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mardi 24 novembre 2020

Couch Slut / Take A Chance On Rock 'n' Roll




Auteurs de l’un des meilleurs disques des années 2010 en matière de gros noise-rock qui tâche profondément et qui fait très mal pendant très longtemps – l’incroyable Contempt, pour ne pas le nommer – les new-yorkais de COUCH SLUT sont enfin de retour avec Take A Chance On Rock’n’Roll. Je ne connais pas tous les tenants ni tous les aboutissants de la vie en interne du groupe mais ce troisième album marque également le retour de la guitariste – et éventuellement trompettiste – Amy Mills dans les rangs de Couch Slut. Elle ne jouait pas sur Contempt* qui se détachait du lot par une épaisseur et une densité peu communes de ses compositions, faisant naitre un malaise insidieux et dérangeant chez l’auditeur, d’autant plus que de son côté la chanteuse / hurleuse Megan Osztrosits vociférait comme jamais ses textes d’une violence et d’une crudité sans égales. Pour te donner une idée de l’ambiance générale tu peux également te reporter aux paroles des chansons, très importantes, tout comme aux illustrations des pochettes de disques de Couch Slut.
Arrive donc ce Take A Chance On Rock’n’Roll doté d’une iconographie bien plus neutre que d’habitude – quoi que « neutre » ne soit pas le terme le plus approprié, une violence même pas sous-jacente y est toujours présente mais cette fois-ci elle semble s’accompagner d’une pointe certaine d’humour – et d’un titre d’une fausse banalité qui ne trompera personne : il n’y a apparemment pas la moindre petite trace de rock’n’roll par ici, en tous les cas pas la moindre trace de cette musique patrimoniale de petits mecs blancs et devenue depuis trop longtemps ni dangereuse ni dérangeante. Paradoxalement et a contrario il nous faut
pourtant prendre ce troisième album au pied de la lettre, comme une véritable déclaration d’intention suivie des faits, donc comme un disque de pure énergie, un disque bruyant, sale et méchant, vicieux et intraitable – au moins musicalement parlant : Take A Chance On Rock’n’Roll est aussi vénéneux et redoutable que ce qu’il prétend ironiquement être.
Mais pas seulement. Avec à nouveau deux guitaristes en action ce troisième album de Couch Slut revient à plus de finesse (si je puis dire…) et renoue avec le côté un peu plus nuancé du premier My Life As A Woman. On reste en terrain connu mais les empilements à répétition de guitares sont moins étouffants et surtout moins métallisés, ils laissent parfois passer un peu de lumière blafarde et glauque, quelques traces d’atmosphères désolées et fracassées, ce qui in fine relève le côté malaisant de la musique de Couch Slut. C’est l’habituelle dialectique entre efficacité rageuse et ressenti rampant ou entre agression musicale pure et provocation intense des sens, mais le groupe plane largement au dessus de ce genre de débat / choix et ne s’embarrasse d’aucune hésitation : chaque titre ou presque démarre et se termine par un larsen qui vrille les tympans et nique les cerveaux. Passé ces avertissements sans frais Couch Slut peut se montrer aussi irrésistible et carnassier (le très noise-punk Carousel Of Progress, le fulgurant In A Pig’s Eye) qu’il peut se dévoiler étrange et inquiétant (le narratif et implacable Someplace Cheap, I’m 14 et sa trompette de la mort).

Si Contempt pouvait ressembler à un hurlement sans fin ou à une asphyxie inéluctable – on ne saurait vraiment choisir –, Take A Chance On Rock’n’Roll consacre définitivement le chaos menaçant de Couch Slut comme la manifestation ultime et redoutable d’une rage que rien ne semble pouvoir atténuer et d’une violence qu’il est malgré tout bon d’exprimer et de faire sortir, au risque sinon de se faire complètement bouffer par elle. Ben Greenberg** qui s’y connait en enregistrement et en production de disques sans concession a parfaitement fait son boulot en réussissant à conjuguer le côté oppressant et le côté violemment stratosphérique de la musique de Couch Slut et, cette fois encore, les textes d’une rare noirceur de Megan Osztrosits abordent les mêmes thèmes « habituels », entre traumatismes subis par les femmes, drogues, prostitution, violences conjugales et domestiques. On comprend alors encore mieux pourquoi Couch Slut ne devrait pas être uniquement considéré comme un simple groupe de noise-rock mais bien comme la manifestation d’une colère légitime et la volonté réelle de bousculer les esprits et les pensées. Take A Chance On Rock’n’Roll est donc bien cet album aussi urgent que profondément marquant et, par-dessus tout, lourdement chargé en significations.


[Take A Chance On Rock’n’Roll est publié en vinyle et en CD par Gilead Media]


* alors qu’elle apparait sur un split en compagnie de Microwaves publié par Sleeping Giant Glossolalia en 2017, soit exactement la même année que Contempt – va comprendre…
** d’ailleurs son collègue au sein de Uniform Michael Berdan est crédité au chant sur The Stupid Man mais il est complètement perdu dans le mix…