Je me sens
complètement désarmé face à un tel disque. Et c’est tant mieux. Armelle Oberlé
(au chant, aux textes et aux instruments) accompagnée d’Olivier Demeaux (tout, y compris
le reste) nous avaient déjà fait le coup en 2016 avec un magnifique premier
album sans titre qui s’était facilement glissé au milieu des disques essentiels
d’une année plutôt étrange – OK : ceci est une remarque à caractère
purement personnel et en fait je ne me rappelle déjà plus beaucoup de cette année
2016, sauf de quelques tours de passe-passe incompatibles avec le monde réel.
Mon papa germaniste et très efficace en son temps (celui du post-stalinisme
triomphant des 70’s) aurait sans aucune hésitation traduit HEIMAT par « patrie »
mais efficacité n’est pas raison et heimat c’est aussi : son
chez-soi, l’endroit d’où l’on vient mais également celui où on aime revenir,
celui où on se sent bien, celui que l’on s’est construit, là où sont nos
racines mais également notre cœur. Un endroit que l’on s’est aussi choisi. Les
Anglais appellent ça home et des fois les Maghrébins parlent de leur
bled dans ce sens là.
Armelle – Bisous-Bisou pour les intimes – et Olivier nous avaient déjà habitués
avec leurs précédents groupes à regarder au delà et à écouter à côté : The
Dreams et sa tropicalité froide, Cheveu s’associant à Group Doueh… Avec Heimat ils vont
encore plus loin, en convoquant musiques et langages d’ailleurs (et langues,
sauf le français) puis s’en servant pour façonner le noyau multi-nucléaire d’une
musique qui ne peut être définie – attention c’est le grand moment de facilité
rhétorique de cette chronique – que par elle-même, au moment de l’expérience de
l’écoute. Heimat, donc : c’est-à-dire les musiques d’où viennent
ces deux-là, celles vers lesquelles ils veulent aller, celles qu’ils inventent
ou réinventent, là où ils sentent bien, chez eux.
Zwei multiplie les emprunts / citations / influences mais il n’est pas du
tout question de réappropriation ni même de fusion, ce concept tellement occidental
inventé en même temps que celui de world music par des musiciens de salon en
panne d’identité et des producteurs artistiques en manque de trésorerie. On
notera toutefois moins d’effluves indiennes et extrême-orientales par rapport
au premier album, Zwei se contentant, façon de parler, de faire le grand
écart entre Europe balkanique et Maghreb et tout ce qu’il y a ou presque entre
les deux. Stylistiquement, c’est un peu la même chose. La musique d’Heimat lorgne du côté
de l’indus fantomatique, de l’electro expérimental, du folk mais jamais
vraiment du rock, cette chose annihilée par les beaufs électriques depuis des
décennies. Tout ça en prenant la forme
de comptines inquiétantes, d’envolées claustrophobes, de mélopées glaciaires,
de glissements aériens, de balades lugubres, de crises de théâtralité martiale.
Chez Heimat on ne rigole pas mais on ne verse pas non plus dans le
sordide sentimental, même pour plaisanter entre amis parce que ça ferait genre.
Le duo tisse plutôt un enchevêtrement de voilages à base de mélancolie
rassurante – que peut-il y avoir de plus proche d’un chez-soi qu’une telle
mélancolie ? – et brodés de petits mystères. Un peu comme des points
lumineux brillant de façon ténue dans la demi-obscurité d’une pièce ou des cailloux
ramassés par terre et dont on a décidé qu’ils ne sont pas que jolis, devenant à
nos yeux autant de pierres précieuses aux éclats fugaces et émouvants,
imparfaits mais tellement chérissables. Et puis il y a le chant d’Armelle,
aussi multiple que les langues employées (?) pour les textes de ses chansons. Prêtresse
des ombres, passante insaisissable, diva criarde, comédienne de l’intimité, compteuse
tout simplement. Cela fait longtemps que l’on connait sa voix et qu’on
l’écoute. Cela fait longtemps que l’on aime sa détermination et ses errances,
ses salves et ses dérapages, son lyrisme et son acidité. Sa grandeur et sa
grâce bancales. Longtemps.
[Zwei est
publié en vinyle par Teenage Menopause et Cry Baby records – ps : et plus belle pochette de l’année, pour l’instant]