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mardi 30 juin 2020

La Chasse / Sidera


On avait laissé ou, plus exactement, les deux filles de LA CHASSE nous avaient laissés au beau milieu d’une forêt millénaire, abandonnés dans le noir, parmi loups et autres bêtes féroces, gibier d’une entité obscure et affamée. Noir Plus Noir Que Le Noir était (est) un album brut et abrupt, d’un minimalisme lourd et oppressant, tribal, incantatoire, fiévreux, sombre, collant, puant la décomposition, caverneux… Un disque entre doom et post punk, tirant de l’un sa lourdeur et son épaisseur sonore, empruntant à l’autre un lyrisme noir et sacrilège.
Sur son deuxième album Sidera le duo renoue avec une bonne partie de ces éléments tout en les agençant différemment, en fait non, disons plutôt : avec plus d’efficacité. En choisissant d’en mettre certains davantage en avant et en en atténuant quelques autres. Sidera se veut moins punk – je veux dire : dans la forme mais pas dans l’esprit – et plus mystique, cosmique peut-être, La Chasse gardant sa part de ténèbres mais l’éclairant d’une lumière autre. Effleurant la beauté, tournant tout autour mais sans vouloir l’enfermer, sans doute parce que la beauté appartient à personne et que tout au plus c’est nous qui lui appartenons, dans la fascination qu’elle exerce sur nous. Mais La Chasse ne joue pas non plus sur ce registre là, séducteur à bon marché. Plus que jamais la musique de duo envoute tout comme elle peut se montrer très inconfortable, désormais moins partie de vénerie sauvage chez la comtesse Zaroff que sacrifice rituel.

 


Réenregistré pour l’occasion – puisque ce titre figure déjà sur une cassette partagée avec AvaleLes Bergères de l’Apocalypse ouvre Sidera avec majesté. Comparer les deux versions nous apprendra qu’entretemps et que depuis ses premiers enregistrements le duo a souhaité apporter plus de maitrise à ses textures sonores, à sa musique. Enregistré par Seb Normal et masterisé par Julien Louvet, une fine équipe déjà à l’œuvre sur Noir Plus Noir Que Le Noir, Sidera impressionne d’emblée par l’ampleur et le rendu d’un son à la chaleur animale mais racée. Nous voilà donc prévenus : nous ne sommes pas confrontés à n’importe quelle bête. La noblesse et l’élégance ne sont cependant pas les objectifs premiers de La Chasse, certes non et c’est tant mieux. Encore une fois aucune volonté de plaire juste pour simplement plaire mais celle de faire encore mieux, plus fort, avec toujours plus de singularité et d’indépendance.
Sidera
est placé sous le signe des sortilèges. L’illustration de la pochette est très belle et révèle sans le dévoiler totalement tout le fourmillement du disque. S’agit-il de la représentation d’une divinité païenne ? Est-ce un monolithe à la signification oubliée ? Un outil pouvant servir d’objet sacré lors d’un rituel ? Un talisman ? Un bijou taillé dans une pierre de lapis lazuli ? La couleur et la texture minérale de cette forme interpelle également : on dirait presque un bout de ciel, entre nuages et galaxies étoilées. On ne sait pas grand chose et surtout on ne saura jamais rien. Mais il n’y a rien de mieux qu’un tel artwork accompagnant un enregistrement avec autant de justesse ; tout comme il n’y a rien de mieux que d’écouter un disque tout en regardant sa pochette et en se disant, mais oui ! c’est ça ! Cette lumière qui vient d’ailleurs.
Et la musique de La Chasse de nous emmener elle aussi, toujours plus ciselée mais toujours aussi lourde. Une sorte de doom incantatoire sur fond de lignes de force vrombissantes dessinées par une basse parfois tellement grésillante et nappée qu’elle se transforme en moulin à textures ; une musique au tribalisme ensorcelé et accompagnée de rythmes païens. Sans oublier le chant dont je me demande si sur quelques unes des huit compositions de Sidera il ne serait pas principalement à base d’onomatopées, comme des formules magiques dont seule La Chasse connaitrait les secrets et la réelle signification. Les hurlements se mêlent aux mélopées, la violence à la beauté, la chaleur à la froideur et la canopée de l’immense forêt rejoint l’horizon sidéral. Magie.

[Sidera est publié en vinyle par 213 records, Cheap Satanism, Donnez Moi Du Feu, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Jarane, Mammouth records et Poutrage records]