Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

vendredi 31 juillet 2020

[chronique express] Bulls / Then We Die




Encore une formation originaire d’un trou du cul du Texas, encore un groupe de noise-rock, encore un enregistrement publié grâce aux bons soins de Reptilian records et encore un disque qui fait terriblement frémir mon petit cœur de pierre ; donc si tu aimes tous ces trucs de noiseux bien tendus (Buildings ou Blacklisters, etc) et si tu aimes également la mélancolique occasionnelle (genre Slint) tu aimeras Then We Die, le premier album de BULLS – et petit détail à l’attention des entomologistes musicaux, le batteur du groupe est également son chanteur… étonnant, non ?

mercredi 29 juillet 2020

Psychic Graveyard / A Bluebird Vacation




J’avais (gentiment) fait la fine bouche au sujet de Loud As Laughter, premier album de Psychic Graveyard publié en 2018 par Skingraft. C’est quand même absolument dingue cette capacité que j’ai à toujours vouloir trouver la petite bête au sujet d’un disque qui pourtant aurait du me plaire – au plutôt : avait absolument tout pour me plaire. Mais une fois de plus j’ai eu totalement raison avec mes petites remarques de chipoteur parce que A Bluebird Vacation, successeur brillant de Loud As Laughter, est d’un tout autre niveau. Oh il ne s’en faut pourtant pas de beaucoup, A Bluebird Vacation n’a rien de fondamentalement différent, non, par contre il est très largement supérieur en tous les domaines à un premier album qui avait lui du mal à trouver sa propre voie et à se libérer de l’ombre tutélaire des précédents groupes des éminents membres de PSYCHIC GRAVEYARD.
Je le répète malgré tout, Psychic Graveyard est la réunion au sommet d’Eric Paul (Arab On Radar, Chinese Stars et Doomsday Student), de Paul Vieira (également Chinese Stars et Doomsday Student) et de Nathan Joyner (Some Girls, All Leather). Et je rajoute le batteur Charles Ovett qui ne joue pourtant pas sur
A Bluebird Vacation, les parties de batteries ayant été assurées par l’ingénieur du son et producteur Seth Manchester – oui Charles n’est là que pour les concerts. Mise à part cette petite entorse au code d’honneur et de bonne conduite A Bluebird Vacation présente une musique bien plus compacte et bien plus soudée. Ce qui faisait ses quelques défauts est désormais presque oublié ; et ce qui faisait toutes ses qualités a encore pris de l’ampleur. Même si on peut encore y penser, Psychic Graveyard s’affranchit dignement d’Arab On A Radar et – surtout – de The Chinese Stars dont le groupe était musicalement le plus proche, le plus compatible. L’ambiance est de plus en plus quasiment systématiquement aux sonorités synthétiques et électroniques et souvent la guitare de Paul Vieira disparait complètement ou plus exactement lorsque elle apparait et redevient discernable elle sonne comme elle n’avait encore jamais sonné, comme une machine.
Ce n’est pas une raison pour fuir à toutes jambes : moi non plus je n’aime pas les guitares trop trafiquées, je préfère les guitares qui grésillent et qui hurlent mais pas de ça sur
A Bluebird Vacation, plutôt des nappes sonores constamment rampantes et effroyablement malsaines. Des murs de sons d’origine indéterminée qui surgissent comme d’un bouclier magnétique invisible, des pointes lazerisées lancées droit devant, des vortex synthétiques qui étranglent l’auditeur. Ce deuxième album est un disque éprouvant. Et dépressif. Comme on pouvait déjà le pressentir avec Loud As Laughter*. Mais là on atteint des sommets dans l’effondrement psychique – OK : est-ce que j’ai réussi à deviner le sens du nom du groupe ? – et dans la noirceur, même lorsqu’elle semble chargée de cette autodérision et de ce sens de l’automutilation mentale dont Eric Paul s’est fait une spécialité depuis tant d’années. C’est la grande force de A Bluebird Vacation mais c’est une force contraignante, décourageante peut-être si on cherche à aller un peu plus loin que la musique, à aller au delà de l’écoute. Psychic Graveyard n’est donc pas qu’un groupe de noise tramée synthétique. C’est une sorte d’hydre monstrueuse dont on devine qu’elle cherche à nous hurler quelque chose, quelque chose qui ressemblerait à un cauchemar empoisonné, alors que les paroles écrites par Eric Paul font clairement froid dans le dos.

[A Bluebird Vacation est publié en vinyle par Deathbomb Arc]

* et comme c’était déjà le cas avec le A Self Help Tragedy, dernier (?) album de Doomsday Student, en 2016…

lundi 27 juillet 2020

Fange / Pudeur




L’évolution continue. Ou plutôt la mutation. Il n’y a finalement pas un album de FANGE qui ressemble comme un frère au précédent et depuis ses débuts très sludge / harsch / je-ne-sais-pas-quoi le groupe a expérimenté autant d’horizons musicaux qu’il a connu de line-up différents. Toujours centré autour du guitariste et master es-bidouilles Benjamin Moreau dont il reste le seul membre d’origine et établissant définitivement la place prépondérante de Matthias Jungbluth (chant et terreur à tous les étages), Fange est désormais un trio. Du moins c’est sous cette forme là que le groupe a enregistré Pudeur, publié en avril dernier par Throatruiner. Le troisième larron est loin d’être un inconnu, le bassiste Antoine Perron jouait déjà sur l’album précédent Punir. Les comptes sont ainsi vite faits : de la guitare, de la basse, du chant et beaucoup de machines… il n’y a plus de batteur dans le line-up du groupe – qui en a beaucoup changé depuis ses débuts – mais une belle et rutilante boite-à-rythmes qui assaisonne tout l’album d’explosions et de cavalcades rythmiques. Le mot est lâché : Fange ferait désormais de l’« indus ».
Pas si vite papillon. Il ne suffit pas de foutre de la programmation de partout pour faire de la musique industrielle. Et puis cette appellation est tellement galvaudée et a tellement changé de sens au fil du temps que l’employer peut s’avérer des plus délicats. Ce qui est le cas de Pudeur, album finalement assez complexe à appréhender et auquel les trois Fange survivants n’ont souhaité donner qu’une seule couleur : la leur. Tout comme Punir lorgnait souvent du côté d’un death metal avarié – depuis le tout début des années 90 celui-ci a en effet largement eu le temps de passer par tous les stades de décomposition/recomposition – Pudeur s’inspire de, évoque, emprunte… mais ne copie pas bêtement. Ce que Fange a toujours fait, finalement : aller au delà des codes musicaux, prêter allégeance mais jamais pour très longtemps, donc, ne pas s’arrêter en cours de route et ne pas s’appesantir, ne pas se reposer sur quoi que ce soit.
Ce qui est frappant c’est qu’au travers de son évolution et de ce processus Fange a toujours su garder quelque chose – des éléments significatifs – de ses expériences et enregistrements passés. On retrouve donc un peu de ce sludge originel, un peu de cette confusion harsh qui transforme les sons en magma et un peu de death dans Pudeur qui passe tout ça à la moulinette de machines programmées pour engendrer le chaos. Ce qui ne change pas chez Fange c’est ce sens inné (?) de la noirceur, de la lourdeur, du malaise, de la crasse, de la destruction. Et de la terreur, comme déjà mentionné au sujet du chant de Mathias Jungbluth mais cette appréciation peut finalement s’appliquer à toute la musique du groupe – de l’épaisseur meurtrière des lignes de basse à la rage vicieuse des guitares. On reconnait parfaitement la musique de Fange dans la mixture industrialisée de Pudeur, on sait qu’il s’agit toujours du même groupe mais en même temps on ne peut que s’émerveiller de sa faculté d’adaptabilité, comme un bon gros virus mortel et dégueulasse qui ne fera pas de détails et détruira tout être vivant sur son passage. On espère alors que le groupe ne s’arrêtera pas là, et qu’il trouvera encore d’autres moyens pour exprimer toute cette intensité redoutable, cette envie de tout anéantir*.

[Pudeur est publié en vinyle de couleur houblonnée ou rose chair et tendre et en CD par Throatruiner records]

* et Fange de déjà annoncer la parution d’un nouvel enregistrement pour la mi-août, un mini album intitulé Poigne encore plus orienté machines et enregistré avec quelques invités supplémentaires – à suivre…

dimanche 26 juillet 2020

[chronique express] A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan



Après seulement deux albums studio les très acclamés Idles ont eu cette drôle d’idée d’un double album live enregistré en décembre 2018 dans une salle parisienne très symbolique puis publié en décembre 2019, sûrement pour noël. A Beautiful Thing : Idles Live At Le Bataclan existe en trois versions distinctes (noël je te dis) et n’a rien d’un indispensable. Les cinq Idles s’y montrent simplement et honnêtement tels qu’ils sont, un groupe de hippies énervés (« love and compassion » nous dit-on dès le début) jouant du punk à boire peut-être trépident sur le moment mais très monotone sur la longueur. Le frontman Joe Talbot est sûrement un bon gars et un type bien mais malheureusement il est surtout un bien piètre chanteur et je ne te parle même pas de ce grand moment de démagogie où il énonce la devise républicaine hexagonale au beau milieu de l’« antifascist song » Rottweiler. Non merci.

vendredi 24 juillet 2020

V/A Hot Rock Action 2020


Hot Rock Action 2020. J’avoue ressentir un certain décalage entre d’un côté le titre très rock’n’rollesque de ce 7’ compilatoire et l’artwork signé Christopher Cooper aka mister Coop et de l’autre l’année indiquée : oui nous sommes bien en 2020 et il y a longtemps que je ne m’étais pas intéressé à un disque doté d’une pochette reprenant la plupart des poncifs du genre à savoir la meuf à moitié dénudée, tatouée, à gros cul, à gros seins, en bottes montantes à talons et armée d’un schlass parce qu’il ne faut pas déconner non plus, rien de tel que la violence – quel monde de merde mais comme il est plaisant de s’en délecter lorsqu’on est un mec, tiens on se croirait dans un film de cet escroc et fumiste de Tarentino.
Voici donc un 45 tours de quatre titres, une compilation qui ne regroupe pas comme on pourrait s’y attendre des contributions venant des Cosmic Psychos, de Nashville Pussy, de Grindhouse ou des Dwarves mais des inédits de quatre groupes parmi les plus intéressants de la scène noise-rock made in U.S. actuelle. Le « 2020 » s’impose de lui-même en faisant écho à de précédents 7’ publiés par le label Reptilian records au siècle dernier tandis que les Bulls, Hoaries, Sinking Suns et Super Thief sont au programme de ce petit disque (par la taille) qui fera baver d’envie et ronronner de plaisir tous les noise addicts.

 



Face A. Dans la foulée de leur premier album Then We Die dont on parlera sans doute bientôt par ici les Bulls nous balancent un Podium sec et rapide, court et mélodique. Difficile de croire que cette formation originaire du Texas ne regroupe que des musiciens aguerris voire vétérans et non pas des jeunes gens fringants et échevelés lorsqu’on écoute cette composition de haute tenue bien que débordante de juvénilité, avec son chant clair et son approche punk qui en font un tube instantané. Juste placés derrière et également texans les Hoaries ne sont vraiment pas en reste et confirment tout le bien que je pense d’eux grâce à un Ritualized Cloning comme à leur habitude un peu étrange et subtilement dissonant, ce qui encore une fois fait tout l’intérêt de leur musique. Malgré la forte concurrence en présence Hoaries s’imposent immédiatement comme le meilleur groupe de Hot Rock Action 2020 et plus je les écoute plus j’ai hâte qu’ils nous sortent un véritable album.
On retourne le disque. La face B démarre avec les Sinking Suns (du Wisconsin, j’aime toujours autant la géographie) que l’on ne devrait plus présenter et qui avaient littéralement enthousiasmé les foules en délire grâce à Bad Vibes, un deuxième (troisième ?) album qui depuis sa parution en 2018 a provoqué quelques dégâts irrémédiables et rabattu le caquet des amateurs de pseudo noise fleurie et divertissante en quête de toujours plus de bonheur. Happy Hauting Ground est dans la même lignée que Bad Vibes, celle d’un noise-rock touffu, charpenté et accrocheur. En gros de la vraie bonne tradition toujours aussi satisfaisante et qui fait toujours autant envie, définitivement bien loin du bonheur dégueulasse mentionné ci dessus. Tout aussi traditionaliste Super Thief se fend d’un Worm In The Pill Bag typique des années AmRep et qui ne décevra pas non plus celles et ceux qui avaient découvert le groupe via son CD/compilation Rep 132. Les texans – as-tu remarqué que trois des quatre formations présentes sur Hot Rock Action 2020 sont originaires de cet état particulièrement riche en groupes improbables et désordonnés ? – clôturent ainsi un disque offrant un excellent panorama de la chose, avec une face A un brin plus arty et une face B une chouille plus classique. Mais dans tous les cas il n’y a strictement rien à jeter ici.

[Hot Rock Action 2020 est publié en vinyle vert et à 300 exemplaires par Reptilian records]

mercredi 22 juillet 2020

Lithics / Tower Of Age




« La Tour de l’Age » ? Pas besoin de Machin Translator pour comprendre qu’une fois de plus LITHICS va s’ingénier à brouiller les pistes et que ce n’est pas en traduisant bêtement le titre du troisième album* de ce génial quartet de Portland / Oregon que l’on va pouvoir glaner un peu plus de renseignements. Tout comme l’ensemble des paroles de l’album signées je l’imagine par la chanteuse/guitariste Aubrey Hornor déversent des flots d’incongruités à la fois poétiques et absurdes, dada si tu veux. Avec Tower Of Age les quatre Lithics confirment ainsi leur statut bien à part d’énigme musicale la plus lisible du monde, le seul groupe de post punk qui à ma connaissance réussit l’exploit de faire sonner sa musique comme un truc nouveau et toujours inconnu. On n’y comprend rien mais ça nous parle. On ne connaissait pas mais on adhère tout de suite – du moins Tower Of Age donne le sentiment que jusqu’ici on ne connaissait rien de cette musique.
Cependant ce nouveau brûlot décalé et dissonant va encore plus loin que ces deux prédécesseurs, relativement similaires dans le fond et dans la forme, le premier album Borrowed Floors en 2016 et le presque parfait Mating Surfaces en 2018. Car Tower Of Age est plutôt avare en tubes francs, directs et homogènes sur toute la ligne, économe en mélodies poliment acidifiées qui font parcourir des frissons dans le dos, en rythmes résolument dansants bien que décemment indansables. Autrement dit Mating Surfaces était une rafale de balles explosives atteignant toujours leur but ; Tower Of Age est plutôt du genre collection de bombes à retardement et à fragmentation. L’effet final n’en est que plus bluffant. Dès le début la première composition Non joue le registre de la saccade et du retard à l’allumage. Tout y est torsadé, comme reflété dans un miroir déformant qui changerait constamment de position. Puis débarque Hands, le premier presque tube de l’album. A la condition de se laisser faire par ce mid tempo faussement dilettante et par ces cascades de guitares dissonantes. En fait peu de titres de Tower Of Age rappelleront au premier degré l’immédiateté tordue et tendue de la musique de Lithics. Ce qui tombe plutôt bien parce que la déjà citée Aubrey Hornor, Mason Crumley (guitare), Bob Desaulniers (basse, guitare et boucles sonores) ainsi que Wiley Hickson (batterie) n’aiment pas le premier degré.
Aussi Tower Of Age est il entrecoupé de quelques passages instrumentaux ou de compositions courtes relevant du collage expé ou de la bidouille pure et simple (A Highly Textured Ceiling, Snake Tattoo, le début de Half Dormancy, Cricket Song Through Open Window) servant de lien entre des compositions plus académiques et souvent résolument mid-tempo (Twisting Wine ou même le presque beefheartien The Symptom). Parfois Lithics semble vouloir reprendre ses petites habitudes d’avant (Beat Fall, An Island, Victim’s Jacket ou Mice In The Night) mais on sent bien que l’intérêt du groupe est désormais moins dans le tranchant de compositions angulaires que dans la déviance en sous-main, ce que traduit des parties dialoguées de guitares qui mènent à tout sauf à quelque chose de facilement mémorisable et donc d’identifiable et de cataloguable. Lithics poursuit sa quête d’absurdement significatif – de significativement absurde ? – et Tower Of Age semble malgré tout monter un peu en puissance sur sa deuxième face (notamment avec le morceau titre) mais c’est pour mieux nous décontenancer un peu plus loin, optant résolument et plus que jamais pour la dissonance à froid des deux guitares. Au final Tower Of Age sonne précisément comme un gros bazar cérébral. Ou une plaisanterie d’apparence bien pensée et donc bien rangée comme il faut mais en fait complètement frappée, très loin de l’amphigouri post moderne qui sied tant aux esprits simulateurs. Pour ma part je préfère croire que la musique de Lithics relève d’une forme possible et ultime de lutte contre les convenances musicales, surtout celles qui prennent l’apparence des mensonges. Avaler ou inventer, Lithics a choisi son camp et moi aussi.

[Tower Of Age est publié en vinyle noir ou splatter jaune, noir et blanc, en CD et même une cassette par Trouble In Mind records ; l’artwork ainsi que l’insert sont l’œuvre de la plus que douée Félicité Landrivon aka Brigade Cynophile]

* troisième album = disque de la maturité = « tower of age » ? laissez-moi rigoler…

lundi 20 juillet 2020

Pottery / Welcome To Bobby's Motel


Quel point commun y a t-il entre les Négresses Vertes et POTTERY ? De toute évidence, aucun. C’est du moins ce que tout le monde dirait. Bon, laisse-moi essayer à nouveau et donne moi ma chance pour une seconde question. Est-ce que tu connais l’histoire du type qui achète un disque à l’aveugle (autrement dit : sans en avoir écouté une seule note auparavant) tout simplement parce qu’il avait plutôt aimé ou tout du moins trouvé intéressant le disque précédent ? Quel idiot*, hein ? A l’heure d’internet, du streaming gratos ou du téléchargement illégal permettant de se faire avant une idée du disque en question… Et oui, tu l’auras compris, l’idiot c’est moi. Et j’en serais presque vert de honte – nota : ceci n’est absolument pas une réponse à la toute première question.




Il était quand même pas mal ce tout premier disque de Pottery, un 12’ de sept titres un peu bancal et désordonné, entre garage de crooners et post-punk éclairé. N°1 promettait quelque chose pour après, même si Lifeline Costume, un peu trop étalé, un peu trop exubérant et placé à la toute fin du disque aurait du mettre la puce à l’oreille du vieux rabat-joie que je suis (et aime tellement être) mais que veux-tu, pour une fois j’avais décidé d’être optimiste, d’écouter autre chose que de la musique qui fait mal ou de la musique compliquée – la musique compliquée qui fait mal ça existe aussi et là j’adore carrément – et j’avais surtout décidé de laisser toutes ses chances à Welcome To Bobby’s Motel, premier album long format de Pottery, publié au mois de juin par Partisan records.
La pochette est ultra colorée, la pochette intérieure également, même le coupon de téléchargement** reprend le même genre de visuel et le vinyle est lui qualifié de « Hot Dog yellow » ce qui signifie jaune, tout simplement. C’est un joli emballage. Après je peux très bien comprendre que l’on puisse apprécier ce chanteur qui désormais fait tout ce qu’il peut pour imiter David Byrne (Hot Heater), je peux admettre que la profusion de voix – tout le monde chante dans le groupe, façon chorale au moment des refrains – fasse chaud au cœur, je peux parfaitement imaginer qu’un groupe qui lorgne souvent du côté des Talking Heads (logique…) et qui rajoute du funk et des claviers très kitsch dans ses compositions décroche des recensions XXL et des bonnes notes chez les critiques d’art mais Welcome To Bobby’s Motel m’ennuie, à de très rares exceptions près (Take Your Time, plutôt tendu que la moyenne malgré l’inévitable réapparition de ces foutus chœurs de collégiens).
Welcome To Bobby’s Motel m’ennuie parce qu’il joue à fond la carte de l’ébriété musicale propre, il m’ennuie parce qu’il est systématiquement et méthodiquement explosif et qu’il me fait penser à la boom des cinquante ans de ma grande sœur, il m’ennuie parce qu’il en fout de partout mais qu’en même temps il fournit les rouleaux de papier sopalin pour tout essuyer dans la foulée, il m’ennuie parce qu’il peut aussi lorgner vers la variétoche la plus indigne (Reflection, Hot Like Jungle). Il m’emmerde parce que sa gentille foutraquerie très envahissante ne dit rien d’autre que « hey ! on est là ! danse avec nous ! ». Il me gonfle parce que je n’entends qu’un groupe qui un jour finira dans un stade pour chanter des hymnes fédérateurs et qui pour l’instant me fait autant d’effet qu’un Franz Ferdinand option Radio 4 option LCD Sound Sytem en un peu plus clownesque mais en tout aussi insignifiant. Il me hérisse parce que rien que le premier titre éponyme ressemble à un catalogue quasi exhaustif de ce que Pottery prétend savoir faire. Mais tout le monde a le droit de jouer ce qu’il veut comme musique donc je vais m’arrêter là. 

Non, en fait pas tout à fait : je me suis rappelé de cette histoire. J’avais à peine 19 ans et le premier album des Négresse Vertes débarquait dans le paysage post-alterno, profitant de l’aubaine commerciale de la Mano Negra tout en essayant en vain de convaincre les plus vieux (le chanteur n’avait-il pas fait partie de la raïa de Lucrate Milk puis de celle des Bérurier Noir ?). Tout le monde aimait les Négresses Vertes, tout le monde sauf mon pote Jean-Mi***.  Et lorsqu’on lui demandait pourquoi il répondait toujours : « parce que je trouve ça beaucoup trop sautillard »****. C’est exactement ce que je pense aujourd’hui de Welcome To Bobby’s Motel, un disque beaucoup trop festif de la part d’un groupe terriblement envahissant et fatiguant. Voilà l’été.

* OK : ça fait trois questions
** j’en profite pour te donner mon code : zwaQ4MjB – à utiliser en allant sur le site marchand du label

*** non pas ce Jean-Mi là, un autre
**** alors qu’il aurait pu se contenter de dire que le chant lui faisait trop penser à du Bernard Menez et qu’il n’aimait pas l’accordéon ni les guitares espagnoles

vendredi 17 juillet 2020

[chronique express] Eddy Current Suppression Ring / All In Good Time





Non mais dites-moi que je rêve : un album récent d’Eddy Current Suppression Ring ? Publié très exactement le 11 décembre 2019 soit dix années après son prédécesseur Rush To Relax (sic) All In Good Time (re-sic) ne change pas la donne et si on a passionnément aimé les incontournables que sont toujours le premier album sans titre (2007) et Primary Colors (2008) il n’y aura aucune raison de bouder ce disque de pur garage nerveux mais mélodique à tendance post punk, un brin moqueur, sec et désossé jusqu’à la moelle, enregistré en deux jours seulement et sonnant comme un vieux truc intemporel et... logiquement prévisible – ce qu’il est assurément mais on s’en moque puisque c’est exactement pour cette raison que l’on ne peut qu’aimer All In Good Time.

mercredi 15 juillet 2020

Scul Hazzards / Epitaph; reset



Aujourd’hui plus grand monde ne doit se souvenir des SCUL HAZZARDS, sauf peut-être la poignée d’irréductibles qui ont longtemps vénéré les deux albums studio et la triplette de singles de ce groupe australien (Brisbane, puis Melbourne) un temps exilé en Europe (Londres…). Sans refaire toute l’histoire on peut tout de même établir Let Them Sink, premier album du trio publié en 2008, comme l’un des jalons les plus importants et les plus essentiels du noise-rock de la fin des années 2000 et si à l’époque ce disque avait pu arriver jusqu’à nous c’est grâce à un cartel de labels français* regroupés pour l’occasion. Les mêmes labels peu soucieux de rentabilité financière et de retour sur investissement qui remettront ça l’année d’après pour le deuxième album des Scul Hazzards**, un Landlord certes un peu moins bon et un peu moins fracassant mais qui permettra au groupe de tourner encore plus intensivement en Europe***. Il ne reste donc des australiens que quelques disques marquants, quelques gueules de bois, des très bons moments, bref que des souvenirs...
L’histoire aurait pu s’arrêter là si en 2017 les Scul Hazzards – ou plutôt le guitariste/chanteur Steven Smith**** – n’avaient mis en ligne le troisième album du groupe, jusque là totalement inédit. Oui, un album complet de 35 minutes et comprenant dix compositions apparemment enregistrées aux alentours de 2014/2015, avant que le trio ne jette l’éponge et avant, peut-on lire sur les internets, un ultime concert pour fêter les 10 ans d’une existence tumultueuse. La publication virtuelle d’Epitaph; reset arrivera donc un peu tard mais il a bien fallu se contenter de ces pistes en mp3 follement réjouissantes : j’en connais quelques uns qui ont bavé plus d’une fois en écoutant ce troisième album posthume tout en maudissant les dieux et démons du noise-rock de n’avoir encore jamais permis à ce disque de voir le jour sur un support physique.

On ne pourra donc qu’être reconnaissant au label polonais Fonoradar qui a fini par publier Epitaph; reset en mars 2020 sous la forme d’un CD digipak soigné et élégant que pour une fois on ne boudera pas, même si on aurait évidemment préféré une édition en vinyle*****. Ecouter et réécouter encore Epitaph; reset revient à faire remonter tous nos vieux souvenirs à la surface tout en nous remplissant de regrets. Car il n’y a pas à tortiller ni à faire la fine bouche : Epitaph; reset est non seulement un excellent disque de noise-rock mais il pourrait bien également s’agir du meilleur enregistrement des Scul Hazzards, et rien de moins. Le point d’ancrage / pivot indéboulonnable de la musique du trio a toujours été la basse de Tiffany Milne et c’est encore plus vrai sur Epitaph; reset, un album qui pousse le niveau d’intensité, d’épaisseur, d’électricité, de férocité, de bordel encore plus loin. On en vient forcément à se demander pourquoi un tel disque a failli rester dans les oubliettes, pourquoi un tel groupe, aussi rageux et aussi viscéral mais jamais auto-complaisant, ne figure pas au panthéon éternel des groupes de noise-rock essentiels, catégorie gras du bide et pulsions volcaniques à souhait. Parce que c’est ça Scul Hazzards, un sens dévastateur de la composition qui fait presque systématiquement mouche, une rage musicale à se taper la tête contre les murs, une maitrise quasiment parfaite du bruit, un sens de l’écrasement et de la véhémence sans beaucoup d’équivalents.

Je fais partie des rétrogrades qui considèrent qu’une musique enregistrée n’existe pas vraiment tant qu’elle n’a pas été publiée sous une forme ou sous une autre – comme la musique ne saurait exister sans concert, ce qui en ces temps post confinement constitue un réel problème – alors, oui, c’est la seule chose qui me reste à faire maintenant, dire un immense merci, et espérer qu’un peu plus de personnes se rappelleront désormais de ce grand groupe qu’étaient les Scul Hazzards.


* citons les : Les Disques du Hangar 211, Rejuvenation, Shot Down, Slow Death et Whosbrain records
** avec en plus cette fois Bigoût records parmi les heureux contributeurs déficitaires

*** et un concert d’anthologie au Sonic en octobre 2009… j’en ai encore mal aux cervicales rien que d’y repenser
**** c’est lui également qui enregistrait, mixait et masterisait tous les disques de Scul Hazzards – en 2014 il a ouvert son propre studio à Melbourne

***** Fonoradar a également réédité en CD l’album Three de Luggage initialement paru en cassette uniquement et le label annonce maintenant des sorties vinyle de deux groupe polonais, à suivre…

lundi 13 juillet 2020

Hoaries - Beige Eagle Boys / split


C’est comme ça : dès que j’entends parler de noise-rock – je parle de noise-rock bête, sale et méchant, pas de cette pisse édulcorée jouée par trop de groupes qui ont fait des études supérieures en musicologie – je redeviens immédiatement le crétin psychorigide et monomaniaque qu’au fond de moi je n’ai en réalité jamais cessé d’être. Chassez le naturel… le naturel c’est le chaos. Aussi lorsque j’ai appris que les Beige Eagle Boys étaient toujours en vie et qu’ils venaient de donner quelques signes probants d’activité en publiant quelques nouveaux titres via un 10’ sur l’excellent label Reptilian records de Baltimore j’ai failli me faire dessus comme un pauvre gamin en proie à ses premiers émois sexuels et découvrant qu’on peut aussi faire des trucs chelous avec son corps.

 


Mais qui dit split dit deuxième groupe et en l’occurrence il s’agit d’HOARIES. Une formation du Texas – on n’en saura pas plus – et rien que cette petite précision géographique permettra d’avoir la puce à l’oreille tant cet état américain particulièrement réactionnaire et consanguin a depuis quelques décennies généré son lot de groupes totalement barges et déviants. Hoaries n’échappe pas à la règle pourtant je dois avouer que le noise-rock de ces quatre là me semble plutôt allégé ou, encore mieux, désinvolte, avec une pointe de fantomatisme acide qui se glisse au travers des guitares plus dentelières que chez la plupart des collègues, presque avec un petit côté post punk dissonant. J’adore. Les deux inédits proposés par le groupe sont d’excellente facture et ils sont complétés par une reprise de Product Patrol de Cabaret Voltaire (deuxième période des anglais de Sheffield, alors devenu duo). Un choix loin d’être très évident au départ mais qui va très bien à Hoaries qui est parfaitement arrivé à transformer ce vieux machin plutôt électro-dark à sa sauce électrique – au passage cela en dit long sur le caractère décalé du noise-rock un brin arty des texans. Pour l’instant Hoaries n’a publié qu’une volée de 45 tours également compilés sur le CD Crudforms vol-1-3 et que je ne peux que chaudement recommander. Un groupe à suivre de très près, en tous les cas.

On était donc sans nouvelles des BEIGE EAGLE BOYS depuis 2014 et un premier album You’re Gonna Get Yours fracassant. Le groupe de Detroit nous revient en pleine forme et avec deux inédits et également une reprise. C’est lourd, c’est gras, c’est dévastateur, c’est loin d’être fin – surtout comparé à Hoaries – mais bordel de sa mère qu’est ce que c’est bon de se faire ramoner les conduits auditifs avec des lignes de basse et une guitare saignantes aussi peu scrupuleuses sur les conditions élémentaires d’hygiène, sans oublier ce chant porcin 100% viande avariée. J’espère que Are You Going With Me ? et You’re Bleeding (Out Of My Eyes) ne sont que les signes avant-coureurs d’un futur nouvel album… quant à la reprise il s’agit d’une version pas délicate du tout (le contraire eut été étonnant) du Don’t You Want Me ? des abominablement datés Human League, reprise improbable complétant ainsi une belle triplette de chansons d’amour (mouhaha). La version qu’en donnent les Beige Eagle Boys massacre tout ce qu’il faut comme il faut et arrive même à pulvériser le niveau d’excellence de la reprise du Unbelievable donnée en son temps par les plus que regrettés Killdozer, ce qui donne une bonne idée du niveau de connerie et de génie de la chose et finit d’établir le statut d’incontournable du noise rock intemporel de ce 10’ de couleur verte.

vendredi 10 juillet 2020

Tuscoma / Discourse




Encore un plan simple et efficace qui a cependant complètement échoué. Enregistré en décembre 2019, mixé et masterisé dans les mois qui ont immédiatement suivi, Discourse était prévu pour une publication en avril 2020, pile-poil pour la nouvelle tournée européenne de TUSCOMA. Je ne vais pas te faire l’affront de te rappeler qu’à ce moment précis la moitié de la planète Terre était enfermée à la maison (pour les plus chanceux, ahem, il y a tellement de pays où cela n’a pas été possible) en espérant échapper au covid, 19ème du nom. La tournée sur le vieux continent a donc été annulée et Discourse qui ne pouvait pas être publié au plus mauvais moment l’a quand même été, vaille que vaille. Je me suis également laissé dire que les deux petits gars de Tuscoma n’ont même pas pu écouter et voir le résultat de tout leur travail et de leur acharnement avant, ouais cela ne facilite pas vraiment les choses quand tu habites à Wellington en Nouvelle Zélande et que ton label se trouve aux antipodes, en Pologne.
Mais je ne doute pas une seule seconde que désormais Kurt Williams (guitare et chant) et Joe Wright (batterie) sont très contents du résultat. En tous les cas, moi je l’aime. Je peux même affirmer qu’avec Discourse le duo a vraiment fait très fort, encore plus fort qu’avec Arkhitecturenominus qui était déjà un album captivant d’intensité et de férocité. Enregistré et produit par un certain Chris Johnson – non, je ne vais pas non plus faire semblant de savoir qui c’est – Discourse lorgne de plus en plus vers le black metal. Lequel est largement représenté sur des titres tels Is The Modern Still Modern ?, Apperture Unknown ou même un peu plus loin sur Nothing Is Forever et sa première partie toute en mid-tempo fougueux. Tuscoma utilise souvent et sans aucune modération des éléments caractéristiques qui ne trompent pas : coups de boutoir à la double pédale, blast beats à la volée, guitare qui tronçonne de l’animalité comme une scie circulaire complètement folle et chant de goret priapique insatisfait sont plus que représentés tout au long d’un album qui pourtant ne renie jamais totalement les origines noise et harcore de Tuscoma
 et si le début du disque laisse présager d’un assujettissement presque total aux forces du mal et de l’occulte, Williams et Wright démontrent ensuite qu’ils sont deux musiciens avec bien plus de caractère que ça et capables de beaucoup plus d’originalité – essaye un peu de te rappeler de tous ces groupes chiants à mourir, Altar Of Plagues en tête, qui il y a quelques années mélangeaient très proprement black et hardcore… et bien Tuscoma est à l’opposé de tout ça, du côté de la crasse et de la vraie noirceur.
L’étalage de violence enténébrée, de colère, de ressentiment et toute cette dureté ne seraient rien si Tuscoma ne faisait donc pas preuve d’une belle habilité pour brouiller les pistes en mélangeant les genres, ou plutôt en ne laissant jamais une composante de sa musique prendre totalement et définitivement l’ascendant sur toutes les autres. Lorsqu’on écoute la pierre angulaire Ever Normal fort judicieusement placé à la toute fin de l’album on ne peut que convenir que la musique du duo fait admirablement le lien entre post hardcore, metal, black et noise sans pour autant en faire de la bouillie pour jeunes hipsters européens. Idem pour le très étonnant et autre sommet du disque The Fundamentalist qui serpente durant presque neuf minutes ainsi que pour Apperture Unknown, encore, avec son passage intermédiaire où apparait plus clairement une ligne de basse jouée par Chris Johnson (je ne sais toujours pas qui il est mais il joue sur tout l’album). Tuscoma imbrique parfaitement tous les éléments de sa musique sans effet de collage artificiel et on oublie, oui on oublie de se dire des trucs inutiles et limitatifs tels que « ah ouais là c’est vraiment un plan black / true du cul » et ce genre d’inepties rassurantes. Car la musique de Tuscoma est surtout angoissante, anxiogène même, complètement inconfortable. Inattendue. Elle ne pose pas, elle ne se pavane pas. Et elle n’a pas besoin d’artifices pour faire mal.

[Discourse est publié sous la forme d’un double LP en vinyle rouge et limité à 250 exemplaires par Antena Krzyku]

mardi 7 juillet 2020

Mesa Of The Lost Women / Les Tables Noires

Les Tables Noires : j’ai tout d’abord été un peu, beaucoup, pris au dépourvu par ce disque mais il faut toujours aller jusqu’au bout de ses surprises, non ? Surtout avec un groupe tel que MESA OF THE LOST WOMEN. Alors voilà. J’ai été très étonné parce que j’avais encore bien à l’esprit l’album I Remember How Free We Were ou même ce 7’ en compagnie de Junko chez Anarchofreaks Production, le genre de trucs que j’écoute forcément très fort – d’ailleurs comment pourrait-il en être autrement ? – au risque sinon de me niquer complètement les oreilles. Un raisonnement (je parle du fait d’écouter très fort) qui une fois de plus pourrait sembler terriblement paradoxal mais : (s’) imposer un volume raisonnable pour une musique dite inaudible – du bruit disent les bien-pensants – est un non-sens absolu alors qu’au contraire il faut se laisser dévorer par elle et au passage faire trembler tout ce qu’il y a autour, puisque c’est le but recherché.




Les Tables Noires, donc. Un nouvel ET un véritable enregistrement. Un vrai disque dans une vraie pochette avec un vrai artwork et même quelques vraies notes qui détaillent quelques trucs qui réjouiront les plus pointilleux d’entre nous – exemples : « enregistré en une session et mixé par Kevin Le Quellec » ou bien « master par Julien Louvet » (ouais, encore lui). Ce qui nous apprend que Les Tables Noires n’a pas été capté à l’arrache sous un pont d’autoroute et au milieu d’un terrain vague inaccessible qui aurait fait triper J.G. Ballard comme jamais. Les Tables Noires n’a pas non plus été enregistré avec un caméscope en fin de vie et une bande vidéo dont la piste sonore impossible à mixer a été transférée tant bien que mal sur le coin d’une table de cuisine à l’aide d’un robot-éplucheur. En fait… Les Tables Noires est presque écoutable. J’ai dit presque.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un album studio avec un travail de prod puisque tout ce que l’on peut écouter sur Les Tables Noires a été mis en boite en un après-midi, certes bien comme il faut c’est-à-dire avec des micros bien placés et le matériel adéquat, lors d’une seule séance, improvisée. C’est l’unique règle que s’impose toujours les deux piliers de Mesa Of The Lost Women (Yves Botz : guitare et grosses bagouzes aux doigts et Christophe Sorro : batterie, percussions, etc.). Jouer sans avoir composé quoi que soit avant, jouer comme ça vient, dans un grand mouvement d’essorage bouillonnant qui dans ses moments les plus extrêmes et les plus échevelés délivre toute la fougue d’un beau chaos libertaire. Sur Les Tables Noires rien n’a été réenregistré et rien n’a été rajouté (« pas d’overdubs ») et j’imagine que la seule modification effectuée a été de tailler dans la bande pour en extraire les meilleurs moments de cet après-midi passé entre amis musiciens. En plus des fois ça coupe juste au moment où tout à l’air de vouloir s’emballer et baroufer à la diable.

Les Tables Noires
possède donc un vrai son. Enfin : un son qui ne ressemble pas à une grosse chiasse mais un son qui ne se laisse pourtant pas faire. Et pour la première fois je crois j’ai écouté un disque de Mesa Of The Lost Women tout en prenant le temps de me demander ce que j’écoutais, en suivant la dramaturgie de l’improvisation menée par les musiciens sans me contenter de prendre ça au coin de la gueule, comme un bon gros flash de dope impitoyable. Ça change. C’est différent. Ou plutôt Les Tables Noires offre un visage différent de ce que l’on connait (et aime) déjà. D’autant plus qu’un troisième larron s’est joint aux deux autres pour l’occasion et qu’il donne de la voix. Florian Schall gueule, couine, miaule, gémis, râle, gueule encore, singe (sic) un chanteur de black metal en train d’invoquer les démons de l’enfer, etc. (il a même droit à un locked groove à la fin de la face B). Là aussi, ça change.
Mais ce qui ne change pas c’est que, comme pour tous les autres enregistrements de Mesa Of The Lost Women, Les Tables Noires ne peut s’écouter que très fort. Au début je me disais naïvement : à quoi bon effectivement aller toujours dans le même sens ? Plutôt faire contre, quitte à faire n’importe quoi ou même faire le contraire de ce que les autres attendent de toi (ce qui est beaucoup plus amusant, tout le monde en conviendra). Je crois que dans le cas de ce disque ce n’est pas tout à fait ça non plus. Mesa Of The Lost Women n’a pas pris particulièrement soin de l’enregistrement pour faire réellement autre chose que ce que le groupe fait déjà, de la musique improvisée et bruitiste ne devant pas grand-chose rien aux idiomes hérités du jazz mais au contraire à certaines formes de rock et autres musiques très électriques (avec ici une petite pointe de metal occultiste). Et puis c’est peut être tout simplement les gens de Specific Recordings qui ont proposé à Mesa Of The Lost Women d’enregistrer pour une fois de façon un peu carrée mais sans trahir ce qui fait la particularité et l’identité du groupe. Ce en quoi ils ont eu tout à fait raison.

dimanche 5 juillet 2020

[chronique express] Ed Fraser / Ghost Gums



Si tu aimes les albums Collider et Push de Heads. il y a de bonnes chances pour que tu aimes aussi Ghost Gums, le premier enregistrement en solo de l’australien Ed Fraser, par ailleurs chanteur et guitariste de ces mêmes Heads… mais réduire la musique de celui-ci à une version plus minimale et moins électrique de son trio d’origine serait une erreur : OK, Ghost Gums confirme en creux tout le bien que l’on peut penser de Heads. – on en a déjà parlé ici – mais surtout ce premier mini album démontre qu’Ed Fraser possède sa propre personnalité et sa propre identité de chanteur et de compositeur, nous livrant une touchante collection de chansons teintées d’indie rock et de mélancolie slintienne et désertique.

(et en plus notre homme a déjà commencé à réfléchir à une suite à ce premier essai plus que réussi)

 


vendredi 3 juillet 2020

Heads. / Push




Deuxième véritable album de HEADS. après un Collider qui aura durablement marqué l’année 2018 – n’oublions pas non plus de citer le premier mini LP sans titre de 2015 – Push marque le grand retour du trio berlinois. Ou plutôt devrais-je écrire « trio basé à Berlin » puisque le line-up de Heads. est toujours composé des trois mêmes membres, tous originaires de pays et d’horizons différents : le guitariste / chanteur Ed Fraser est australien tandis que le bassiste Chris Breuer et le batteur Peter Voigtmann sont eux natifs de la vieille Europe. Sans doute ne pouvaient-ils se rencontrer et commencer à faire de la musique ensemble que dans une ville comme Berlin, lieu de passage(s) et point d’ancrage, lieu de brassage multiculturel et ville qui, musicalement mais pas seulement, en a vu tellement d’autres. Il n’est par conséquent pas très étonnant non plus que la musique de Heads. soit à la fois très référencée et libre de ces mêmes contraintes référentielles : l’important est ce que les musiciens feront de tous les repères musicaux et de toutes influences qu’ils ont en eux.
On se souvient donc d’un Nick Cave enregistrant à la fin de l’année 1984 au Hansa Studio The Firstborn Is Dead, un album complètement imprégné du blues et du vieux rock’n’roll américain, rendant fiévreusement hommage à Elvis Presley sur Tupelo et payant son écot (écho ?) au mysticisme occulte du sud, s’appropriant une musique et un langage qui ne lui appartenaient pas au départ pour l’ouvrir à de nouveaux affects. La musique n’a pas de frontières ou en tous les cas ne devrait pas en avoir, spécialement toutes les musiques faites d’emprunts, de citations, d’hommages ou de pillages – le rock’n’roll n’est que le fruit d’un hold-up et d’une spoliation que trop rarement assumés – dont il convient plus que jamais d’avoir conscience. Quel rapport me demanderas-tu entre les Bad Seeds de Nic Cave et Heads. ? Pratiquement aucun, mise à part cette ville, Berlin, et c’est déjà beaucoup.
Bien que jouant sa propre version de la chose Heads. se situe dans la même veine que les groupes jouant un rock tendu, ardent et même des fois exalté et qui de The Gun Club à 16 Horsepower en passant par The Good Damn ou Wailin Stroms encore récemment évoqué ici sont presque constamment sur la corde raide, convoquent passion et chaleur, fureur et électricité, rédemption (parfois) impossible et apaisement douloureux. Il y a toujours un prix à payer et ce prix là se paye via et par la musique – ce qui n’est pas le pire et le plus lourd des tributs.
C’est en tous les cas ce à quoi m’a toujours fait penser Heads., malgré le coté monolithique et finalement assez glacé de ses enregistrements. Moins claustrophobe et plus exalté, davantage varié, le petit dernier porte bien son nom : Push permet à Heads. d’exulter froidement et de faire des étincelles sans non plus se transformer en tourbillon swamp goth théâtralement fougueux, à la grande différence des déjà cités Wailin Storms, par exemple. C’est la principale et inestimable qualité du trio, cette impression qu’il donne de toujours en avoir sous le capot, le feu qui brûle sous le tas de cendres, cette presque retenue dans le discernement, cette économie volontaire de moyens que le trio tourne systématiquement à son avantage parce qu’en fait cela ne l’empêche pas
de quand même mettre en œuvre toutes ses ressources personnelles et de sublimer tous les éléments de sa musique. Encore cette histoire de dosage à laquelle je tiens tellement. La guitare chez Heads. n’est jamais inutilement épaisse ; la rythmique ne tourne jamais à vide sous prétexte de nécessité d’étalage alors qu’elle en impose systématiquement ; et le chant, caverneux dans le sens de résonnant et de sèchement théâtral, est tout simplement magnifique. Y compris lorsque la hargne semble prendre le dessus (Weather Beaten et Push You Out To Sea) on trouve toujours dans la voix et les intonations de Ed Fraser cette demi distanciation qui génère du désir – le désir de celui ou celle qui écoute – et donc, de la proximité.
Au sujet de Heads. on ne pourra toujours pas parler de noise-rock au sens littéral du terme car ce serait à la fois trop caricatural et trop limité alors on dira plus simplement que Heads. est un pur groupe de rock sauvage et racé, exactement pour cette très belle raison, le désir que sa musique suscite, et qui en fait le groupe le plus diaboliquement sexy que j’ai écouté toutes ces dernières années.

[Push est publié en vinyle bleu ou noir et en CD par Glitterhouse et This Charming Man]