J’ai été plutôt sympa avec le premier effort – j’adore employer cette expression, elle a un côté tellement cliché journalistique et elle me fait aussi tellement penser à un type beaucoup trop constipé pour arriver à chier correctement et sans douleur – bref je n’ai été que raisonnablement conciliant avec le premier disque de EYE FLYS mais je ne le regrette pas du tout : en réécoutant consciencieusement Context j’en suis arrivé exactement à la même conclusion qu’il y a quelques mois, à savoir que Eye Flys est un groupe de balourds mais en même temps un groupe qui ne prétend pas à être autre chose.
D’un côté je suis donc rassuré et convaincu par le côté grosse commission, empilage de gras et boudinage sanguinolent du groupe et d’ailleurs n’oublions pas que l’album dont on va causer présentement s’intitule quand même Tub Of Lard, ce qui se traduit par cuve de graisse. Et au cas on ne l’aurait pas compris tout seul la pochette est là pour nous en donner une parfaite illustration – une pochette tellement explicite et c’est un peu trop le problème de Eye Flys, cette nature assumée sans surprise et sans aucune originalité. D’un autre côté les limites inhérentes à la musique du groupe engendre une autre limite, souvent trop contraignante : on ne peut l’écouter qu’en connaissance de cause, comme on va aux chiottes (oui, j’insiste) ou comme on va faire un peu de sport pour transpirer sa testostérone avant d’aller se bourrer la gueule (ou inversement).
Tub Of Lard ne change rien à l’affaire bien que ce premier album soit bien plus travaillé et moins éjaculatoire et moins simpliste que son petit prédécesseur. Oh certes il n’y a pas grand-chose en plus mais ces choses là font toute la différence, comme un riffage encore plus efficace et tranchant, des plans de guitares plus aventureux (en mode solo portenawak – Reality Tunnel – ou en simple surcouche comme sur le très bon Nice Guy), des lignes de basse pachydermiques, du chant toujours plus éructé et postillonné, un son de malade parfaitement défini et bien équilibré par Kevin Bernstein (également bassiste du groupe) et que la masterisation signée James Plotkin fait parfaitement ressortir.
Pour le reste je pourrais recopier tel quel le descriptif déjà employé au sujet de Context, c’est à dire insister sur la brièveté incandescente des dix compositions de Tub Of Lard qui du coup peine à atteindre les vingt cinq minutes réglementaires. Insister sur la lourdeur et la puissance musculaire de Eye Flys. Sur la faculté du groupe à donner envie de gesticuler dans tous les sens (Chapel Perilous) ou de brailler dans la solitude d’un confinement sanitaire forcé (écouter Guillotine pourrait presque donner envie de réclamer le rétablissement de la peine de mort pour les amateurs de voix autotunées). En gros – sans aucun mauvais jeu de mots – Eye Flys concilie à la fois Unsane et Fudge Tunnel mais sans le côté malsain et groovy-macabre des premiers ni le côté dépressif et atrabilaire des seconds. Du noise rock emballé dans une bonne couche de metal viriliste et joué façon burger hardcore / ennemi héréditaire de la soupe de légumes.
Donc si tu as besoin de finesse tu peux tout de suite passer ton chemin. Mais si tu as également besoin d’intelligence musicale, autant faire de même : avec Tub Of Lard seuls tes plus bas instincts seront récompensés. Et à ce sujet remercions le label qui a engagé un minimum de frais dans cette sortie, l’absence d’insert permettant de ne pas se poser trop de questions sur les paroles des dix « chansons » dont les titres pourtant parlent d’eux-mêmes – le déjà cité Guillotine, Predator And Prey ou Tubba Lard, par exemple. Cette chronique ne peut donc que rejoindre celle auparavant consacrée à Context : aujourd’hui Tub Of Lard me convient malgré tout. Mais demain en sera-t-il de même ?
[Tub Of Lard est publié en vinyle noir ou en vinyle couleur houmous décongelé – officiellement « lard color » mais là c’est franchement raté – et en CD par Thrill Jockey]