Peut-être
fais-tu comme moi partie des petits cœurs sensibles et des âmes à fleur de peau
qui ont pleuré toutes les larmes de leurs corps à l’annonce de la séparation de
Buildings. Un vrai drame mais un drame prévisible si on se donne la peine de
réécouter Negative Sound, ultime album publié par le trio de
Minneapolis en 2019, mais aussi et surtout son meilleur : comment survivre
à un enregistrement d’une telle noirceur ? comment ne pas y voir l’affirmation
d’un profond malaise, impossible à surmonter ? comment aller encore plus loin
sans risquer de se perdre ? Je ne connais pas les motifs exacts du split
de Buildings mais d’une certaine façon je trouve celui-ci totalement logique.
Tout ça nous amène à Travis Kuhlman, génial batteur à lunettes et pivot central
de feu Buildings, parait-il grand pourfendeur de 6-packs devant l’éternel et
personnage doté d’un humour grinçant parfaitement inégalable. DUG est
son nouveau groupe et c’est un duo. Outre le petit Travis logiquement crédité à
la batterie, aux percussions mais aussi à la voix, le groupe est composé de
Mike Baillie qui lui joue de la guitare, balance des samples et chante. Mais
autant prévenir tout de suite que les amatrices et amateurs de noise-rock trépidant
seront déçus·es en découvrant 35:35. Car le résultat est… très
surprenant. En général je n’aime pas trop énumérer des noms d’autres groupes
pour tenter de cerner un disque. En tous les cas je n’aime pas avoir recours
uniquement à ce procédé là, celui des comparaisons faciles et des filiations
logiques, sans trouver quelques à-côtés tirés par les cheveux et qui n’ont rien
vraiment à voir avec la musique (mon grand plaisir). Mais dans le cas de DUG
il sera difficile de faire autrement : 35:35 est le descendant
direct des Melvins période Bullhead / Lysol ou du Boris des
débuts, celui de l’album Absolutego (ce qui revient à peu près à la même
chose, il faut bien l’avouer).
Sans mauvais jeu de mots voilà deux références de poids et l’écoute intégrale
et en continu de 35:35 ne fera que confirmer le déterminisme écrasant ici
à l’œuvre. On pourra détailler toutes les tournures de style et autres tics musicaux
qui envahissent l’album : des intros longuettes avec des frappes de batterie solitaires et sèches comme des coups de trique, la guitare qui
s’épaissit par paliers successifs, des bourdonnements de fréquences allant du
grave au très grave ou des larsens impossibles, le chant beuglé avec soin mais
plutôt rare, etc… On en est alors réduit à subir toute cette masse compacte et
asphyxiante, assez impuissant face à un disque qui semble ne rien lâcher question
inconfort et malaise. Mais on peut aussi trouver que le son de guitare aride de
Mike Baillie comporte quelques petites touches d’originalité – sans jamais trop
s’éloigner des poncifs du gras-doom – pour se rapprocher du barrissement bruitiste.
Et on doit attendre la fin du disque et Loss pour découvrir une voix
bloquée en mode narratif et aux intonations complètement glaçantes. Presque une épiphanie.
Sans grande surprise 35:35 finit donc par s’imposer, principalement à
l’usure. On ne peut que l’écouter très fort, ce qui a l’avantage non
négligeable de nous permettre de nous en prendre plein la gueule – toujours
cette délicieuse souffrance – mais surtout de découvrir de nouveaux détails qui
sauvent la mise au duo, tels que ces murmures inquiétants (samplés ?) qui
apparaissent subrepticement sur The Crying Men. Ou de mieux comprendre
la science de l’empilement ultra répétitif et de la montée en puissance dans la
musique de DUG (le machiavélique Elevator Into The Ground) ou
comment le groupe arrive à dérailler tout en restant au ralenti (Strapped To
The Hood Of A Car). On n’oublie jamais complètement les figures tutélaires citées
plus haut mais on finit par oublier la déception ressentie aux toutes premières
écoutes de 35:35. Bien que l’on aurait préféré un disque plus personnel
et plus impertinent. On espère que DUG fera beaucoup mieux à l’avenir,
en prenant plus de risques et en s’amusant davantage avec certains codes
musicaux au lieu de trop les respecter.
[35:35
dure trente-cinq minutes et trente-cinq secondes, est publié en vinyle rouge
uniquement par The Ghost Is Clear
et son artwork absolument splendide en vrai est signé Louis-Alexandre Beauregard, également connu pour avoir été le premier batteur de Big
Brave]