Quand j’y repense une
année complète se sera bientôt écoulée depuis la dernière fois que j’ai vu Neige Morte en concert. Et quel
concert ! Sans aucun doute le meilleur du groupe auquel j’ai jamais
assisté – non, là je t’arrête tout de suite : ce n’est absolument pas le
manque de musique en conditions live, au milieu de plein de personnes qui se
transpirent et se postillonnent les unes sur les autres, qui me fait penser et
dire cela. Un concert pendant lequel NEIGE MORTE a bien sûr égrené
quelques titres monstrueux de Trinnnt, son troisième et génial album,
et a également dévoilé quelques nouvelles compositions, non moins monstrueuses,
bientôt enregistrées et destinées à figurer sur le quatrième album du trio.
Et il est là ce quatrième disque… en fait il est arrivé au Printemps 2020,
digne successeur d’un Trinnnt dont on
pouvait raisonnablement penser qu’il serait la bande-son parfaite et idéale d’un
film catastrophe racontant l’anéantissement de l’espèce humaine et la
destruction de la planète Terre (Niquez
Bien Toutes Vos Mères). Le genre de fable apocalyptique en forme d’aboutissement
terminal et de soulagement généralisé, le mal vaincu par le mal, la douleur
vaincue par la douleur, le désert mouvant de l’insondable et des ténèbres comme
unique horizon et puis après, après plus rien. On sait pourtant ce qui finira
par arriver, on sait très bien que l’apocalypse ne ressemblera pas à un
effondrement soudain et brutal mais à une longue descente aux enfers que nous
pouvons contempler, nous gargarisant parfois du spectacle tant qu’il en est
encore temps et tant que nous n’en sommes pas encore tout à fait les victimes
principales. L’apocalypse est une mort lente et nous le savons pertinemment, non nous
ne pouvons pas nier que nous sommes l’apocalypse.
Et dorénavant nous saurons également que Trinnnt,
tout aussi ravageur et dérangeant qu’il peut être, ne sera que le fond sonore
sale, bruyant et terrifiant des prémices de ce qui nous attend déjà. Parce que IIII dont je ne veux pas écrire qu’il
lui est supérieur, est pourtant un disque encore plus dévastateur sur lequel Neige Morte se montre encore plus lourd, plus compact, plus
sombre et plus inquiétant que jamais. En grand pessimiste devant l’éternel
je ne peux que saluer un tel enregistrement qui une fois encore permet à Neige Morte de repousser ses propres
limites bien au delà de l’inimaginable mais sans risquer de perdre son
auditoire en cours de route. L’incarnation actuelle du groupe – guitare et chant, basse et batterie – semble
au meilleur de sa forme, plus soudée que jamais, ce qui permet aux
circonvolutions de sa musique de se glisser en nous avec une facilité déconcertante.
Oui, il y a bien ici quelque chose qui a avoir avec le phénomène de toxicité et
de possession et on ne parlera même plus de « musique viscérale »
tout comme on cessera d’employer toute autre forme superlative pour désigner
une image sonore du chaos aussi parfaitement réussie et aussi aliénante. Comme
débarrassé des contraintes liées à l’appartenance à de genres musicaux aux
définitions trop restrictives – en vrac : black metal vs death metal vs
expé vs prog – Neige Morte fonce
tout droit et sans peur aucune dans les ténèbres, en arrache toute la splendeur
dégoûtante pour nous l’offrir sur un grand plateau de noirceur incommensurable.
D’une rare violence, malsains, inattendus ou étouffants, les principaux
éléments de la musique du trio – riffs bestiaux, tordus ou dissonants, parties
de batterie complètement bluffantes, lignes de basse herculéennes, voix
sauvages et manipulations sonores judicieusement déstabilisantes – forment la
plus effroyable des entropies, dynamique de mort d’un système où le désordre
et l’ordre se confondent, comme une seule entité, une vision multiple et néanmoins
achevée. Grandiose.