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lundi 28 mai 2018

Neige Morte / TRINNNT








Le groupe qui a enregistré TRINNNT est – je simplifie un peu, beaucoup – la troisième incarnation de NEIGE MORTE. Et sans aucun doute la meilleure à ce jour. Après le départ du premier chanteur attiré par les sirènes impérieuses de la pré-retraite, le guitariste et grand ordonnateur du groupe a décidé de continuer l’aventure et de s’occuper lui-même des voix. Mais pour cela il lui fallait un peu plus d’espace côté guitares et donc de l’aide : celle d’un bassiste nouveau venu, plutôt virtuose et très technique (il joue sur une cinq cordes avec tous ses doigts et je suis à peu près sûr qu’il est fan de Magma et de Meshuggah) pour prendre en charge quelques unes des parties du guitariste et en ajouter de nouvelles bien à lui. Parce que continuer à tout faire tout seul mais avec l’appui d’un octaver et d’un rack bidonné d’effets n’aurait sans doute pas toujours été suffisant ni toujours très efficient. Résultat, avec l’association d’une guitare et d’une basse le son de Neige Morte s’est encore plus texturé mais na pas fondamentalement gonflé – phénomène après tout difficile à envisager  lorsque on a auparavant écouté le déjà incroyable et particulièrement aliéné Bichephale, précédent album du trio – et, en fait, c’est une bonne partie de la musique de Neige Morte qui a changé. Dans toute sa radicalité. 

D’un mélange entre black metal bruitiste et structures à la limite de l’abstraction free, Neige Morte a glissé vers une musique davantage influencée par le Death et l’atmosphérique déviant. Tout en gardant son côté noise et insidieux. Attention : ici tout est toujours tordu, fulgurant voire parfois martelé, on ne peut plus malsain, noir de chez noir, glauque, d’un metal peu commun et donc déstabilisant pour un amateur lambda de métalleries hygiéniques et qui risque de trouver TRINNNT (comme la plupart de ses prédécesseurs) peut-être un peu trop cérébral et conceptuel. Or il n’en est rien. La musique de Neige Morte ne se la raconte pas, ne fait étalage d’aucune gratuité technique et convoque les sens avant tout. Le trio pioche toujours dans le metal extrême du début des années 90 mais il a en quelque sorte juste changé de bord, voire de continent d’adoption, échangeant un peu du souffre (souffle ?) létal de sa musique possédée et haineuse contre du plomb et une lourdeur se cristallisant jusqu’à l’évanescence. 

Avant il fallait faire un peu plus d’effort pour entrer dans la musique de Neige Morte et accepter de suivre le trio dans ses labyrinthes obsessionnels et psychopathes. La douleur était le prix à payer. Désormais le groupe prend moins directement à la gorge, s’empare de l’auditeur par étouffement, l’enferme dans une chape quasiment nébuleuse. L’architecture est moins alambiquée, il y a moins d’angles mais beaucoup plus de zones d’ombre d’où émergent des sons de guitare malades qui n’ont plus grand-chose à voir avec les conventions classiquement exterminatrices du metal (le bien-nommé Niquez Bien Toutes Vos Mères). Et, étrangement, on finit par se sentir inexplicablement bien en écoutant TRINNNT. Les tourbillons métalliques se muent en hypnose cathartique, la toxicité de la jouissance s’alliant avec l’addiction de la possession, la musique prenant les rênes de l’inconscient, jusqu’à l’aboutissement magistral offert par la dernière plage du disque, intitulée Le Lac, sorte de mantra violemment flottant et apocalyptique. Comme une résurrection dans le néant.

[TRINNNT est publié en vinyle par Division Records, Dullest Records et Grains Of Sand ; en CD par Consouling Sounds ; la version numérique est disponible chez Atypeek music]