En me précipitant tel un affamé ou
presque sur les trois EP/mini albums publiés par Thou entre les mois de mai et juillet 2018 en guise de préambules
au nouvel album du groupe – pour mémoire : The House Primordial
puis Inconsolable
et enfin Rhea Sylvia
– j’ai bien failli griller toutes mes cartouches. Je m’explique : je crois
que je n’ai jamais apprécié un enregistrement de Thou immédiatement après ses premières écoutes, de manière instinctive
et irréfléchie, ce qui peut sembler complètement contradictoire pour quelqu’un
qui se vante en permanence (oui, je suis un gros vantard) de privilégier le
cœur à la tête, l’instinct à la pensée et la chair à l’esprit.
Je me rappelle encore de ma découverte
du groupe de Baton Rouge / Louisiane, c’était avec l’album Summit, en 2010, un troisième album qui à l’époque m’avait laissé
de marbre voire avait fait naître en moi une profonde incompréhension.
Aujourd’hui ce même Summit est l’un
de mes disques préférés de Thou, un
disque dont je ne voudrais pas me passer. Dois-je préciser que quelques années plus
tard la même « aventure » m’est arrivée avec Heathen (2014), un disque considéré par beaucoup comme le chef
d’œuvre absolu du groupe ? Et bien voilà : après bien des mois, Heathen avait également réussi à entrer
dans mon petit cœur de pierre de binoclard fossilisé où il s’est mis à trôner aux côtés de Summit pour me tenir chaud avec autant d’efficacité
que d’humanité.
J’ai donc eu peur d’avoir épuisé tout mon potentiel émotionnel et affectif avec ces trois disques lancés en éclaireurs et que j’avais déjà beaucoup trop disséqués lorsque THOU a finalement publié Magus (le cinquième album du groupe) au mois de septembre. Bon… fort heureusement et malgré tout, il me semble depuis qu’il y a plus que jamais et indubitablement un mystère Thou. Et plus je cherche – et trouve – des éléments de réponses pour le solutionner et plus ce mystère m’échappe. Mais cela me va bien. C’est même plutôt réconfortant et galvanisant d’être presque obligé de faire une confiance aveugle (mais exigeante malgré tout) à un groupe. La confiance c’est tellement facile avec un groupe lambda qui joue une musique totalement codifiée parce qu’en fait on trichera toujours a priori et finalement on tournera toujours en rond autour d’une autosatisfaction-miroir confortable. Mais avec un groupe en plein mouvement et hors sentiers battus ce n’est pas du tout la même histoire.
C’est même l’histoire d’un danger bénéfique : si le danger n’existe plus, la confiance disparait également et aujourd’hui je crois que la publication antérieure de The House Primordial et surtout de Inconsolable et de Rhea Sylvia aura servi à cela. Ces trois disques sont des plus explicites quant à la démarche musicale et personnelle de Thou mais en même temps ils foutent un gros bordel en démontrant que Thou est un groupe à l’esprit libre. Un groupe romantique et anarchiste qui n’a pas d’égal pour décloisonner, démonter, détruire et reconstruire derrière avec les éléments déchiquetés (mais aimés) par son appétit de destruction quelque chose qui n’appartient qu’à lui, un système qui possède la perfection de ses défauts, Thou étant l’un des rares groupes qui a compris qu’un système – je raisonne en assimilant une création musicale et donc artistique à un système – est en même temps un chaos irréversible. Toute fenêtre est autant une fermeture qu’une ouverture, une loi est autant une barrière ou une règle qu’une incitation à désobéir ou partir et Magus est la cristallisation d’un tout, aussi universel qu’incomplet et, conséquemment, un tout en mouvement épiphanique.
Dans Magus
la noirceur et la violence de Thou ne
sont donc pas feintes et ne constituent pas plus un décorum – en cela Thou est l’exact opposé d’un Cult Of Occult –, c’est une noirceur et une
violence qui ont du sens, une noirceur et une violence qui possèdent leur
propre signification, leur propre vérité et leur propre lumière. Magus est autant un enregistrement transcendant
qu’un chef-d’œuvre musical (je n’ai pas du tout envie de parler de ces riffs
incroyables, de ce chant/logorrhée quasiment infini, de cette lourdeur
atmosphérique, d’autres le font bien mieux que moi) et je préfère insister une
dernière fois sur le caractère émotionnel, physique et métaphysique de Magus. Une dernière fois mais comme une
première.
[Magus est
publié en double vinyle et en CD par Sacred Bones et que ce soit particulièrement ce label qui s’y
soit collé me semble être le seul défaut insurmontable de ce beau et
inestimable disque]