Tout le monde ou presque connait l’histoire de CULT LEADER. Ou en tous les cas devrait la connaitre : avant Cult Leader il y avait Gaza, groupe un peu à part dans le monde étriqué et complaisant du metal noise hardcore gnagnagna puisque insufflant brillamment dans sa musique quelques éléments doom et sludge et surtout faisant preuve d’une certaine intelligence, d’une certaine finesse et même d’originalité – ce qui fait toute la différence au pays des barbares musicaux stéréotypés et poseurs. Gaza se différenciait également par la personnalité très (trop ?) envahissante et la stature hors-normes de son chanteur arachnoïde et géant Jon Parkin, lequel sera également la cause sordide de la fin prématurée du groupe en mars 2013 : soupçonné de viol Jon Parkin est viré par les trois autres qui décident de continuer quand même mais sous un autre nom, engagent un nouveau bassiste parce l’ancien va désormais s’occuper du chant. Et c’est reparti mon kiki : Cult Leader est né.
La continuité stylistique entre Gaza et Cult Leader ne fait aucun doute, le second reprenant une grande partie du credo musical du premier, une filiation que l’on peut toutefois juger un peu trop évidente sur le premier EP Nothing For Us Here – son titre manifestant malgré tout un nécessaire désir de rupture – puis s’atténuant quelque peu sur Lightless Walk, premier album publié par Cult Leader dès 2015. Tu as passionnément aimé Gaza ? Alors il y a de fortes chances pour que tu aimes également Cult Leader, le groupe de Salt Lake City prenant bien garde de ne jamais renier son héritage et donc de ne pas contrarier ses vieux fans tout en élargissant malgré tout son champ d’action : publié en novembre 2018 le deuxième album du groupe intitulé A Patient Man se veut encore plus dark que précédemment mais pas dans le sens métallurgique du terme, non, plutôt dans celui d’un plus doom toujours plus mortellement atmosphérique et même des fois carrément goth.
Par contre il y a des choses qui ne changent pas sur A Patient Man à commencer par l’entrée en matière constituée par I Am Healed, grosse pétarade hardcore ultra rapide mais tordue comme il faut aux entournures, ça fait mal et ça donne le tournis comme un bon vieux Converge des familles, les anciens maitres du genre (ça c’était il y a longtemps). Curse Of Satisfaction suit directement (quoi qu’en mode alourdi) puis Isolation In The Land Of Milk And Honey complète un trio de tête qui permet à Cult Leader de s’imposer comme une bonne grosse machine à fracasser les crânes. Là, j’avoue que je me laisse un peu faire, j’aime bien ce genre de chatouilles de temps en temps et puis le groupe est très impressionnant sans être barbant et le chant est plus convaincant que celui de la moyenne des hurleurs hardcore. Cependant Isolation In The Land Of Milk And Honey marque également le début d’une rupture grâce à son final tout en glissements qui aboutit à… To Achyls, une composition résolument acoustique et décharnée sur laquelle se place un chant très (très) grave, un peu trop collant toutefois pour faire concurrence à celui d’un Michael Gira (Swans) ou d’un Peter Steele (Type O Negative) mais l’idée est là, dans cette volonté de faire du tragique et du romantique, du contemplatif torturé. Et ça fonctionne plutôt bien à condition de ne pas prêter trop d’attention aux paroles (« If I could see the sun just one last time I would be made new », ahem).
A World Of Joy (si on excepte sa toute dernière minute) et A Patient Man sont dans la même lignée d’un rock gothique parfumé aux pétales de roses fanés tandis que Craft Of Mourning et Aurum Reclusa constituent de nouvelles tornades impitoyablement convergiennes. Cult Leader est donc un groupe bipolaire. Reste le cas à part de Share My Pain qui est principalement un mid tempo conduit par une guitare bien carrée enquillant des riffs lourds et tortueux et surtout celui de The Broken Right Hand Of God. Placé en toute fin du disque cette dernière composition peut rappeler les moments les plus calmes et les plus assouplis de Corrupted : The Broken Right Hand Of God est uniquement perturbé en son milieu par une fulgurance restant toujours dans le registre de la lourdeur, l’ensemble sonnant comme une sorte de doom confortable et théâtreux, encapuchonné et sentimental. Je serai un adolescent tout juste pubère, encore puceau et désespérément frustré par des désirs inassouvis et gentiment pervers que j’adorerais The Broken Right Hand Of God, final tendu juste ce qu’il faut mais pas de trop quand même pour un disque aussi défouloir que pseudo-signifiant. Le truc c’est que je ne suis plus un adolescent priapique depuis très longtemps mais que j’aime quand même bien* A Patient Man.
* et si j’avais envie pour une fois de mettre une note comme dans les webzines sérieux et consciencieux ce serait un 12/20