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lundi 5 juillet 2021

Heimat : Zwei


 



 

Je me sens complètement désarmé face à un tel disque. Et c’est tant mieux. Armelle Oberlé (au chant, aux textes et aux instruments) accompagnée d’Olivier Demeaux (tout, y compris le reste) nous avaient déjà fait le coup en 2016 avec un magnifique premier album sans titre qui s’était facilement glissé au milieu des disques essentiels d’une année plutôt étrange – OK : ceci est une remarque à caractère purement personnel et en fait je ne me rappelle déjà plus beaucoup de cette année 2016, sauf de quelques tours de passe-passe incompatibles avec le monde réel. Mon papa germaniste et très efficace en son temps (celui du post-stalinisme triomphant des 70’s) aurait sans aucune hésitation traduit HEIMAT par « patrie » mais efficacité n’est pas raison et heimat c’est aussi : son chez-soi, l’endroit d’où l’on vient mais également celui où on aime revenir, celui où on se sent bien, celui que l’on s’est construit, là où sont nos racines mais également notre cœur. Un endroit que l’on s’est aussi choisi. Les Anglais appellent ça home et des fois les Maghrébins parlent de leur bled dans ce sens là.
Armelle – Bisous-Bisou pour les intimes – et Olivier nous avaient déjà habitués avec leurs précédents groupes à regarder au delà et à écouter à côté : The Dreams et sa tropicalité froide, Cheveu s’associant à Group Doueh… Avec Heimat ils vont encore plus loin, en convoquant musiques et langages d’ailleurs (et langues, sauf le français) puis s’en servant pour façonner le noyau multi-nucléaire d’une musique qui ne peut être définie – attention c’est le grand moment de facilité rhétorique de cette chronique – que par elle-même, au moment de l’expérience de l’écoute. Heimat, donc : c’est-à-dire les musiques d’où viennent ces deux-là, celles vers lesquelles ils veulent aller, celles qu’ils inventent ou réinventent, là où ils sentent bien, chez eux.
Zwei multiplie les emprunts / citations / influences mais il n’est pas du tout question de réappropriation ni même de fusion, ce concept tellement occidental inventé en même temps que celui de world music par des musiciens de salon en panne d’identité et des producteurs artistiques en manque de trésorerie. On notera toutefois moins d’effluves indiennes et extrême-orientales par rapport au premier album, Zwei se contentant, façon de parler, de faire le grand écart entre Europe balkanique et Maghreb et tout ce qu’il y a ou presque entre les deux. Stylistiquement, c’est un peu la même chose. La musique d’Heimat lorgne du côté de l’indus fantomatique, de l’electro expérimental, du folk mais jamais vraiment du rock, cette chose annihilée par les beaufs électriques depuis des décennies.  Tout ça en prenant la forme de comptines inquiétantes, d’envolées claustrophobes, de mélopées glaciaires, de glissements aériens, de balades lugubres, de crises de théâtralité martiale.
Chez Heimat on ne rigole pas mais on ne verse pas non plus dans le sordide sentimental, même pour plaisanter entre amis parce que ça ferait genre. Le duo tisse plutôt un enchevêtrement de voilages à base de mélancolie rassurante – que peut-il y avoir de plus proche d’un chez-soi qu’une telle mélancolie ? – et brodés de petits mystères. Un peu comme des points lumineux brillant de façon ténue dans la demi-obscurité d’une pièce ou des cailloux ramassés par terre et dont on a décidé qu’ils ne sont pas que jolis, devenant à nos yeux autant de pierres précieuses aux éclats fugaces et émouvants, imparfaits mais tellement chérissables. Et puis il y a le chant d’Armelle, aussi multiple que les langues employées (?) pour les textes de ses chansons. Prêtresse des ombres, passante insaisissable, diva criarde, comédienne de l’intimité, compteuse tout simplement. Cela fait longtemps que l’on connait sa voix et qu’on l’écoute. Cela fait longtemps que l’on aime sa détermination et ses errances, ses salves et ses dérapages, son lyrisme et son acidité. Sa grandeur et sa grâce bancales. Longtemps.

[Zwei est publié en vinyle par Teenage Menopause et Cry Baby records – ps : et plus belle pochette de l’année, pour l’instant]