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mercredi 19 décembre 2018

Big'N / Knife Of Sin


L’année 2018 se termine bientôt et je m’apprête à chroniquer un tout nouvel enregistrement de BIG’N… ces derniers temps ma petite vie merdique est décidemment pleine d’imprévus et débordante de surprises. Un léger doute m’avait cependant effleuré au début de l’été lorsque le groupe américain et vétéran du noise-rock canal historique avait ouvert un nouveau compte sur un réseau social bien connu pour sa frivolité et ses vidéos de chats afin d’y poster quelques vieux souvenirs mais aussi des photos visiblement très récentes de répétitions et de sessions d’enregistrements… Big’N semblait vouloir remettre ça pour la deuxième fois de son existence chaotique.
Pour rappel la toute première c’était en 2011 lorsque feu le label Africantape avait publié Dying Breed, une compilation de singles et de raretés du groupe (séparé depuis 1997) mais également et surtout un nouvel enregistrement de Big’N sous la forme d’un 10’ de quatre titres : l’excellent Spare The Horses. Toujours sous l’impulsion d’Africantape Big’N avait alors traversé l’Atlantique – une grande première – pour donner trois concerts en France dont celui, complètement barge et encore dans beaucoup de mémoires, de l’Africantape Festival organisé à Lyon avec l’appui de Grrrnd Zero (et oui). Que de souvenirs.
Deux années plus tard Big’N était revenu tourner en Europe, cette fois-ci avec un nouveau bassiste, martyrisé comme il se doit. Le groupe était toujours aussi puissant, sombre et fou. Mais depuis plus aucune nouvelle et l’affaire semblait entendue que Big’N émargerait définitivement à la caisse de retraite. C’était finalement mal connaitre William Akins (chant), Todd Johnson* (guitare) et Brian Wnukowski (batterie) désormais accompagnés de Fred Popolo** (basse). Et Big’N de confirmer donc son éternel retour avec Knife Of Sin, un mini album de six titres qui vient de paraitre sur un tout nouveau label du nom de Computer Students



Dans un premier temps, il est impossible de ne pas écrire quelques mots au sujet de la présentation du disque et de son emballage dans une sur-pochette en plastique gris aluminium opaque comme si elle contenait une matière dangereuse/radioactive ou un instrument chirurgical stérilisé. Après avoir découpé le haut de ce suremballage on peut en extraire la véritable pochette de Knife Of Sin et découvrir son artwork annonciateur d’une inévitable boucherie. Vous me direz que tout ceci a l’air magnifiquement soigné et, effectivement, ça l’est… mais quand même c’est un peu le bordel pour réussir à caser correctement son exemplaire de Knife Of Sin sur une étagère à disques (haha). Et puis la musique reste malgré plus importante qu’un enrobage conceptuel, non ? 
Alors... Un homme obsédé est un homme possédé par le démon et en 2018 la musique de BIG’N est plus obsessionnelle et plus enragée que jamais avec cette façon d’appuyer là où cela fait très mal et d’aller toujours plus loin. On aurait tort de se fier trop facilement aux compositions du groupe, faussement simplistes et ne semblant reposer que sur une paire de riffs répétés avec un mélange de lourdeur frénétique et de froideur martelée – et toujours ce groove incroyable qui culmine en donnant à tous les non-danseurs de cette planète lenvie de se tordre le cou et de se casser le dos en deux, incitation à un headbanging sauvage sans hésitation ni retenue. Car malgré la noirceur tendue de Knife Of Sin il y a quelque chose de réjouissant à constater qu’avec ces six nouveaux titres Big’N en est toujours au même point, douloureux et inquiétant, d’un noise-rock psychopathe et à la limite de la démence.
Question défouloir bilieux tout est effectivement parfait, incluant nécessité absolue et motivation carnassière qui aujourd’hui encore constituent toujours la ressource principale des quatre américains adeptes d’un terrorisme de l’exutoire et d’un nihilisme dangereux mais nécessaire, périlleux mais vital, destructeur mais purificateur. Rien de tel pour se débarrasser de sa haine et de sa violence que de les exacerber en les exposant dans sa musique, d’en faire un sujet puis un objet et enfin un moyen de les supporter. C’est ce qui fait le lien entre Big’N et les Dazzling Killmen, le groupe météorite et tellement obsessionnel de Nick Sakes au début des années 90***. Mais dans Big’N on retrouve également le côté chirurgical d’un Shellac – Knife Of Sin a été enregistré au Electical Studio d’Albini dont on reconnait le rendu mat et sec de la prise de son – et la fougue d’un Jesus Lizard (Hog Hell) … pourtant ce qui séduit le plus ce sont les chansons Songs To End All Songs et surtout Sunk, moins frontales au départ et sur lesquelles Akins murmure quelques grincements écorchés avant de retrouver ses hurlements de bête féroce. L’effet n’en est que plus pétrifiant. Et Big’N envoie au diable tous les groupes qui tenteraient de jouer avec l’idée de rédemption ; trop souvent ils n’ont pas grand-chose à recracher, juste un peu de morve acide alors qu’avec Big’N les tripes à l’air et le sang sur les murs sont la seule façon d’exister.

[pour écouter Knife Of Sin il suffit de se rendre tout en bas de cette page]

* il en a peut-être marre qu’on le rappelle à chaque fois mais il est le frère de Al Johnson de Shorty/US  Maple
** lequel jouait en fait avec Wnukowski au sein de Haymarket Riot
*** juste pour le plaisir : réécouter Face Of Collapse