Vous n’avez jamais eu l’impression de vous faire avoir ? Non, pas toujours.
Fun House des STOOGES est mon disque préféré de tous les temps. Je l’ai écouté des centaines (milliers ?) de fois de façon obsessionnelle et tous les ans je fais également mon petit pèlerinage personnel et intérieur en réécoutant l’intégralité des sessions d’enregistrement de Fun House grâce à un gros pavé de sept CD édité par Rhino en 2000. Quand j’étais gamin je m’étais également mis à écouter toutes les reprises que je pouvais trouver des Stooges, principalement des reprises de titres des deux premiers albums – parce qu’après c’était devenu « Iggy And The Stooges » et que ce n’était plus tout à fait pareil. C’est de cette façon que j’ai découvert tant de groupes qui aujourd’hui sont toujours aussi importants pour moi – The Birthday Party qui reprenait Loose ou les Sonic Youth et leur version de I Wanna Be Your Dog – et d’autres difficilement écoutables une fois passés les errements gothico-romantiques de l’adolescence (les Sisters Of Mercy reprenant 1969). Mais ce qui me semble toujours aussi primordial avec Fun House c’est le nombre de musiques auxquelles je me suis finalement intéressé après : le punk donc, mais aussi la musique psychédélique, le noise rock évidemment et jusqu’au free jazz. Il y a toujours cette question complètement débile que l’on pose régulièrement aux fans de musique : quels disques à emporter sur une île déserte ? Il me serait impossible de n’en choisir que dix ou même cent – car, après tout, pourquoi celui-ci plutôt que celui là ?… je n’en sais rien et je ne veux pas le savoir. Par contre je sais que si je ne devais emporter qu’une seule musique avec moi ce serait celle contenue dans Fun House.
Fun House a pour la première fois été publié le 4 aout 1970. Je l’ai découvert en 1984 via un article dans Enfer Magazine* et via une édition vinyle au rabais, une énième version avec pochette tronquée et qualité de pressage a minima. Je possède toujours ce LP acheté lorsque je n’avais même pas quinze ans et d’autant plus inécoutable aujourd’hui que je l’ai usé jusqu’à l’os. Puis j’ai acheté une autre réédition cette fois-ci faisant honneur à la musique de Fun House et reprenant la pochette gatefold originelle donc comprenant cette photo des Stooges complètement incroyable, avec les quatre allongés sur un tapis d’un studio d’enregistrement – Ron Asheton et sa Croix de Fer autour du coup, Iggy en mode sexuel et vaguement débraguetté, Dave Alexander toujours aussi discret et amorphe (i.e. défoncé) et Scott Asheton façon belles épaules et étoile tatouée. Des types assurément dangereux. Et un disque insurpassable.
Pour établir un mausolée à la gloire de Fun House Rhino avait donc édité à la fin du millénaire dernier le coffret CD mentionné plus haut avec toutes les sessions studios de l’album, des petits bout de plastique regorgeant de prises différentes des sept compositions de l’album, plusieurs fois de suite. Un truc épuisant, comme le fut parait-il l’enregistrement qui a mis à mal les quatre Stooges enfermés dans un studio de Los Angeles (pas trop loin de leur maison de disques Elektra mais bien loin d’Ann Arbor et de leur Michigan natal). Logiquement – façon de parler – Rhino a sorti cette année un coffret pour les cinquante ans de Fun House mais en vinyle cette fois ci. Un « objet » strictement édité à 1970 exemplaires numérotés et vendu au départ pour la très coquette somme de $ 399.98 – soit 380 €uros environ – mais cette édition étant bien évidemment épuisée, je n’ose imaginer les prix à la revente sur les sites spécialisés pour collectionneurs. Nous ne sommes plus ici dans le domaine de la musique mais dans celui de l’artefact et de l’argent, un côté obscur du business musical et qui me dégoute particulièrement. Le coffret vinyle comprend l’album reparti sur deux 12’ tournant en 45 tours (mais pour quoi faire ?), toutes les sessions studio, deux singles, un live, un livre et deux ou trois gadgets. Quelque chose à l’intention des gens riches et des fous**.
Parallèlement Third Man records a mis en place une exposition autour de Fun House et a édité un enregistrement en concert intitulé Live At Goose Lake – August 8th, 1970. Il s’agit de la dernière apparition des Stooges avec le line-up originel, dans le cadre d’un gros festival aux côtés de quelques pointures de l’époque (Joe Cocker, Jethro Tull, Bob Seger, 10 Years After, Alice Cooper), aucune ne pouvant égaler la sauvagerie des Stooges jouant sur une scène rotative devant près de 200 000 personnes dont beaucoup chargées à l’acide, au PCP, à la kétamine et à la rabla. Un copieux livret de quatre pages nous apprend quelques anecdotes croustillantes ou sordides et accompagne un enregistrement de qualité un peu plus que passable – disons du niveau d’un bon bootleg. La basse de Dave Alexander est quasiment inaudible mais c’est normal car il était alors tellement défoncé qu’il n’arrivait pas jouer et a été viré du groupe par un Iggy très en colère juste après le concert. La prestation du groupe a l’air malgré tout incroyable mais il est difficile de se rendre exactement compte de quoi que ce soit avec une restitution sonore malgré tout aléatoire. A titre de comparaison, Have Some Fun – Live at Ungano’s 1970, le live inclus dans le fameux coffret vinyle des cinquante ans***, propose une prestation encore plus survoltée et tendue mais avec une qualité sonore cette fois ci vraiment médiocre.
Sans doute que Live At Goose Lake – August 8th, 1970 sert à pas grand-chose mais.... Mais je l’ai écouté, réécouté. J’ai lu et traduit comme j’ai pu les notes de l’insert. J’ai scruté la pochette, me désolant de cette photo prise de tellement loin qu’elle est complètement floue****, version stylisée et presque immatérielle d’un groupe et d’un concert ressurgis cinquante plus tard. Aucune place pour la nostalgie. Juste un objet de plus, cette fois-ci trouvable pour une vingtaine de brousoufs et qui ne me fera dire qu’une seule chose : écoutez plutôt et réécoutez encore Fun House, mon disque préféré de tous les temps, enregistré il y a cinquante ans par les Stooges. Le meilleur disque du monde, en vérité.
* cette anecdote adolescente est totalement authentique
** dans un autre genre on peut citer le récent coffret édité par Drag City et consacré à No Trend… la muséification d’une musique qui va complètement à l’opposé de ce que cherchait à faire le groupe
*** Have Some Fun – Live at Ungano’s 1970 se trouve très facilement sur les internets en téléchargement P2P, bande de voleurs
**** une photo semble t-il tirée du filmage de ce concert et dont on peut aisément retrouver quelques extraits ici ou là