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mercredi 25 janvier 2023

Still/Form : From The Rot Is A Gift

 



Il y a plus d’un parti pris dans la musique de STILL/FORM mais celui qui pourrait déranger le plus, au risque peut-être de faire fuir certaines personnes pourtant pleines de bonne volonté, c’est celui du chant. Un chant curieusement rauque ou plutôt enroué et presque en retrait, trainant, rugueux à rebours, jamais excessif, se gardant bien de toute braillardise, de tout débordement, de tout épanchement de testostérone. Un chant s’empêchant volontairement de crier à s’en faire péter les amygdales ou le cortex cérébral et qui fait pour beaucoup dans l’originalité d’une formation que, sinon, on rangerait sans discussion possible dans la catégorie des groupes de noise-rock bon teint. Mais ici le teint est blafard : Still/Form et en particulier son guitariste/chanteur Robert Comitz – ex-Marriage + Cancer, que je n’ai jamais écouté* – aiment brouiller les pistes. Faire du bruit avec des guitares, ça d’accord. Blinder ses parties rythmiques, pareil. Composer des brûlots éventuellement alambiqués ou torturés, également. Mais il y a autre chose, donc.
Une fois que l’on a accepté ce chant, une fois qu’on appris à l’aimer, on ne peut plus s’en passer et tout coule de source – il devient impossible de résister aux fulgurances cérusées de From The Rot Is A Gift.
Still/Form y déploie un talent incomparable, provoquant brulures persistantes et contusions, se montrant intraitable sans en avoir l’air, solide comme un rock et aiguisé, dans une veine noise-rock alambiqué juste ce qu’il faut, héritier d’une violence torturée, chargé d’un malaise certain, d’une tension toujours palpable et sans rémission possible. Il y aurait presque – j’ai dit presque – du Dazzling Killmen là dedans, dans ce mode opératoire consistant à faire grimper la température et accélérer la machine à tourments mais, c’est toute la différence et elle est de taille, se gardant de toute explosion finale et définitive. Pas de hara-kiri émotionnel et destructeur. Tout est dans cette rétention quasi prophylactique incarnée par le chant de Comitz, un chant qui n’a rien non plus de plaintif bien que visiblement désespéré, lugubre à force de mystère, étrangement magnétique.
Une autre caractéristique de la musique de
Still/Form, c’est la guitare de ce même Robert Comitz qui peut prendre des chemins particulièrement inattendus. Sur Dead Check et plus encore sur Pigs End (mais il y a d’autres exemples) on peut légitimement se demander quels genres de pédales d’effet le musicien utilise pour faire sonner son instrument comme… une guitar-synth ? un four à micro-ondes couplé à un couteau à viande électrique ? Un truc pas spécialement recommandable en fait, quelque chose de non seulement déroutant mais que dans un tout autre contexte – i.e. un style de musique différent et basé, au hasard, sur l’enfilage à rallonges de perles progressives – on aurait volontiers rejeté en bloc. Mais, cette fois encore, cela fonctionne, parce que le résultat en devient plus interpellant que déstabilisant. Et malgré tout dangereux. From The Rot Is A Gift ressemble souvent à ces serpents du désert qui s’enfouissent volontairement sous le sable, ne laissant dépasser qu’un petit bout de tête et leurs crocs chargés de venin, attendant que quelqu’un leur marche malencontreusement dessus pour le mordre. L’un des disques les plus étonnants et les plus originaux de l’année 2022.

[
From The Rot Is A Gift est publié en vinyle et en CD par Hex records]

* maintenant c’est fait