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lundi 14 décembre 2020

Bushpilot / 23

 

A peine le temps de digérer à peu près correctement Already ! – j’ai bien inspecté ce qu’il y avait dans ma pelote de régurgitation de vieux hiboux-râleur : il ne restait vraiment plus rien de comestible – et d’en assimiler toutes les nombreuses richesses que BUSHPILOT est déjà de retour avec un deuxième album, intitulé 23.  Tout comme Already ! ce « nouvel » album est en fait constitué de vieilles bandes, enregistrées entre les années 1994 et 1995. Cette fois le line-up du groupe intègre définitivement Richard Formby au poste de bassiste et de producteur, lequel s’est également occupé de toute la partie post-production / dépoussiérage / remise à niveau des bandes initiales aux côtés de Ross Holloway (chant) et de Adrian Gans (guitare).
Je dois dire que je trouve tout ceci fort intrigant. Crashé en plein vol Bushpilot s’est officiellement reformé* – du moins si j’en crois les informations très parcellaires qui arrivent jusqu’à nous – et plus que jamais la musique du groupe donne ce sentiment d’avoir été enregistrée seulement hier, qu’il ne s’est pas écoulé vingt-trois années entre la fin de l’enregistrement de 23 en 1985 et l’exhumation quasi miraculeuse de celui-ci en 2018… autrement dit tout semble couler de source, naturellement, avec une pure logique dont seuls les musiciens impliqués dans Bushpilot doivent posséder tous les tenants et tous les aboutissants. Il y a quelque chose de fondamentalement magique dans toute cette histoire et cette magie est lumineuse, elle nous éclaire de son pouvoir et de sa connaissance. C’est de la musique.




Stylistiquement parlant 23 est beaucoup plus ramassé et moins étendu que Already ! Le côté post-punk asséché de Bushpilot y est beaucoup moins mis en avant voire devient quasiment inexistant, y compris sur les titres les plus courts de l’album, comme ce I Have The Egg qui démarre l’album et se retrouve brutalement coupé au bout de 2’33. Le temps malgré tout d’écouter Ross Holloway répéter nerveusement quelques paroles sibyllines, le temps pour le groupe de largement évoquer Can, plus présent que jamais dans la musique de Bushpilot et dont l’ombre tutélaire va planer sur quasiment tout l’album.
23 est donc encore plus expérimental, on croirait volontiers qu’il est le fruit de longues séances d’improvisation – on imagine cinq musiciens enfermés dans une même pièce et la bande qui n’arrête pas de tourner tant qu’ils ont encore quelque chose à jouer, des idées à développer – mais rien n’est moins sûr et en fait je n’en parierais rien. La délicatesse et la finesse des parties de guitare sur Andy Warhol’s Dream est là pour en témoigner et Bushpilot possède ce talent vraiment trop rare dans le domaine des musiques dites exigeantes et expé de savoir en à peine quelques secondes poser une atmosphère, définir une couleur, dégager une chaleur colorée et de pouvoir s’y tenir et de les déployer, de les magnifier sans se regarder jouer ni perdre en route quoi que ce soit de sa magie (oui, je parle toujours de cette magie là, celle qui fait une si belle lumière). La face B du disque est elle occupée par une plage unique, une longue composition de plus de 19 minutes qui a donné son nom à l’album. Bushpilot s’y montre encore plus aventureux, se lançant à corps perdu dans les eaux miroitantes d’un kraut rock plus atmosphérique que jamais, finement cadencé, parfois évaporescent, au groove apaisant mais décidé, provoquant l’élévation, s’imposant par la force d’une beauté musicale peu commune, les répétitions de motifs engendrant d’autres motifs, tel un jeu d’échos à la surface d’un lac de montagnes millénaire.
Je ne comprendrai jamais pourquoi ce groupe n’a jamais pu publier ses enregistrements à l’époque où ils ont été enregistrés et je ne comprendrai jamais pourquoi Bushpilot s’est séparé aussi tôt. Peut-être que les cinq musiciens jouaient une musique beaucoup trop atemporelle et mystique pour le milieu des années 90, profondément ancrées dans toute autre chose. Mais désormais 23 est là, autour de nous et en nous. Maintenant tout le monde peut savoir.



[23 est publié uniquement en vinyle bleu transparent – et il est très beau – par God Unknown records ; la pochette est agrémentée d’un obi et complétée par un épais livret, faisant de 23 l’un des objets les plus élaborés et les plus raffinés de cette année 2020 complètement barbare]

 

* je serais vraiment curieux de voir le groupe en concert, si jamais un jour le monde arrive à sortir indemne de la crise sanitaire, économique et sociale actuelle