Existe-t-il un remède au profond ennui
suscité par The Thin Black Duke, cet
album informe et délavé derrière lequel Oxbow a fait courir ses fans et
admirateurs pendant quasiment une décennie ? Existe-t-il un contrepoison à
la cruelle déception engendré par un disque totalement indigne d’un grand
groupe dont le seul mérite (c’est malgré tout estimable) a été de vouloir se
renouveler, tentant toutefois d’y parvenir non sans chuter lourdement ?
Existe-t-il une médication capable de faire oublier l’indifférence terminale –
camouflet suprême – née d’un enregistrement dont j’aurais souhaité qu’il ne
voit jamais le jour ?
J’aurais surtout préféré ne pas avoir à commencer
cette chronique en évoquant la tragique constipation aploplexique dont semble désormais
souffrir le groupe d’Eugene Robinson et de Niko Wenner mais je n’ai pas eu
d’autre choix : depuis ce jour du printemps 2017 où The Thin Black Duke a enfin été dévoilé, mon amour pour Oxbow s’est
retrouvé irrémédiablement fané et si aujourd’hui ma déception s’est largement
atténuée, j’ai toujours ce gouffre béant à combler, ce manque à soigner,
précisément là où ça fait mal. Pour y parvenir les solutions sont
multiples : oublier Oxbow après 2007 – ou, plus radicalement, après 2002, en
considérant que The Narcotic Story
contenait déjà en germes la déconfiture de The
Thin Black Duke – ou carrément aller voir ailleurs. Les ailleurs ce n’est
pas ce qui manque, sauf que tous les ailleurs du monde n’ont jamais fait un nouveau chez soi.
Eugene Robinson est un colosse, et pas
seulement au sens proprement physique du terme : il a besoin d’une
montagne de rochers pour le soutenir tout comme il en a également besoin pour
la soulever et la détruire, exprimer ce qu’il est, exprimer cette énergie phénoménale
qu’il est capable de libérer pour faire naitre sensations contradictoires et
souffrances intimes. Souvent il me fait penser au Golem, ce monstre humanoïde
constitué d’argile, géant aussi puissant que fragile qui dans les écrits
talmudiques est à la merci du pouvoir de son créateur. Sauf que Robinson est
son propre maitre, entre outrances et faiblesses. Mais en multipliant les side
projects et les collaborations offshore d’Oxbow il n’a pas toujours fait les
bons choix : l’album enregistré avec les musiciens de Zu est d’une profonde
pâleur ; au contraire les concerts en compagnie de L’Enfance Rouge sont ce qu’il a fait
de mieux ces dernières années.
Bien que faisant partie des ailleurs possibles et bien que faisant partie de ces projets
permettant à Eugene Robinson de s’exprimer plus radicalement, j’ai mis un temps
infini avant de m’intéresser à Buñuel.
Trop peur de tomber sur un vulgaire orviétan, charlatanisme de l’eau sucrée à
la petite cuillère et compagnie. Avec BUÑUEL
le chanteur américain se retrouve dans la configuration d’un noise-rock noueux,
tordu, inconfortable et malade. Emmené par le très impressionnant et rassurant
– bien que trop identifiable – Boys To Men, l’album The
Easy Way Out a tous les airs d’une autoroute pour Robinson et sa
démesure saignante et sexuelle : guitares hachées de saturations et de
stridences, basse omniprésente et ravageuse, batterie martelée, musique musclée
et agressive voire très rapide, entre noise-rock sombre et ravagé et blues
électrifié, armuré et hérissé de pics d’agressivité. Les autres musiciens de Buñuel sont tous italiens et une fois
de plus je me demande ce qui a encore poussé le chanteur/performer californien
à chercher et trouver refuge du côté de la vieille Europe.
Donc The
Easy Way peut me contenter. Il m’apporte ce qu’il me manquait, à savoir une
musique acérée, lourde, vigoureuse et sans concession jouée par un groupe
solide pouvant soutenir la folie obscure et meurtrière d’un Robinson qui
retrouve là ses marques habituelles sans toutefois faire du remplissage
« à la manière de » (en d’autres termes : pas d’auto-caricature).
Entendre ce groupe et ce chanteur ensemble est un beau cadeau même s’il est
évident qu’Eugene Robinson écrase un peu trop tous les autres de sa présence et
de son talent ; il est vrai également que les trois membres italiens de Buñuel tombent parfois avec The Easy Way dans le péché d’imitation,
singeant Oxbow lorsqu’ils n’en présentent que des rognures, certes dignes
d’intérêt (le déjà nommé Boys To Men,
The Sanction, Augur, Where You Lay et Hooker). Tant qu’à faire il convient
donc de (ré)écouter en plus le premier album enregistré par Buñuel : plus
spazzy et plus chimique A Resting Place For Strangers – malgré de nombreux points communs avec The Easy Way Out – me semble plus original
et plus intéressant en offrant un équilibre valide et pas moins crédible à une
collaboration réussie.