La première fois que j’ai vu Håla Duett en concert le groupe n’avait pas encore trouvé de nom – d’ailleurs je crois qu’il s’agissait de l’une de ses toutes premières apparitions en public – et il s’était alors présenté comme la simple réunion de deux musiciens amis : Sheik Anorak et Yann Joussein. Je ne vais pas te faire l’affront de te parler davantage du premier* mais je ne devrais pas non plus avoir à le faire pour le second, batteur de son état, jouant ou ayant joué au sein de DDJ, Coax Orchestra, Snap, Tweedle Dee, Pipeline, Heretic Chaos**… en fait ces deux-là auraient presque l’air de faire un concours de celui qui participera au plus grand nombre de projets, non ? A l’automne 2017 le duo n’en était donc qu’à ses débuts et honnêtement je ne garde pas de souvenirs très précis d’une prestation qui n’aura duré que peu de temps et au cours de laquelle les deux musiciens devaient encore très certainement chercher leur voie (et leur voix).
Rana est le premier enregistrement d’Håla Duett et il s’agit un 12’ monoface de quatre titres finalisés au cours d’une tournée scandinave l’année d’après, en 2018. Au regard de ma première confrontation un peu floue avec le groupe, ce premier disque constitue une très bonne surprise : les compositions hyper inspirées jouent sur la répétition d’un rock expérimental et incluent des motifs à la guitare électrique et des parties de batterie en provenance direct d’Afrique de l’Ouest. Si j’étais un inculte amateur de raccourcis simplificateurs je ferais tout de suite le rapprochement et la comparaison avec certaines compositions de The Ex mais Håla Duett ne va pas dans le même sens, davantage formaté chanson, que les hollandais volants en étirant ses tourneries électriques (Kida Ne Kidai Hanya et Ba’a Iyakance Ba) et en les chargeant parfois de dissonances abrasives (comme sur l’explosif et instrumental Mutuwar Mutuwa). Difficile de ne pas carrément penser aux nomades du désert et aux Touaregs et de ne pas se laisser emporter par un tourbillon sonique qui joue sur des effets de transes voire de lévitation. Je pourrais avoir honte d’avoir recours à la facilité en parlant ici de « voyage » mais pourtant il s’agit bien de ça : voilà une musique qui précisément trouve une bonne partie de son inspiration dans un ailleurs très différent de la culture et de l’environnement habituels des deux musiciens et Rana est un enregistrement qui fait décoller l’auditeur pour le faire voyager, sans aucune tentative de racolage simpliste ou illustratif.
Enfin, la voix occupe désormais une place importante dans la musique d’Håla Duett. Sur quatre compositions trois sont dotées d’un chant s’exprimant en Haoussa, une langue d’Afrique de l’Ouest et parlée par le peuple du même nom et originaire du Sahel. Ici toujours pas d’appropriation honteuse, il semble logique et évident qu’une musique autant inspirée par le désert et ses traditions musicales puisse également emprunter l’une de ses langues. Le coté psalmodié et litanique mais toujours emprunt de légèreté du chant – comme du Damo Suzuki égrenant des champignons magiques pour Can – lui confère un côté onomatopéique et presque ludique. On ne comprend pas ces mots là mais on les devine, alors on se moque du sens qu’il y a peut-être là dedans ou peut-être pas… l’important reste l’intention que l’on peut déceler. Et celle d’Håla Duett me semble avant tout portée sur la générosité, le partage, l’altruisme et toutes ces valeurs qui manquent tellement aux musiciens atteints du syndrome d’exemplarité et qui pensent avoir inventé quelque chose alors qu’ils rabâchent sans s’en rendre compte. De toute évidence Sheik Anorak comme Yann Joussein sont tout le contraire, juste deux êtres humains qui avant tout veulent donner.
[Rana a été publié début octobre 2019 en vinyle par Gaffer records et le Collectif Coax – comme pour les deux derniers EP de Sheik Anorak le disque est transparent et emballé dans une pochette avec un motif simple de couleurs vives et transparente elle aussi, c’est aussi beau que réussi]
* et si vraiment tu n’en sais rien tu peux toujours cliquer sur le tag « Sheik Anorak » juste en dessous
** mais aussi Yann Joussein compte parmi les membres fondateurs du collectif parisien Coax