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vendredi 28 août 2020

Taulard / Dans La Plaine


Je me suis fais (gentiment) engueulé parce qu’il n’y a pas très longtemps de cela j’ai osé mettre sur un même plan Les Négresses Vertes et Pottery, soit un groupe de chanson franchouillarde post alterno du siècle dernier pour vieux punks-babloches en manque de soleil et de Mojitos et un jeune groupe typique d’un supposé présent électrique et fougueux, trop péteux pour être impétueux, se contentant de citer ses sources et de les mélanger dans un shaker à bonne humeur en pensant que cela suffit pour faire de la musique intéressante. Comme tout le monde – exception faite des disciples de Faith No More and C° – ils finiront par comprendre que les mélanges peuvent devenir fâcheusement écœurant, dégouter comme un steak tartare et rendre malade comme un chien. On trouve toujours beaucoup trop de matière avariée et prête à consommer dans les drive-in des internets…




La musique de TAULARD, quartet peu conventionnel originaire de Grenoble, est tout le contraire d’une mixture indigeste gorgée d’émulsifiants et blindée aux excipients pour faire glisser le tout avec facilité – « peu conventionnel » signifie que le line-up du groupe est composé d’un bassiste, d’un batteur, d’un claviériste et d’un chanteur. Comme j’ai décidé de ne pas faire preuve de beaucoup d’imagination, je vais dire la même chose que tout le monde : Taulard est un groupe de synth-punk, en voilà une formule sans efforts. C’est vrai qu’il y a du punk et du synthétiseur là dedans, et pas une once de soupçon de guitare. Sans oublier une voix claire – rarement teintée d’effets – qui s’en fout d’être juste et des mélodies de chant qui dérapent presque constamment, souvent en fin de phrase, avec une note qui se trouve là alors qu’on s’attendait à en entendre une autre. Les rimes et le nombre de pieds ne sont pas non plus ce qui préoccupe le plus Josselin (le chanteur), pour lui l’important ce sont les mots qu’il a écrits, les paroles et les histoires qu’il veut mettre avec la musique de Taulard : ce n’est pas à la musique de dicter la place des mots et Josselin peut chanter en déviant comme on fait une balade en vélo en prenant son temps et qu’au bout d’un moment on s’aperçoit que l’on roule en zigzaguant au milieu de la route. Ou il peut chanter en laissant trainer sa voix n’importe où mais il peut aussi chanter tout droit et d’une voix énervée, comme sur le très punk (précisément) Baragouiner : il n’y a pas de règles.
Juste à côté Nico s’occupe des synthétiseurs (un Moog et un Yamaha, d’après ce que j’ai vu sur des photos en concert plus récentes que celles que j’ai prises il y a trop longtemps), accompagne parfois le chant en le doublant plus ou moins. Mais ça c’est quand il ne joue pas au premier plan des ritournelles qui creusent profondément des sillons dans la tête avec une fausse naïveté mélodique et quand il ne nappe pas la musique de Taulard d’une bonne couche d’acidité mélodique qui finit elle aussi par glisser en plaçant des notes qui surprennent et provoquent l’écart. Ce qui est frappant c’est la schizophrénie du chant comme du synthétiseur, entre mélodie et dérapage mais aussi entre punk et… et en fait je ne sais pas trop ; à chaque fois que surgissent ces phrases mélodiques qui dévient, ces notes auxquelles on ne s’attend pas, cette logorrhée, ces flots de mots qui ne s’arrêtent pas et qui deviennent musique je ne peux pas m’empêcher de penser que Taulard est un groupe vraiment à part. Mais j’entends bien également que Taulard est un groupe de punk. De post punk te dirait le spécialiste voulant pointer du doigt la froideur énergétique de cette musique : la rythmique basse/batterie (respectivement Jérôme et Nico) joue beaucoup l’urgence, malgré quelques coquetteries (le rythme chaloupé de Fixation, le dub réverbéré de Mon Embarras). Mais là encore il n’y a toujours pas de règles et le groupe n’est jamais aussi bon que lorsqu’il mélange un peu de tout et que l’on ne peut alors que s’attendre à l’inattendu (Disquette).

Je n’ai parlé que de musique, pour l’instant. Chez Taulard les textes sont en français et le groupe fait partie de ceux qui ont réussi à me rabibocher avec ma langue maternelle, en lui donnant une forme chantée qui correspond à l’énergie électrique de leur musique avec des paroles qui ne sont ni une succession de jeux de mots plus ou moins foireux, ni une suite de mots balancés parce qu’ils seraient choquants – d’ailleurs, qu’est ce que cela signifie ? – et encore moins la traduction d’une ambition de poète maudit tendance romantisme mortifère. Josselin n’hésite pas à répéter inlassablement J’Trouve Pas Mes Mots… et pourtant. Ses textes sont simples et directs, descriptifs (behaviouristes, peut-être ?) et ils racontent des petites histoires, des trucs plus ou moins intimes, en développant un sens de la poésie du quotidien chargée en petites choses importantes, une poésie que je ne retrouve que très rarement ailleurs. Pas de loufoquerie, pas d’effets de style outrancier mais de l’intime sans impudeur, de la vie en tranches plus ou moins épaisses et des rêveries solitaires à partager (Sur Les Hauts Plateaux). 
 
[Dans La Plaine est publié en vinyle par Broderie records qui est le propre label des gens de Taulard et dont c’est la toute première sortie ; il est précisé que « broderie » est en fait un terme musical désignant une « note dissonante ou inattendue » (tiens tiens) mais personnellement j’aime bien l’idée de pouvoir y mettre des sens différents comme celui de raconter des histoires et on peut se procurer Dans La Plaine pour 8 €uros seulement (plus le port) ainsi que les précédents enregistrements de Taulard en écrivant au groupe à villeportuairearobasegmailpointcom]