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vendredi 3 avril 2020

Rorcal / Muladona


Encore un groupe, parmi tant d’autres, qui a annulé sa tournée : Rorcal aurait du jouer samedi dernier pas très loin de chez moi en compagnie de mes petits chéris de Neige Morte… Alors tant pis, même si cela fait des années que je n’ai pas vu les suisses en concert et même si cette seule et unique fois reste un souvenir très fort. Suis-je excessivement sentimental ? Pas tant que cela. Sur disque j’ai toujours eu beaucoup plus de mal avec la musique de Rorcal. Avec son côté trop intentionnel. Son coté trop pensé. Ses concepts à rallonges, dans tous les sens du terme. Je n’aime pas les disques qui me donnent l’impression d’être en train de lire un roman historique, un roman horrifique ou un roman d’heroic fantasy en quinze tomes.
Et Rorcal est spécialiste de ce genre de procédés, ayant déjà par le passé accouché d’albums conceptuels avec des histoires qui nen finissent pas : Heliogabalus en 2010, un CD de plus de 74 minutes divisé en 66 pistes au sujet de l’empereur romain du même nom ou Creon en 2016, moins long de vingt minutes mais cette fois-ci ancré dans l’antiquité grecque et à la réalisation bien trop lisse. De son côté Világvége (2013) me semblait à peine moins conceptuel (ça parle de la fin du monde…) et était du genre écourté avec ses presque 44 minutes dignes d’un LP lambda mais le mélange black metal / post hardcore proposé alors semblait bien factice, inachevé. Rorcal fait il donc partie de tous ces groupes bien meilleurs en live que confinés (mouhaha) dans un studio d’enregistrement ? Muladona, cinquième album publié à l’automne 2019 par Hummus records ne répond que partiellement à cette question. 




Tout d’abord, avec Muladona Rorcal nous raconte à nouveau une histoire. Celle-ci est adaptée du livre éponyme écrit par l’écrivain américain Eric Stener Carlson et publié chez Tartarus Press, un récit se passant en 1918 pendant l’épidémie de grippe espagnole – sans le faire exprès voilà qui colle parfaitement à l’actualité de ce début d’année 2020. Le tout est une banale resucée des vieux démons américains au sujet de la culpabilité du colonisateur massacreur de natifs amérindiens (même si ici le massacre a été commis par les premiers arrivants espagnols – appelons cela de l’hypocrisie), du complexe d’Œdipe, des peurs enfantines autour de créatures maléfiques et de l’apparition d’un monstre chimérique, la Muladona, sorte de centaure avec un torse de femme, inspiré de la mythologie catalane. Tous les éléments sont réunis pour me détourner d’un tel livre et donc d’un tel album mais j’ai choisi de faire abstraction, après tout j’écoute tellement de disques porteurs de paroles et de textes impitoyablement stupides que je ne suis plus à ça près depuis longtemps. Sauf qu’il est difficile d’oublier le côté récitatif et narratif de Muladona puisque, après prise de contact, Eric Stener Carlson a participé à l’enregistrement en ponctuant tout l’album d’interventions. En gros : il y lit quelques passages de son bouquin. Voilà qui constitue un violent repoussoir. Cela ne me fait ni rêver ni réfléchir mais me donne carrément envie de fuir à toutes jambes.
Reste un dernier point à aborder : celui de la musique et seulement de la musique. Certains esprits moqueurs parlent parfois de schwarze metal au sujet de Rorcal. Comprenez que le groupe joue une variante de black metal très structuré et raisonnablement alambiqué, avec des passages très lourds et oppressants. Bonne nouvelle : Muladona est un disque musicalement resserré et compact et ne serait-ce les interventions d’Eric Stener Carlson, on aurait presque affaire à un album de metal occultiste et extrême d’excellente facture, comme on a tellement pu en écouter ces dernières années. Le black metal de Rorcal n’a rien d’old school (tendance qui a largement ma préférence, c’est mon côté vintage), il n’a rien de crusty-vitriolé (là aussi je suis fan) et finalement il n’a rien d’original non plus car il possède cette modernité affichée, qui depuis le temps n’en est plus vraiment une, issue du metal contemporain et du hardcore chaotique. Musicalement, ce que le groupe fait, il le fait correctement, en bon artisan du mal, il n’y a rien à redire là-dessus. J’aimerais juste qu’il laisse tomber une bonne fois pour toutes ses prétentions littéraires et qu’il explore un peu plus profondément et plus dangereusement les possibilités d’une musique qui n’en manque absolument pas.