Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 15 juin 2020

Princess Thailand / And We Shine






Promis, juré, craché et mousse de bouche : plus jamais je me moquerai du nom de PRINCESS THAILAND. Même si quelque chose de bien planqué tout au fond de l’un des innombrables recoins de mon humour détestable – ou mon absence d’humour, tout dépend du point de vue selon lequel on se place – m’incitera toujours à le faire. Peut-être qu’un jour si je croise la route de ces jeunes gens (lors d’un concert par exemple, à l’horizon 2021 ou 2022 si tout se passe bien, c’est-à-dire lorsque les mauvais esprits dans mon genre arrêteront de jurer leurs grands dieux, de cracher dans le vent et de (se faire) mousser de la bouche, mais ça c’est vraiment pas gagné) donc oui peut-être qu’un jour je demanderai aux cinq Princess Thailand d’où provient ce nom pour le moins étrange et déstabilisant. Et qui surtout n’a strictement aucun rapport évident avec la musique du groupe mais qu’au moins on n’oubliera pas.
On l’oubliera d’autant moins que Princess Thailand est en train de s’imposer comme l’un des trucs les plus excitants du moment question mixture noise-rock gothoïde et no-wave arty voire new wave tout court – attention : étiquettes beaucoup trop restrictives – avec seulement deux albums à son actif. Le tout premier, sans titre, développait un côté poisseux et collant, brut et moite, enfumé et musqué, accompagné de couleurs aussi bien marécageuses qu’orientalisantes mais la plupart de ces éléments se sont estompés, ont transmuté ou ont presque complètement disparu sur And We Shine, le deuxième album que le groupe a publié au printemps 2020. Le côté plus léché, élargi et rembourré du son de ce nouvel enregistrement frappe d’entrée, et les sept compositions de And We Shine se font presque intimidantes, collent moins physiquement au corps tout en jouant davantage sur la séduction.
Non pas que Princess Thailand ait abandonné tout désir de faire du bruit et de faire pencher les vumètres dans le sens des vents soniques mais le groupe le fait avec une approche différente, parfois presque pop (In This Room) et céleste (We Shine) et en tous les cas très orientée débuts des 80’s et post-punk gothique même si à l’époque on ne l’appelait pas encore comme ça. Plus d’une fois je me suis surpris à penser aux Banshees ce qui, en ce qui me concerne mais j’en ai parfaitement le droit puisque c’est moi qui écris cette chronique et que ceci est mon petit pré-carré des internets, est un énorme compliment. En résumé avec And We Shine on perd en swamp et en odeurs de feu de bois un peu piquantes ce que l’on gagne en marqueterie et en flanger. Moins de no-wave et moins de noise rock brulant. Plus de dentelle scintillante et de lyrisme aérien. Moins de Shotgun Wedding et plus de Cocteau Twins. La reverb a juste changé de côté, délaissant le poisseux pour hanter les longs couloirs d’une musique pourtant toujours aussi percutante et organique.
Malgré les nombreux éclats qui parcourent et déchirent And We Shine Princess Thailand se préoccupe désormais plus des détails et tout est question de nuances, avec l’évidente luxuriance et sophistication de compositions jamais linéaires – elles ne se terminent jamais de la même façon qu’elles ont commencé et pour joindre les deux bouts elles peuvent traverser mille péripéties. Le travail des deux guitares est symptomatique de cette approche moins frontale, plus aérée et plus somptueuse. Lorsqu’elles se mettent en position de faire plus de bruit c’est toujours avec le souci de participer à un vaste ensemble quasi architectural, pas avec celui de se faire entendre plus que tout le reste. Quant au chant – féminin et exclusivement en anglais – il a tellement gagné en subtilité… autrement dit cette chanteuse incroyable peut passer du clair-obscur et du volant-cristallin à la passion et au feu sans (se) forcer, avec sensibilité et aplomb, sans ciller, sans en faire trop mais avec juste ce qu’il faut pour être dans le vrai.

[And We Shine est publié en vinyle rouge par A Tant Rêver Du Roi]