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mardi 22 mai 2018

The Ex / 27 Passports



Voilà une coïncidence plutôt amusante : il y n’a pas longtemps, la semaine dernière pour être plus précis, j’ai réécouté Catch My Shoe, un album que THE EX a publié il y a près de huit années, le premier des hollandais enregistré avec Arnold De Boer, alors nouveau chanteur (et guitariste) du groupe. Et même si à la réécoute je suis un peu moins enthousiaste au sujet de Catch My Shoe qu’il y a huit ans, je reconnais sans difficulté aucune qu’il reste un album très valable, avec de bonnes chansons et… d’autres un peu moins bonnes voire ronronnantes et ennuyeuses (restons polis).
L’ancienneté est la force de The Ex : le groupe a publié son premier album dès 1980 – le très punk Disturbing Domestic Peace –, a enregistré quelques fleurons du punk-noise-whatever – les magistraux Pokkeherie (1985), Aural Guerilla (1988) et Mudbird Shivers (1995) –, a fait des rencontres miraculeuses donnant naissance à des disques incroyables – avec Tom Cora, Gebatchew Mekuria –, s’est intéressé à la musique improvisée ou à la musique africaine et éthiopienne en particulier, a connu d’innombrables changements de  personnel – à tel point que le guitariste Terry Hessels reste à ce jour le seul membre d’origine de The Ex –, a survécu aux techniques d’enregistrements monastiques de Steve Albini et n’a pas dévié de sa ligne militante, alliant les actes à la parole, autoproduisant ses disques, l’ouvrant quand bon lui semble, revendiquant.
Mais il pourrait également s’agir de la faiblesse du groupe. Depuis tout ce temps The Ex fait en quelque sorte partie des meubles, bande-son et presque bonne conscience pour auditeurs vieillissants ou plus jeunes adeptes ; s’éclater comme un rebelle sur un disque de The Ex est une sorte de facilité passive, un peu comme lorsque l’accroc 2.0 aux réseaux sociaux signe une pétition en ligne, balance un post incendiaire agrémenté de hashtags dangereusement subversifs puis se met au lit pour passer une bonne et douce nuit. Au moins, les membres de The Ex ont cherché à continuer à faire de la musique, à tourner pour voyager et découvrir, à enregistrer des disques et à militer, ils ont toujours agi – ce qui n’est sans doute pas le cas de beaucoup d’entre celles et ceux qui ont vu en The Ex une sorte de modèle par procuration (moi y compris). Voilà donc ce qui m’est venu à l’esprit en réécoutant Catch My Shoe la semaine dernière : The Ex peut aussi être l’étendard hyper visible d’une résistance plus que jamais nécessaire bien que pour l’instant défaite. 




Et puis voilà que dans la foulée je tombe sur ce 27 Passports, premier véritable successeur de Catch My shoe. Un nouvel album studio millésimé 2018 de The Ex, donc. Pas une collaboration ni un enregistrement live, non, un disque pour de vrai du groupe et seulement du groupe. Ce titre de 27 Passports viendrait du nombre d’albums que The Ex a exactement publiés jusqu’à maintenant ; ou du nombre de pays que les hollandais auraient visités depuis leurs débuts. Quoi qu’il en soit 27 Passports semble être un titre-manifeste évoquant les périples du groupe mais aussi létat du monde dans ce qu'il a de meilleur et surtout de pire, avec, entre autres, les flux de migrants qui fuient régimes autoritaires, percussions diverses, misère économique et autre dégradation climatique à la recherche d’un Eldorado pourtant déjà en pleine décrépitude, l’Europe et autres zones « développées ». C’est ce que suggèrent en outre les photos des recto et verso de la pochette prises par le guitariste Andy Moor qui est également l’auteur de toutes les autres photos du livret de taille XXL qui accompagne 27 Passports. Un livret qui montre encore une fois un monde toujours tellement beau dans sa diversité mais aussi tellement laid dans ce que l’homme lui fait subir. 
Pour en revenir à la pochette du disque, les images sont simples et efficaces : d’un côté  des pigeons qui s’agglutinent sur un toit ; une pile immense de containers de l’autre. Des pigeons il y en a de partout, dans toutes les villes et tous les villages à travers le monde et quel que soit l’endroit où ils se trouvent les pigeons font tous la même chose : ils mangent de la grosse merde, celle laissée par les activités humaines. Des containers aussi il y a en a dans tous les ports et toutes les zones de transit marchand de la planète. Qui y a-t-il de plus emblématique d’une logique commerciale et économique mondialisée écrasant femmes et hommes entre ses mâchoires avides ? Et Arnold De Boer de chanter I can foresee to leave town […] Soon all the cities will have the same restaurants […] Soon all the cities will have the same governments […]

La bonne nouvelle est que côté musique 27 Passports est un bon disque. Evidemment cela fait un bail que la furie de The Ex s’est assagie, que le groupe a découvert puis mis en œuvre d’autres façons de transmettre sa musique, sa colère, son message. L’Afrique est plus que jamais présente dans les motifs rythmiques de Katerina Bornefeld et dans les entrelacs dessinés par les trois guitaristes qui aiment toujours autant jouer entre mélodies et dissonances. 27 Passports n’est pas qu’un énième album de The Ex (comme a malheureusement pu l’être Dizzy Spells) même si les quatre hollandais ne cherchent plus vraiment à surprendre depuis longtemps. Mais ne plus rien avoir à prouver n’est pas forcément le signe annonciateur d’une grosse fatigue musicale ni d’une perte d’inspiration. La preuve : 27 Passports suinte toujours autant l’entrain et l’énergie positive. Tout est ici cohérent, solide, intelligent et limpide. L’essentiel est de toujours avoir quelque chose d’important à dire et de savoir comment s’y prendre. De le faire. Ce qui est le cas de 27 Passports et de The Ex, groupe éthique dans le sens le plus noble et engagé du terme mais groupe jamais moralisateur par effet narcissique de supériorité.