Avec ma manie de
laisser trainer les choses – c’est ça d’avoir comme loisir favori de rester le
nez en l’air en écoutant de la musique – je me rends compte qu’il y a
énormément de disques qui m’ont marqué en 2020 et au sujet desquels je n’ai pas
encore écrit le moindre mot. Et sûrement que pour la plupart d’entre eux je
n’en ferai rien. Le confinement, le couvre-feu, les restrictions des libertés
et l’interdiction des concerts... toutes ces choses ont radicalement changé
la donne au cours de l’année écoulée : plus on a du temps devant soi, même
imposé, et plus on en prend. Moins on a de vie sociale en vrai et de trucs à
gérer et plus on procrastine. C’est facile de se laisser aller. Bizarrement cette
vie au ralenti n’est pas une vie qui s’écoule plus lentement mais une vie que
l’on regarde s’écouler sans s’en rendre vraiment compte. Il vient peut-être de
là ce sentiment de vide.
Tout ça je le crains n’est pas non plus très intéressant à lire. Mais la
conséquence en est qu’il y a (minimum) une demi-brouette de disques divers dont
j’aurais bien voulu parler ici et que le premier album de NEW PRIMALS arrive dans le peloton de tête. New Primals est un trio – ou un
quartet, je ne sais pas – qui nous vient d’Atlanta. Ils sont trois sur la photo
imprimée sur l’insert du disque. Et juste en dessous on peut lire quatre noms, donc
je ne vais pas trop chercher à comprendre… Sans oublier les quelques musiciens
invités, principalement aux synthétiseurs et parmi lesquels on compte un
certain Todd Rittmann – U.S. Maple, Cheer Accident, Dead Rider et j’en passe –
qui par ailleurs a mixé et masterisé l’album.
Mais globalement sur Horse Girl
Energy on entend principalement une guitare tarabiscotée, une grosse basse
soufflante, une batterie nerveuse et débordante et du chant curieusement outré.
Tout le reste n’est qu’accessoire et le cœur de la musique de
New Primals est donc constitué de
cette éternelle association de base à partir de laquelle tout semble encore
possible, y compris de nos jours (il y a parfois des handclaps, de la guitare acoustique, du Korg et des chœurs divers et variés).
Et on serait bien en peine de définir clairement l’alchimie mi
baroque-pailletée mi noise-théâtralisée qui préside à la musique de New Primals. Mais cela ne m’étonne pas du tout que Todd
Rittmann ait voulu mettre son nez là dedans : avec son nom de boisson
gazeuse acidulée et opiacée Horse Girl
Energy est un disque assez déconcertant, punk dans l’énergie, parfois noise
dans la forme et indubitablement doté d’un gros nez rouge écrasé comme une
vieille patate toute germée. Ou plutôt avec des grosses coulées de khôl sur les
joues. L’exubérance est partout et serait vraiment trop envahissante si New Primals n’avait pas aussi la
présence d’esprit de se limiter à des formats courts, la plupart des compositions
tournant autour de deux à trois minutes. D’une certaine façon le groupe aime jouer
avec nos nerfs, se montre volontiers provocateur, souvent arty-fondu et révèle
un côté glam (glam = compositions surlignées au eye-liner, donc) volontiers décadent
et donc terriblement attractif et séduisant. Tu vois c’est un peu comme
l’illustration de la pochette : on peut la trouver très laide – d’ailleurs
moi je la trouve très laide – mais il est difficile de l’oublier et de ne pas
se sentir attiré par elle. Des fois avec Horse
Girl Energy j’ai l’impression d’entendre le vieux Child Bite – celui d’avant
le virage testostéroné au metal – qui aurait glissé du côté strass d’un
noise-rock artistique, comme une vieille décapotable avec intérieur queer qui
en aurait sacrément dans le moteur mais aurait eu l’intelligence de mettre ses
huit cylindres au service de l’étrangeté électrique et non pas uniquement au
service du rentre-dedans et du bourre-pif hardcore. La classe, quoi.
[Horse Girl Energy est publié en
vinyle transparent et rouge, en vinyle irisé jaune et rouge ou en vinyle noir
par… Learning Curve records : et
oui j’ai à nouveau chroniqué un disque de ce cher label de Minneapolis dans
lequel je n’ai pourtant aucun intérêt financier ou autre mais c’est juste,
encore une fois, que Learning Curve est un label incontournable en provenance
des US et ce depuis de très nombreuses années maintenant]
INSTANT BULLSHIT
[In blog we trust : too old to die young]
Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit lu sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause pipi. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique.

vendredi 15 janvier 2021
New Primals / Horse Girl Energy
mercredi 13 janvier 2021
Live Skull / Dangerous Visions
Je n’avais pas
été très tendre avec Saturday Night Massacre, premier album publié par Live Skull depuis
sa reformation en 2016 avec le seul Mark C. aux commandes. Mais ma déception
était à la hauteur de toute l’estime et de toute l’affection que j’ai pour ce
groupe. Et elle l’est encore : le miracle n’a pas eu lieu en réécoutant Saturday Night Massacre quelques mois plus tard, un album qui aujourd’hui me
semble toujours aussi indigne de ce qu’a été Live Skull et de ce qu’est
encore son héritage musical. Un disque que je préfère oublier.
Et voilà que débaroule déjà un nouvel enregistrement du groupe de Mark C. Il faut
battre le fer tant qu’il est encore chaud comme dirait l’autre mais dans le cas
de Live Skull on devrait plutôt
parler de vieux machin rouillé. Je sais, tout ceci n’est pas très gentil ni
très charitable pour Mark C. et ses petits camarades actuels. Dangerous Visions a lui aussi été
publié par Bronson recordings et
est doté d’une pochette au style très similaire. Logiquement je n’attendais pas
grand-chose d’un disque pour lequel j’ai du me motiver pour oser et surtout
réussir à l’écouter… Dangerous Visions
est en fait un album en deux parties : la première consiste en des
enregistrements récents de Live Skull
et la seconde regroupe des vieilles bandes de l’époque Thalia Zedek. Première
surprise.
Bien que démarrant avec le tiédasse In A
Perfect World la première partie du disque n’est pas sans intérêt. On
retrouve un peu de ces synthétiseurs lénifiants sur ce premier titre, ceux-là
même qui avaient mis à mal Saturday Night Massacre en le pourrissant de l’intérieur. Le chant
semi-précieux de Mark C. est toujours aussi faiblard. Et pourtant… et pourtant
il se passe malgré tout quelque chose sur In A Perfect World qui dégage une sorte de mélancolie amère (le
genre de truc qui à moi me parle toujours un peu). Arrive alors l’excellent Debbie’s Headache avec son riff
tournoyant, un titre enregistré pour la première fois par Live Skull en 1987 et pour l’album Dusted. On est alors bien obligé d’admettre que le Live Skull de 2020 sera bien meilleur
que ce que l’on pensait, même si présentement il triche un peu en allant
fouiller dans son lointain et glorieux passé.
En regardant le line-up du groupe on
s’aperçoit de la présence d’un second guitariste du nom de Dave Hollinghurst et
effectivement les guitares semblent reprendre un peu de la place qui avait
toujours été la leur dans la musique du groupe. Du coup on pardonnera la
mollesse dubisante de Day One Of The Experiment
et le rhume caribéen de Dispatches.
Et on se balancera doucement au son de Twin
Towers dont les atmosphères sombres donnent définitivement une tonalité
poignante et mélancolique à la première moitié de Dangerous Visions. Je suis prêt à m’excuser tout de suite auprès de
Mark C. qui semble enfin avoir retrouvé un peu de ses marques.
On retourne le disque pour découvrir cette fois des enregistrements de 1987 et de
1989. Ce qui signifie donc que l’immense Thalia Zedek est au chant. Je ne
devrais pas avoir à en rajouter si ce n’est que Safe From Me, Someone Else’s
Sweat, Adema et Amputease ont été
mis en boite pour John Peel et la BBC / Radio 1 le 14 mars 1989 et que c’est un
pur bonheur. Comme d’habitude il suffit que Zedek pointe le bout de son nez
quelque part sur un disque pour que la lumière jaillisse – c’était déjà le cas pour
Saturday Night Massacre sur
lequel elle faisait une ou deux apparitions remarquées – mais il y a autre chose et cette
autre chose c’est tout simplement Live Skull, un groupe
avec des guitares alors inventives et des compositions qui se tenaient comme il
faut.
La deuxième face de Dangerous Visions se termine avec Tri-Power,
un presque inédit studio de 1989 et de bonne facture avec Mark C. au chant, un
titre initialement publié sur une compilation comprenant également Debbie
Harry, New Order ou Rollins Band. Puis c’est au tour de Live Again qui à
l’origine figurait en supplément sur l’édition CD de l’album Dusted et malheureusement on comprend pourquoi ce titre avait en 1987 été
relégué au rang de bonus track. Ce qui n’empêche par Dangerous Visions
d’être un disque plus que recommandable, bien qu’il s’agisse en grande majorité
d’un disque de recyclage. Sans rancune, Mark…
lundi 11 janvier 2021
Hoaries / Rocker Shocker
Et voilà, cette
nouvelle année commence exactement comme celle d’avant s’était achevée :
dans un gros bain de merde moussante et bien collante et avec une déferlante de
stupidité congénitale et assumée, le tout aggloméré par une crise sanitaire
mondialisée (est-ce que ce sera mieux que de disparaitre suite à la chute d’une
météorite géante à la surface de la planète ? honnêtement je ne suis sûr
de rien). En résumé je ne sais pas ce que je préfère entre l’arrogance mortifère
des vieilles démocraties occidentales complètement essoufflées et dépassées et
les régimes autoritaires qui ricanent dans leur coin en attendant de moins en
moins patiemment que leur tour arrive. Beauté de l’avenir.
L’année 2020 s’est également terminée avec un bilan musical de grande qualité –
oui je sais, je change de sujet. Rarement j’aurai vu une telle profusion de
bons disques, l’émergence de tant de bons groupes, la confirmation de tant de
talents. Tu sais ce que l’on dit : lorsque tout va mal ou presque la
création artistique s’envole toujours plus haut, galvanisée par la chute
inéluctable de tout ce qui l’entoure. Et l’underground est comme toujours à la
pointe. A croire que c’est en se sentant plus que jamais acculé que l’on arrive
à libérer de soi toutes ces choses qui exacerbent l’inventivité pour mieux
adoucir l’horreur du quotidien et la crasse de l’existence (et finalement…
c’est comme si on restait dans le même sujet, non ?).
Publié un peu trop tard pour figurer dans tous les tops musicaux des noiseux de
la Terre entière Rocker Shocker est le premier album
des Texans d’HOARIES. On avait pu découvrir le
groupe via une triplette de 45 tours ascensionnels – comprendre : de plus
en plus réussis – et, au printemps dernier, grâce à un excellent 10’ partagé avec les très velus Beige Eagle Boys, un disque publié par le
non moins excellent label Reptilian records. Mais sinon on ne sait pas
grand-chose d’Hoaries mis à part que
le guitariste Jeff Helland officiait il y a quelques années dans White Drugs
qui avait publié un album très
recommandable chez Amphetamine Reptile records. C’est déjà pas mal comme indice
mais ce ne sera pas suffisant.
Parce que je n’aurai pas peur d’affirmer que s’il ne fallait citer qu’un seul
enregistrement de noise-rock sorti en 2020, je choisirais Rocker Shocker sans aucune hésitation. Egalement publié par Reptilian records, ce premier album
a vraiment tout pour lui : emmené par la locomotive furibarde et implacablement
groovy I’ve Got A Room At The Plazza,
Rocker Shocker est un concentré
bouillonnant d’énergie, de vindicte, de mordant, d’acidité électrique et
d’humour féroce. Un disque aux compositions des plus variées, allant d’un noise
punk échevelé et nerveux (Permanent
Meltdown) à des étalages plus psychotiques de guitares dissonantes (Data Stitches) et lorgnant même parfois
vers le mélodramatique (Pearls). Hoaries est autant à l’aise lorsque il joue avec l’urgence vitriolée
d’un punk sous speed que lorsque il privilégie la transgression et la déviance arty.
Et surtout le groupe évite soigneusement tout déploiement ostentatoire de gras
et de lourd, ici tout est taillé au cordeau, sec et vif, mais sans aucune
rigidité (We’re Doing This, sorte
de rouleau-compresseur à l’élégance aussi folle que braillarde).
Il y a finalement un côté assez cérébral et des fois presque glacé dans la musique d’Hoaries mais celui-ci est régulièrement contrebalancé par la vivacité bouillonnante d’une interprétation aussi virevoltante que sauvage mais qui ne néglige jamais non plus une certaine profondeur et une certaine subtilité. Chaque titre de Rocker Shocker apporte quelque chose d’autre et de nouveau par rapport au précédent et Hoaries ne nous ménagera absolument aucune surprise tout au long des vingt cinq minutes que dure l’album, en profitant même pour démontrer une nouvelle fois son expertise et sa finesse de jugement en matière de reprise. Après celle de Cabaret Voltaire sur le 10’ avec Beige Eagle Boys c’est au tour du très sirupeux Soldiers Of Love de Sade – et si… – de faire les frais d’une transformation / rénovation de fond en comble. Hoaries sait parfaitement s’approprier la musique des autres pour la faire sienne et si le groupe y arrive aussi bien c’est sans doute parce que sa propre musique possède déjà en elle-même quelque chose d’inimitable et de personnel, juste ce qu’il faut et au bon moment.
ps : Rocker Shocker tourne en 45 tours, sa pochette est gatefold, j’adore son artwork et le vinyle est transparent avec un magnifique « effet fumée »
vendredi 8 janvier 2021
Oxes / The Fourth Wall
En vérité et en
toute honnêteté j’adore le premier album sans
titre d’OXES. Souvent imité, jamais égalé. Et sa réédition par le label Computer Students sous le titre de The Fourth Wall et sous la forme d’un
double LP est des plus bienvenues en plus d’être irréprochablement efficace :
un premier vinyle comporte l’album en version remasterisée, un second propose des
Peel Sessions en public vraiment géniales et avec quelques titres un peu rares,
le livret est copieusement élaboré à base de photos d’époque (2000 - 2001), de
souvenirs divers et de textes (dont celui du boss de Monitor records qui avait initialement
publié ce disque), sans oublier l’artwork originel réinterprété pour l’occasion
et l’emballage extérieur sous pochette métallisée et qu’il faut découper
soi-même. Tout cela est parfait. Je ne peux qu’inciter les jeunes générations à
se jeter sur ce disque pour découvrir l’un des fleurons du noise-rock
instrumental et trigonométrique d’il y a vingt ans.
Mais comme je ne suis qu’un
vieux con – encore plus vieux et encore plus con que ce que tu imagines – The Fourth Wall me laisse également une
drôle d’impression, celle d’un bel objet de collection et d’une muséification
de la musique d’Oxes. J’écoute ce
disque que je connais déjà par cœur, je regarde cette pochette et cet emballage
très conceptuel et alors je me dis que mon amour de la musique a besoin d’autre
chose qu’un artefact vitrifié, aussi réussi soit-il.