantage s’ils n’étaient pas financés par un quelconque ministère de la Culture bienveillant (comme en France, pays spécialiste en institutionnalisation des artistes) ou une fondation montée par un riche capitaliste au grand cœur (le mécénat, contrepartie souriante du désastre économique libéral) qui voudrait malgré tout prouver au monde qui le regarde de travers que, premièrement, il peut avoir du cœur, s’intéresser aussi aux autres et pas qu’à son argent et, deuxièmement, qu’il peut avoir quelques goûts pourquoi pas affichables en matière de création artistique. Mais pour l’instant Moor Mother est encore très loin de faire partie d’un quelconque Art Officiel et disons que son travail s’inscrit plus que jamais dans une logique de torpillage d’un système dominant – blanc et patriarcal pour faire vite.







Mais revenons-en à notre sujet principal : Circuit City. Et je ne parlerai ici que de musique. A peine remis de la claque expérimentale Analog Fluids Of Sonic Black Holes enregistré sous son seul nom et du stellaire Who Sent You ? enregistré au sein du collectif de free jazz Irreversible Entanglements, Camae Ayewa aka Moor Mother revient avec cet album qui, musicalement du moins, tient un peu plus du second que du premier. Les quatre musiciens d’Irreversible Entanglements sont tous présents et leurs improvisations occupent beaucoup de place, surtout les interventions du trompettiste Aquiles Navarro. Elles sont accompagnées ou plutôt doublées par des sons électroniques et une production en direct assurés par Steve Montenegro / Mental Jewelry et Ada Adhiyatma / Madam Data. C’est comme si Moor Mother avait expressément voulu travailler avec tous ses collaborateurs principaux en même temps mais la superposition des deux types de sources sonores – instrumentale d’un côté, bidouille de l’autre – n’est pas toujours très heureuse, frise la saturation des sens et honnêtement on respire un peu plus lors des passages où l’une et l’autre se fait entendre seule ou lorsque le troublant Elon Battle se lance au chant, presque en solitaire (le début de Time Of No Time, très beau).
Tout ça est très intéressant mais – avouons-le – souvent un peu épuisant. On peut se délecter des textes slammés de Moor Mother mais on regrette surtout qu’il n’y ait pas plus de dichotomie et de dialogue en alternance entre les deux principales composantes musicales de Circuit City, ce qui aurait permis de mieux apprécier la qualité du travail de tous les musiciens en présence. Par exemple Circuit Break présente à partir de sa troisième minute un effacement certain de la composante instrumentale / free jazz et tout devient tout de suite beaucoup plus lisible… même lorsque le saxophone de Keir Neuringer remonte en puissance, avec un son visiblement retraité directement, ce qui lui donne une saveur plutôt étrange. C’est là une autre critique que l’on pourrait adresser mais cette fois uniquement au côté création sonore / bidouille de Circuit City : la nature trop souvent académique et convenue des sons et textures employés, typiques des créations multimédias s’associant avec l’informatique musicale ou l’acousmatique, et pas toujours pour le meilleur, donc (tu sais bien, ces petits sons qui font comme des bidibulles électromagnétiques qui papillonnent légèrement).
Alors donc : même si Circuit City n’est pas la meilleure introduction possible au travail de Moor Mother – pour cela on peut se référer aux deux enregistrements formidables mentionnés au début de cette chronique – il n’en demeure pas moins un disque à écouter… en attendant le prochain, déjà annoncé sur le label Anti pour le 17 septembre 2021, et intitulé Black Encyclopedia Of The Air.

[Circuit City est publié en vinyle orange – la pochette est gatefold et comprend quelques photos prises lors des représentations – et en CD par Don Giovanni records]







mardi 13 juillet 2021

[chronique express] Yautja : The Lurch

 


 

Faisons rapidement les présentations. Un Yautja est un gros machin extra-terrestre super fort, super cruel et vaguement humanoïde qui tue tout ce qu’il rencontre dans l’univers et plus connu sous l’appellation de Predator, comme dans les films régressifs du même nom. YAUTJA c'est aussi un trio de Nashville dont le préposé à la batterie n’est autre qu’un certain Tyler Coburn, également batteur de Thou (comme chacun le sait déjà Thou est actuellement le meilleur groupe de metal de la Terre, de l’infini et au-delà). Et le label de nous prévenir : « The Lurch is the blistering Relapse debut from grindcore innovators Yautja ! ».
N’ayons pas peur des mots ni du cinéma de merde. The Lurch est un disque qui frise l’excellence mais ce n’est pas un disque de grindcore – bien que le grind rentre assurément dans sa composition – et la musique de Yautja se révèle rapidement suffisamment variée, volatile, complexifiée, tordue, sombre et imprévisible pour échapper à toute catégorisation. Une musique innovante ? Je n’en sais rien mais rappelons que nous sommes en 2021 ou, si on préfère, en l’an 2 de l’ère Covid et que l’innovation en matière de métallurgie appliquée est un concept aussi pertinent qu’un scénario de Fast And Furious ou de Pitch Perfect. Mais
The Lurch reste un disque très imaginatif et très excitant… mon disque de metal extrême et qui fait mal de cet été.

 

lundi 12 juillet 2021

Raymonde Howard & Halfbob : The Year Loop Broke

 

The Year Loop Broke – dont le titre fait allusion aux boucles échantillonnées souvent utilisées par les one wo·man band et est surtout une référence assez évidente à tu sais quoi – est une bande dessinée signée Halfbob et Raymonde Howard : le premier raconte en dessins les mésaventures de la seconde lors d’une mini-tournée de trois dates en Angleterre au cours de l’été 2015. On connait plutôt bien RAYMONDE HOWARD, musicienne, auteure et compositrice de Saint Etienne qui depuis 2006 (?) nous enchante avec ses pop songs noisy, pleines de tranchant, de malice et d’impertinence. On ne connait pas du tout HALFBOB, illustrateur et auteur de BD, stéphanois lui aussi. Mais on devine que ces deux là doivent vraiment bien s’entendre pour que Laetitita aka Raymonde Howard lui ait confié la tâche de raconter un bout de sa vie.





Nous sommes donc en 2015 et Raymonde Howard, prof dans le civil, booke à grand peine une poignée de concerts en Angleterre. Elle sera accompagnée de deux amis : Anto (chauffeur / roadie / etc.) et Thomas qui partagera la scène avec elle avec son propre projet solo, Thomas W. – Laetitia et Thomas joue d’ailleurs ensemble dans un autre groupe, Saffron Eyes, mais là n’est pas le propos. Halfbob nous raconte très bien la réalité d’une tournée lorsqu’on n’est pas un
·e musicien·ne professionnel·le, les galères imprévisibles mais semble-t-il inévitables liées à la pratique DIY comme les petits riens qui changent tout (les rencontres, les discussions tardives d’après-concert, les endroits que l’on découvre, la nourriture du coin… – oui même en Angleterre).
Mais il nous raconte surtout la galère de Laetitia pour qui
cela se passe mal dès le départ du voyage : violentes douleurs au dos, beaucoup de fièvre, très grosse fatigue. Elle doit même raccourcir l’un de ses sets et rapidement elle ne décolle plus de sa trousse à pharmacie et se gave de paracétamol pour supporter des douleurs toujours plus intenses et inquiétantes. Avant d’être obligée de se faire hospitaliser. Je ne vais pas tout résumer de The Year Loop Broke qui nous décrit un système hospitalier britannique complètement archaïque et désargenté, nous parle de personnes âgées laissées à l’abandon dans des dortoirs collectifs en attendant la mort, évoque la barrière du langage (pourtant Laetitia chante en anglais avec Raymonde Howard) et, surtout, aborde subtilement l’angoisse de se savoir malade sans comprendre exactement de quoi on souffre. Et donc parle de la panique qui s’empare de nous… parce que l’on a toujours cette tendance très humaine à imaginer le pire.
Le pire n’arrivera pas, Laetitia pourra rentrer en France après quelques péripéties supplémentaires et quelles rencontres inattendues mais pour moi le principal sujet de The Year Loop Broke est vraiment axé autour de cette double problématique : ne pas assez prendre en compte la douleur physique ni la souffrance psychologique d’une personne malade et qui ne comprend pas ce qui lui arrive.







N’étant pas expert ni féru de bandes dessinées je me garderai bien de dire quoi que ce soit du dessin d’Halfbob. Celui-ci est très simple, tout en noir et blanc contrastés, avec quelques parties hachurées mais jamais de gris. La simplicité du trait colle bien avec la musique de Raymonde Howard car, comme elle, il va à l’essentiel, désigne basiquement les personnes, les évènements et les choses sans détours tout en pointant ce qui est important, souvent non sans beaucoup d’humour. Surtout Halfbob arrive à nous parler de ce qui est triste ou dramatique avec beaucoup de retenue et beaucoup d’humanité.
The Year Loop Broke est accompagné d’une compilation CD sous-titrée A Collection Of Songs 2006 - 2021 et regroupant non chronologiquement des titres de tous les enregistrements de Raymonde Howard depuis ses débuts, première démo comprise. La musicienne y a même inclus deux inédits de 2008 ainsi que quatre nouveaux titres spécialement enregistrés pour l’occasion et tous d’excellente facture (j’ai vraiment un petit faible pour The Inevitable Her). Revisiter sa discographie est aussi plaisant que rigolo : en fait les disques de Raymonde Howard sont toujours très courts mais avec The Year Loop Broke c’est tout le contraire, on en prend pour une heure de musique et vingt-sept titres d’affilée, expérience très intéressante et instructive s’il en est. Et qui confirme tout le bien que l’on pense d’elle.

[The Year Loop Broke dans sa version bande dessinée de 80 pages + CD est disponible au prix de 19 €uros – je rappelle que dans ce pays le prix des bouquins est toujours réglementé – tout ça grâce au partenariat entre Jarjille Editions et le label We Are Unique! records, fidèle à Raymonde Howard depuis ses débuts… mais le CD est également disponible sans la BD, ce serait pourtant bien dommage de s’en priver !]



vendredi 9 juillet 2021

Mr Marcaille : No Snare No Headache



Nan mais Arnaud qu’est ce que tu es beau ! Lorsque j’écoute ton nouveau disque et qu’en même temps je contemple sa (magnifique) pochette, je me prends d’un élan de tendresse quasiment incontrôlable pour toi. Je regarde tes yeux clairs à l’éclat débordant de générosité et je t’imagine sur une scène de concert, uniquement vêtu d’un slip poisseux, le torse velu et transpirant, la casquette de travers, dégoulinant, rotant un trop-plein de bière, éructant tes chansons métalliques dégueulasses propulsées à la double pédale et au violoncelle criard dans un grand jaillissement de postillons purificateurs. J’ai envie de te serrer dans mes bras et je t’aime. Enfin, j’aime No Snare No Headache. Et je découvre qu’il ne s’agit que de ton second LP, le premier datant de 2013… Mais, dis-moi, qu’est ce que tu as foutu pendant tout ce temps ?
J’en vois certaines et certains qui rigolent derrière leur ordinateur ou leur téléphone. Qui pensent que Mr MARCAILLE n’est au mieux qu’un freak et un amuseur public (certes extrêmement doué). Un truc que l’on programme en début de soirée d’un concert de grind ou de thrashcore pour faire monter la sauce et chauffer les esprits pendant l’apéro ou que l’on relègue en dernier, au petit jour, une fois que tout le monde est complètement bourré et défoncé. Je ne suis pas meilleur que les autres : je n’ai pas écouté très souvent Kill ! Kill !Kill !, un peu trop certain de savoir ce que j’allais y trouver et toujours bloqué sur les concerts mémorables du monsieur – voir descriptif ci-dessus – et dont je pensais qu’ils seraient toujours suffisants pour me contenter pleinement. J’ai, par pure paresse, eu tendance à considérer que Mr Marcaille n’était qu’une grosse blague… mais en fait pas du tout. Enfin presque.





 

No Snare No Headache ne comporte qu’un seul (petit) mensonge : celui de son titre. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de caisse claire sur un enregistrement qu’on ne va pas se choper un mal de crâne à force de l’écouter en boucle. Par contre il n’y aucun risque de grosse prise de tête avec un disque qui respire autant l’intelligence du grand n’importe quoi à bordel. Et l’amour de la musique, aussi : quelque part entre le hardcore et surtout le thrash et avec quelques incursions réussies dans le doom. Le tout, donc, à l’aide de deux caisses médiums (?) actionnées par un double pédalier, d’un violoncelle au son particulièrement distordu et d’un chant vociférateur de golem chiasseux. Du metal mais du metal bien oxydé et bien sale, sans aucune trace de rutilance chromée.
Moi qui ai beaucoup écouté ce genre de trucs (le thrash de Slayer et consorts) depuis ma tendre adolescence et qui en écoute encore, je suis ébloui par No Snare No Headache, un disque qui – n’ayons pas peur des mots – confine au génie et le fait mine de rien, sous des airs de blagues cradingues et de réjouissances métallurgiques. Comment ne pas triquer à l’écoute du très explicite Fuck Off And Die ? Comment ne pas invoquer les forces du mal sur Pro Satan ? Ne pas triper sur Infine ? Ne pas avoir envie de décapsuler une 666ème bière sur Beer Time ? Ne pas la recracher aussitôt sur Mon Amour ? Ne pas brailler en yaourt sur Naatas ou headbanguer de bonheur en écoutant Wall Of Death ? Beaucoup mieux enregistré que Kill ! Kill ! Kill ! dont le côté lo-fi faisait aussi beaucoup pour le charme, No Snare No Headache surprend même par son degré de sophistication, toutes proportions gardées évidemment, et d’achèvement. Moi je vous le dit : Mr Marcaille est peut-être un fouteur de merde notoire, un rigolo du goulot et un exhibitionniste sans peur et sans reproche mais c’est aussi et surtout un esthète jubilatoire. Donc finalement je l’aime, oui.

[No Snare No Headache est publié en vinyle par Aradje, Les Disques De La Face Cachée et Urgence Disk]

 

 

mercredi 7 juillet 2021

[chronique express] Pressed : Mirrored Body



 

Je crois que je vais vraiment finir par instaurer une nouvelle rubrique (hebdomadaire ?) intitulée « le disque noise-rock du moment » et dont le titre pallierait à toute description supplémentaire et donc superflue. Premier candidat pressenti, PRESSED devrait à coup sûr remplir le cahier des charges d'une telle rubrique avec son premier album publié par The Ghost Is Clear : Mirrored Body est un genre de concentré avec tout ce qu’il faut, là où il faut et quand il faut sur une échelle stylistique comprise entre Unsane – pour le vice de certains riffs et de certaines lignes de basse – et Jesus Lizard – pour certaines embardées pleines de filouterie. Autant dire que Pressed ratisse large mais en même temps le champ d’action de ce groupe de Memphis est tellement délimité qu’il ne risque pas de nous perdre en route (attention : jeu de mots). Il n’y a que la voix qui parfois me semble un peu courte sur pattes et le kick un peu trop mixé en avant (question de goût, hein) mais si on aime le noise-rock dynamique, graisseux, transpirant et courtaud Mirrored Body se situe dans la plus que très honnête moyenne des albums à écouter et à apprécier accompagné d’un pack de bières tièdes. A la semaine prochaine.

 

lundi 5 juillet 2021

Heimat : Zwei


 



 

Je me sens complètement désarmé face à un tel disque. Et c’est tant mieux. Armelle Oberlé (au chant, aux textes et aux instruments) accompagnée d’Olivier Demeaux (tout, y compris le reste) nous avaient déjà fait le coup en 2016 avec un magnifique premier album sans titre qui s’était facilement glissé au milieu des disques essentiels d’une année plutôt étrange – OK : ceci est une remarque à caractère purement personnel et en fait je ne me rappelle déjà plus beaucoup de cette année 2016, sauf de quelques tours de passe-passe incompatibles avec le monde réel. Mon papa germaniste et très efficace en son temps (celui du post-stalinisme triomphant des 70’s) aurait sans aucune hésitation traduit HEIMAT par « patrie » mais efficacité n’est pas raison et heimat c’est aussi : son chez-soi, l’endroit d’où l’on vient mais également celui où on aime revenir, celui où on se sent bien, celui que l’on s’est construit, là où sont nos racines mais également notre cœur. Un endroit que l’on s’est aussi choisi. Les Anglais appellent ça home et des fois les Maghrébins parlent de leur bled dans ce sens là.
Armelle – Bisous-Bisou pour les intimes – et Olivier nous avaient déjà habitués avec leurs précédents groupes à regarder au delà et à écouter à côté : The Dreams et sa tropicalité froide, Cheveu s’associant à Group Doueh… Avec Heimat ils vont encore plus loin, en convoquant musiques et langages d’ailleurs (et langues, sauf le français) puis s’en servant pour façonner le noyau multi-nucléaire d’une musique qui ne peut être définie – attention c’est le grand moment de facilité rhétorique de cette chronique – que par elle-même, au moment de l’expérience de l’écoute. Heimat, donc : c’est-à-dire les musiques d’où viennent ces deux-là, celles vers lesquelles ils veulent aller, celles qu’ils inventent ou réinventent, là où ils sentent bien, chez eux.
Zwei multiplie les emprunts / citations / influences mais il n’est pas du tout question de réappropriation ni même de fusion, ce concept tellement occidental inventé en même temps que celui de world music par des musiciens de salon en panne d’identité et des producteurs artistiques en manque de trésorerie. On notera toutefois moins d’effluves indiennes et extrême-orientales par rapport au premier album, Zwei se contentant, façon de parler, de faire le grand écart entre Europe balkanique et Maghreb et tout ce qu’il y a ou presque entre les deux. Stylistiquement, c’est un peu la même chose. La musique d’Heimat lorgne du côté de l’indus fantomatique, de l’electro expérimental, du folk mais jamais vraiment du rock, cette chose annihilée par les beaufs électriques depuis des décennies.  Tout ça en prenant la forme de comptines inquiétantes, d’envolées claustrophobes, de mélopées glaciaires, de glissements aériens, de balades lugubres, de crises de théâtralité martiale.
Chez Heimat on ne rigole pas mais on ne verse pas non plus dans le sordide sentimental, même pour plaisanter entre amis parce que ça ferait genre. Le duo tisse plutôt un enchevêtrement de voilages à base de mélancolie rassurante – que peut-il y avoir de plus proche d’un chez-soi qu’une telle mélancolie ? – et brodés de petits mystères. Un peu comme des points lumineux brillant de façon ténue dans la demi-obscurité d’une pièce ou des cailloux ramassés par terre et dont on a décidé qu’ils ne sont pas que jolis, devenant à nos yeux autant de pierres précieuses aux éclats fugaces et émouvants, imparfaits mais tellement chérissables. Et puis il y a le chant d’Armelle, aussi multiple que les langues employées (?) pour les textes de ses chansons. Prêtresse des ombres, passante insaisissable, diva criarde, comédienne de l’intimité, compteuse tout simplement. Cela fait longtemps que l’on connait sa voix et qu’on l’écoute. Cela fait longtemps que l’on aime sa détermination et ses errances, ses salves et ses dérapages, son lyrisme et son acidité. Sa grandeur et sa grâce bancales. Longtemps.

[Zwei est publié en vinyle par Teenage Menopause et Cry Baby records – ps : et plus belle pochette de l’année, pour l’instant]

 

 

dimanche 4 juillet 2021

Comme à la radio : Intercourse


  


 

Jour de colère. Le programme de ce dimanche est assuré par INTERCOURSE, un groupe du Connecticut, New Haven je crois, qui pratique un hardcore bien tordu et torturé, lourd et visqueux, qui plus est insidieusement parfumé d’un soupçon noise-rock à l’ancienne. Rule 36 est le deuxième long format – neuf titres, vingt minutes – enregistré par ces quatre fous-furieux, après un premier 12’ très recommandable en 2018 (et au titre particulièrement désopilant : Everything Is Pornography When You've Got An Imagination) et quelques formats courts, dont deux brulots figurant sur un excellent split 7’ en compagnie des chaudasses de chez Gaytheists.

 

 

 


Il y a beaucoup de Deadguy / Rorschach mais aussi une bonne dose de Coalesce dans la façon qu’à Intercourse de faire monter la pression et la température sans avoir recours aux habituelles pitreries bodybuildées des formations de metalcore fréquentant trop assidument les salles de sport. Comme si la devise du groupe était : complexifier sans trop en rajouter et densifier tout en restant lisible. Ne pas (se) prendre la tête mais plutôt faire exploser les crânes. Les embardées sont nombreuses, quelques accélérations sont même au rendez-vous (No Country For Old Crow, encore un titre hilarant sorti de la folle imagination du chanteur / hurleur Tarek Ahmed) mais globalement le groupe joue la carte de l’épaisseur contrôlée, du mid-tempo fracassé et du chaos à inflammation lente. Au final il se dégage de Rule 36 un effet de combustion permanente et un sentiment de rage viscérale qui ne laissent pas indifférent.

Pour l’instant Rule 36 ne bénéficie d’aucune parution sur support physique mais on peut télécharger tout le disque à prix libre sur la page b*ndc*amp du groupe (tout comme la totalité de ses autres enregistrements – merci qui ?).


 

vendredi 2 juillet 2021

Under 45 : Cancelled






2020… l’année la plus longue mais aussi la plus courte de l’histoire récente de l’humanité. Oui, quand on ne fait rien (ou presque) forcément on s’emmerde. C’est un rien qui finit par tout écraser puis tout remplir, sans pitié : à peine le temps de se retourner que l’on se rend compte que l’on a perdu tellement d’occasions, qu’une année c’est tellement peu pour tout ce que l’on avait peut-être prévu d’en faire. L’insupportable sensation de sentir que l’on ne vit pas du tout à la bonne vitesse. Qu’une année de rien c’est aussi déprimant qu’un trajet monotone de trois quart d’heure pour se rendre quotidiennement à son travail de merde ou répondre à sa convocation Pôle Emploi. Que ce n’est pas le temps qui passe mais nous qui passons, forcément beaucoup trop vite : le temps perdu ne se rattrape plus, disait je ne sais plus quel poète braillard du début des années 80 et à la calvitie encore naissante.
Heureusement tout le monde ne s’est pas contenté comme moi de ne rien faire du tout – à part écouter des disques en regardant l’horizon de ma fenêtre ou de mon plafond, d’en faire des mots, de tenir des propos incohérents saupoudrés de considérations de collégien attardé. L’insert de Cancelled nous précise : « All songs written by Under 45. Recorded in Jake’s garage and Grrrnd Zero in lockdown 2020 ». Je ne vais pas traduire, hein. UNDER 45 c’est la réunion de trois types qui en temps normal trainent dans les mêmes endroits à Lyon et vont souvent aux mêmes concerts : Jake à la voix et aux textes (on le connaissait plutôt comme batteur avec Bleakness ou Action Beat), Pascal à la guitare (sinon il est guitariste et chanteur pour les excellents Faux Départ) et Fabien (bassiste de ces mêmes Bleakness).
Et puis un grosse boite-à-rythmes qui dégomme tout sur son passage. La contrainte et la liberté : pour presque chaque titre de Cancelled, entre deux et trois minutes d’une rythmique implacable et pendant lesquelles il faut tout donner. Moi cette boite-à-rythmes je l’adore. Dès Put Da Boot In elle imprime un groove mi-robotique mi-pogoteur à la musique de Under 45, un élan irrésistible et un acharnement parfaitement dansable même lorsqu’on est un handicapé affectif. Une voie royalement punk pour des lignes de basse monstrueusement (massivement) années 80, une piste d’envol pour des parties de guitare qui déchirent – les piqures de Global Warming ou les surlignages éclairés de Giv & Get par exemple – et une catapulte à bordel pour le chant des fois à la limite du parlé. Et même carrément spoken words dans le cas de The Unsaid, un titre sans machine rythmique qui rappellera un peu Bad Body, un ancien projet de Jake. Quelle voix et quel phrasé merveilleux et quel accent british d’en bas délicieusement incompréhensible. Heureusement tous les textes – OK : je mens un peu, j’en comprends quand même un peu – sont imprimés sur l’insert et ils parlent, en vrac, de connerie humaine, de réchauffement climatique, de Brexit, de suicide générationnel, d’une vie pourrie dont on ne veut pas, de la nécessité d’être aimé, d’errance. Le tout avec un débit proche de la mitraillette à postillons mais toujours avec un gros pavé d’humanité au milieu. C’est ça le truc : Cancelled est un disque incroyablement saisissant tout en donnant une grosse envie de gueuler un bon coup. Qu’est ce que ça fait du bien.

[Cancelled est publié en vinyle par Destructure records]