Je crois que c’est Oscar Wilde qui affirmait qu’ « il ne faut pas se fier aux apparences, beaucoup de gens n’ont pas l’air aussi bête qu’ils ne le sont réellement ». Je ne sais jamais trop quoi faire de cette assertion venant d’un homme qui a pourtant écrit un livre sur les apparences et la vanité avant de se faire engeôler parce qu’il était un homosexuel doublé d’un irrévérencieux affirmant la nécessaire indépendance de l’esthétique avec l’éthique et de l’art avec la morale – ce qui ne signifie pas, bien au contraire, qu’il n’avait aucune morale ni aucune éthique mais en cette lointaine époque victorienne et puritaine chatouiller et contredire l’ordre établi n’était considéré que comme un acte subversif et non pas comme une pensée possiblement autre (c’est le risque de la provocation et du scandale… bien qu’il faille souvent voire nécessairement en passer par là pour faire avancer les choses).
Mais mon problème c’est d’abord l’affectif (oui, bon, OK, c’est le problème de beaucoup de personnes). Donc j’apprends que Tim Garrigan et David McClelland ont monté un groupe ensemble du nom de SKRYPTOR et dont le premier album Luminous Volumes vient d’être publié chez Sleeping Giant Glossolalia et Skin Graf. Tim Garrigan est très cher à mon cœur parce qu’un beau jour il a intégré le line-up des Dazzling Killmen avec lesquels il a enregistré le meilleur album du groupe et l’un des meilleurs disques de noise-rock viscéral et torturé de tous les temps, Face Of Collapse ; David McClelland était guitariste et co-fondateur de Craw, autre groupe responsable d’enregistrements tout aussi obsédants, en particulier Lost Nation Road. Là vous me voyez venir de loin avec mes gros sabots crottés, mes oreilles pointues et mes cornes de vieux bouc puant : Dazzling Killmen + Craw = garantie de qualité supérieure. En tous les cas moi j’y croyais, malgré un teasing mitigé via la compilation Post Now : Round One – Chicago vs New York. Mais les tiraillements révélés par Red Mountain (qui figure à la fois sur la compilation et sur le premier album de Skryptor) n’étaient malheureusement pas de simples accidents de parcours mais bien les indices de défauts insurmontables et de fautes de goûts impardonnables.
Laissons de côté le cas de David McClelland qui avec ce nouveau groupe est passé de la guitare à la basse ; en compagnie du batteur Hank Shteamer il ne fait qu’assurer qu’une rythmique très efficace mais sans trop d’imagination. Le principal problème de Luminous Volumes est Tim Garrigan dont le jeu et le son de guitare sont régulièrement insupportables. Pas tout le temps, fort heureusement : la sécheresse et l’intensité de certains riffs sont fort appréciables et la plupart des compositions du disque démarrent sous les meilleurs auspices, il y a de quoi se laisser faire et se laisser emporter, cela en ferait presque oublier que Skryptor est un groupe complètement instrumental et que dans 95 % des cas les groupes de rock instrumental plus ou moins noise et électriques sont à mourir d’ennui. Pourtant l’effet ébouriffant ne dure pas suffisamment avec un Tim Garrigan qui s’étale tout qu’il peut et se lance dans de longs développements dont on sent bien qu’ils sont portés par une réelle volonté de stratosphérisme mais qui se retrouvent plombés par une glue délayée particulièrement pénible (un exemple ? à partir de la quatrième minute de Lotus And Maze et ce solo dégoulinant).
L’argument qui consisterait à dire que voilà des musiciens qui ne se sont pas contentés de refaire ce qu’ils avaient fait dans le passé et qui ont voulu aller de l’avant ne tient pas : dans les désormais très lointaines années 90 Tim Garrigan et David McClelland jouaient une musique innovante et passionnante alors qu’avec Skryptor ils tombent dans les travers d’un rock progressif balourd, complaisant, gras et mou du bide. Autrement dit, ils ont rétropédalé dans la semoule et le boulgour. Il est fâcheux de constater que les deux meilleurs passages de Luminous Volumes sont constitués par les intermèdes The Orchad (part 1 et part 2) qui pétillent de dissonances humoristiques et davantage expérimentales. Mais au final c’est bien peu et surtout extrêmement frustrant, laissant entrevoir ce que Skryptor aurait pu être si le groupe n’avait pas choisi une esthétique aussi pompière en provenance directe d’un Crétacé musical dont même la progéniture de David Gilmour et Joe Satriani ne pourrait être tenue comme responsable.
J’aurais donc du me fier aux apparences : ce nom de Skryptor sonne comme celui d’un groupe de hard-rock métaphysique trop aveuglé par son amour pour le roi cramoisi sans faire quelque chose de toutes les richesses héritées de la musique de ce cher Robert et la pochette de Luminous Volumes ressemble à la couverture d’un mauvais livre de science fiction dont Luc Besson n’arriverait pas à tirer un téléfilm. Malheureusement ce disque possède plus de faux airs intelligents que d’intérêt réel. Tant pis. Et comme je crois et croirai toujours en l’affectif j’écouterai malgré tout le prochain disque de Skryptor, si toutefois le groupe décide d’en enregistrer un autre.