Je vais te
raconter comment j’ai découvert les REDSKINS…
Parce que maintenant cela me fait beaucoup rire. Je me dis aussi que l’on peut être
vraiment naïf lorsqu’on est un gamin. Gamin, je ne l’étais pourtant plus
vraiment, juste un ado dans la moyenne des ados un peu paumés. Un garçon qui
découvrait tous les jours des nouvelles musiques, des nouveaux groupes, en
discutant avec d’autres dans la cour du lycée ou en feuilletant quelques
journaux spécialisés et les rares fanzines qui parvenaient jusqu’à moi (principalement
Rock Hardi). Même la télévision pouvait se révéler prescriptrice. Sans oublier
la radio, puisque la bande FM avait été libérée – ou plutôt : en
grande partie lâchée aux investisseurs – et que l’on pouvait enfin y découvrir
de nouvelles choses, incroyables pour les oreilles.
J’étais donc lycéen et j’avais atterri chez mon père à l’âge de quinze ans, un
peu malgré moi, j’allais y rester à peine trois ans. Trois années où la musique
a pris encore plus d’importance. A l’époque – on est à un peu plus de la moitié des années 80 – mon père habitait à Villefranche,
au nord de Lyon, une ville où il n’y avait rien à faire, sauf se bourrer la
gueule jusqu’à en gerber dans le parc municipal, fumer du mauvais shit et trainer
dans un bar sympa route de Thizy (le Houba-Houba) et fréquenté par quelques
punks, des vieux rockers et des jeunes innocents comme moi. Il y avait Radio
Calade aussi, avec des émissions parfois très bordéliques (K2R, co-animée par
une personne qui maintenant bosse pour le label Jarring Effects) et d’autres
complètement incroyables (Les Plaisirs Inconnus, aucun doute à avoir sur la
teneur générale de sa programmation, c’est comme ça par exemple que j’ai
découvert Siglo XX).
Mais tout n’était pas totalement perdu. Lyon était juste à quelques dizaines de kilomètres, à portée en
prenant le train, le car ou en stop (malgré l’appréhension de tomber sur un
connard). Et par chance la ligne de cars régulière qui reliait Villefranche et
Lyon partait d’à côté de chez mon père et atterrissait en plein cœur de la
ville, vers la gare Saint Paul. Rien de plus facile que de faire craquer
les cours sans penser aux conséquences, de prendre le car – cela coutait encore
presque rien – et de passer l’après-midi à Lyon, sans but particulier sauf
avoir le plaisir d’être loin de chez moi, loin des contraintes et de faire
quelque chose de vaguement interdit. Parfois il y avait un concert qui me
faisait de l’œil mais la plupart du temps je ne pouvais pas y aller, à moins de
profiter d’une absence paternelle ou de mentir en disant que j’allais dormir
chez quelqu’un (l’excuse classique) et de rentrer en stop ou d’attendre que la
nuit passe et que l’heure du premier car du matin arrive. Mais il avait aussi les
magasins de disques. Et les longues et nécessaires économies sur l’argent que
m’envoyait ma mère pour mon anniversaire, la monnaie carottée sur l’argent des courses ou le
billet de dix francs piqué dans le sac de ma belle-mère. Pour un seul
résultat : avoir de quoi acheter un disque, parfois deux.
Heureux hasard, pas très loin du terminus du car il y avait un magasin
minuscule dont parlaient parfois les punks du Houba-Houba. Attaque Sonore se
trouvait rue du Docteur Augros, une petite rue reliant le quai de Bondy en
bordure de Saône à la place Saint-Paul, juste à côté du café de la Graine. Un
tout petit local rempli de disques. C’est là que j’ai acheté le seul et unique
album des Redskins, Neither Washington, Nor Moscow, tout un
programme correspondant bien à mes aspirations politiques alors naissantes.
J’avais découvert le nom de ce groupe anglais en scrutant la
pochette d’un disque des Bérurier Noir. Etudier les artworks et les notes des
pochettes était un autre moyen de trouver des informations de première
importance. Au verso du maxi Joyeux
Merdier on voit les deux Bérus et en particulier François sautant en l’air
et portant un t-shirt sur lequel est écrit « Redskins ». Et là je
m’étais dit : Wouah ! ce groupe ne peut être que bien ! Ce
que m’avait confirmé une vague connaissance. Lorsque j’ai trouvé Neither Washington, Nor Moscow chez
Attaque Sonore je l’ai immédiatement embarqué, alors que j’avais prévu
d’acheter tout autre chose. J’étais trop heureux de ma découverte.
Je n’avais encore jamais écouté une seule note de la musique des Redskins. Je pensais qu’il s’agissait,
musicalement, d’un groupe très punk, pourquoi pas proche de Crass que j’écoutais
beaucoup à ce moment-là et que j’adorais. Découvrir Neither Washington, Nor Moscow a donc été une vraie surprise :
je m’attendais à tout sauf au mélange soul / punk du groupe. Ni à tous ces
cuivres. Mais je suis immédiatement tombé amoureux de ce disque, de son côté
chaleureux et franc redéfinissant la colère punk et les luttes d’opinions des Redskins (certains étaient même membre
du Labor Party).
Publié début 2021, Rarities vient miraculeusement
compléter la discographie du groupe seulement composée d’un unique album, d’un live posthume et d’un
indispensable 12’ consacré lui à des Peel Sessions également très
recommandables. Rarities regroupe
nombre de titres à l’origine publié sur des formats courts. Il y a peu
d’inédits en tant que tel – quelques introuvables quand même, comme cette
reprise de Six Tons (Coal Not Dole) de
Merle Travis – mais toutes les versions des titres que l’on connait déjà sont
ici différentes et la plupart du temps bien meilleures (celle de Keep
On Keeping On est incroyable). Avec le temps la grosse production de Neither Washington, Nor Moscow peut
sembler datée – ce son de batterie lourdaud, tellement années 80… – ce qui
n’est pas le cas de celle de Rarities,
beaucoup plus brute, encore plus énergique et remplie d’un sentiment de vérité.
Ce même ressenti que j’avais éprouvé il y a plus de trente-cinq années en
découvrant la musique des Redskins… Je
suis du genre idéaliste, tu sais.