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vendredi 30 août 2019

Pylone / Silence


Le temps n’existe pas. C’est très exactement la première chose à laquelle j’ai pensé en découvrant Silence, le deuxième album des toulousains de PYLONE. Sur le moment j’ai tenté (non sans mal) de me rappeler de quand pouvait bien dater Things That Are Better Left Unspoken, le premier LP du groupe, parce que je n’y voyais que du feu : à l’écoute de Silence j’identifiais sans aucun problème et reconnaissais parfaitement toute la musique du groupe, sa couleur, son odeur, le travail des guitares, l’appui de la section rythmique, ce sens de la tension et de l’émotion, le chant très présent et l’importance des textes… comme si rien n’avait changé et que les deux disques étaient frères jumeaux.
Alors j’ai du vérifier un peu plus précisément la distance entre mes souvenirs personnels et ce retour de réalité. Things That Are Better Left Unspoken a été publié au début de l’été 2013. Et je me suis totalement retrouvé dans ce que j’avais écrit à son sujet à une époque pas si lointaine que cela – une autre vie, aussi semblable et pourtant aussi différente que possible de la vie actuelle. Cela aurait pu être une sorte de leçon vaguement existentielle pour moi : il y a des choses qui restent, qui semblent ne pas changer, que l’on retrouve avec le même bonheur. Mais je n’aime pas quand tout est aussi simple et je suis à peu près sûr que du côté de Pylone on pense à peu près la même chose. Cette introduction laborieuse n’a ainsi qu’un seul but : dire que finalement bonnes et mauvaises choses du passé font exactement le même boulot sur nous même si on privilégie les premières et que l’on occulte les secondes, comme si le temps n’existait pas, donc, et qu’on lui préférait la nostalgie. Pourtant Silence représente bien le présent de Pylone. Et de nostalgie je n’en sens absolument aucune dans ce disque.




La pertinence des propos du groupe est primordiale. Je veux ici parler des textes de Silence, souvent et même plus que précédemment en français, qui abordent des sujets aussi importants que le consumérisme absurde et destructeur ou l’exclusion sociale. La misère, le doute et la colère. La recherche de soi. Le questionnement, toujours. Dans Pylone presque tout le monde écrit : en premier lieu Julien, guitariste et chanteur principal du groupe mais également Matthieu (l’autre guitariste) et Nadège, bassiste, pour un Drop dont elle assure elle-même l’interprétation. Mais le groupe a également choisi de mettre en musique les textes d’auteurs tels que François Cavanna (le très puissant Masses), Charles Bukowski (l’impitoyable Trashcan) et John Fante (le très émouvant Lézarde). Et bien que Pylone joue une musique que j’apprécie tout particulièrement et pouvant être rattachée à toute la mouvance noise-rock mais également emocore – dans le sens fugazien du terme – je me sens bien obligé d’affirmer que Pylone est définitivement un groupe à textes et fier de l’être. Quelle idée alors d’intituler son disque Silence lorsqu’on a tellement de choses à dire et surtout lorsqu’on arrive à les dire aussi bien ? Pour s’excuser d’avoir attendu autant de temps entre la sortie des deux albums ? Je crois plutôt que ce « silence » est à prendre à contre-emploi et qu’il affirme plutôt : non, ne nous taisons pas ! 
Dans ces conditions la musique du groupe me semble elle aussi plus tendue que jamais. L’enregistrement, le mixage et le mastering ont été assurés par Benoit Courribet / Cylens (sic) et cela s’entend ; la basse est ultra massive sans tout écraser, les guitares peuvent indifféremment jouer la carte de la finesse et de la puissance, la batterie claque et le chant, proche du mode parlé, est mis en avant sans pour autant prendre toute la place, ce qui est on ne peut plus logique vu l’importance des textes. L’équilibre sonore sur Silence est souvent parfait et lorsque la musique de Pylone s’emballe (la dernière partie de Masses par exemple) c’est avec une justesse rarement égalée ailleurs, à mi chemin entre nécessité de l’efficacité et pertinence (rien n’est fait gratuitement). Silence donne ainsi à écouter une collection de dix chansons dont aucune ne démérite des autres. Chacune possède son identité propre – chez Pylone on sait composer et cela s’entend – tout en s’inscrivant dans un tout cohérent qui a permis au deuxième album du groupe de se hisser au rang des meilleures parutions de l’année dernière.

[Silence a été publié en novembre 2018 et en vinyle rouge par A Tant Rêver Du Roi, Bruisson, Gabu Asso, Kerviniou recordz et Rejuvenation records]