« La Tour de l’Age » ?
Pas besoin de Machin Translator pour comprendre qu’une fois de plus LITHICS va s’ingénier à brouiller les pistes et que ce n’est
pas en traduisant bêtement le titre du troisième album* de ce génial quartet de
Portland / Oregon que l’on va pouvoir glaner un peu plus de renseignements.
Tout comme l’ensemble des paroles de l’album signées je l’imagine par la
chanteuse/guitariste Aubrey Hornor déversent des flots d’incongruités à la fois
poétiques et absurdes, dada si tu veux. Avec Tower Of Age les quatre Lithics
confirment ainsi leur statut bien à part d’énigme musicale la plus lisible du
monde, le seul groupe de post punk qui à ma connaissance réussit l’exploit de
faire sonner sa musique comme un truc nouveau et toujours inconnu. On n’y
comprend rien mais ça nous parle. On ne connaissait pas mais on adhère tout de
suite – du moins Tower Of Age donne
le sentiment que jusqu’ici on ne connaissait rien de cette musique.
Cependant ce nouveau brûlot décalé et dissonant va encore plus loin que ces
deux prédécesseurs, relativement similaires dans le fond et dans la forme, le
premier album Borrowed Floors en 2016
et le presque
parfait Mating Surfaces en 2018.
Car Tower Of Age est plutôt avare en
tubes francs, directs et homogènes sur toute la ligne, économe en mélodies poliment
acidifiées qui font parcourir des frissons dans le dos, en rythmes résolument
dansants bien que décemment indansables. Autrement dit Mating Surfaces était une rafale de balles explosives atteignant
toujours leur but ; Tower Of Age
est plutôt du genre collection de bombes à retardement et à fragmentation. L’effet
final n’en est que plus bluffant. Dès le début la première composition Non joue le registre de la saccade et du
retard à l’allumage. Tout y est torsadé, comme reflété dans un miroir déformant
qui changerait constamment de position. Puis débarque Hands, le premier presque tube de l’album. A la condition de se
laisser faire par ce mid tempo faussement dilettante et par ces cascades de
guitares dissonantes. En fait peu de titres de Tower Of Age rappelleront au premier degré l’immédiateté tordue et
tendue de la musique de Lithics. Ce
qui tombe plutôt bien parce que la déjà citée Aubrey Hornor, Mason Crumley
(guitare), Bob Desaulniers (basse, guitare et boucles sonores) ainsi que Wiley
Hickson (batterie) n’aiment pas le premier degré.
Aussi Tower Of Age est il entrecoupé
de quelques passages instrumentaux ou de compositions courtes relevant du
collage expé ou de la bidouille pure et simple (A Highly Textured Ceiling, Snake
Tattoo, le début de Half Dormancy,
Cricket Song Through Open Window)
servant de lien entre des compositions plus académiques et souvent résolument
mid-tempo (Twisting Wine ou même le
presque beefheartien The Symptom).
Parfois Lithics semble vouloir reprendre
ses petites habitudes d’avant (Beat Fall,
An Island, Victim’s Jacket ou Mice In
The Night) mais on sent bien que l’intérêt du groupe est désormais moins
dans le tranchant de compositions angulaires que dans la déviance en sous-main,
ce que traduit des parties dialoguées de guitares qui mènent à tout sauf à
quelque chose de facilement mémorisable et donc d’identifiable et de cataloguable.
Lithics poursuit sa quête d’absurdement
significatif – de significativement absurde ? – et Tower Of Age semble malgré tout monter un peu en puissance sur sa
deuxième face (notamment avec le morceau titre) mais c’est pour mieux nous
décontenancer un peu plus loin, optant résolument et plus que jamais pour la
dissonance à froid des deux guitares. Au final Tower Of Age sonne précisément comme un gros bazar cérébral. Ou une
plaisanterie d’apparence bien pensée et donc bien rangée comme il faut mais en
fait complètement frappée, très loin de l’amphigouri post moderne qui sied tant
aux esprits simulateurs. Pour ma part je préfère croire que la musique de Lithics relève d’une forme possible et
ultime de lutte contre les convenances musicales, surtout celles qui prennent l’apparence
des mensonges. Avaler ou inventer, Lithics
a choisi son camp et moi aussi.
[Tower Of Age est publié en vinyle noir ou splatter jaune, noir et blanc, en CD et même une cassette par Trouble In Mind records ; l’artwork ainsi que l’insert sont l’œuvre de la plus que douée Félicité Landrivon aka Brigade Cynophile]
* troisième album = disque de la maturité = « tower of age » ? laissez-moi rigoler…