Oula c’est vrai que j’ai envie de strictement rien foutre. C’est le paradoxe d’une existence de branleur autodidacte : plus j’ai du temps devant moi et moins j’en profite pour faire ce que j’aime réellement, plus que tout autre chose. Ce temps là, celui dont je veux parler, c’est celui d’une vie de pseudo-reclus en cette période de demi-confinement anti covid-19 et dont on ne sait pas encore combien de temps elle va réellement durer. Enfin si : tout le monde le sait, il suffit de regarder ailleurs, un peu plus loin de l’autre côté de la planète, pour savoir comment les gens là-bas essayent de s’en sortir, mais ici tout le monde a l’air de ne pas savoir, comme englué dans les chimères d’un confort moderne à base de haute consommation et de perspectives basses (à raisonnement simpliste, affirmation simpliste : je consomme donc je suis). L’autre jour un collègue – parce que, au moment où j’écris ces lignes, je fais encore partie des quelques poltrons qui font toujours semblant de travailler et se déplacent quotidiennement dans des rues désertées et à bord de rames de métro tellement vides que cela en devient flippant, c’est cela le « demi-confinement » – bref, un collègue me disait qu’il espérait que la crise sanitaire actuelle allait nous faire réfléchir et inciter tout le monde à adopter un autre modèle de vie ; je lui ai ri au nez en le traitant d’idéaliste.
Je suis donc partagé entre l’impériosité de ce temps qui m’échappe sans cesse – alors qu’au contraire je ne peux pas lui échapper – et ces choses qui envahissent ma vie. C’est un peu le même genre de distorsion qui me flingue tous les soirs lorsque je rentre chez moi pour ne plus en redécoller ou lorsque je m’enferme le vendredi pour ne plus ressortir de mon trou jusqu’au lundi matin. J’aime énormément être seul mais seulement quand je le décide et lorsque j’y suis contraint, évidemment, cela ne peut que me déplaire. La conclusion est facile : je suis exactement comme tout le monde, je ne suis jamais content, je suis un éternel insatisfait. Et, comme (presque) tout le monde, il n’y a que lorsque je fais violemment toute autre chose, en fait n’importe quoi, que j’arrive à supporter cette insatisfaction.
Il existe toutes sortes de palliatifs drogues palliatifs. Sûrement qu’il en existe pour chaque personne vivant sur cette terre. En tous les cas c’est ainsi que les choses devraient être. Il y a donc celui qui consiste à acquérir puis brûler toujours plus d’objets et de biens dont on pourrait très bien se passer par ailleurs ; il y a le sexe ; il y a la défonce proprement dite ; il y a la violence ; il y a le sport ; il y a la bouffe ; il y a la haine ; il y a les mensonges et les faux-semblants ; il y a le vent qui fait claquer les branches des arbres et autres bruits enivrants de la nature ; il y a les jeux vidéos ; il y a les livres et la lecture ; il y a la religion… la liste est non exhaustive parce que définitivement incomplète. Et moi... j’ai la musique (quelle surprise).
J’ai déjà évoqué CASUAL NUN, à propos du deuxième album du groupe, Psychometric Testing By... Comme je n’ai aucune notion du temps et comme surtout je suis complètement à côté de la plaque, j’avais parlé de ce groupe et de ce disque plus d’un an et demi après sa parution et autant dire que je n’étais pas peu fier d’un tel exploit en forme de distanciation temporelle. Aujourd’hui je fais exactement le contraire : Resort For Dead Desires, troisième album de Casual Nun, a été publié le 4 mars 2020* et je me suis précipité dessus. Et maintenant je me précipite encore plus vite pour allonger quelques mots à son sujet.
Resort For Dead Desires a été enregistré dans des conditions très différentes des deux premiers disques de Casual Nun. Autrement dit il comporte de vrais compositions, de vrais chansons parfois (souvent), et n’est pas le résultat de longues séances d’étalage de confiture. Et bien que le line-up du groupe ne comporte désormais plus qu’un seul batteur – sauf sur deux titres sur lesquels participe encore Julia Owen – la musique du groupe n’a pas tant changé que cela, entre noise rock élégamment trépidant et illuminé (Party Favors), punk arraché au pied de biche (Zoetrope, Sleet Knife), déambulations psychédéliques (Pink Celestial Heron) et relents seventies bien mastiqué puis recraché dans un jet de bile (Heavy Liquid). Et toujours ce chant trafiqué tous azimuts, cette guitare follement juteuse ou aérienne, cette basse vrombissante et la prise de son de ce cher Wayne Adams dans son studio Bear Bites Horse. Ça explose dans tous les sens et en même temps tout se tient, fermement. Avec Resort For Dead Desires Casual Nun est au top de sa forme. Ce qui n’est donc pas vraiment mon cas.
* en vinyle, à 300 exemplaires et conjointement par Box records et Hominid Sounds