Je me rappelle qu’à propos de Todd – l’un des précédents projets de Graig Clouse – et du tout dernier album que ce groupe ait jamais publié*, un esprit supérieur m’avait lancé d’un air profondément méprisant et hautain : « mais comment peux-tu aimer ça ? on dirait le bruit d’une machine à laver en train d’essorer ! ». Je n’avais pas cru bon de relever l’insulte, confirmant juste mon adoration masochiste pour ce disque sans préciser que c’était pour cette raison précise que j’aimais tant la musique de Todd, pour cet énorme bordel centrifugé et nauséeux, cette envie de vomir qui me prenait sans pouvoir y arriver, le crâne qui explose à cause de mon cerveau congestionné faute de suffisamment d’oxygène, le cou serré par le cordon gluant de mes propres tripailles éclatées. Ce n’était pas la peine d’aller rechercher plus loin (dans le rayon d’une boucherie floridienne par exemple) de la viande avariée et cette sale odeur de mort comme une incitation à me rouler dans la charogne et à me chier dessus. Mais Todd a cessé d’exister et Graig Clouse s’est pleinement consacré à Shit And Shine**, son projet electro/pipo-bimbo aussi déformé que versatile, démarré aux alentours de 2004 et toujours actif à ce jour.
Et voilà qu’en 2017 la grande nouvelle est tombée : Graig Clouse était de retour avec un nouveau groupe axé guitares et douleurs diarrhéiques. Un groupe 100% texan, Austin pour être encore plus précis. Et bien que les indications géographiques m’emmerdent de plus en plus – surtout par les temps qui courent, le patriotisme musical est comme toutes les autres formes de revendications identitaires et territoriales, un narcissisme conflictuel à l’échelle d’égos nationaux sans rapport avec la liberté de la musique – je ne peux pas m’empêcher de le signaler puisque les trois membres permanents de USA / Mexico ont du se croiser un paquet de fois dans la vie avant de monter un groupe ensemble. Aux côtés de Graig Clouse (guitare et voix) on retrouve ainsi Nate Cross à la basse (anciennement dans When Dinosaurs Ruled The World***) et King Coffey à la batterie (oui… il s’agit bien du batteur des Butthole Surfers mais aussi de celui qui avait monté dans les années 90 l’incomparable label Trance Syndicate). Rien que sur le papier un tel line-up exsude le bordel psychotique et l’aliénation bruitiste, un gros et vrai scandale explosif et borderline.
USA / Mexico est à la base un titre de Shit And Shine (sur l’album 229-2299 Girls Against Shit) mais j’y vois également comme une sorte d’allusion sarcastique voire politique au pays de Trump – la frontière entre les USA et le Mexique fait 3200 kilomètre dont la moitié se situe entre le Texas et le Mexique. Premier album du trio, Laredo est le nom d’une ville frontalière sur le fleuve Rio Grande (que les mexicains appellent eux Rio Bravo, va comprendre) et l’un des symboles de l’abjection sécuritaire et la politique d’exclusion de l’administration américaine actuelle. Tout comme Matamoros, deuxième album de USA / Mexico, puisqu’il s’agit également du nom d’une ville entre USA et Mexique (située cette fois côté mexicain et quasiment sur la côte atlantique). Il y a plusieurs façons de mettre les pieds dans le plat comme celle consistant à ouvrir en grand sa gueule avec des textes en forme de slogans ou celle, que je préfère, qui se contente de laisser exploser sa rage au travers de la musique. USA / Mexico n’est pas vraiment un groupe frontalement politique mais il ne fait aucun doute Graig Clouse, Nate Cross et King Coffey sont là pour appuyer là où ça fait mal, ils jouent surtout une musique aussi gluante qu’explosive, aussi lourde que malsaine, aussi irrespirable qu’épuisante, aussi dérangée que bruyante où chaque son – celui de la voix, celui de la guitare, celui de la basse, etc. – est déformé, trituré, éclaté, recomposé en un magma étouffant et malade, chiasse et vomi comme arguments ultimes d’un noise-rock pyromane, obscène et nihiliste, qui n’en finit pas se réinventer, même en 2019...
Matamoros ferait presque passer Laredo pour une série d’explosions de pétards pour la fête des morts : lorsque un groupe fait à peu près la même chose que précédemment mais en tellement mieux parce qu’il a enclenché la vitesse supérieure de la grande essoreuse malaisante, mêlant vertiges et nausées, fracassant tous nos repères essentiels (la platine tourne-t-elle à la bonne vitesse ? le vinyle est-il rayé ? mon sonotone s’est-il subitement déréglé ? qu’est ce que je fais enfermé dans mon four à micro-ondes en compagnie d’une barquette de hachis parmentier surgelé ?), sublimant un cauchemar de bruits en rêve insupportable et laissant le délire total supplanter toute forme de raison, il n’y a plus d’autres issues possibles que la capitulation, une longue chute en avant dans les abysses délicieusement tortueux d’un Enfer surchauffé par la fin imminente du monde extérieur, les os cramés aux défoliants, le sang se durcissant comme de la pierre empoisonnée.
Sur Matamoros il y a également deux musiciens invités et pas n’importe lesquels. Kevin Whitley de Cherubs (Austin, Texas…) apparait sur le deuxième titre du disque : Shoofly est précisément une reprise de Cherubs mais j’ai beau la réécouter je ne reconnais rien de la version originale**** tant tout y est déformé, ralenti et complètement détraqué. Quant à George Dishner de Spray Paint (encore un groupe d’Austin…) il rajoute de la guitare spectro-bruitiste sur Anxious Whitey soit dix sept minutes de chaos répétitif et de bouillie de sensations, de désordre mental. Une composition qui occupe quasiment toute la seconde face de Matamoros – qu’elle partage avec Vaporwave Headache, le titre le plus rapide mais aussi le plus évident du disque – et qui cristallise tout l’art démolisseur et subversif de USA / Mexico. Rarement j’aurais écouté un groupe aussi anticonformiste et complètement ravagé que ce trio qui avec son deuxième album se moque des vivants sursitaires, sains d’esprits, donneurs de leçons et conformistes. Qui se moque des démagogues privilégiés qui tapent toujours sur les mêmes en espérant qu’il y ait le moins de mécontents possible mais sans se rendre compte qu’un jour il ne restera plus personne, sauf eux. Au moins USA / Mexico tape sur tout le monde. Les murs s’écroulent, les certitudes également.
Matamoros ferait presque passer Laredo pour une série d’explosions de pétards pour la fête des morts : lorsque un groupe fait à peu près la même chose que précédemment mais en tellement mieux parce qu’il a enclenché la vitesse supérieure de la grande essoreuse malaisante, mêlant vertiges et nausées, fracassant tous nos repères essentiels (la platine tourne-t-elle à la bonne vitesse ? le vinyle est-il rayé ? mon sonotone s’est-il subitement déréglé ? qu’est ce que je fais enfermé dans mon four à micro-ondes en compagnie d’une barquette de hachis parmentier surgelé ?), sublimant un cauchemar de bruits en rêve insupportable et laissant le délire total supplanter toute forme de raison, il n’y a plus d’autres issues possibles que la capitulation, une longue chute en avant dans les abysses délicieusement tortueux d’un Enfer surchauffé par la fin imminente du monde extérieur, les os cramés aux défoliants, le sang se durcissant comme de la pierre empoisonnée.
Sur Matamoros il y a également deux musiciens invités et pas n’importe lesquels. Kevin Whitley de Cherubs (Austin, Texas…) apparait sur le deuxième titre du disque : Shoofly est précisément une reprise de Cherubs mais j’ai beau la réécouter je ne reconnais rien de la version originale**** tant tout y est déformé, ralenti et complètement détraqué. Quant à George Dishner de Spray Paint (encore un groupe d’Austin…) il rajoute de la guitare spectro-bruitiste sur Anxious Whitey soit dix sept minutes de chaos répétitif et de bouillie de sensations, de désordre mental. Une composition qui occupe quasiment toute la seconde face de Matamoros – qu’elle partage avec Vaporwave Headache, le titre le plus rapide mais aussi le plus évident du disque – et qui cristallise tout l’art démolisseur et subversif de USA / Mexico. Rarement j’aurais écouté un groupe aussi anticonformiste et complètement ravagé que ce trio qui avec son deuxième album se moque des vivants sursitaires, sains d’esprits, donneurs de leçons et conformistes. Qui se moque des démagogues privilégiés qui tapent toujours sur les mêmes en espérant qu’il y ait le moins de mécontents possible mais sans se rendre compte qu’un jour il ne restera plus personne, sauf eux. Au moins USA / Mexico tape sur tout le monde. Les murs s’écroulent, les certitudes également.
* Big Ripper, déjà chez Riot Season – les deux premiers et excellents albums de Todd sont sortis chez Southern records
** pendant que j’y suis : Shit And Shine… mais la discographie du groupe est tellement étalée et diversifiée qu’il convient de ne pas s’arrêter à l’écoute d’un seul album
** pendant que j’y suis : Shit And Shine… mais la discographie du groupe est tellement étalée et diversifiée qu’il convient de ne pas s’arrêter à l’écoute d’un seul album
*** pour celles et ceux que cela intéresse : When Dinosaurs Ruled The World
**** que l’on trouve sur l’album Icing
**** que l’on trouve sur l’album Icing