Auteurs de l’un
des meilleurs disques des années 2010 en matière de gros noise-rock qui tâche
profondément et qui fait très mal pendant très longtemps – l’incroyable Contempt, pour ne pas le nommer – les new-yorkais de COUCH
SLUT sont enfin de retour avec Take
A Chance On Rock’n’Roll. Je ne connais pas tous les tenants ni tous les
aboutissants de la vie en interne du groupe mais ce troisième album marque également
le retour de la guitariste – et éventuellement trompettiste – Amy Mills dans
les rangs de Couch Slut. Elle ne
jouait pas sur Contempt* qui se
détachait du lot par une épaisseur et une densité peu communes de ses
compositions, faisant naitre un malaise insidieux et dérangeant chez
l’auditeur, d’autant plus que de son côté la chanteuse / hurleuse Megan
Osztrosits vociférait comme jamais ses textes d’une violence et d’une crudité
sans égales. Pour te donner une idée de l’ambiance générale tu peux également
te reporter aux paroles des chansons, très importantes, tout comme aux
illustrations des pochettes de disques de Couch Slut.
Arrive donc ce Take A Chance On
Rock’n’Roll doté d’une iconographie bien plus neutre que d’habitude – quoi
que « neutre » ne soit pas le terme le plus approprié, une violence
même pas sous-jacente y est toujours présente mais cette fois-ci elle semble s’accompagner
d’une pointe certaine d’humour – et d’un titre d’une fausse banalité qui ne
trompera personne : il n’y a apparemment pas la moindre petite trace de
rock’n’roll par ici, en tous les cas pas la moindre trace de cette musique patrimoniale
de petits mecs blancs et devenue depuis trop longtemps ni dangereuse ni
dérangeante. Paradoxalement et a
contrario il nous faut pourtant prendre ce troisième album au pied de la
lettre, comme une véritable déclaration d’intention suivie des faits, donc
comme un disque de pure énergie, un disque bruyant, sale et méchant, vicieux et
intraitable – au moins musicalement parlant : Take A Chance On Rock’n’Roll est aussi vénéneux et redoutable que
ce qu’il prétend ironiquement être.
Mais pas seulement. Avec à nouveau deux guitaristes en action ce troisième
album de Couch Slut revient à plus
de finesse (si je puis dire…) et renoue avec le côté un peu plus nuancé du
premier My Life As A Woman. On reste en
terrain connu mais les empilements à répétition de guitares sont moins
étouffants et surtout moins métallisés, ils laissent parfois passer un peu de
lumière blafarde et glauque, quelques traces d’atmosphères désolées et
fracassées, ce qui in fine relève le
côté malaisant de la musique de Couch
Slut. C’est l’habituelle dialectique entre efficacité rageuse et ressenti
rampant ou entre agression musicale pure et provocation intense des sens, mais
le groupe plane largement au dessus de ce genre de débat / choix et ne
s’embarrasse d’aucune hésitation : chaque titre ou presque démarre et se
termine par un larsen qui vrille les tympans et nique les cerveaux. Passé ces
avertissements sans frais Couch Slut
peut se montrer aussi irrésistible et carnassier (le très noise-punk Carousel Of Progress, le fulgurant In A Pig’s Eye) qu’il peut se dévoiler
étrange et inquiétant (le narratif et implacable Someplace Cheap, I’m 14
et sa trompette de la mort).
Si Contempt pouvait ressembler à un
hurlement sans fin ou à une asphyxie inéluctable – on ne saurait vraiment choisir
–, Take A Chance On Rock’n’Roll
consacre définitivement le chaos menaçant de Couch Slut comme la manifestation ultime et redoutable d’une rage
que rien ne semble pouvoir atténuer et d’une violence qu’il est malgré tout bon
d’exprimer et de faire sortir, au risque sinon de se faire complètement bouffer
par elle. Ben Greenberg** qui s’y connait en enregistrement et en production
de disques sans concession a parfaitement fait son boulot en réussissant à
conjuguer le côté oppressant et le côté violemment stratosphérique de la
musique de Couch Slut et, cette fois
encore, les textes d’une rare noirceur de Megan Osztrosits abordent les mêmes
thèmes « habituels », entre traumatismes subis par les femmes,
drogues, prostitution, violences conjugales et domestiques. On comprend alors
encore mieux pourquoi Couch Slut ne
devrait pas être uniquement considéré comme un simple groupe de
noise-rock mais bien comme la manifestation d’une colère légitime et la
volonté réelle de bousculer les esprits et les pensées. Take A Chance On Rock’n’Roll est donc bien cet album aussi urgent que
profondément marquant et, par-dessus tout, lourdement chargé en significations.
[Take A Chance On Rock’n’Roll est publié en vinyle et en CD par Gilead Media]
* alors qu’elle
apparait sur un split en compagnie de Microwaves publié par Sleeping Giant Glossolalia en 2017,
soit exactement la même année que Contempt
– va comprendre…
** d’ailleurs
son collègue au sein de Uniform Michael Berdan est crédité au chant sur The Stupid Man mais il est complètement
perdu dans le mix…