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jeudi 22 novembre 2018

Unnatural Ways / The Paranoia Party



Cela fait presque une dizaine d’année maintenant qu’Ava Mendoza occupe une place de choix au sein de la scène new-yorkaise et de Brooklyn avec son jeu de guitare très touffu et particulièrement incandescent (et en ce qui me concerne je l’ai découverte lors d’un concert fulgurant en compagnie du bassiste Maxime Petit de Louis Minus XVI et du batteur Will Guthrie*). 
Au départ Unnatural Ways est le nom d’un album d’Ava Mendoza enregistré en 2015 aux côtés de Dominique Leone (synthétiseurs) et de Nick Tempuro (batterie – ce dernier et la guitariste avaient déjà publié en 2012 un autre album intitulé lui Quit Your Unnatural Ways). Puis UNNATURAL WAYS est devenu un trio bien différent, cette fois-ci avec Tim Dalh à la basse et Sam Ospovat à la batterie : le premier est surtout connu pour son groupe Child Abuse ; le second joue entre autres avec Enablers (qui d’ailleurs s’apprêtent à ressortir de leur tanière).
Suite à l’émergence de la nouvelle version du trio, John Zorn et le label Tzadik ont en 2016 publié We Aliens, un album plutôt remarqué mais qui malgré ses qualités m’a toujours semblé un peu trop rigide et un peu trop appliqué pour être réellement passionnant. Toutefois We Aliens reste un album plus que prometteur : j’attendais donc la suite avec impatience, me demandant malgré tout si Ava Mendoza n’allait pas à nouveau changer de musiciens et quelles évolutions elle opérerait alors sur sa musique.





La réponse se révèle spectaculaire : sur The Paranoia Party, deuxième véritable enregistrement d’UNNATURAL WAYS, le groupe est toujours constitué des trois mêmes musiciens mais il y apparait comme transfiguré, bien plus à son aise et en perpétuel position de défi. Une arrogance certaine domine ce disque, d’abord celle du jeu de guitare d’Ava Mendoza plus tentaculaire et plus électrique que jamais, la musicienne alignant riffs surpuissants et solos débordant d’une sur-vitalité mordante et conquérante. Un véritable ouragan magnétique de couleurs et de formes tous azimuts, des parties de guitare aussi ahurissantes de technicité qu’explosives, tout en évitant déviations trop progressives et démonstrations assommantes. 
En général je goûte guère aux épanchements à la guitare électrique mais le jeu d’Ava Mendoza trouve toujours le juste milieu entre acharnement ultra-technique – elle réalise l’exploit de me faire aimer des parties jouées en tapping, ce qui n’est pas rien – et déflagration pyrotechnique. Elle est juste incroyable et je ne dis pas ça parce que je garde encore en mémoire le souvenir brûlant d’un récent concert d’Unnatural Ways auquel j’ai eu la chance d’assister, au contraire j’ai bien pris soin de ne pas rédiger cette chronique sur le vif et de laisser passer quelques semaines : aujourd’hui l’écoute de The Paranoia Party ne fait que confirmer qu’Ava Mendoza est une grande guitariste qui en plus possède un son très particulier et personnel, avec des effets sur sa guitare qui lui donnent autant un côté death rock que noisy (voire teinté de punk et de metal) que fortement psyché. Vraiment très étonnant.

Ava Mendoza bénéficie en plus de l’appui d’un excellent groupe. Commençons par Sam Ospovat : je n’ai jamais totalement adhéré à sa façon de faire lorsque je l’ai vu se produire avec Enablers, ce batteur pas très agréable à regarder jouer en concert me semblant trop nonchalant et très cérébral – ce qui n’est pas incompatible, en fait il me fait toujours l’effet de sortir tout droit d’une école de musique trop prestigieuse. Sa façon de jouer est d’une décontraction insensible qui m’échappe totalement… pourtant son interprétation très diversifiée et d’une puissance adéquate se révèle parfaitement en place au sein d’Unnatural Ways. Sam Ospovat est d’une volubilité exubérante sur The Paranoia Party grâce à un jeu de cymbales et des roulements de toms incessants mais également de temps à autre grâce à de la double pédale.
Tim Dalh est aussi du genre démonstratif, déchainé voire baroque et excessif, mais ça on le savait déjà si on connait son travail à la basse avec Child Abuse. Il partage avec Ava Mendoza un goût immodéré pour les effets et certains sont complètement improbables (comme cet effet « bulles » qui renvoie directement à Bill Laswell, je ne serais guère étonné que Tim Dalh en soit en grand admirateur). Le bassiste d’Unnatural Ways est l’élément le plus kitsch du groupe, le plus prog également, pourtant il reste d’une énergie stupéfiante malgré une inventivité débordante de technique et bien qu’il joue aux doigts et non pas au médiator : Tim Dalh est également un contrebassiste aguerri et expérimenté ce qui lui permet de donner du corps à sa basse électrique avec une imagination et une ardeur égales.

La palme de l’étonnement reste malgré tout entre les mains d’Ava Mendoza. Et pas seulement pour ses explosions de guitare décrites un peu plus haut… entre We Aliens et The Paranoia Party elle a décidé d’inclure du chant dans la musique d’Unnatural Ways (en fait il y en avait déjà un peu sur l’album éponyme avec Dominique Leone et Nick Tempuro mais aucun sur We Aliens, album strictement instrumental…). Ava Mendoza est très loin d’être une chanteuse inoubliable, loin s’en faut et elle le sait puisque sa voix est régulièrement noyée elle aussi sous moult effets, ce qui accentue le côté outré et gothico-turbulent du chant. La présence de celui-ci reste cependant essentielle puisque il tend à structurer la musique d’Unnatural Ways autour du format chanson (la guitariste signant six compositions sur sept) avec de vraies paroles, de vrais refrains et donc tout ce qui s’en suit : ponts, breaks, etc. Le grand arsenal des chansons à tiroirs qui prennent soudain des directions inattendues tout en restant dans un certain cadre… Unnatural Ways paie sans honte aucune son tribu aux Mothers Of Invention de Franck Zappa (l’album Absolutely Free par exemple) tout en balayant l’horizon d’un esprit punk acéré qui élève The Paranoia Party au rang des comètes free noise qui embrasent tout sur leur passage. De ce point de vue là c’est donc réussi.

[The Paranoia Party est publié en CD et en vinyle par Sleeping Giant Glossolalia]  

* un très bon 7’ de quatre titres publié par BeCoq records documente cette formation