Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

lundi 27 avril 2020

Massicot / Kratt






Le 29 février dernier MASSICOT revenait à Lyon pour la toute première fois depuis mars 2017 et un concert mémorable pendant lequel le groupe avait littéralement retourné le public du Périscope... et un concert qui avait surtout entériné le fait que désormais Massicot n’était plus que l’affaire de trois personnes : Colline à la batterie, Mara au chant et à la basse (cette basse on dirait un jouet mais c’est un jouet qui sonne terriblement bien) et Simone – qui joue également dans Hyperculte et Tout Bleu – à la guitare. Plus de Léa et plus de ce violon morsique et grinçant qui ponctuait (décalait ?) une musique faite de rythmes saccadés, de lignes de basse et de riffs de guitare rachitiques, de chant fréquemment scandé et haché, le plus souvent dans une langue que je ne comprends pas. Une musique entre post punk déréglé, groove funk réfrigéré, kraut minimaliste et dadaïsme noisy.
J’ai un peu tendance, lorsque j’essaie de décrire la musique de Massicot, à employer toujours les mêmes mots rabâchés et usés, que le groupe soit composé de trois ou de quatre membres : avant et après, n’y aurait-il finalement aucune différence ? Juste une musicienne et un instrument en moins et on n’en parle plus ? Publié pendant l’été 2016, le mini-album Suri Gruti – semble-t-il encore conçu à quatre, bien que le violon y soit difficilement perceptible – et ses deux longues compositions très kraut ne saurait nous en apprendre davantage. Je n’ai pas de réponse à fournir pour expliquer une évolution ou plutôt une sorte de processus métamorphique qui a posteriori peut sembler des plus logiques. Mais tout ce qui fait Massicot aujourd’hui et tout ce que l’on peut entendre sur le nouvel album du groupe doit-il encore quelque chose à l’empreinte quasi subliminale de ce violon désormais disparu ?
Enregistré aux mois d’août et septembre 2018 Kratt a donc mis du temps avant d’arriver jusqu’à nous sous la forme d’un vrai disque et lorsque je l’écoute aujourd’hui je retrouve quelques résonances de ce fameux concert de 2017 : le groupe avait déjà commencé sa mue délicate et imperceptible, continuant de faire glisser sa musique vers plus de sécheresse sans pour autant la rendre indigeste. Bien au contraire, avec Kratt Massicot démontre posséder ce talent de rendre sa musique lumineuse sans rien lui faire perdre de sa tension, entrainante et même dansante sans en gâcher le mystère, déchiffrable sans rien enlever à son pouvoir hypnotique – une musique joyeuse et froide à la fois, immédiate mais consciente, simple mais sophistiquée, subjuguante mais inexplicable, très personnelle.
Et pour en revenir au concert du 29 février à Grrrnd Zero, il s’agissait surtout pour Massicot de fêter la parution de son nouvel album. Une deuxième release party après celle, donnée la veille à la Cave 12 de Genève, à la maison pour ainsi dire. Et une fois de plus le groupe avait mis tout le monde d’accord, confirmant sa capacité à donner des concerts épatants d’énergie et de finesse. Exactement à l’image de Kratt, album tout aussi anguleux que généreux, débordant de lumière mais plein de petites zones d’ombres, tumultueux mais lisible, immédiat et libre, terreau d’une végétation fine et entremêlée – du coup je trouve l’artwork du disque particulièrement bien trouvé – et espace mouvant où tout peut changer de couleur et d’aspect suivant l’endroit d’où on observe. Un album qui compte son lot de rêveries (A et ses drôles de vocalises), de tubes dansants (Šulca kungst et Kubiks Rubiks, déjà présent sur un split single en compagnie des anglais de Housewives), de chansons énigmatiques (Kratt, Fin du monde), de compositions atmosphériques (Saule) ou froidement frénétiques (Kokteilis).
Kratt aurait pu être un disque difficile et hermétique, cérébral – encore une fois le langage employé par les instruments est loin d’être toujours évident – mais il en est finalement l’opposé et utilise à bon escient sa volonté d’exigence pour séduire et s’imposer. Et maintenant que j’y repense un peu plus, voilà peut-être la seule chose dont les trois Massicot se sont définitivement affranchies avec le départ de leur violoniste : le côté parfois trop cérébral de leur musique. Reste, et c’est beaucoup, un groupe réellement alchimique et un album qui a bien plus d’un tour dans son sac à malices. Trois musiciennes et trois personnalités pour une seule musique, unique en son genre.

[Kratt est publié en vinyle et en cédédigipak par Les Disques Bongo Joe , Harbinger Sound, Spurge recordings et Redwig records]