Il se passe
quelque chose d’assez spécial dès les quinze ou vingt premières secondes du
très alerte et très mothersbaughsien Es
Ist Kein Stehlen, le titre d’ouverture de Puissance 4. On y croit tout de suite. On est immédiatement happé
par un disque au charme fou, au songwriting gonflé de finesse et d’invention et
à l’interprétation débordant de conviction. J’ai l’air d’un pauvre gamin à dire
et à écrire cela, comme si je venais de subitement découvrir le Saint-Graal au
fond du jardin de ma grand-mère ou la recette magique pour transformer l’ennui
du quotidien en rêves éveillés mais c’est exactement de cela dont il
s’agit : Puissance 4 est un
disque évident. Et MARAUDEUR
est un groupe qui l’est tout autant.
Partagé entre
l’Allemagne, la Suisse et la France – côté « français » on retrouve
Camille, batteuse de Litige et d’URSA ainsi que Morgane, ex-bassiste de Tôle
Froide et désormais dans Scarlatine – Maraudeur
c’est principalement des synthétiseurs, des lignes de basse très présentes et même centrales, de la batterie, un tout petit peu de saxophone réjouissant, de la guitare aigrelette mais vraiment pas tout le temps, plusieurs voix et du chant en allemand, en anglais
et en français (sur le très poétique C’est
Caché). Autrement dit le groupe, exclusivement féminin, pourrait être
assimilable à la cohorte des formations actuelles qui s’adonnent volontiers aux
musiques nées dans les années 80, option synth-punk diraient les connaisseurs
en appellations d’origine contrôlée. Un peu de flanger / chorus* sur la basse de Slow Dress vient nous
rappeler à quel point il peut faire froid en ce bas monde et à quel point on
peut carrément aimer ça pourtant Maraudeur
ne pratique ni le copié-collé bête et méchant, ni l’hommage trop respectueux et
encore moins le revival accessoiriste.
Non, Maraudeur
s’amuse, tout simplement… Par touches successives, en incluant des drôles
d’idées et des breaks-surprises, en jouant à fond sur
la complémentarité des voix, en emballant tout ça avec une belle vigueur et un
entrain qui ne se démentiront pas de tout l’album (file under : Raincoats,
etc). Du coup je comprends un peu mieux ce titre d’album qui rappellera à
quiconque né au siècle dernier un jeu de stratégie en plastique
inventé au milieu des années 70** et que je détestais (mais beaucoup moins
qu’Othello, beaucoup plus ancien et sorte de version très appauvrie du
jeu de Go, bref). Après tout, aucune personne n’est obligée de perdre son temps
à essayer d’aligner quatre pions de la même couleur, on peut aussi les aligner
dans l’ordre et de la façon dont on a simplement envie. C’est ce que font les filles de Maraudeur avec leur
musique qui en rappellera peut-être (sûrement) d’autres mais qui reste malgré
tout inimitable.
[Puissance 4
est publié en totale autoproduction : le vinyle est d’un beau violet, la
pochette est en deux partie dont une sériographie, il y a plein de dessins qui
sont tous l’œuvre d’auteur.e.s différent.e.s et le mini-insert photocopié n’importe
comment et joint à l’intérieur a à l’origine été écrit à la main – do it
yourself]
* comme je suis un peu sourd et que je ne fais aucun effort je n’ai jamais
su différencier l’un de l’autre
** vérification faite, le jeu Puissance 4 existe toujours…