Deuxième véritable album de HEADS. après un Collider qui aura durablement marqué
l’année 2018 – n’oublions pas non plus de citer le premier mini LP sans titre
de 2015 – Push marque le grand retour
du trio berlinois. Ou plutôt devrais-je écrire « trio basé à Berlin »
puisque le line-up de Heads. est
toujours composé des trois mêmes membres, tous originaires de pays et
d’horizons différents : le guitariste / chanteur Ed Fraser est australien
tandis que le bassiste Chris Breuer et le batteur Peter Voigtmann sont eux
natifs de la vieille Europe. Sans doute ne pouvaient-ils se rencontrer et
commencer à faire de la musique ensemble que dans une ville comme Berlin, lieu
de passage(s) et point d’ancrage, lieu de brassage multiculturel et ville qui,
musicalement mais pas seulement, en a vu tellement d’autres. Il n’est par conséquent
pas très étonnant non plus que la musique de Heads. soit à la fois très référencée et libre de ces mêmes
contraintes référentielles : l’important est ce que les musiciens feront
de tous les repères musicaux et de toutes influences qu’ils ont en eux.
On se souvient donc d’un Nick Cave
enregistrant à la fin de l’année 1984 au Hansa Studio The Firstborn Is Dead, un album complètement imprégné du blues et
du vieux rock’n’roll américain, rendant fiévreusement hommage à Elvis Presley sur
Tupelo et payant son écot (écho ?)
au mysticisme occulte du sud, s’appropriant une musique et un langage qui ne
lui appartenaient pas au départ pour l’ouvrir à de nouveaux affects. La musique
n’a pas de frontières ou en tous les cas ne devrait pas en avoir, spécialement toutes
les musiques faites d’emprunts, de citations, d’hommages ou de pillages – le
rock’n’roll n’est que le fruit d’un hold-up et d’une spoliation que trop
rarement assumés – dont il convient plus que jamais d’avoir conscience. Quel rapport me demanderas-tu entre les Bad Seeds de Nic Cave et Heads. ? Pratiquement aucun, mise à part cette ville, Berlin, et c’est déjà beaucoup.
Bien que jouant sa propre version de la chose Heads. se situe dans la même veine que les groupes jouant un
rock tendu, ardent et même des fois exalté et qui de The Gun Club à 16
Horsepower en passant par The Good Damn ou Wailin Stroms encore récemment évoqué ici sont presque constamment sur la corde raide, convoquent passion et
chaleur, fureur et électricité, rédemption (parfois) impossible et apaisement
douloureux. Il y a toujours un prix à payer et ce prix là se paye via et par la
musique – ce qui n’est pas le pire et le plus lourd des tributs.
C’est en tous les cas ce à quoi m’a
toujours fait penser Heads., malgré
le coté monolithique et finalement assez glacé de ses enregistrements. Moins
claustrophobe et plus exalté, davantage varié, le petit dernier porte bien son
nom : Push permet à Heads. d’exulter froidement et de faire
des étincelles sans non plus se transformer en tourbillon swamp goth théâtralement
fougueux, à la grande différence des déjà cités Wailin Storms, par exemple. C’est
la principale et inestimable qualité du trio, cette impression qu’il donne de
toujours en avoir sous le capot, le feu qui brûle sous le tas de cendres, cette
presque retenue dans le discernement, cette économie volontaire de moyens que
le trio tourne systématiquement à son avantage parce qu’en fait cela ne
l’empêche pas de quand même mettre en œuvre toutes ses ressources personnelles
et de sublimer tous les éléments de sa musique. Encore cette histoire de dosage
à laquelle je tiens tellement. La guitare chez Heads. n’est jamais inutilement épaisse ; la rythmique ne
tourne jamais à vide sous prétexte de nécessité d’étalage alors qu’elle en
impose systématiquement ; et le chant, caverneux dans le sens de résonnant et
de sèchement théâtral, est tout simplement magnifique. Y compris lorsque la
hargne semble prendre le dessus (Weather
Beaten et Push You Out To Sea) on
trouve toujours dans la voix et les intonations de Ed Fraser cette demi
distanciation qui génère du désir – le désir de celui ou celle qui écoute – et donc,
de la proximité.
Au sujet de Heads.
on ne pourra toujours pas parler de noise-rock au sens littéral du terme car ce
serait à la fois trop caricatural et trop limité alors on dira plus simplement
que Heads. est un pur groupe de rock
sauvage et racé, exactement pour cette très belle raison, le désir que sa musique
suscite, et qui en fait le groupe le plus diaboliquement sexy que j’ai écouté toutes
ces dernières années.
[Push est publié en vinyle bleu ou noir et en CD par Glitterhouse et This Charming Man]