Et voilà, cette
nouvelle année commence exactement comme celle d’avant s’était achevée :
dans un gros bain de merde moussante et bien collante et avec une déferlante de
stupidité congénitale et assumée, le tout aggloméré par une crise sanitaire
mondialisée (est-ce que ce sera mieux que de disparaitre suite à la chute d’une
météorite géante à la surface de la planète ? honnêtement je ne suis sûr
de rien). En résumé je ne sais pas ce que je préfère entre l’arrogance mortifère
des vieilles démocraties occidentales complètement essoufflées et dépassées et
les régimes autoritaires qui ricanent dans leur coin en attendant de moins en
moins patiemment que leur tour arrive. Beauté de l’avenir.
L’année 2020 s’est également terminée avec un bilan musical de grande qualité –
oui je sais, je change de sujet. Rarement j’aurai vu une telle profusion de
bons disques, l’émergence de tant de bons groupes, la confirmation de tant de
talents. Tu sais ce que l’on dit : lorsque tout va mal ou presque la
création artistique s’envole toujours plus haut, galvanisée par la chute
inéluctable de tout ce qui l’entoure. Et l’underground est comme toujours à la
pointe. A croire que c’est en se sentant plus que jamais acculé que l’on arrive
à libérer de soi toutes ces choses qui exacerbent l’inventivité pour mieux
adoucir l’horreur du quotidien et la crasse de l’existence (et finalement…
c’est comme si on restait dans le même sujet, non ?).
Publié un peu trop tard pour figurer dans tous les tops musicaux des noiseux de
la Terre entière Rocker Shocker est le premier album
des Texans d’HOARIES. On avait pu découvrir le
groupe via une triplette de 45 tours ascensionnels – comprendre : de plus
en plus réussis – et, au printemps dernier, grâce à un excellent 10’ partagé avec les très velus Beige Eagle Boys, un disque publié par le
non moins excellent label Reptilian records. Mais sinon on ne sait pas
grand-chose d’Hoaries mis à part que
le guitariste Jeff Helland officiait il y a quelques années dans White Drugs
qui avait publié un album très
recommandable chez Amphetamine Reptile records. C’est déjà pas mal comme indice
mais ce ne sera pas suffisant.
Parce que je n’aurai pas peur d’affirmer que s’il ne fallait citer qu’un seul
enregistrement de noise-rock sorti en 2020, je choisirais Rocker Shocker sans aucune hésitation. Egalement publié par Reptilian records, ce premier album
a vraiment tout pour lui : emmené par la locomotive furibarde et implacablement
groovy I’ve Got A Room At The Plazza,
Rocker Shocker est un concentré
bouillonnant d’énergie, de vindicte, de mordant, d’acidité électrique et
d’humour féroce. Un disque aux compositions des plus variées, allant d’un noise
punk échevelé et nerveux (Permanent
Meltdown) à des étalages plus psychotiques de guitares dissonantes (Data Stitches) et lorgnant même parfois
vers le mélodramatique (Pearls). Hoaries est autant à l’aise lorsque il joue avec l’urgence vitriolée
d’un punk sous speed que lorsque il privilégie la transgression et la déviance arty.
Et surtout le groupe évite soigneusement tout déploiement ostentatoire de gras
et de lourd, ici tout est taillé au cordeau, sec et vif, mais sans aucune
rigidité (We’re Doing This, sorte
de rouleau-compresseur à l’élégance aussi folle que braillarde).
Il y a finalement un côté assez cérébral et des fois presque glacé dans la musique d’Hoaries mais celui-ci est régulièrement contrebalancé par la vivacité bouillonnante d’une interprétation aussi virevoltante que sauvage mais qui ne néglige jamais non plus une certaine profondeur et une certaine subtilité. Chaque titre de Rocker Shocker apporte quelque chose d’autre et de nouveau par rapport au précédent et Hoaries ne nous ménagera absolument aucune surprise tout au long des vingt cinq minutes que dure l’album, en profitant même pour démontrer une nouvelle fois son expertise et sa finesse de jugement en matière de reprise. Après celle de Cabaret Voltaire sur le 10’ avec Beige Eagle Boys c’est au tour du très sirupeux Soldiers Of Love de Sade – et si… – de faire les frais d’une transformation / rénovation de fond en comble. Hoaries sait parfaitement s’approprier la musique des autres pour la faire sienne et si le groupe y arrive aussi bien c’est sans doute parce que sa propre musique possède déjà en elle-même quelque chose d’inimitable et de personnel, juste ce qu’il faut et au bon moment.
ps : Rocker Shocker tourne en 45 tours, sa pochette est gatefold, j’adore son artwork et le vinyle est transparent avec un magnifique « effet fumée »