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lundi 9 décembre 2019

Shit And Shine / Doing Drugs, Selling Drugs





Des fois il y a des disques que l’on sent mieux que les autres et c’est exactement le cas de cet énième album de SHIT AND SHINE (au passage l’un des meilleurs noms de groupe de tous les temps). Dès que j’ai eu vent de Doing Drugs, Selling Drugs, dès que j’ai découvert sa pochette, dès que j’ai appris que ce disque marquait le grand retour de Shit And Shine sur le label Riot Season, j’ai su que j’allais aimer ça. Et effectivement j’aime vraiment ça.
Shit And Shine est l’autre formation de Craig Clouse, celui de USA / Mexico, un groupe que je vénère tout particulièrement. Enfin, « autre groupe » est juste une façon de parler parce qu’en fait Shit And Shine existe depuis tellement longtemps (une quinzaine d’années) et a publié tellement d’enregistrements (une vingtaine d’albums, une grosse douzaine de EP ou 12’) qu’il s’apparente finalement plus à un projet principal qui ne veut pas dire son nom. Et ce en dépit d’une versatilité assez ahurissante qui fait qu’avec ce groupe on ne sait jamais trop à quoi s’attendre avec un nouvel enregistrement avant de l’avoir réellement écouté : Shit And Shine a abordé tellement de styles différent – mais toujours avec le même crédo, foutre le bordel et faire mal – que suivre les errances de Craig Clouse peut s’avérer très fatigant. Mais quand on aime, hein…

Par exemple en 2018 Rocket recording avait publié un Bad Vibes très synthétique et extrêmement minimal mais complètement captivant parce que désaxé et névrotique. Les vieux fans de Shit And Shine se réjouiront sûrement d’apprendre quau contraire Doing Drugs, Selling Drugs* donne à nouveau une place de choix aux guitares tout en continuant à respecter son quota réglementaire de bidouilles bien barrées. C’est un peu comme si la bande à Craig Clouse** avait décidé de faire un triple salto arrière pour retrouver les dérapages noise de ses débuts tout en continuant à fricoter avec le harsh, le power electronics, l’electro glitch et autres joyeusetés à base de manipulations sonores et de synthèse (ils ont dit « drugs », non ?). 
Le tout est passé à la moulinette et au filtre d’une batterie de samplers maléfiques montés en réseau qui déforment, concassent et fracassent à peu près tout ce qui leur tombe entre les plug-ins. Il ne fait aucun doute que c’est de la guitare que l’on entend tout au long de l’album, il ne fait aucun doute non plus qu’il y a des voix quasiment inintelligibles qui surgissent dont ne sait où pour hurler des insanités… on peut parfois avoir un peu plus de doute sur la présence ou non d’une batterie (pourtant lorsque on écoute le début de Cooking Steaks In The Pocket on n’en a aucun) mais après c’est le grand trou noir, le monde à l’envers, l’antimatière comme seule limite puis un long processus de broyage neuronal, une suite de déjections soniques et bruitiste. Parfois le côté instrumental – traduction : avec des instruments pour de vrai et non pas synonymes de matière fissible pour névroses musicales de grande ampleur – prend un peu le dessus comme sur Kentucky Cellphone en collaboration avec Tropical Trash mais globalement Doing Drugs, Selling Drugs possède la forme d’un grand n’importe quoi gyroscopique et centrifugé des plus convaincants – non, ceci n’est absolument pas un paradoxe.

Les sept compositions de Doing Drugs, Selling Drugs répondent toutes à la même logique déstructurée – en gros on croit assister en direct à un remix de compositions coincées entre noise-rock et psychédélisme déviant par un robot autocuiseur sur lequel un apprenti terroriste en pleine détresse cosmique aurait préalablment greffé une carte son***. Tout fonctionne par boucles fermentées, compressées et finalement explosées. Le côté répétitif et donc aliénant ne fait aucun doute même lorsqu’on a trop abusé des anxiolytiques et pourtant ce sont bien des morceaux de musique de l’on écoute, je veux dire par là ou plutôt je prétends affirmer que ce gros bordel est aussi perturbant que passionnant et qu’il enterre presque toutes les tentatives de rock bruitiste de ces dernières années par son côté toxique, addictif et jouissif. La défonce musicale comme plaisir ultime, la déraison comme ligne de conduite, la perdition totale pour atterrir sur le cul dans la mélasse anxiogène de Hammerlock Through Shattering Glass et ses sept minutes de boucles tordues et malades.  
Shit And Shine est un groupe de tarés et Doing Drugs, Selling Drugs est un disque salement dégénéré, peut-être encore plus que le Matamoros de USA/Mexico qui plaçait déjà la barre très haut mais il s’agit surtout d’un disque complètement indispensable : sa démence, sa crasse et – surtout – sa liberté nous lave un peu de toute la merde de ce monde hypocrite et stérile.

[Doing Drugs, Selling Drugs est publié en vinyle vert transparent par Riot Season]

* en 2019 Shit And Shine aura sorti pas moins de deux albums : Doing Drugs, Selling Drugs (donc) mais également No No No No, un LP édité par OOH-Sounds
** actuellement le groupe comporterait trois membres avec Nate Cross et Jeffrey Coffey en plus de Craig Clouse : le line-up de Shit And Shine serait donc exactement le même que celui de USA/Mexico – l’emploi du conditionnel s’impose plus que jamais
*** peut-être que je me trompe mais Doing Drugs, Selling Drugs me donne envie de réécouter certains disques de Milk Cult, le side-project expérimental des Steel Pole Bath Tub