On avait laissé ou, plus exactement, les
deux filles de LA CHASSE nous avaient laissés au beau milieu d’une forêt
millénaire, abandonnés dans le noir, parmi loups et autres bêtes féroces, gibier d’une entité obscure et affamée. Noir Plus Noir Que Le Noir était
(est) un album brut et abrupt, d’un minimalisme lourd et oppressant, tribal,
incantatoire, fiévreux, sombre, collant, puant la décomposition, caverneux… Un
disque entre doom et post punk, tirant de l’un sa lourdeur et son épaisseur
sonore, empruntant à l’autre un lyrisme noir et sacrilège.
Sur son deuxième
album Sidera le duo renoue avec une
bonne partie de ces éléments tout en les agençant différemment, en fait non, disons
plutôt : avec plus d’efficacité. En choisissant d’en mettre certains
davantage en avant et en en atténuant quelques autres. Sidera se veut moins punk – je veux dire : dans la forme mais
pas dans l’esprit – et plus mystique, cosmique peut-être, La Chasse gardant sa part de ténèbres mais l’éclairant d’une
lumière autre. Effleurant la beauté, tournant tout autour mais sans vouloir
l’enfermer, sans doute parce que la beauté appartient à personne et que tout au
plus c’est nous qui lui appartenons, dans la fascination qu’elle exerce sur
nous. Mais La Chasse ne joue pas non
plus sur ce registre là, séducteur à bon marché. Plus que jamais la musique de
duo envoute tout comme elle peut se montrer très inconfortable, désormais moins
partie de vénerie sauvage chez la comtesse Zaroff que sacrifice rituel.
Réenregistré pour l’occasion – puisque
ce titre figure déjà sur une cassette partagée avec Avale – Les Bergères de
l’Apocalypse ouvre Sidera avec majesté.
Comparer les deux versions nous apprendra qu’entretemps et que depuis ses premiers enregistrements
le duo a souhaité apporter plus de maitrise à ses textures sonores, à sa
musique. Enregistré par Seb Normal et masterisé par Julien Louvet, une fine
équipe déjà à l’œuvre sur Noir Plus Noir
Que Le Noir, Sidera impressionne
d’emblée par l’ampleur et le rendu d’un son à la chaleur animale mais racée.
Nous voilà donc prévenus : nous ne sommes pas confrontés à n’importe
quelle bête. La noblesse et l’élégance ne sont cependant pas les objectifs premiers de La Chasse, certes non et c’est tant mieux. Encore une fois aucune
volonté de plaire juste pour simplement plaire mais celle de faire encore
mieux, plus fort, avec toujours plus de singularité et d’indépendance.
Sidera
est placé sous le signe des sortilèges. L’illustration de la pochette est très
belle et révèle sans le dévoiler totalement tout le fourmillement du disque.
S’agit-il de la représentation d’une divinité païenne ? Est-ce un
monolithe à la signification oubliée ? Un outil pouvant servir d’objet sacré
lors d’un rituel ? Un talisman ? Un bijou taillé dans une pierre de lapis lazuli ? La couleur et la texture minérale de
cette forme interpelle également : on dirait presque un bout de ciel,
entre nuages et galaxies étoilées. On ne sait pas grand chose et surtout on ne
saura jamais rien. Mais il n’y a rien de mieux qu’un tel artwork accompagnant
un enregistrement avec autant de justesse ; tout comme il n’y a rien de
mieux que d’écouter un disque tout en regardant sa pochette et en se disant,
mais oui ! c’est ça ! Cette lumière qui vient d’ailleurs.
Et la musique de La Chasse de nous
emmener elle aussi, toujours plus ciselée mais toujours aussi lourde. Une sorte
de doom incantatoire sur fond de lignes de force vrombissantes dessinées par
une basse parfois tellement grésillante et nappée qu’elle se transforme en
moulin à textures ; une musique au tribalisme ensorcelé et accompagnée de
rythmes païens. Sans oublier le chant dont je me demande si sur quelques unes
des huit compositions de Sidera il ne
serait pas principalement à base d’onomatopées, comme des formules magiques
dont seule La Chasse connaitrait les
secrets et la réelle signification. Les hurlements se mêlent aux mélopées, la
violence à la beauté, la chaleur à la froideur et la canopée de l’immense forêt
rejoint l’horizon sidéral. Magie.
[Sidera est publié en vinyle par 213 records, Cheap Satanism, Donnez Moi Du Feu, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Jarane, Mammouth records et Poutrage records]