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jeudi 17 mai 2018

Zëro / Ain't That Mayhem ?







Il fallait sûrement en passer par là. Lorsque ZËRO a perdu l’un de ses membres, les trois autres ont décidé de continuer quand même. Et ils ont eu bien raison même si San Francisco, l’album qui en a résulté et que le groupe lyonnais a publié en 2016 semblait trop hétérogène, bancal, avec trop de faiblesses, de temps morts. Un disque presque incomplet, insuffisant. Et tout ça à cause du départ de l’un des quatre musiciens ? Non, pas que : San Francisco est avant tout à considérer comme un album de transition et de reconstruction. Avec la nécessité également de se remettre un peu en question (ce que le désormais trio a fait, en nous grisant entre autres choses de trouvailles presque pop jusqu’ici plutôt inhabituelles pour lui). La nécessité de se retrouver et, finalement, de prendre un nouveau départ. 
Tout recommencer à zéro, donc ? Non. Lorsqu’on a déjà une telle histoire et une telle discographie derrière soi il aurait semblé difficile de faire malgré tout et totalement table rase du passé ; oublions donc les quelques défauts de San Francisco qui fut et qui reste toujours un album plus que nécessaire, un disque intermédiaire de changements et de liaisons, peut-être aussi l’album de Zëro que j’écoute(rai) le moins, à égalité avec Jokebox, le tout premier du groupe en 2007. Ce qui semble d’une logique imparable, comme si chacun de ces deux disques marquait à sa façon le début d’un cycle.

Ain’t That Mayhem ? est le sixième album studio de Zëro*. Et en plus c’est un double : quatorze titres et presque une heure de musique. Je ne cacherai pas que le vieux grincheux que je suis a été tout d’abord plus que décontenancé et même inquiet en apprenant que Zëro donnerait autant dans la prodigalité. La crainte d’avoir à arpenter les méandres de tout un album à la recherche de pépites perdues au milieu d’autres compositions moins intéressantes ou ennuyeuses. Et puis cette illustration et ce graphisme évoquant tellement de choses mais aucune réellement en rapport avec ce que j’ai presque toujours ressenti en écoutant la musique de Zëro. Cependant Ain’t That Mayhem ? parle de lui-même. Et ce dès l’introductif et majestueux (mais subtilement puissant et précis) Adios Texas, un titre sur lequel les invitées Hasmig Fau (violoncelle) et Agathe Max (violon alto) posent un arrangement de cordes. Majesté… subtilité… précision : voilà les maîtres-mots qui pourraient résumer ce nouvel album animé par une force de conviction et surtout une beauté organique ouvrant sur un achèvement riche et saisissant que Zëro n’avait peut-être encore jamais atteint jusqu’ici.

Depuis plus de deux ans la configuration du groupe en concert est restée la même, simple et stable : Eric Aldéa est aux guitares et au chant, Ivan Chiossone est aux claviers et aux synthétiseurs et Franck Laurino est à la batterie. Fini les échanges d’instruments, chaque musicien se spécialise toujours plus, se cantonne à un rôle plus défini et affirmé ce qui est parfaitement palpable à l’écoute de Ain’t That Mayhem ? (sur lequel Ivan Chiossone joue il est vrai d’un peu de contrebasse ici et là). Dans un même mouvement continu et inévitable la musique de Zëro a fini par gagner en lisibilité, en clarté, en finesse même. J’aurais presque pu écrire en efficacité mais je ne crois pas non plus que cela soit la priorité absolue du groupe. Puisque efficacité il y a, effectivement, elle est avant tout la conséquence de tout le reste, de ce travail d’orfèvre qui finit par ne plus se remarquer tant il libère énergie et allant avec toute la générosité dont Zëro semble capable. A la suite des premières écoutes de Ain’t That Mayhem ? je m’étais dit : wow ! on n’a jamais aussi bien entendu les synthétiseurs dans la musique du groupe. C’est sûrement vrai mais pas totalement : jamais non plus on a aussi bien entendu la guitare. Et la batterie, également. Et même le chant, au passage de plus en plus varié. En redéfinissant intelligemment et par touches délicates les contours de sa musique Zëro a fait plus que renforcer la nature de celle-ci, il l’a en quelque sorte libérée. Enfin.

Mais le trio aime aussi mélanger les cartes et surprendre. Pas question de s’ennuyer et le groupe alterne instrumentaux aériens, compositions plus solennelles (le magnifique We Blew It rehaussé par le trombone presque mélancolique de Simon Girard) et titres jouant davantage sur la tension (The Kung-Fu Song malgré sa dernière partie très ambient post rock, False From The Start, Myself As A Fool) ou l’inquiétude (Deranged, vraiment réussi). On compte également une reprise crépusculaire de Screamin’ Jay Hawkins (Alligator Wine) et quelques innovations (comme l’effet sur la voix de Yawny’s Holiday, presque en forme de pied de nez final)…  
Ain’t That Mayhem ? réussit à être l’album le plus diversifié de Zëro tout en restant d’une cohérence sans faille et d’un intérêt constant. Et il y a strictement aucun mystère à cela : sur les quatorze compositions que compte l’album, aucune ne démérite. Un exploit que le groupe avait déjà réalisé avec son meilleur disque à ce jour, le merveilleux Places Where We Go In Dreams (2014). Sauf que Places Where We Go In Dreams était un mini LP de sept titres. Alors que Ain’t That Mayhem ? est un double album. Rien à ajouter.

[Ain’t That Mayhem ? est publié en version double LP ou CD par Ici d'Ailleurs]

* Zëro a désormais deux pages bandcamp : une et deux – les gars n’auriez-vous pas par hasard égaré vos anciens codes d’accès ?