Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 31 mai 2021

J'Entre Par Tes Yeux : self titled


J’ai d’abord été plus que tenté par la facilité et surtout tenté de résumer le premier album de J’ENTRE PAR TES YEUX par un catalogue select de références de haut vol. Quelques unes des œuvres poétiques à base de voix chuchotées d’Etant Donnés pour le premier titre éponyme ; certaines productions de Raster-Noton (et pourquoi pas Anbb soit l’association d’Alva Noto et de Blixa Bargeld d’Einsturzende Neubauten) pour Anyone Realize ; ce même Bargeld ou Diamanda Galas pour le traitement des voix et les techniques de chant sur Le Corps De Ton Corps. Coil pour le magnifique De Las Lilas. Etc… Attention : je ne cite pas tous ces noms au hasard. Pour moi, s’il s’avère que ces musicien.ne.s et ces artistes ont effectivement inspiré la musique de J’Entre Par Tes Yeux – mais ça je n’en sais finalement rien du tout –, ces noms constituent surtout des musiques et des esthétiques de première importance, des choses que j’ai toujours beaucoup écoutées. Et je crois que j’aimerais vraiment découvrir davantage de groupes et d’enregistrements influencés par de telles musiques. En 2021. Car cela me manque. Autrement dit : l’album de J’Entre Par Tes Yeux arrive vraiment au bon moment.








Mais je ne veux pas non plus être trop simplificateur. Et je ne le peux pas. Dans les faits J’Entre Par Tes Yeux est un duo composé d’Alice Dourlen (aka Chicaloyoh – on a parlé d’elle et de son disque L’Inventaire Des Disparitions il n’y a pas si longtemps que cela) et Julien Louvet (The Austrasian Goat et tant d’autres choses, de lui aussi on a souvent parlé). J’aurais eu du mal à imaginer que l’association de ces deux là ne donne rien de bon. Ou alors débouche sur un truc fadasse, grisâtre, inodore et sans danger. Mais je ne m’attendais pas non plus à un disque aussi réussi et, finalement aussi… personnel. Oui : personnel, malgré l’étalage de références citées ci-dessus.
A y regarder de plus près J’Entre Par Tes yeux est traversé par deux courants / axes principaux. Deux composantes qui s’opposent et se nourrissent l’une de l’autre. La première, musicale, est majoritairement électronique et la plupart du temps très expérimentale, carrément technoïde dans le cas de Tendresse Soviétique (à quand un maxi de remix ?) ou dark indus-ambient dans celui de Chante Blessure Ferme Toi Bouche ; la seconde n’est pas musicale mais thématique et ce thème c’est celui du corps, ou plutôt des corps : le poème d’Octavio Paz qui sert de trame au premier titre du disque, Le Corps De Ton Corps ou Chante Blessure Ferme Toi Bouche (bien qu’il s’agisse d’un instrumental, d’une beauté inquiétante). Sur Tendresse Soviétique (dont on nous dit qu’il est inspiré de Klaus Legal) ) Alice y chante plus que jamais les corps, la confrontation, l’incantation charnelle mais également l’ironie, non sans facétie.

En résumé on a d’un côté une musique très froide, très dure, parfois très mécanique, inflexible, territoriale, totalitaire mais aussi bruyante, bizarre et dérangeante. De l’autre il y a donc la chair, la friction des corps, les blessures, l’effusion, la jouissance trouble, quelque chose de fondamentalement organique et de physique. De perturbant. La musique dans tout ce qu’elle peut avoir de déshumanisé fait face aux voix – celle d’Alice comme celle de Julien –, seuls repaires vivants d’un disque qui nous malmène constamment. Position inconfortable mais privilégiée de celui ou celle qui écoute et qui en redemande. Attraction et fascination. Dépendance. Peur et douleur. Plaisir. En guise de conclusion glacée Chante Blessure Ferme Toi Bouche nous laisse aussi inassouvis que provisoirement tranquilles. Epuisés et en manque. Comme si la dislocation de nos propres chairs nous avait enfin permis de mieux regarder en nous-mêmes. 


[J’Entre Par Tes Yeux est publié en vinyle par Specific recordings]

 

 

vendredi 28 mai 2021

Comme à la radio : Nineteen Something, Quelque Chose Des Années 90 - deuxième partie

 




Deuxième partie de Nineteen Something, Quelque Chose Des Années 90, une émission de MAYDAY sur radio Canut autour des musiques underground à Lyon dans les 90’s avec la suite des interviews croisées d’Eric Aldéa et Franck Laurino (Deity Guns, Bästard et futurs Zëro), Christophe Dodard (Central Service, L’Exit, Le Pezner), Marc Prempain (Condense) et Maïe Perraud (Silly Hornets). Cela s’écoute et se savoure en cliquant sur ce lien ou à l'aide du player ci dessous.






A noter que Mayday est animée par un collectif à géométrie variable mais qu’il arrive que certaines de ses émissions soient l’œuvre d’une seule personne ce qui est le cas de celle-ci, travail colossal de l’un des membres de l’équipe, Raf alias Le Frigo (du nom de son ancienne émission à radio Canut,
La Lumière Du Frigo).


Je tenais à le saluer et surtout le remercier pour tout ça. Mais également le remercier de ne pas avoir trop insisté pour m’interviewer, comme si j’avais des choses intéressantes à raconter et comme si j’étais mieux placé que d’autres pour le faire. J’en profite également pour vous inciter à jeter un œil et une oreille sur la playlist vraiment bien foutue que Raf a concocté pour l’occasion.

[le flyer mis en illustration ne date pas des années 90 mais de mars 2001 : Sonotone était une association créée par des jeunes gens plus très jeunes non plus, des enfants de la musique des 80’s et surtout des 90’s et qui ont programmé pendant plusieurs années sur Lyon des concerts de noise, d’expé, de musique improvisée, bruitiste, etc.]





jeudi 27 mai 2021

Valse Noot : Utter Contempt

 




Pas besoin d’avoir à toujours traverser l’Atlantique ou La Manche pour découvrir des groupes de noise-rock. On peut par exemple aller faire un tour du côté de Vesoul (Membrane), Nantes (Carver, on en reparle bientôt), Clermont Ferrand (Black Ink Stain, on en reparlera également), Saint Brieuc (Dewaere, du moins ce qu’il en reste), Saint Etienne (Nose In The Nose), Marvejols (Pord, mes chéris de toujours) et – il semblerait depuis une dizaine d’années – Brest avec VALSE NOOT. J’admets cependant que si j’avais écouté dès 2012 le premier EP de ces quatre petits gars je n’aurais pas voulu parier un seul copeck de bitcoin en chocolat sur eux. Et à peine plus avec leur premier CD So Straight Architecture paru lui en 2014. Mais c’est une toute autre histoire avec Utter Contempt que le groupe a publié au mois de janvier de cette année 2021.
De ses débuts très techniques et trop souvent à la limite du rock progressif – tu sais bien que je déteste ce truc, tu comprendrais tout de suite si tu avais eu des grands frères et des grandes sœurs qui écoutaient Genesis et autre Marillion en fumant des bidis au lieu d’écouter les Buzzcocks et Motörhead en buvant de la bière tiède – Valse Noot a cependant gardé plusieurs ingrédients : cette capacité à jouer comme des brutes de technicité (donc), une énergie implacable, un amour pour les structures tordues et même ce synthétiseur qui sur Utter Contempt ponctue la musique du groupe sans jamais prendre les devants.

Il est là le principal changement : à la fois dans le durcissement et la mutation du son du groupe. Je ne sais pas si ce sont exactement les mêmes personnes qui jouent sur Utter Contempt que sur les enregistrements précédents de Valse Noot mais c’est presque le jour et la nuit. La basse est devenue ultra volumineuse et des fois même très grasse – pas le moindre slap dégueu à l’horizon non plus – tandis que la guitare joue désormais du côté du charcutage et de la soudure à haute température. Quant au chant, toujours très démonstratif, il garde ses côtés foutrement années 90 (Angst est peut-être le titre du disque que j’aime le moins à cause de cette scansion me rappelant beaucoup trop un groupe made in France vaguement fusionnel pas très innocent et surtout, finalement, très opportuniste et carriériste). C’est le point de rupture – ou d’adhésion, c’est selon – avec Utter Contempt : il faut accepter ce chanteur pyromane qui a tendance à en faire des tonnes et qui visiblement aime beaucoup ça.
Dans ses meilleurs moments, c’est-à-dire lorsque le prog pointe malgré tout le petit bout de son nez dans la musique du groupe pour provoquer le chaos (Pigeonholed, à partir de sa deuxième minute), Valse Noot se rapproche d’un Dazzling Killmen, l’aridité obsessionnelle et autodestructrice en moins. Et c’est dans ces moments là que j’apprécie énormément Utter Contempt. Mais ce n’est pas une règle générale : le groupe dévie tout le temps, ne reste jamais sur la même position et n’est guère avare en surprises. On peut au minimum affirmer que la musique de Valse Noot manie fort bien le concept d’originalité – une qualité inestimable par les temps qui courent, j’en conviens aisément. Et justement je crois que ce qui m’accroche le moins et me chiffonne le plus sur Utter Contempt a précisément quelque chose à voir avec son originalité : quel dilemme, n’est ce pas ?
D’habitude je ne me force jamais trop avec un disque mais partant du principe qu’une musique qui bouscule un peu mes habitudes conservatrices et réactionnaires n’est pas forcément moins estimable qu’une musique qui les conforte et qui flatte mon bon goût légendaire et souverain, j’ai juste compris qu’il me fallait insister un peu plus avec Utter Contempt pour commencer à apprécier ce que de prime abord je ne faisais que discerner. Je ne le regrette aucunement parce que Valse Noot est de ces groupes qui apparemment n’ont peur de rien et dont on a donc le plus de chance de se souvenir. Et Utter Contempt de tracer sa route de la meilleure façon qui soit.



[Utter Contempt est publié en vinyle et en cassette par French wine records, Ideal Crash, Offoron records, Super Apes et Vollmer Industries]



mardi 25 mai 2021

Maraudeur : Puissance 4

 





Il se passe quelque chose d’assez spécial dès les quinze ou vingt premières secondes du très alerte et très mothersbaughsien Es Ist Kein Stehlen, le titre d’ouverture de Puissance 4. On y croit tout de suite. On est immédiatement happé par un disque au charme fou, au songwriting gonflé de finesse et d’invention et à l’interprétation débordant de conviction. J’ai l’air d’un pauvre gamin à dire et à écrire cela, comme si je venais de subitement découvrir le Saint-Graal au fond du jardin de ma grand-mère ou la recette magique pour transformer l’ennui du quotidien en rêves éveillés mais c’est exactement de cela dont il s’agit : Puissance 4 est un disque évident. Et MARAUDEUR est un groupe qui l’est tout autant.
Partagé entre l’Allemagne, la Suisse et la France – côté « français » on retrouve Camille, batteuse de Litige et d’URSA ainsi que Morgane, ex-bassiste de Tôle Froide et désormais dans Scarlatine – Maraudeur c’est principalement des synthétiseurs, des lignes de basse très présentes et même centrales, de la batterie, un tout petit peu de saxophone réjouissant, de la guitare aigrelette mais vraiment pas tout le temps, plusieurs voix et du chant en allemand, en anglais et en français (sur le très poétique C’est Caché). Autrement dit le groupe, exclusivement féminin, pourrait être assimilable à la cohorte des formations actuelles qui s’adonnent volontiers aux musiques nées dans les années 80, option synth-punk diraient les connaisseurs en appellations d’origine contrôlée. Un peu de flanger / chorus* sur la basse de Slow Dress vient nous rappeler à quel point il peut faire froid en ce bas monde et à quel point on peut carrément aimer ça pourtant Maraudeur ne pratique ni le copié-collé bête et méchant, ni l’hommage trop respectueux et encore moins le revival accessoiriste.
Non, Maraudeur s’amuse, tout simplement… Par touches successives, en incluant des drôles d’idées et des breaks-surprises, en jouant à fond sur la complémentarité des voix, en emballant tout ça avec une belle vigueur et un entrain qui ne se démentiront pas de tout l’album (file under : Raincoats, etc). Du coup je comprends un peu mieux ce titre d’album qui rappellera à quiconque né au siècle dernier un jeu de stratégie en plastique inventé au milieu des années 70** et que je détestais (mais beaucoup moins qu’Othello, beaucoup plus ancien et sorte de version très appauvrie du jeu de Go, bref). Après tout, aucune personne n’est obligée de perdre son temps à essayer d’aligner quatre pions de la même couleur, on peut aussi les aligner dans l’ordre et de la façon dont on a simplement envie. C’est ce que font les filles de
Maraudeur avec leur musique qui en rappellera peut-être (sûrement) d’autres mais qui reste malgré tout inimitable.


[Puissance 4 est publié en totale autoproduction : le vinyle est d’un beau violet, la pochette est en deux partie dont une sériographie, il y a plein de dessins qui sont tous l’œuvre d’auteur.e.s différent.e.s et le mini-insert photocopié n’importe comment et joint à l’intérieur a à l’origine été écrit à la main – do it yourself]


* comme je suis un peu sourd et que je ne fais aucun effort je n’ai jamais su différencier l’un de l’autre
** vérification faite, le jeu Puissance 4 existe toujours…

 

 

dimanche 23 mai 2021

Comme à la radio : Nineteen Something, Quelque Chose Des Années 90 - première partie

 




Comme à la radio : cette rubrique de flemmard – parce qu’elle me permet d’écrire et de poster un truc sans que j’ai trop à me forcer – n’aura jamais aussi bien porté son nom puisqu'il va y être question de podcast radiophonique...

Aujourd’hui Instant Bullshit a donc l’immense plaisir de relayer la première partie de Nineteen Something, Quelque Chose Des Années 90, une émission consacrée à la scène underground des 90’s à Lyon avec des interviews d’Eric Aldéa et Franck Laurino (Deity Guns, Bästard et futurs Zëro), Christophe Dodard (Central Service, L’Exit, Le Pezner), Marc Prempain (Condense) et Maïe Perraud (Silly Hornets). Pour écouter le postcast il suffit de cliquer sur ce lien ou d’actionner le player :







Quelques mots également au sujet de MAYDAY. L'émission a lieu en direct tous les mercredis de 18 à 19 heures sur Radio Canut (102.2 en FM), une radio lyonnaise très chère à mon petit cœur puisque au siècle dernier j’y ai animé un programme musical (sic) pendant de nombreuses années. Entre reportages, interviews, prises de position, sketches, détournements et créations sonores, le ton est des plus réjouissants et les idées défendues par toute l’équipe de Mayday sont du genre salutaire. L’émission me semble d’autant plus intéressante qu’elle réussit souvent à partir d’un simple mot ou d’une idée très large à développer toute une thématique et à lui trouver des perspectives étonnantes, aussi bien politiques que sociétales, des fois très personnelles ou même poétiques (comme pour l’émission intitulée Un bout de bois et diffusée le 23 mars dernier).




[suite et fin la semaine prochaine…]



vendredi 21 mai 2021

[chronique express] It It Anita : Sauvé





Plus ça va et plus IT IT ANITA prend le gros son. Sauvé est le quatrième album mais aussi l’enregistrement le plus carré et le plus volumineux du groupe. It It Anita y multiplie les tubes fédérateurs et les punkeries à tendance noise (Cucaracha), resserrant nettement son propos, se concentrant sur des compositions courtes et des fois presque rectilignes, délaissant les joyeux bordels à rallonge qui ont beaucoup fait pour sa réputation. On pense souvent à une version testostéronée et même grungy de Sonic Youth (Dixon Kentucky), quoique l’ombre tutélaire des New-Yorkais apparaisse également là où on ne l’attend pas, comme sur Authority, délicatement hanté par un sentiment de mélancolie digne de Thurston Moore. Devant son titre au patronyme de l’ingénieur du son et producteur spécialiste en hardcoreries qui l’a mis en boite – It It Ainta nous avait déjà fait le coup pour quelques uns de ses disques précédents – Sauvé est un album chaud bouillant et très efficace mais trop lisse à mon goût. J’aurais tendance à regretter la désinvolture et le surplus de déglingue d’Agaaiin et surtout de Laurent mais ça c’est surement mon côté arty et snob qui parle pour moi. Sauvé reste malgré tout très recommandable pour les amateurs de bruit raisonnable.


mercredi 19 mai 2021

Adolf Hibou : Princess Barely Legal


 


 

Attention : concept ! Lequel concept est dument explicité à l’intérieur du mini livret accompagnant le CD qui sert d’écrin à ce petit chef d’œuvre de grand n’importe quoi qu’est Princess Barely Legal. Je recopie faute de mieux et, surtout, faute d’y comprendre quoi que ce soit : « Premier album d’Adolf Hibou à la croisée des mondes. Ça parle de trucs qui s’emmêlent dans la tête quand on ferme les yeux lorsqu’on a beaucoup de fièvre et aussi de chevaux ailés qui se rassemblent autour d’une vibration commune qui irradie vers un entropique et infini espace où sont délaissées les viles perfidies des hommes pour caresser, les yeux à demi-clos, le torse des olympiens ».
Pris au premier degré, voilà qui ressemble fort à un aller-simple sous trip lsd / peyotl / psilos par une bande de hippies bozardeux adeptes du poly-amour gay avec des poneys magiques. Au second et au troisième degrés, aussi. Jusqu’à ce que l’on se décide à vraiment écouter – parce qu’après tout, on a aussi le droit d’avoir un peu peur – ce premier album d’ADOLF HIBOU, fringant trio de Montpellier composé de Princesse Rapide (chant), Bébé Dragon (guitare) et Balboa Manioc (batterie). Et autant prévenir tout de suite : Princess Barely Legal n’est pas, malgré la présence d’une vraie-fausse reprise de Hugues Aufray, un disque de babloches salement illuminés mais plutôt un gros tas de machins grind-punk à tiroirs et autres multi-formes ectoplasmiques à caractère psycho-déviant.
En guise de concept il faudra donc se contenter d’un humour salement incontrôlable et subir un enregistrement qui passe son temps – et ça dure quand même 53 minutes – à avoir l’air beaucoup plus stupide qu’il n’est. Tu connais sûrement ce principe incontournable de l’existence : il faut être sacrément intelligent pour réussir à se faire passer pour un crétin aux yeux des autres et les trois Adolf Hibou mettent tellement d’énergie à brouiller les cartes, à chier de partout comme des chiens comme des chevaux (y compris dans ta mère) et à cumshooter de l’absurde et de la déglingue que l’on ne peut qu’y croire. Je vais insister, moi aussi : la durée est vraiment un élément important dans la musique du trio. Là où n’importe quel punk 2000 n’aurait roté qu’une demi-fois avant de passer au titre et à la bière suivante, Adolf Hibou s’étale, rempile et nous inflige des compositions qui n’en finissent pas, s’éternisent plus que de raison – mais ici la raison n’a pas sa place – et on n’est pas très loin d’une certaine forme de torture. Délicieuse torture, cela va de soi, même si c’est peut-être mon côté profondément maso-scato-mycose qui me fait dire cela.

Mais je crois que j’avais parlé d’intelligence un peu plus haut... Je mets de côté les vociférations de Princesse Rapide (qui pourtant, à certains moment, nous prouve qu’il sait aussi chanter pour de vrai mais cela ne semble pas beaucoup l’intéresser) et ses tentatives de racolages cheap à grands coups d’auto-tune pour me concentrer sur la guitare 24 cordes et la batterie triple pédale, un vrai couple infernal. Si le bourrage des trois Adolf Hibou fonctionne aussi bien et si on saute à pieds joints et avec bonheur dans leur grand bain épileptique et gluant c’est parce que ça joue vraiment, le groupe empruntant au grind, au hardcore, au doom, à la noise, au math-rock, au prog, même à Ludwig Van Beethoven et que sais-je encore. Dans les temps futurs, si jamais ils arrivent mais j’en doute de plus en plus, les musicologues avertis et autres excavateurs qui redécouvriront Adolf Hibou mettront surement Princess Barely Legal sur la même étagère que (PL) Riroum Av Ut, le premier album des lointains ancêtres Sun Plexus. Mais je doute aussi que l’on puisse réellement ranger ce disque quelque part.



[Princess Barely Legal devrait un jour être publié en vinyle par Head records et Jelodanti. Mais l’album est déjà disponible en cassette via Coeur Sur Toi et en CD grâce à Cracra records. J’en profite d’ailleurs pour remercier le staff de ce dernier pour avoir joint à mon envoi une quantité impressionnante de flyers vantant les mérites de ses nombreuses autres productions dotées de noms incompréhensibles et de visuels repoussants. Il y en avait tellement que je les ai distribués au hasard dans les boites-aux-lettres de mon immeuble, je n’en ai retrouvés aucun dans la poubelle et à ce jour aucun de mes voisins ne m’a encore soupçonné. Sinon l’artwork de Princess Barely Legal est signé Nils Bertho dont je ne saurais également trop conseiller le récent et désopilant Passion Chevals aux éditions Plus Zéro – bon allez, je lâche le morceau : Princesse Rapide et Nils Bertho ne sont en fait qu’une seule et même personne…]


lundi 17 mai 2021

[chronique express] Stiff Richards : State Of Mind


 


 

J’adore les jeux de mots foireux et j’imagine que STIFF RICHARDS est la contraction de Stiff Little Fingers et de Cliff Richards : le nom de ce groupe de Melbourne est si génialement débile et en même temps tellement peu équivoque que l’on ne peut pas passer à côté. Mais ce qu’il faut surtout retenir de State Of Mind, troisième album de cette bande d’acharnés, c’est une musique incroyablement fraiche et incisive, du vrai punk-rock nerveux et accrocheur, intense et inépuisable, un peu garage sur les bords, toujours mélodique et d’une classe immense. L’école australienne dont les Stiff Richards sont les nouveaux enfants prodiges, pas très loin de leurs grands frères d’Eddy Current Suppression Ring (originaires de la même ville, il n’y a pas de hasard) mais en plus frénétique et acéré. J’allais écrire en plus anarchiste, dans le sens où State Of Mind déborde de fougue libertaire. Stiff Richards pourrait bien devenir la sensation du moment, son nom se murmurant de plus en plus fort chez les adorateurs du punk 70’s tendance aristocratie déglinguée. Mais tout cela est plus que mérité

 

 

samedi 15 mai 2021

[chronique express] Melee : self titled




 

J’avais juré que l’on ne m’y reprendrait plus et que plus jamais aucun groupe de math-rock ne trouverait grâce à mes yeux ni se retrouverait chroniqué sur Instant Bullshit mais ça c’était avant de recevoir le CD éponyme de MELEE (en guise de « cadeau » et subrepticement glissé au milieu de disques que j’avais commandés et donc payés auprès du label alors que – attention radotage – je refuse tout envoi promotionnel sous forme d’exemplaires physiques, fin de la parenthèse). Je vais donc brièvement parler de ce duo italien non pas parce que je me sens redevable de quoi que ce soit (et puis quoi encore ?) mais parce que Guido et Mario n’ont rien à envier à tous leurs prédécesseurs et écrasent largement toute la concurrence actuelle avec leur recette basse / batterie explosive et survitaminée. Les compositions sont suffisamment courtes pour que l’on n’ait pas le temps de regarder sa montre et surtout elles dégueulent littéralement d’idées, entre énergie débordante et hautement communicative et générosité à tous les étages. J’imagine parfaitement le magnifique carnage que ferait Melee en concert dans une cave de bar blindée par un public essayant désespérément de grimper aux murs.



jeudi 13 mai 2021

Dead Neanderthals : Rat Licker


 


 

En toute logique j’aurais du faire très court pour cette chronique : Rat Licker, le dernier disque en date des très prolifiques DEAD NEANDERTHALS, ne dure que 9 (neuf !) minutes pour un total de 12 (douze !) compositions. C’est ce qui s’appelle être lapidaire. Mais ce qui pourrait passer à tort pour un nouvel exercice de style n’en est pas moins un enregistrement extrêmement digne d’intérêt.
Le duo hollandais formé par le saxophoniste Otto Kokke et le batteur René Aquarius est, on le sait, du genre joueur mais aussi friand en collaborations diverses et variées, ce qui lui a souvent permis de mutiplier les plaisirs mais aussi de brouiller les cartes – citons Prime, enregistré en compagnie du saxophoniste anglais Colin Webster, Crater avec le bassiste français Maxime Petit, Molar Wrench en collaboration avec Sly & The Family Drone, Dietary Restrictions avec le génial guitariste américain Nick Millevoi ou l’album sans titre enregistré sous le nom de Twin Sister avec le bassiste et boss du label God Unknown Jason Stoll (avec une nuance de taille : Kokke y délaisse le saxophone pour jouer du synthétiseur et ce disque est d’ailleurs l’une des meilleures choses à avoir vu le jour au cours de l’année 2020). Mais avec Rat Licker les deux compères se retrouvent seuls face à face, sans personne d’autre, et jouent ouvertement la carte d’un grind-jazz volcanique.
J’ai mis autant de temps pour écrire les deux premiers paragraphes de cette chronique que j’en aurais mis pour écouter Rat Licker quatre ou cinq (six ?) fois d’affilée. Tout y va terriblement vite, tout s’enchaine parfaitement et aucun temps mort ne vient rompre la furie d’un disque monobloc. Bien que l’on puisse isoler un à un tous les titres du disque ils forment en même temps un seul et unique gros pavé dans la gueule, une série d’électrochocs, une succession de violentes décharges de freeture suraigüe au saxophone (parfois jusqu’au larsen) et doublées de martèlements rythmiques. Le tout avec des noms de morceaux très imagés tels que Cop Meat ou Scalp Wound qui rappelleront ceux d’un certain Naked City.
On pourra effectivement trouver que l’ombre du groupe de John Zorn plane sur Rat Licker – on peut aussi penser au premier album éponyme de Ground Zero, l’ancien groupe d’Otomo Yoshihide – mais je trouve la version proposée par les Dead Neanderthals du mélange tornade jazzcore / métallurgie de l’extrême beaucoup plus rigolote, plus désinvolte, plus punk à vrai dire. Zorn composait beaucoup, or on a vraiment l’impression que Otto Kokke et René Aquarius ont préféré jouer et jouer encore sans trop se poser de questions ni élaborer de plan d’action trop défini à l’avance. Si préméditation il y a – et évidemment qu’il y en a – il s’agit uniquement d’une volonté de départ et qui se suffit à elle-même pour donner libre cours au désir des deux musiciens de tout envoyer valser à grands coups de stridences (parfois à l’aide de pédales d’effet) et de blasts déglingués. Le résultat final est très drôle – ludique, si tu préfères – et jamais engoncé ni limité par des intentions trop identifiables. Sauf celle de jouer une musique libertaire et bruyante comme peuvent l’être le free jazz et le hardcore / grind et donc le mélange des deux.



[Rat Licker est publié sous la forme d’un 7’ par presque autant de label que sa durée comporte de minutes : Burning World records, Consouling Sounds, EveryDayHate, Moving Furniture records, God Unknown records, Sentencia records et Utech records]


mardi 11 mai 2021

[chronique express] Årabrot : Norwegian Gothic


 


 

Sur le moment j’ai refusé d’en croire mes oreilles. J’ai refusé tout court. Who Do You Love, le précédent disque d’Årabrot, n’était déjà pas exempt de défauts mais avec Norwegian Gothic le groupe de Kjetil Nernes et Karin Park atteint de nouveaux sommets en matière de tambouille commerciale, de vaine prétention et d’aberration. Peut-être n’ai-je rien compris du tout – le déluge de recensions positives récoltées par Norwegian Gothic me semble aussi incroyable que disproportionné – mais je ne trouve strictement rien à sauver d’un disque qui me fait plus que jamais regretter le Årabrot d’antan et que j’aimais tant.
Une page semble donc avoir été définitivement tournée : il n’y a rien à faire (à part se boucher les oreilles) avec cet album terriblement longuet et tellement caricatural, souvent inepte et malheureusement grotesque. Un naufrage emballé dans une production plastifiée et clinquante digne d’un groupe de rock FM prétendant avoir enfin vu la lumière (et si tu aimes le saxophone pleurnichard va directement écouter The Moon Is Dead, sûrement le sommet de ce disque que j’aurais préféré ne jamais écouter).



lundi 10 mai 2021

Redskins : Rarities

 

Je vais te raconter comment j’ai découvert les REDSKINS… Parce que maintenant cela me fait beaucoup rire. Je me dis aussi que l’on peut être vraiment naïf lorsqu’on est un gamin. Gamin, je ne l’étais pourtant plus vraiment, juste un ado dans la moyenne des ados un peu paumés. Un garçon qui découvrait tous les jours des nouvelles musiques, des nouveaux groupes, en discutant avec d’autres dans la cour du lycée ou en feuilletant quelques journaux spécialisés et les rares fanzines qui parvenaient jusqu’à moi (principalement Rock Hardi). Même la télévision pouvait se révéler prescriptrice. Sans oublier la radio, puisque la bande FM avait été libérée – ou plutôt : en grande partie lâchée aux investisseurs – et que l’on pouvait enfin y découvrir de nouvelles choses, incroyables pour les oreilles.
J’étais donc lycéen et j’avais atterri chez mon père à l’âge de quinze ans, un peu malgré moi, j’allais y rester à peine trois ans. Trois années où la musique a pris encore plus d’importance. A l’époque – on est à un peu plus de la moitié des années 80 – mon père habitait à Villefranche, au nord de Lyon, une ville où il n’y avait rien à faire, sauf se bourrer la gueule jusqu’à en gerber dans le parc municipal, fumer du mauvais shit et trainer dans un bar sympa route de Thizy (le Houba-Houba) et fréquenté par quelques punks, des vieux rockers et des jeunes innocents comme moi. Il y avait Radio Calade aussi, avec des émissions parfois très bordéliques (K2R, co-animée par une personne qui maintenant bosse pour le label Jarring Effects) et d’autres complètement incroyables (Les Plaisirs Inconnus, aucun doute à avoir sur la teneur générale de sa programmation, c’est comme ça par exemple que j’ai découvert Siglo XX).








Mais tout n’était pas totalement perdu. Lyon était juste à quelques dizaines de kilomètres, à portée en prenant le train, le car ou en stop (malgré l’appréhension de tomber sur un connard). Et par chance la ligne de cars régulière qui reliait Villefranche et Lyon partait d’à côté de chez mon père et atterrissait en plein cœur de la ville, vers la gare Saint Paul. Rien de plus facile que de faire craquer les cours sans penser aux conséquences, de prendre le car – cela coutait encore presque rien – et de passer l’après-midi à Lyon, sans but particulier sauf avoir le plaisir d’être loin de chez moi, loin des contraintes et de faire quelque chose de vaguement interdit. Parfois il y avait un concert qui me faisait de l’œil mais la plupart du temps je ne pouvais pas y aller, à moins de profiter d’une absence paternelle ou de mentir en disant que j’allais dormir chez quelqu’un (l’excuse classique) et de rentrer en stop ou d’attendre que la nuit passe et que l’heure du premier car du matin arrive. Mais il avait aussi les magasins de disques. Et les longues et nécessaires économies sur l’argent que m’envoyait ma mère pour mon anniversaire, la monnaie carottée sur l’argent des courses ou le billet de dix francs piqué dans le sac de ma belle-mère. Pour un seul résultat : avoir de quoi acheter un disque, parfois deux.
Heureux hasard, pas très loin du terminus du car il y avait un magasin minuscule dont parlaient parfois les punks du Houba-Houba. Attaque Sonore se trouvait rue du Docteur Augros, une petite rue reliant le quai de Bondy en bordure de Saône à la place Saint-Paul, juste à côté du café de la Graine. Un tout petit local rempli de disques. C’est là que j’ai acheté le seul et unique album des Redskins, Neither Washington, Nor Moscow, tout un programme correspondant bien à mes aspirations politiques alors naissantes. J’avais découvert le nom de ce groupe anglais en scrutant la pochette d’un disque des Bérurier Noir. Etudier les artworks et les notes des pochettes était un autre moyen de trouver des informations de première importance. Au verso du maxi Joyeux Merdier on voit les deux Bérus et en particulier François sautant en l’air et portant un t-shirt sur lequel est écrit « Redskins ». Et là je m’étais dit : Wouah ! ce groupe ne peut être que bien ! Ce que m’avait confirmé une vague connaissance. Lorsque j’ai trouvé Neither Washington, Nor Moscow chez Attaque Sonore je l’ai immédiatement embarqué, alors que j’avais prévu d’acheter tout autre chose. J’étais trop heureux de ma découverte.
Je n’avais encore jamais écouté une seule note de la musique des Redskins. Je pensais qu’il s’agissait, musicalement, d’un groupe très punk, pourquoi pas proche de Crass que j’écoutais beaucoup à ce moment-là et que j’adorais. Découvrir Neither Washington, Nor Moscow a donc été une vraie surprise : je m’attendais à tout sauf au mélange soul / punk du groupe. Ni à tous ces cuivres. Mais je suis immédiatement tombé amoureux de ce disque, de son côté chaleureux et franc redéfinissant la colère punk et les luttes d’opinions des Redskins (certains étaient même membre du Labor Party).

Publié début 2021, Rarities vient miraculeusement compléter la discographie du groupe seulement composée d’un unique album, d’un live posthume et d’un indispensable 12’ consacré lui à des Peel Sessions également très recommandables. Rarities regroupe nombre de titres à l’origine publié sur des formats courts. Il y a peu d’inédits en tant que tel – quelques introuvables quand même, comme cette reprise de Six Tons (Coal Not Dole) de Merle Travis – mais toutes les versions des titres que l’on connait déjà sont ici différentes et la plupart du temps bien meilleures (celle de Keep On Keeping On est incroyable). Avec le temps la grosse production de Neither Washington, Nor Moscow peut sembler datée – ce son de batterie lourdaud, tellement années 80… – ce qui n’est pas le cas de celle de Rarities, beaucoup plus brute, encore plus énergique et remplie d’un sentiment de vérité. Ce même ressenti que j’avais éprouvé il y a plus de trente-cinq années en découvrant la musique des Redskins… Je suis du genre idéaliste, tu sais.

 

 

vendredi 7 mai 2021

Edgar Suit : Despise All Humans



Bonjour. Vous reprendrez bien un peu de POST-PUNK ce matin ? Mouahaha, j’avoue que je l’ai carrément fait exprès : j’en connais – ils et elles se reconnaitront sans aucune difficulté – qui râlent très fort dès que l’on prononce ou écrit ces deux mots qui ne voudraient plus rien dire. Post-Punk. Poooooossstt-Puuuuuuuunnnk ! Je préfère largement m’en amuser en attendant que la frénésie du langage finisse par se calmer et que l’attention générale passe à tout autre chose – tiens : il n’y a pas si longtemps que cela c’est le « garage » qui tenait le haut du pavé chez les hipsters et les hipsteuses mais depuis plus rien ou pas grand-chose, la fête du slip semble terminée… mais qu’est-il donc arrivé ?
Tout est donc affaire de goût et les trois garçons d’EDGAR SUIT l’assument parfaitement, au delà des modes et des revivals. Il n’y a qu’à admirer la pochette de Despise All Humans, soigneusement dégoulinante et saturée de couleurs qui rappelleront une certaine esthétique née en plein dans les 80’s, celle ouvertement toc apparue après les années congélateurs tout en se démarquant nettement des surcharges gothiques et pseudo dépressives pour privilégier kitsch et dorures. As-tu remarqué le lettrage utilisé pour écrire le titre du disque ? Je n’en avais plus revu de tel depuis les 45 tours de variété anglaise collectionnés par la fille avec qui je sortais en classe de 4ème.









Avec leurs fines moustaches, leurs coupes de cheveux gélifiées, leurs petits airs juvéniles, leur appétence pour les costards anglais et une certaine tendresse pour les greffiers un poil prétentieux, les Edgar Suit nous viennent de Grenoble et, comme pour couper court au faux débat post-punk / pas post-punk, ils s’autoqualifient à raison de « fresh power pop post punk rock band ». A raison puisque Simon (guitare et chant), Jonathan (basse et chœurs) et Bruno (batterie) ne font pas autre chose que ce qu’ils prétendent vouloir faire : des chansons au format court – de deux à trois minutes maximum –, dotées d’une folle énergie et très brillamment composées. Despise All Humans est un disque aussi pop que punk et aussi électrique que mélodique. Avec un mix d’une lisibilité appropriée qui met en avant deux éléments essentiels de la musique du trio, sans pourtant faire de l’ombre au reste : la basse et le chant (et pour ne pas faire de jaloux… le reste c’est une batterie redoutable et une guitare percutante et bien aiguisée).

La basse, cela allait de soi. Je rappellerai aux grincheux et grincheuses mentionné.e.s ci-dessus qu’une grosse basse qui claque et veloute en même temps est généralement considérée comme l’un des principaux attributs de ce cher post-punk. Le chant quant à lui pourrait choquer les oreilles les plus sensibles tellement il tend vers le crémeux bien articulé, aigu et même pétillant, de temps à autre à la limite de la croonerie variétoche. Mais comme tout chez Edgar Suit il est d’un dynamisme incroyable et en y réfléchissant bien – mais pas trop non plus – quelle autre façon de chanter aurait pu convenir à des compositions aussi terriblement bien foutues ? Ce ne sont pas les tubes qui font défaut sur ce Despise All Humans que l’on pourrait sans problème débiter en singles – ce qui se faisait beaucoup dans les années 80, rappelle-toi – sans laisser le moindre déchet. Neuf titres et neuf pépites oscillant entre le trépidant et le dansant. Et un disque bien plus humain que ce que son titre voudrait nous faire croire. Rien à redire, Edgar Suit c’est la grande classe.



[Despise All Humans est publié en vinyle par Bad Health records, Dangerhouse Skylab et Hell Vice I Vicious]

 

mercredi 5 mai 2021

[chronique express] Knoxville Girls : In A Ripped Dress

 


 

Publié en mars dernier par Bang! records, label espagnol bien connu pour déterrer les enregistrements introuvables de vieilles gloires oubliées et autres groupes cultes, In A Ripped Dress est présenté comme l’album perdu des trop éphémères KNOXVILLE GIRLS. Faut il rappeler que derrière ce nom sentant bon le terroir on retrouvait rien de moins que Kid Congo Powers, Jerry Teel, Bob Bert ou Jack Martin, soit des musiciens ayant pour certains joué dans les Cramps, le Gun Club, les Bad Seeds, The Honeymoon Killers, Chrome Cranks, Five Dollar Priest, Pussy Galore et même Sonic Youth ? On pourra toujours préférer les deux autres albums des Knoxville Girls et notamment le plus propret In A Paper Suit (In The Red, 2001) avec lequel In A Ripped Dress – qui pourtant, si j’ai bien tout compris, a été enregistré bien avant – partage 90% de titres en commun mais les versions proposées ici possèdent quelque chose d’artisanal, de tourbé et de crasseux et en même temps de mélancolique qui change tout. Si tu aimes les musiques de cowboys lunaires et autres déambulations en zone sinistrée, In A Ripped Dress sera le disque parfait pour réchauffer tes soirées country-club en solitaire (la gnôle à 70° n’est malheureusement pas fournie avec le disque).

 

lundi 3 mai 2021

Exek : Biased Advice



Bonne nouvelle : Good Thing They Ripped Up The Carpet, le quatrième album d’EXEK, est annoncé pour le début du mois de juin sur le label australien Lulu’s Sonic Disc Club – en espérant toutefois qu’il y ait une édition européenne du disque, sinon ce sera peine perdue pour le dégotter par ici à moins d’accepter de payer un bras (mais heureusement que le peer-to-peer nous sauvera toujours de l’inflation des frais de port).
En attendant intéressons-nous plutôt aux tout débuts du groupe d’Albert Wolski. Castleface records vient en effet de rééditer Biased Advice : il s’agit à l’origine d’une compilation de 2016 reprenant la première cassette quatre titres des australiens (publié en 2014) ainsi qu’une longue composition parue elle sur une autre cassette, partagée en compagnie de l’éphémère Halt Ever (en 2015). Les quatre premiers titres avaient à l’époque été remaniés avec des pistes de basse et de guitare réenregistrées. C’est sans doute pourquoi Biased Advice sonne toujours aujourd’hui comme un véritable album, assez homogène. Et surtout Biased Advice présente déjà nombre de caractéristiques et de qualités de la musique d’Exek.








Cette réédition tombe ainsi vraiment à pic. La nouvelle version de la pochette aussi. Mais lorsque je relis la chronique consacrée au phénoménal – n’ayons peur de rien – Some Beautiful Species Left, je me demande toutefois ce que je vais bien pouvoir trouver comme nouveaux arguments pour vanter les mérites d’une musique et d’un groupe que j’apprécie tout particulièrement. Fait notable, donc, tout Exek est déjà contenu dans Biased Advice et le groupe ne fera que plus ou moins décliner les mêmes éléments musicaux sur ses enregistrements suivants (à l’exception notoire du 12’ A Casual Assembly à base uniquement de synthétiseurs, de basse, de trompette et de voix). Cela ne rend pas le groupe moins intéressant et, bien au contraire, je trouve son premier album encore plus fascinant. Serait-ce le meilleur ? Peut-être bien, oui.

Complètement ancré dans le post-punk anglais de la grande époque, Exek manipule lignes de basse dubisantes à la PiL, cuivres et percussions rappelant les premiers A Certain Ratio, tension à la The Fall et un groove motorik tournant au ralenti voire au bord de l’extinction. Le tout plié en quatre dans un écrin sonore complètement fascinant. Les rythmiques sonnent fermement rachitique, la guitare est squelettique et acide, le saxophone perdu dans le brouillard, la voix vaguement détachée mais pourtant bien présente… il n’y a que cette basse arrondie et roulée dans des atmosphères codéinées qui vibre massivement, mais à sa façon, sombre invitation à danser comme si la densité de nos petits corps électrifiés devenait différente de celle de nos têtes siphonnées à vide. Tout le génie d’Exek est de sous-entendre, au sens propre comme au sens figuré, que nous faisons que nous agiter entre deux dimensions parallèles qui s’ignorent brutalement. Et Biased Advice pourrait presque nous dispenser de prendre de la drogue parce que la musique d’Exek est une drogue en elle-même.

Occupant toute la face B avec ses dix-sept minutes répétitives et fluctuantes, Baby Giant Squid est la pierre angulaire du disque et peut-être même bien la pierre angulaire de toute la musique des australiens. Ce que l’on y découvre dépasse l’entendement (sic) ; ce que l’on en retient nous échappe complètement tout en nous rendant complètement accroc (encore la drogue). Longue déambulation semblant ne jamais vouloir se terminer et s’échouant sur les rives d’une instrumentation de plus en plus fantomatique et hypnotique, Baby Giant Squid révèle des éclats métalliques toujours plus mornes avant de s’enrouler éternellement dans les boucles analogiques d’un antique delay à bande et sur fond de vieux synthétiseurs sépulcraux. Tout l’ensorcellement et tous les effets d’une transe à froid.


[Biased Advice est réédité en vinyle noir ou vert pâle marbré et même en CD par Castleface]

 

 

dimanche 2 mai 2021

Comme à la radio : Melos Kalpa








Du son et, une fois n’est pas coutume, des images avec une vidéo de MELOS KALPA enregistrée aux célèbres studios Abbey Road sous l’impulsion de Música UNAM et dans le cadre du projet Trasfrontera qui présente des musiques plutôt expérimentales (mais pas uniquement) et des rencontres entre musiciennes et de musiciens venu.e.s d’horizons différents.

Melos Kalpa
est déjà la treizième formation à s’être prêtée à l’exercice avec Melos Rhythm, une longue pièce de près d’une demi-heure, entre musique improvisée et musique minimaliste :




A l’origine cofondé par le regretté Tom Relleen, Melos Kalpa regroupe aujourd’hui Agathe Max (violon alto), Marta Salogni (magnétophones à bandes et manipulations sonores), Jem Doulton (marimba, vibraphone et percussions diverses) ainsi que David Morris (guitare électrique).

Et même si le musicien anglais nous a quittés et ne joue donc pas sur Melos Rhythm je ne peux pas m’empêcher de penser que sa musique continue d’en inspirer tant d’autres et de toucher toujours plus de personnes. Et continuera à le faire pendant encore longtemps.


[photo d’illustration : Agathe Max en couleurs, une fois n’est pas coutume là aussi, lors d’un concert au Périscope / Lyon en mars 2014]