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mercredi 5 décembre 2018

iSaAC / Évasions Manquées


Évasions Manquées : lorsqu’il a atterri entre mes petites mains un beau jour de septembre, je n’ai pas eu la présence d’esprit de demander aux trois membres d’iSaAC d’où venait le nom – tellement énigmatique – du nouvel album du groupe. La réponse est très simple et elle figure sur la pochette du disque : Nu Aux Ecchymoses est une peinture de Paul Rebeyrolle et elle fait partie d’une série intitulée…  Évasions Manquées. Qu’est ce qui a poussé un groupe de Reims à nommer son disque d’après une série de peintures exécutées entre 1979 et 1982 par un artiste originaire du Limousin ? Quelles visions ces peintures ont-elles fait naitre chez les trois musiciens ? Quelles révélations, quelle épiphanie ? Je n’en sais rien mais j’aime énormément ce genre de mystère parce qu’il s’agit d’un mystère qui me « parle »….
Nu Aux Ecchymoses est une œuvre figurative dont tout réalisme ou plutôt naturalisme est en fait absent : ce corps nu accroupi sur tas un tas de déchets (?) tentant de masquer son visage et une partie de son corps derrière des vêtements en lambeaux pourrait tout aussi bien être un fantôme échouant à s’arracher à la violence du monde ; un corps torturé de vie souhaitant se transformer en cendres. Ce que le tableau transmet avant tout, ce sont les sentiments de noirceur, de colère. Et pourquoi pas de révolte également. Plus simplement il me semble qu’en choisissant cette peinture iSaAC a voulu donner quelques indices sur l’identité de sa musique. Une identité de mouvements, de progression chromatique à peine constante, de noirceur faiblement éclairée, une représentation fuyante, mais en vain.





La dernière fois qu’iSaAC avait donné de ses nouvelles c’était pour
un split partagé avec Térébenthine (2014) qui, déjà, faisait largement oublier les premiers enregistrements du groupe (Herpès Maker, un CD datant de 2011). Mais c’était il y a quatre ans. Et de publication en publication iSaAC ne cesse d’évoluer et de surprendre. Chose difficile pour un trio qui pratique une musique instrumentale qui à ses débuts faisait principalement se rencontrer noise-rock taillé au silex et mathématiques appliquées. Les changements sont désormais aussi subtils qu’ils sont réels : iSaAC ne cherche plus à compliquer les choses ni à surligner ses intentions pour s’exprimer. Au contraire le groupe dégraisse et dépèce à tout-va, joue énormément sur les ambiances et les répétitions, dramatise parfois en exposant quelques moments d’emportement mais se refuse à jouer la carte de la progression théâtralisée et grandiloquente – iSaAC n’est pas un groupe de post-rock qui joue au yo-yo sentimental et démagogique. Par contre ce qui est très étonnant et très original, c’est ce processus qui pousse les trois musiciens à utiliser frontalement la carte de la répétitivité et celle du délitement. Le monde tangible et appuyé ne disparait pas vraiment… il se déforme, il se transforme, se recroqueville et se ramifie en même temps ; sa mutation est énigmatique mais semble t-il nécessaire, nouvelle incarnation d’un gris diaphane mais authentique.
On se perd dans les trois longues compositions d’Évasions Manquées. On s’y perd parce qu’encore une fois le principe de narration – avec un début, un milieu et une fin, youpi – en est absent : Aliocha, Molloy et Évasions Manquées se vivent à la seconde près, comme lorsqu’en marchant de nuit on suit son ombre qui avance en décalé sur le trottoir. Mieux : cette ombre s’allonge, s’altère, dévie, disparait à intervalle régulier. Puis elle réapparait à chaque fois que marchant toujours on franchit la limite du halo d’un nouveau lampadaire ; toujours la même ombre mais différente dans ses formes et ses mouvements, sorte de cinématique d’un état naturel et infini. Les « débuts » de chaque composition sont donc abrupts tout comme les « fins » sont frustrantes. Ces débuts et ces fins qui n’en sont pas vraiment parce que ce qui compte c’est ce qu’il y a entre les deux, cette itinérance infinitésimale au fantastique indicible, ni inquiétant ni rassurant. Juste complètement ailleurs. C’est un rêve.