J’ai bien trainé en route, à la croisée des chemins. Avec toujours dans
la tête cette idée d’arriver un jour à chroniquer Distance, un album publié par JEAN PIERRE MARSAL au tout début de l’année 2022 et reprenant, tout
en y ajoutant quelques nouvelles compositions, les titres du EP du même nom publié lui quelques mois auparavant et uniquement au format
numérique. Et puis c’est fou comme le temps passe toujours trop vite lorsqu’on
a justement décider d’en prendre pour soi. On fait autre chose, parfois avec
d’autres. On se découvre une nouvelle et belle amitié, par exemple, et on fait
tout pour la préserver des dangers du monde. Mais de temps en temps, en
remettant Distance dans le
mange-disques, on entrouvre à nouveau une petite porte qui laisse passer un fin
rayon de lumière, entrainant quelque courant d’air qui fait voler tout autour
des brins d’atmosphère, des poussières persistantes de vie, les cris d’une
enfant qui joue, quelques poils de chat, des bruits du quotidien, des odeurs insistantes,
des pointes de tristesse moins tristes lorsqu’on a enfin réussi à en parler, des
pointes de noirceur aiguisées également, des bonheurs infimes et des grosses douleurs, des notes égrainées telles des pelures séchées de
fruits et abandonnées sur un coin de table, des petites choses sans lesquelles
les grandes n’auraient pas autant d’importance : la musique de Jean Pierre Marsal.
Dans Distance on trouvera
uniquement une guitare même pas amplifiée, du chant, du blues et du folk sans
aucune trace de tension ou d’électricité si ce n’est celles générées par une
musique dont la seule « violence » est celle de l’intime. Je mets
volontairement des guillemets parce que cette violence n’en est pas réellement une
mais en écoutant Distance j’ai souvent essayé de
mesurer les efforts qu’avait du faire son auteur pour réussir à se dévoiler
autant. On m’excusera de l’exprimer ainsi mais ma conviction est qu’il a
vraiment du en chier. Mais nous également, du moins provisoirement : les
textes sont tellement personnels et intenses que l’on est forcément placé dans
la position de l’intrus ou du curieux (tout dépendra du degré de sensibilité de
celle ou celui qui écoute). On peut se demander ce qu’on fout là, à écouter les
confidences d’un autre, puis le simple fait de se dire que Jean Pierre Marsal a agi volontairement, en connaissance de cause, suffit. Se dire que c’est
un véritable artiste – j’insiste, pas la peine de râler à ce sujet mon garçon –
et que chanter est sa façon de nous parler sincèrement de lui-même, sans fausse
pudeur lorsqu’il n’hésite pas à utiliser le « je » et avec tout ce
que cela comporte, allant jusqu’au bout de ses joies comme de ses doutes.
Et ne voilà t-il pas que notre homme a dans la foulée publié un deuxième
disque, cette fois-ci complètement inédit : Les Tempêtes a vu le jour au mois d’avril de cette même année
2022. Un album qui reprend tous les fondamentaux – au sens le plus strict du
terme – de Distance. C’est à dire une
musique toujours sans la moindre trace de machines, d’entourloupes
technologiques. Et des textes plus que jamais à écouter (mais aussi à
lire : un livret avec toutes les paroles des chansons est joint au
disque). Le « je » prend toujours autant de place mais le
« tu » également, sans que l’on sache toujours à qui Jean Pierre Marsal s’adresse dans la
réalité – on comprend uniquement qu’il s’agit d’une (de) personne(s) très
importante(s). Certains des textes évoquent plus ouvertement sa fille (Les Chaussons De Liz) mais aussi, d’une
façon tristement logique et inévitablement inquiète, parlent du fracas de moins
en moins lointain et de plus en plus détestable du futur. Du présent. L’heure
n’est plus uniquement à l’introspection et aux confidences mais également à la
colère. L’électricité de l’intime devient aussi celle des révoltes légitimes et
les treize chansons des Tempêtes – en
forme de décharges et d’éclairs aussi vifs que brefs – prennent une dimension nettement
plus politique, sans jamais tomber dans les travers du prêche et rejoignent parfois
quelques unes des thématiques déjà abordées par Jean Pierre Marsal lorsqu’il officiait encore sous le nom de
202project.
C’est fou comme une musique réduite à sa plus simple expression – du chant et
une guitare – peut dire beaucoup plus de choses, poser plus de questions, tenter
de trouver des réponses, entrainer plus de rêveries et déclencher plus de
déclarations que n’importe quelle autre. Jean
Pierre Marsal nous fait comprendre et ressentir que son expérience,
personnelle et donc unique, pourrait converger avec les nôtres. Ou qu’en tous les
cas nous pouvons nous y retrouver si nous acceptons de l’écouter. Il parait que
tout le monde devrait manger cinq fruits ou légumes par jour parce que c’est
excellent pour la santé et donc bon le moral, OK, mais moi je préfère nettement
douter, divaguer, rêvasser et me plonger dans Les Tempêtes, ne serait-ce pour observer ce coin de table encombré de
petites épluchures de réalité et de pelures d’existence, ces recoins intimistes
où soudain une pensée, une musique, d’abord invisibles et fugitives, apparaissent,
nous entrainent. Jean
Pierre Marsal sait comment donner corps et âme à cette musique là, il sait
s’affranchir en elle. Et surtout il sait nous en faire profiter, nous l’offrir.
[Distance et Les Tempêtes sont disponibles uniquement en CD – parce que par les
temps qui courent les vinyles sont devenus beaucoup trop chers et trop longs à
fabriquer – auprès de Jean Pierre Marsal
et via sa page b*ndc*mp]